Ces secteurs qui peinent à séduire des étudiants

Ces secteurs qui peinent à séduire des étudiants

Au centre de formation Promeo, à Compiègne (Oise).
Au centre de formation Promeo, à Compiègne (Oise). Eric Nunès/

Un matin de janvier, sur le parking de Promeo, à Compiègne (Oise). Ils sont une douzaine de jeunes gens à frapper des pieds pour faire circuler le sang. Il n’y a pas de pancarte, pas de slogan, et pas davantage de CRS. Face à eux, deux enseignants, un camion et quelques chariots élévateurs.

Savoir guider ce type d’engin et obtenir un certificat d’aptitude à la conduite et à la sécurité (CACES) est une des disciplines enseignées par ce centre de formation en alternance de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Ici, on répond aux besoins de l’industrie en matière de savoir-faire : usinage des pièces, chaudronnerie, maintenance de la chaîne de production… Sans oublier tous les métiers transversaux : comptabilité, vente, transports.

Déficit de compétences

Peu de crise chez les futurs titulaires d’un brevet de technicien supérieur (BTS) ou d’une licence pro du secteur. « Nous sommes à 93 % d’insertion en entreprise à l’issue de la formation », déclare Carole Marigault, directrice générale du centre compiégnois. Les diplômés de l’industrie n’ont même pas à « traverser la rue » pour décrocher un emploi, pour récupérer la formule lancée par Emmanuel Macron à un chômeur. « La métallurgie a 110 000 recrutements à faire par an, et ce chaque année jusqu’en 2025 », estime Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM.

En janvier, le chômage en France a connu une sensible décrue. Le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi sans chômage a baissé de 1,1 % au cours du dernier trimestre 2018. Il atteint tout de même le total de 3 676 000 individus. De plus en plus de projets d’embauche sont jugés « difficiles » par les entreprises, constate Pôle emploi. En 2018, 44,4 % des recrutements se font dans des secteurs dits « en tension », du fait particulièrement d’un déficit de compétences. Alors que les emplois sont là, les candidats qualifiés manquent.

Plusieurs secteurs ont été digérés par l’établissement public. Les métiers de la santé réclament des diplômés à bac + 2 ou bac + 3 dans les domaines de l’appareillage ou de la préparation médicale. Et dans les nouvelles technologies, les entreprises peinent à recruter des programmateurs, des techniciens de maintenance…

Réputation de précarité

Même chose pour l’hôtellerie et la restauration. « Il y a dans nos métiers plus de 100 000 emplois à pourvoir », constate Jean-Luc Michaud, président de l’Institut français du tourisme, un observatoire du secteur. Mais c’est bien dans la métallurgie que la tension est la plus forte : 67 % des recrutements y sont « difficiles », selon les employeurs cités par Pôle emploi.

Essentielle cause de la carence de candidatures pour ces formations et leurs métiers : « le déficit d’attractivité », pointe l’établissement public. Dans l’hôtellerie-restauration, les emplois souffrent ainsi d’une popularité de précarité, en raison de la saisonnalité, des horaires décalés et de la faible qualification. « C’est une vision totalement erronée des métiers d’accueil, tempête Jean-Luc Michaud. Par exemple, un réceptionniste doit être un expert dans la relation client, maîtriser plusieurs langues et connaître absolument l’usage des outils numériques. Il doit au moins être titulaire d’une licence pro.

Le tourisme, « c’est 7 % du PIB, deux fois plus que l’automobile, et pour des emplois non délocalisables », a répété Lionel Walker, délégué général de la Conférence des formations d’excellence au tourisme. C’est aussi  437 formations post bac disséminées sur l’ensemble du territoire. « Mais le secteur manque de visibilité, concède Lionel Walker. Au moment des choix d’orientation des lycéens, le tourisme subit une vision très éloignée de la réalité qu’ont les responsables d’orientation et les familles. »

Désaffection de l’alternance

L’image dévaluée de l’apprentissage en France est également un des facteurs de la désaffection des formations en alternance. Alors que des milliers de lycéens ont passé l’été 2018 aux portes des universités ou des classes préparatoires en espérant qu’une place se libère, « certains de nos BTS ne sont pas pleins », ajoute Carole Marigault. Pourtant, le taux d’employabilité dépasse les 90 % six mois après l’obtention du diplôme, et le coût de la formation est nul pour l’étudiant. Au printemps 2018, quinze places étaient libres au sein du BTS conception des processus de réalisation de produit, mais seulement 8 candidatures ont été posées et 5 retenues. Paradoxe : alors que le secteur peine à recruter des étudiants, le ministère de l’éducation nationale souligne pour sa part que « les bacheliers des filières professionnelles et technologiques sont trop souvent évincés des formations auxquelles ils sont nombreux à aspirer : les sections de technicien supérieur et les instituts universitaires de technologie ».

« Les filières des métiers de l’industrie sont peu éprouvées par les élèves de terminale, reconnaît également Marie-Hélène Garcia, responsable du pôle alternance et formation initiale chez Campus Veolia Seine et Nord. Malgré cela, un BTS métiers de l’eau ouvre à de belles carrières, d’importantes responsabilités et la possibilité de s’ouvrir à l’international. » L’industrie serait victime d’une image obsolète, « celle d’un travail à la chaîne, répétitif et polluant, loin de la réalité de la vie d’une usine moderne », poursuit Carole Marigault. Dans les faits les métiers de l’usinage ont profondément évolué, mais ils restent en tension. Les machines sont aujourd’hui de très haute technologie, conduites grâce à des tableaux de bord compliqués qui demandent une formation poussée.

Impression d’échec

Plus de dix ans après la crise, les fortes pertes d’emploi dans l’industrie n’ont pas été anticipées. « Alors que les carnets de commandes se remplissent, il y a urgence à restaurer l’attractivité et l’image des filières professionnelles dans le regard des lycéens », déclare Hubert Mongon. Carole Maringault abonde : « Nos difficultés de recrutement sont notamment liées à la régression du nombre de bacs pro dans nos filières. Ils ne constituent plus le vivier nécessaire pour remplir nos BTS. » Modifier le regard des enseignants du secondaire, des conseillers d’orientation et des familles est un grand enjeu pour toutes ces filières.

Pour doser le travail qu’il reste à accomplir, la parole des intéressés est révélatrice. Questionnés sur leur parcours, plusieurs bacheliers pro, aujourd’hui élèves d’un BTS en maintenance industrielle, admettent avoir souffert du mépris « des bacs généraux » quand ils ont rejoint la voie professionnelle. Quand Damien Kluck, ancien élève de première S, a été réorienté en filière pro, il dit qu’il s’est « perdu ». Un sentiment d’échec avant même d’initier l’apprentissage. « Les autres lycéens nous jugeaient. Mais nous, on apprend un métier, défend Baptiste Padieu. Les bacs pro sont l’objet de plein de préjugés, comme s’ils étaient inférieurs. Alors que nous apprenons simplement des choses différentes. »

 

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LJD

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