« C’est l’économie que nous convoitons bâtir qui se trouve actuellement sur le banc des accusés »

« C’est l’économie que nous convoitons bâtir qui se trouve actuellement sur le banc des accusés »

Devant le palais de justice de Paris, le 6 mai 2019, jour de l’ouverture du procès France Télécom.
Devant le palais de justice de Paris, le 6 mai 2019, jour de l’ouverture du procès France Télécom. LIONEL BONAVENTURE / AFP

La chercheuse Florence Palpacuer examine, la façon dont s’est étendu le mouvement de résistance qui a autorisé de résilier les pratiques managériales imputés des suicides des employés en 2008 et 2009.

Depuis le 6 mai, une affaire sans précédent se développe au tribunal de grande instance de Paris, mettant en cause l’implication de beaucoup hauts responsables de France Télécom et celle de l’entreprise elle-même – aujourd’hui Orange – en tant que personne morale, dans la crise sociale qui aura conduit au suicide plus d’une trentaine de salariés en 2008 et 2009.

Tout comme la crise sociale de 2009, ce procès éprouve une forte conséquence dans les médias. Il est l’occasion d’entendre, lors des présentations à la barre, les témoignages de salariés, responsables syndicaux, médecins et inspecteurs du travail, mais aussi de manageurs qui ont franchi cette période de restructuration.

Sa conduite symbolique sera forte quant aux formes d’implication que l’entreprise et ses dirigeants sont menés à assumer lorsque leurs terminaisons et leurs pratiques managériales sont à même de mettre en souffrance les salariés, en attaquant les identités professionnelles, les liens sociaux et les valeurs communes que ces derniers ont étendus dans l’exercice de leur travail.

Cela tout notamment lorsque les réaménagements touchent des personnels de statuts variés, comme c’est dorénavant le cas dans nombre d’entreprises de services, qui relèvent de formes juridiques hybrides, entre public et privé, et où les modes de normalisation sociale, devenus incertains, méconnus, voire déniés, peuvent autoriser le pouvoir en place à une toute-puissance abusive.

Formes d’actions nouvelles

Le caractère exceptionnel de ce procès tient nécessairement, pour partie, à la violence des pratiques de management entre 2006 et 2008, mais il tient aussi, pour beaucoup, au mouvement de changement sociale par lequel des membres de l’entreprise ont porté ces pratiques dans le débat public, pour rendre visibles, développer et dénoncer leurs effets humaines et pour revendiquer une autre vision de l’entreprise et du travail.

C’est à ce mouvement de résistance que notre travail de recherche s’est employé, à partir d’entretiens approfondis avec les principaux acteurs qui, au sein de l’entreprise, de la société civile et de l’Etat, ont su mettre en commun des ressources, étaler des actions innovantes et porter ensemble une éthique fondée sur le respect du droit et des personnes dans la conduite managériale de l’entreprise (« Resisting via hybrid spaces : the cascade effect of a workplace struggle against neoliberal hegemony », Florence Palpacuer et Amélie Seignour, Journal of Management Inquiry, 15 mai 2019).

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LJD

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