« La recherche polaire française est à un tournant par manque de moyens »

« La recherche polaire française est à un tournant par manque de moyens »

Jérôme Chappellaz photographié dans le jardin du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), à Paris, le 27 février 2019.

Directeur de l’Institut Paul-Emile Victor, le glaciologue Jérôme Chappellaz a participé aux discussions de la 43e Réunion consultative du traité de l’Antarctique (RCTA), accueillie à Paris du 14 au 24 juin, qui a réuni à distance les 54 Etats concernés – 29 ayant droit de vote et 25 sans. Cette rencontre est l’occasion d’aborder tous les aspects de gouvernance dans la zone du traité, ayant trait à la science comme au tourisme.

Quel bilan tirez-vous de cette session diplomatico-scientifique ?

Le traité de l’Antarctique constitue un outil extraordinaire destiné à gérer 7 % de la superficie de la planète de manière collégiale entre des Etats qui ont décidé de protéger ces espaces. L’inquiétant essor du tourisme, l’usage des drones : il y aurait beaucoup de décisions à prendre. Mais la réunion tout juste terminée, on constate que le principe de consensus qui régit le traité est difficile à maintenir : un certain grand pays [la Chine] trouve à redire sur tous les sujets, même les plus anodins.

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La France est-elle encore considérée comme pionnière dans les sciences polaires ?

Sa recherche dans ces domaines reste d’excellente qualité, mais elle se trouve à un tournant par manque de moyens. On nous demande un miracle permanent. Voilà des années que je m’emploie à le faire réaliser aux décideurs. Si nous ne soutenons pas convenablement nos chercheurs, nous risquons de les perdre car rien ne les empêche de travailler ailleurs. Or il faudrait des décennies ensuite pour reconstituer une communauté de scientifiques partis exercer ailleurs.

Pour moi, le tournant date de 2005. La station franco-italienne Concordia, sur le haut plateau antarctique, a alors permis l’hivernage de scientifiques, mais les moyens de l’Institut Paul-Emile-Victor (IPEV) n’ont pas été accrus pour autant. Depuis, nous avons perdu dix postes, des ingénieurs, des techniciens que le CNRS mettait à notre disposition, et nous fonctionnons avec seulement 37 agents permanents. Or je ne suis pas en mesure de compenser ces emplois vacants par des recrutements de contractuels.

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A cette heure, j’ai douze postes à pourvoir dès que possible. J’ai même dû contractualiser notre ancien responsable des infrastructures polaires qui est à la retraite. Certains me disent que mon discours est incantatoire, alors qu’il y a effectivement le feu à la maison !

Votre message est-il entendu ?

Je dois une fière chandelle aux députés du groupe d’études pôles et grands fonds coprésidé par Jimmy Pahun, du MoDem. Grâce à eux, on a eu neuf minutes de débat à l’Assemblée nationale sur la situation de l’IPEV. C’est un succès ! L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a aussi consacré une audition, en mai, à ce sujet. Durant la RCTA, quatre ministres se sont exprimés à ce propos et le président Emmanuel Macron a conclu par un message positif en faveur de la recherche polaire. J’attends que ces discours se traduisent par des actes en 2022.

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LJD

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