« Cela fait deux mois que j’attends cette annonce ! » : salariés et patrons face à la généralisation du masque en entreprise

« Cela fait deux mois que j’attends cette annonce ! » : salariés et patrons face à la généralisation du masque en entreprise

A Paris, le 27 mai 2020.

Il n’y a pas que le petit dernier qui appréhende la rentrée. Alors que, depuis le 16 juillet, selon les données de Santé publique France, les entreprises comptent davantage de foyers épidémiques que les établissements de santé, salariés et patrons regardaient l’horizon de septembre s’approcher avec anxiété.

A l’heure du retour des vacances, l’annonce faite mardi 18 août par la ministre du travail, Elisabeth Borne, concernant l’obligation du port du masque en entreprise dans « tous les espaces clos et partagés », « salles de réunion, couloirs, vestiaires, open spaces » compris, à partir de la « fin août », a donc été accueillie avec un mélange de soulagement, d’espoir mais aussi de résignation par les salariés ayant répondu à l’appel à témoignages publié sur le site du Monde.

Les chefs d’entreprise interrogés, eux, approuvent dans l’ensemble la mesure, mais pour des raisons davantage économiques que sanitaires, tout en attendant des précisions sur ses modalités concrètes d’application – une circulaire doit être publiée d’ici au 1er septembre.

Le masque, « équipement individuel de sécurité »

« Toutes les mesures de protection dans les entreprises sont très positives, car le risque le plus important est de revenir à un reconfinement global, qui serait catastrophique », souligne Olivier Schiller, président de Septodont, leader mondial de l’anesthésie dentaire. Au deuxième trimestre 2020, le produit intérieur brut français a en effet reculé de 13,8 %. Le retour d’un confinement, tel qu’instauré entre le 17 mars et le 11 mai, est désormais devenu le pire cauchemar des chefs d’entreprise.

Reste que cette mesure a un coût : désormais considéré comme un « équipement individuel de sécurité », le masque sera à la charge de l’employeur. Une nouvelle source d’inquiétude, notamment pour les petites structures. « L’Etat doit prendre ses responsabilités et financer l’achat de masques pour les entreprises, qui sont aujourd’hui dans l’incapacité d’ajouter ce coût supplémentaire à leurs dettes », a déclaré auprès du Monde Marc Sanchez, président du Syndicat des indépendants.

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Pour l’heure, cette demande, restée lettre morte, préoccupe d’autant plus les chefs d’entreprise qu’« il y a un risque de perte de productivité importante dans des activités comme la production ou la logistique », souligne Frédéric Coirier, coprésident du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire et président du groupe Poujoulat, spécialisé dans la fabrication de cheminées.

« Avec les chaleurs actuelles, le port d’un masque est proche du calvaire », note Antoine, manutentionnaire dans un centre de tri postal

Sur les chantiers, dans des usines ou dans des entrepôts, certaines activités, très exigeantes physiquement, ou certaines conditions de travail, notamment dans des lieux surchauffés, se prêtent en effet difficilement au port permanent du masque.

« Je considère le port du masque comme important en toutes circonstances dans la lutte contre le coronavirus et dans ce sens, son obligation au travail est un point positif. Toutefois, comme je fais un métier physique, et avec les chaleurs actuelles, le port d’un masque est proche du calvaire », note Antoine (tous les prénoms des salariés ont été modifiés), manutentionnaire dans un centre de tri postal. Chaque heure, ce sont quelque 1 300 colis, « qui peuvent peser jusqu’à plusieurs centaines de kilos », qui passent entre ses mains et celles de ses collègues.

Ces gestes, harassants et cadencés, « occasionnent un souffle court et rapide », couplé à une importante sudation, explique le jeune homme. Résultat : l’humidité s’accumule dans le masque et rend la respiration de plus en plus difficile. Pour l’heure, Antoine porte son masque lors de ses déplacements dans le centre de tri, mais le retire lorsqu’il s’agit de charger les colis. « En contrepartie, j’évite au maximum le travail en binôme », poursuit-il.

Les souhaits d’aménagement de l’obligation du port du masque ont, eux, été entendus. « Il y aura la place pour des solutions pragmatiques », a déclaré le premier ministre, Jean Castex, mercredi devant les chefs d’entreprise réunis à l’université d’été du Medef, ouvrant la voie à de possibles accords de branche concernant les métiers physiques.

Parades

Dans les open spaces, où l’effort est avant tout cérébral, le soulagement prédomine. « Cela fait deux mois que j’attends cette annonce !, s’exclame Pauline, qui travaille dans la publicité. Depuis notre retour au bureau, je suis la seule masquée parmi une centaine de salariés, dans des open spaces de 30 personnes, toutes les unes sur les autres. »

D’autant qu’il est parfois difficile de rappeler les gestes barrières à ses collègues… voire à ses supérieurs. « Jusqu’ici, nos chefs se sentaient libres de ne pas le porter en salle de réunion [contrairement au protocole sanitaire en vigueur cet été]. Maintenant, tout le monde devra faire de même », souffle Elisabeth, architecte.

Certains soulèvent le caractère désagréable du port du masque, la buée sur les lunettes, les maux de tête après une longue journée… sans en faire un argument contre la généralisation du port du masque en entreprise, mais plutôt pour le retour du travail à domicile, démasqué.

« Pendant le confinement, on a expérimenté le télétravail. Quand est venu le déconfinement, on a cru que les habitudes allaient changer, mais ça n’a pas été le cas, regrette Leïla, consultante en stratégie. Les manageurs ont continué à vouloir voir leurs équipes physiquement au bureau, au quotidien, alors que l’ensemble de nos réunions sont effectuées à distance, car le client, également présent à ces réunions, n’accepte pas les prestataires dans ses bureaux. Pourquoi porter le masque toute la journée dans un open space, alors que nous pouvons télétravailler ? »

Selon la Dares, le service statistique du ministère du travail, le déconfinement a effectivement sonné la fin du télétravail pour de nombreux salariés. En mars, 25 % d’entre eux travaillaient depuis chez eux et 27 % sur site. En juillet, ils n’étaient plus que 10 % à être en télétravail, contre 57 % dans leurs locaux professionnels.

En l’absence d’accords de télétravail, vivement encouragé par Mme Borne lors de son annonce du 18 août, certains ont déjà trouvé des parades, comme Emmanuelle, fonctionnaire : « Pour éviter la cohue dans les transports publics, j’envisage la voiture. » Et au bureau ? « Aller aux toilettes très régulièrement. Toutes les heures. Pour respirer. »

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LJD

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