Le logement, l’obstacle primordial à la mobilité pour les jeunes

Le logement, l’obstacle primordial à la mobilité pour les jeunes

L’expert Jean-Benoît Eyméoud préconise de leur réserver des places du parc locatif social pour maintenir leur accès aux zones dynamiques.

Jean-Benoît Eyméoud est expert au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po. Il a publié Vers une société de changement. Les jeunes, l’emploi et le logement (Presses de Sciences Po, « Sécuriser l’emploi », 2016).

Les jeunes sont-ils plus mobiles que leurs aînés, particulièrement lorsqu’il s’agit d’accéder à l’emploi ?

Les jeunes n’ont pas les mêmes mécanismes bloquants que leurs aînés : ils ne sont pas propriétaires de leur habitation, n’ont pas de charge de famille… On pourrait donc penser qu’ils peuvent facilement aller s’installer dans les zones les plus dynamiques où ils auront trouvé un emploi. Or, cela ne se vérifie pas. Les écarts en termes de taux de chômage des jeunes sur l’ensemble du territoire sont supérieurs à ceux constatés pour les catégories de personnes plus âgées. Un élément entrave la mobilité des jeunes.

Lequel ?

Le suspect n°1, c’est l’habitation, notamment problématique pour les jeunes. La question des liens entre emploi et logement n’est pas nouvelle, depuis les années 1970 et les travaux de John Kain, on sait qu’il existe une inadaptation spatiale entre offre et demande de travail. Mais les jeunes pâtissent de handicaps supplémentaires sur le marché du logement. Ils ne peuvent pas accéder à la propriété, car les banques ne veulent pas leur octroyer de prêts si leur situation financière est précaire.

Le marché locatif n’est guère plus accessible : les loyers sont exceptionnellement élevés, les garanties demandées sont lourdes. Or, actuellement, selon les chiffres de l’OCDE, le taux de conversion d’un CDD en CDI, au bout d’un an, est de 16,2 % uniquement en France. Deux fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE. Et les plans d’aide à l’accès au logement pour les jeunes sont résiduels. Pour toutes ces raisons, les jeunes ont du mal à accéder aux zones dynamiques en termes d’emploi.

L’habitation sociale ne représente-t-il pas une solution ?

Outre que le parc est largement insuffisant, l’habitation sociale fonctionne selon un système qui joue contre les jeunes. En 1984, 24,6 % du parc était employé par des personnes âgées de moins 30 ans ; en 2013 ce taux n’était plus que de 9,5 %. Le parc social marche sur un principe de files d’attente : or celles-ci sont beaucoup plus longues dans les zones dynamiques. En 2015, le délai moyen des demandes satisfaites varie de 3 mois, dans le Cantal ou dans la Creuse, à 39 mois à Paris. Avec un taux de mobilité deux fois inférieur à celui du parc privé.

Ce handicap lié au logement accroît donc strictement les inégalités face à l’emploi ?

En gros, un jeune dans une zone dynamique sort plus brusquement du chômage qu’un jeune dans une zone non dynamique, et il en sort encore plus vite qu’une personne plus âgée dans une zone dynamique. En d’autres termes, il profite d’une « prime » de retour à l’emploi provenant du fait que les zones dynamiques s’achèvent par « manquer » de jeunes et de nombreux emplois demeurent non pourvus.

On a donc d’un côté des emplois non pourvus et d’un autre des jeunes sans emploi. Comment sortir de ce paradoxe ?

On peut agir sur la mobilité résidentielle, en facilitant l’accès à la location ou à la propriété, par des mesures adaptées ; et on peut également agir sur la mobilité pendulaire, c’est-à-dire en facilitant les trajets domicile-travail, par la création d’un système de transports compétitif. Mais cela ne va pas régler l’ensemble du problème, car au-dessus d’une certaine distance ou d’un certain temps de transports, les trajets domicile-travail deviennent intolérables.

On en revient donc au problème de l’accès au logement…

Oui. On peut inventer créer des systèmes de tremplins vers l’habitation, notamment en réservant des places pour les jeunes dans les logements sociaux qui, pour une durée limitée dans le temps, leur permettraient de s’insérer sur le marché du travail local, mais on peut aussi développer le parc privé. L’ouvrage du Grand Paris, par exemple, en « gommant » la limite physique et psychologique que représente le périphérique, peut créer un marché locatif plus vaste.

Les jeunes adultes sont de plus en plus abondants à demander habiter loin de Paris, dans des métropoles régionales ou même des zones rurales. Cela ne va-t-il pas renforcer les différences face à l’accès à l’emploi ?

Ces choix soignent du libre arbitre de chacun. Il faut bien concevoir que la mobilité, en soi n’est pas une valeur cardinale. Ce qui est important, c’est de laisser l’éventualité de la mobilité.

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LJD

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