Etre coincé au bureau, une angoisse devenue cauchemar dystopique

Etre coincé au bureau, une angoisse devenue cauchemar dystopique

C’était un lundi et – par sens de la tautologie – je suis allé voir le film Comme un lundi. Ce long-métrage, inspiré du cultissime Un jour sans fin d’Harold Ramis (1993) et réalisé par Ryo Takebayashi, nous plonge dans le quotidien d’une petite agence de publicité nippone. Tentant d’accoucher, sans y parvenir, d’une campagne de pub pour une soupe miso vendue en comprimés effervescents, la jeune créative Yoshikawa et ses collègues sont coincés dans une boucle temporelle, revivant sempiternellement la même semaine. Si le film de boucle temporelle est devenu un sous-genre en soi parfois un peu lassant, on est vite pris par ce quotidien d’open space absurde qui, en miroir, nous renvoie à la répétitivité de notre propre vie de bureau.

Dans l’agence de com, c’est un pigeon se fracassant contre la vitre qui marque le redémarrage de la boucle, à base de coupures d’électricité, de week-ends passés au bureau et de gimmicks du chef sans cesse réitérés. Les salariés devront progressivement réussir à se convaincre qu’ils ne sont pas dans un quotidien normal mais bien dans une situation aux allures de hoquet quantique, avant de tenter d’en sortir. Le surinvestissement au travail, le sacrifice de sa vie personnelle pour une réussite professionnelle inepte, l’inclination à consentir à une vie qui nous déplaît : toutes ces thématiques traversent ce film charmant, qui tangue entre naturalisme et surréalisme.

Mais ce qui fait la force contextuelle de Comme un lundi, c’est sa façon de mettre en lumière une nouvelle angoisse ou, en tout cas, une crainte ayant pris une ampleur nouvelle dans l’inconscient du salarié : être coincé au bureau. A la fois meuble, pièce et institution, le bureau est cette chose à laquelle on peut être enchaîné de multiples façons.

Le pouvoir relativiste de la pandémie

Dans son Ethnologie du bureau (Métailié, 2020), Pascal Dibie rappelle que l’Homo sedens est un individu dont le corps a subi un dressage dès l’enfance, soulignant le pont qui existe entre la soumission de l’esprit et la posture statique obligée. Mais cette « humanité assise », dont on a patiemment forgé le consentement, a vu soudain les soubassements à quatre pieds de son mode de vie vaciller, grâce au pouvoir relativiste de la pandémie. « A quoi bon ? », s’est-on dit, en constatant que l’on pouvait tout aussi bien réfléchir en short à l’ombre d’un tilleul.

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D’après une étude OpinionWay pour Slack de 2023, 63 % des salariés privilégient aujourd’hui un emploi permettant de travailler depuis le lieu de leur choix et 50 % d’entre eux sont même prêts à quitter leur emploi en cas d’obligation de retour en présentiel tous les jours (64 % chez les 18-34 ans). Ce qui est désormais valorisé, c’est le sentiment de liberté et la souplesse qu’offre le télétravail pour gérer les obligations de la vie courante (oui, ce rendez-vous chez l’ORL).

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LJD

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