« Travailler demain » : une BD pour décrypter les bouleversements qui se profilent

Quel sera le futur du travail ? La question alimente ces dernières années une importante production éditoriale, à la mesure des transformations d’ampleur qui se dessinent dans la sphère professionnelle et des inquiétudes qu’elles peuvent susciter. Portée par l’ancienne ministre du travail Muriel Pénicaud, le journaliste et responsable de la programmation de la Cité de la BD d’Angoulême Mathieu Charrier et le dessinateur Nicoby, la bande dessinée Travailler demain (Glénat, 144 pages, 23 euros) apporte un regard synthétique et pédagogique sur le sujet.

Au fil d’une histoire bien rythmée, les auteurs proposent de suivre Soraya, une lycéenne qui doit réaliser un exposé sur le futur du travail et qui, reconnaît-elle, ne « comprend rien » au sujet. Mais la chance est avec elle : elle doit participer au pot de départ de sa grand-mère, directrice des ressources humaines d’une entreprise de production de parapluies, où se trouvent de nombreux spécialistes de l’univers professionnel et de ses mutations. La quête d’information de l’adolescente va donner l’occasion à 13 personnalités (la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, l’ancien secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, le directeur général de la MAIF, Pascal Demurger…) de livrer leur regard sur ce que sera, selon elles, le monde du travail demain.

Regards croisés

Plusieurs grands bouleversements sont abordés : la transition écologique, le « basculement démographique » (« Y aura-t-il assez d’actifs demain ? », s’interroge Mme Lagarde) ou encore le changement du rapport au travail, porté en particulier par les jeunes générations. L’une de ces mutations focalise l’attention : la révolution annoncée de l’intelligence artificielle (IA). Le propos des intervenants, notamment celui de l’entrepreneuse Aurélie Jean, se veut rassurant : « Je pense que l’IA va influencer nos emplois, les transformer, mais pas les remplacer », estime-t-elle. Quelques voix anonymes se font toutefois entendre, de bulle en bulle, pour nuancer cette approche et mettre en lumière les risques pour l’emploi dans différents secteurs d’activité.

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Le droit de retrait, dernier recours des salariés dans l’impasse

Carnet de bureau. « Maux de tête, picotement, yeux rouges », mentionne l’attestation d’accident de service d’un des 70 salariés de l’Institut de biologie et de pathologie (IBP) du centre hospitalier de Grenoble qui ont fait valoir leur droit de retrait, le 1er avril, pour se protéger d’un danger d’origine inconnue qui provoque des malaises en série depuis 2019.

Vue de l’institut de biologie et pathologie du CHU Grenoble Alpes en proie à des émanations toxiques depuis 2019, à La Tronche, le 7 avril 2025.

Six ans d’arrêts-maladie en cascade, de constats d’odeur d’œufs pourris, d’étourdissements, d’« accidents de service » (c’est ainsi qu’on désigne les accidents de travail dans la fonction publique). Au total, plus de 300 signalements à fin 2024 dans cet institut où travaillent 600 personnes. L’inspection du travail a été saisie.

Dès 2019, la direction a fait faire des recherches, la piste d’un taux d’ozone supérieur à la normale est alors avancée. Elle est toujours à l’étude. « Une psychose collective est aussi évoquée à partir de 2020 », rapporte l’avocat des victimes, Me Henri Gerbi.

Certaines activités ont été délocalisées hors de l’IBP, le télétravail a été encouragé par la direction, quand il est possible. Mais lors de la visite du ministre de la santé, Yannick Neuder, le 4 avril, le mystère n’était toujours pas éclairci. Et durant l’errance de l’employeur pour trouver la cause du mal et y remédier, le personnel est toujours exposé, même s’il est prévu de pouvoir utiliser des masques.

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Les premiers pas en entreprise entravés par l’IA

Des développeurs informatiques, des chefs de projets numériques et des journalistes échangent sur les potentiels bénéfices de l’IA, à la Maison de la radio et de la musique, à Paris, le 26 septembre 2023.

Aurait-il dit tout haut ce que bien des dirigeants d’entreprise pensent tout bas ? Le 7 avril, Tobi Lütke, le fondateur et directeur général de la plateforme de commerce électronique Shopify, a suscité l’émoi en détaillant ses nouvelles méthodes de recrutement. Dans un courrier, devenu viral, adressé à ses 8 000 salariés, l’entrepreneur a énoncé que l’intelligence artificielle (IA) était une « attente fondamentale » de la société. Mais, surtout, il a averti qu’avant toute nouvelle embauche, ses équipes devaient l’assurer qu’elles ne pourraient pas faire le même travail avec l’IA.

« Le risque est élevé et la peur est palpable chez les étudiants », confirme le spécialiste des modes d’organisation du travail François-Xavier de Vaujany, alors que ces derniers se voient généralement confier des tâches plus routinières. Ce chercheur et professeur à Paris Dauphine-PSL observe de près ces métamorphoses dans le monde du conseil. Et constate que des missions tels que les comptes rendus de réunion ou des tableaux Excel élaborés par des juniors peuvent désormais être exécutés en partie par l’IA. « Sur les deux prochaines années, les changements peuvent aller vite », même si « au-delà des cas médiatisés », il dit ne pas avoir noté de « tendance dans les statistiques agrégées ».

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Des propositions-choc pour que le travail paye plus

Le président de l’Union des entreprises de proximité Michel Picon (à droite), à Bercy, à Paris, le 14 avril 2025.

Gagner plus en étant moins taxé sur son travail. C’est le sens de la proposition-choc dévoilée, mardi 6 mai lors d’une conférence de presse, par l’Union des entreprises de proximité (U2P), qui représente les artisans, les commerçants et les professions libérales.

Pour Michel Picon, le président de l’organisation patronale, il est possible de restituer 116 milliards d’euros par an à l’ensemble des personnes en activité – soit environ 28 millions de femmes et d’hommes –, quel que soit leur statut (salariés du privé, agents du public, indépendants, employeurs…). Un « big bang populaire » qui implique de supprimer certains prélèvements obligatoires, entraînant de gros changements dans le financement de notre modèle de protection sociale.

Les idées présentées mardi s’inspirent très largement du livre d’Antoine Foucher Sortir du travail qui ne paie plus (L’Aube, 2024). Dans cet ouvrage, le président de la société de conseils Quintet et ex-directeur du cabinet de Muriel Pénicaud, lorsque celle-ci était ministre du travail (mai 2017-juillet 2020), montre que la rémunération des individus exerçant une profession progresse à un rythme de plus en plus lent depuis plusieurs années.

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Inaptitude : plaidoyer pour le dialogue

Au travail, les visites médicales obligatoires sont organisées par la loi : les visites d’embauche, celle à la mi-carrière, en cas d’absence au travail justifiée par une incapacité résultant de maladie ou d’accident d’une durée supérieure à trente jours, ou celles pour certaines activités. En cas de souffrance au travail, un salarié peut aussi contacter un médecin du travail. Son rôle consiste singulièrement à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur emploi.

Le médecin du travail est lié par un contrat avec l’employeur ou avec un service de prévention et de santé au travail interentreprise (SPSTI) auquel l’employeur a adhéré. Il ne peut pas délivrer d’arrêt de travail. Cette responsabilité relève du médecin traitant, d’un hôpital ou encore du médecin-conseil de la Caisse primaire d’assurance-maladie dont les fonctions sont autres.

Camion de la médecine du travail.

En revanche, il peut constater que l’état de santé du salarié (physique ou mental) est devenu incompatible avec le poste qu’il occupe. La qualification juridique de cette situation est l’« inaptitude au travail », concept de droit du travail qui ne se confond ni avec l’état de maladie ou d’invalidité, ni avec l’incapacité temporaire ou définitive du travail pour cause d’accident ou de maladie professionnelle, ni avec le handicap, relevant de règles autres.

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La Sigmund Freud University, une machine à cash qui prospère sur les rêves des aspirants psychologues

C’est un élégant immeuble de briques rouges, avec des fenêtres ornées de pierre sculptée, façon hôtel particulier. Au-dessus de la porte trônent les drapeaux européen, français et autrichien. Bienvenue à la SFU-Paris, branche française de la Sigmund Freud University-Vienne, la plus grosse université privée d’Autriche. L’antenne parisienne, plus confidentielle mais tout aussi privée, a ouvert en 2006 et accueille, chaque année, environ 70 étudiants, du niveau bac + 1 au bac + 5. Moyennant plus de 10 000 euros l’année, ces derniers s’affranchissent de Parcoursup, de la concurrence et des amphithéâtres bondés de l’université. Ils obtiennent un « bachelor en psychologie » et un « master of science en psychologie clinique ». Sur le site de la SFU, un bandeau plastronne : « Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche reconnaît qu’un master en psychologie de la SFU est équivalent aux diplômes nationaux. »

Pourtant, les « diplômes » de la SFU ne sont pas équivalents à une licence et à un master de psychologie, conditions sine qua non pour pouvoir utiliser le titre de psychologue, réglementé en France. « Le diplôme de la SFU est autrichien. Il ne permet pas d’exercer la profession de psychologue clinicien et de psychologue de la santé en Autriche et ne permet de se prévaloir que d’un titre honorifique non réglementé », précise le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, interrogé par Le Monde sur ce sujet. Le ministère renvoie au rapport d’évaluation des formations de la SFU réalisé par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur en 2018, tout en précisant que « rarement un rapport aura été aussi lapidaire sans que les observations de l’établissement arrivent à convaincre qui que ce soit ».

Sollicitée par Le Monde, l’école nous a d’abord proposé de venir à la rencontre de ses étudiants. Pour ensuite faire marche arrière, s’inquiétant de l’impact « anxiogène » de notre démarche auprès des jeunes. L’entretien téléphonique prévu avec la directrice de l’établissement, Nicole Aknin, a été également annulé à la dernière minute. D’après le ministère, « la SFU-Paris entretient un flou volontaire à destination de ses étudiants qui paient des droits d’inscription entre 10 800 euros et 11 800 euros l’année ».

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Le fléau des arnaques à la formation dans les aéroports parisiens

Un agent d’Air France aide des voyageurs à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, au nord de Paris, le 27 juin 2019.

Patricia (qui n’a pas souhaité donner son nom) a toujours rêvé de travailler à l’aéroport, elle qui a arrêté ses études à 15 ans et passé les vingt années suivantes dans la vente. Alors, en janvier, elle a « lâché » son CDI pour se lancer dans l’aéroportuaire. Il a suffi d’une publicité sur Instagram de l’entreprise Safe Handling, promettant un métier entre bagages et foules de touristes, pour que son rêve se mue en arnaque. Ce qui semblait être une offre d’emploi s’est transformé en formation obligatoire pour décrocher un poste, selon l’organisme, facturée « 1 900 euros les cinq semaines », précise Patricia, gênée de s’être « fait avoir ». A la fin, elle n’a « plus eu de nouvelles d’eux ». A ce jour, la trentenaire n’a pas retrouvé d’emploi.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Dix ans après sa création, le CPF a séduit les actifs

Entre les vraies propositions d’embauche et celles publiées par les organismes de formation pour appâter leurs futurs clients, décrocher un poste en tant qu’agent aéroportuaire relève du coup de chance. Sur le site d’offres d’emploi Indeed, les annonces d’agent d’escale, d’accueil, de piste ou de nettoyage à Orly et Paris-Charles-de-Gaulle se ressemblent toutes. S’il est possible de postuler en quelques clics sur la plateforme, c’est lors de l’entretien physique ou par téléphone que le piège se referme. Peu importe son expérience, il faudra forcément passer par une formation payante, finançable par le compte professionnel de formation (CPF). « On m’a assuré que j’allais être embauchée directement après, j’y ai cru », témoigne Linda (le prénom a été changé), qui a déboursé 1 700 euros pour deux semaines et demie de cours chez Safe Handling. Contacté, l’organisme n’a pas répondu à nos questions.

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Les algorithmes altèrent toujours plus la santé mentale des coursiers ubérisés

Un livreur pour Uber Eats, à Paris, en 2020.

Anxiété, isolement, troubles du sommeil : le par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), se penche sur les conséquences du management algorithmique sur leur santé mentale, tout en rappelant les nombreux risques physiques du métier (accidents, troubles musculosquelettiques, maladies cardiovasculaires…).

Cette étude permet d’étayer le ressenti que partagent les livreurs depuis des années de manière croissante : « L’absence de rémunération des temps d’attente, l’opacité des règles d’attribution des courses et la multiplication des métriques d’évaluation (données de géolocalisation, notations, etc.) créent une situation anxiogène, qui incite à essayer en permanence “d’en faire plus” pour dégager un revenu correct », écrivent les experts de l’Anses.

Ces difficultés s’inscrivent dans un contexte de grande précarité : entre 2021 et 2024, en tenant compte de l’inflation, la rémunération horaire brute des coursiers a chuté de 34,2 % à Uber Eats, de 26,6 % à Stuart et de 22,7 % à Deliveroo, selon les chiffres publiés le 4 avril par l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi.

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Cotransportage, sondages… Des travailleurs invisibles pour des rémunérations dérisoires

Tous les jours ou presque, après sa journée de travail dans un hypermarché Leclerc à Haudainville (Meuse), Sophie Depuiset « fait du Shopopop » : elle récupère les commandes d’autres clients au drive, et les livre à leur domicile, contre quelques euros. Pour compléter un salaire au smic, cette mère qui élève seule ses deux enfants énumère une panoplie d’autres applications : Roamler, « où on prend des rayons de magasin en photos pour vérifier qu’un produit est là – c’est entre deux et dix euros la mission », WeWard, une application qui compte les pas en échange de bons d’achat – « or je fais entre 15 000 et 25 000 pas par jour au magasin », ou encore une coopérative en ligne « où on achète des cartes cadeaux, et, en échange, on récupère une partie de la somme ». « J’ai fait un tableau, tout ça me rapporte 500 euros par mois. »

Cotransportage (Shopopop, Yper, Tuttut), voisins relais qui stockent et dispatchent des colis à leur domicile pour 25 ou 40 centimes pièce (Pickme, Welco), travailleurs du clic qui entraînent les intelligences artificielles (Yappers) ou répondent à des sondages en ligne (Moolineo, Toluna)… Toutes ces microtâches ont deux points communs : elles paient peu, et ne relèvent d’aucun statut. A l’inverse des traditionnels Blablacar, Vinted ou Leboncoin, où l’utilisateur doit déclarer son activité en tant qu’autoentrepreneur à partir d’un certain seuil de revenus, Shopopop et consorts sont autant de trous dans la raquette : ils s’inscrivent dans une zone grise.

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A Dunkerque, les sidérurgistes d’ArcelorMittal en tête du cortège du 1er-Mai : « On attend des actes ! »

Manifestation du 1er-Mai à Dunkerque (Nord).

La fanfare joue « L’Internationale » ; un sidérurgiste en habit argenté, cagoule et tenue de protection contre les projections de métal en fusion, brandit un fumigène ; le cortège s’élance derrière deux banderoles « Industries en danger, Dunkerque résiste », « Du métal sans Mittal ». La manifestation du 1er-Mai avait une coloration particulière jeudi matin à Dunkerque (Nord), une semaine après l’annonce par ArcelorMittal France d’un plan de suppressions de 636 postes qui touche particulièrement le site de la cité portuaire, l’un des plus importants hauts-fourneaux d’Europe, où 295 postes sont menacés.

Le délégué CGT du site, Gaëtan Lecocq, avait appelé à une « mobilisation exceptionnelle ». Plus d’un millier de personnes ont répondu à son appel – trois fois plus qu’à l’ordinaire selon les habitués qui n’avaient jamais vu autant de leaders politiques, dont les trois candidats au poste de premier secrétaire du parti socialiste, Olivier Faure, Boris Vallaud et Nicolas Mayer-Rossignol, la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier, les députés Aurélie Trouvé (LFI) ou Benjamin Lucas (groupe Ecologiste et social), la députée européenne Majdouline Sbaï (Ecologiste) mais aussi le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete. Autant de signes que l’affaire prend une tournure symbolique et une dimension nationale.

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