« C’est un métier ! » : chez les ascensoristes, la culture de la débrouille persiste

« J’aime pouvoir organiser mes journées, savoir que les visites et les gestes à effectuer ne seront jamais les mêmes selon le type de matériel qu’on va croiser », témoigne Johan Ravier, technicien de maintenance chez Schindler à Marseille depuis huit ans, fils et frère d’ascensoriste.

Quelque 17 000 personnes, presque exclusivement des hommes, entretiennent les 650 000 ascenseurs du pays. La profession est souvent divisée en trois branches : l’installation, la réparation et la maintenance, cette dernière constituant la majorité de l’activité, car chaque ascenseur doit être visité toutes les six semaines. Entre le marasme actuel de la construction neuve et les importants besoins de rénovation des ascenseurs vétustes, les projections sur l’avenir sont stables. Le vieillissement de la population est aussi un enjeu qui rend la filière indispensable, regroupant aussi le métier d’élévatoriste, qui installe et entretient des monte-charges, notamment chez les particuliers.

Le métier est particulièrement technique et requiert des compétences en mécanique, en électricité, en hydraulique, en électronique… Et, évidemment, en relation client. C’est la raison pour laquelle Johan Ravier aime son métier : « Ce qu’on aime, c’est la satisfaction de réussir des dépannages, de rendre service. »

La grande variété des modèles d’ascenseurs et des configurations de travail nécessite une certaine expérience pour que les salariés puissent travailler en autonomie. Cette variété s’est accentuée ces dernières années. « C’est de la débrouille, il faut que les gens aient soif de connaissances, il y a beaucoup de travail personnel », explique Loïc Fari, président de l’Association nationale des PME d’ascenseurs. Les petits acteurs déplorent à ce propos un « verrouillage technologique » des grands groupes, qui sont les seuls à posséder les pièces de rechange, et les vendent cher.

« Ce qui a changé sur les dix dernières années, c’est qu’avant on entretenait juste le matériel de l’entreprise. Maintenant, la majorité du parc appartient à des concurrents, ce qui ajoute de la difficulté, décrit Adrien Pettré, délégué syndical CGT de Schindler. Or on met trop rapidement les salariés en situation de gérer une tournée, alors qu’ils ne comprennent pas comment fonctionnent tous les ascenseurs. »

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« Mes collègues m’appelaient “la diva” parce que je refusais de remplir à ras bord les sacs de gravats » : quand la reconversion dans un métier manuel met le corps à l’épreuve

Culture du chou-fleur dans le marais audomarois (Pas-de-Calais).

« C’est le métier qui rentre » ; « il va falloir t’endurcir un peu » ; « tu crois que tu vas tenir physiquement ? » : combien de fois Marguerite, Pierre, Cédric ou encore Bastien ont-ils entendu ces petites phrases depuis qu’ils ont entamé leur reconversion ? Il y a quelques années ou plus récemment, ces cadres ont décidé de tout plaquer pour embrasser une carrière d’agricultrice, de plombier, de fromager ou de boulanger.

Un virage à 180 degrés sur lequel fantasmeraient quelque 37 % des salariés français, selon un sondage OpinionWay de 2022. Mais, dans les parcours de reconversion radicale, les questionnements existentiels sont souvent suivis d’une réflexion sur une problématique plus concrète : comment le corps réagit-il quand il devient un outil de travail à part entière ? Comment le ménager dans l’effort pour qu’il tienne sur la longueur et ne compromette pas la bifurcation professionnelle ?

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Un comedy club pour « rire du travail après le travail »

De gauche à droite : Nadim F16, Victor Parnaso, Najim Ziani et Tiphaine Pelliski, du WIP Comedy Club, au Onzième Lieu, à Paris.

« Qui a passé une bonne journée ? », lance Tiphaine Pelliski, juriste de tous les jours et humoriste le soir. « Qui a été productif ? Qui est un mytho ? » Après avoir levé la main aux deux premières questions, la salle rit. C’est l’objet du WIP Comedy Club, pour « Work in Progress », où à chaque session, cinq humoristes se succèdent devant soixante-dix personnes. Douze artistes différents se produiront dans ce cadre au Onzième Lieu, un tiers-lieu parisien, du mardi 18 au jeudi 27 mars.

A l’origine de ce projet, un auteur de documentaires et spécialiste du travail, Samuel Durand. « Depuis cinq ans, je mets en avant ce qui fonctionne bien, je me suis dit qu’il fallait aussi dénoncer certaines choses, mais de manière agréable, cathartique. On vient rire du travail après le travail. »

Sur scène, cinq stand-uppeurs se produisent à chaque session. Il y a ceux qui tirent des anecdotes de leur expérience passée, ou même présente : Victor Parnaso, « maître de cérémonie », chaque soir, négocie, le jour, les programmes de divertissement du groupe M6.

Un verre après le travail

Il développe dans son sketch ses rapports avec ses collègues, notamment un certain Bruno, qui lui propose tous les soirs de boire un verre après le travail : « Je lui dis qu’on mange déjà ensemble le midi. Il me dit “c’est pas pareil”, je lui dis “c’est pas payé !” ». « J’ai du mal à considérer mes collègues comme des potes, et j’essaie d’analyser pourquoi c’est comme ça. Au travail, je ne suis pas tout à fait moi. »

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« Le Défi du management intergénérationnel » : valoriser l’intelligence collective en entreprise

On trouverait dans les rangs de la jeune génération nombre de fainéants et d’impatients. Les seniors seraient de leur côté caractérisés par leur rigidité et leur lenteur à la tâche, tout en apparaissant largement dépassés face aux innovations informatiques…

Les stéréotypes d’âge sont légion en entreprise. Et s’ils sont nombreux, ils sont également néfastes à la bonne marche des organisations, préviennent Elodie Gentina, professeure associée à l’Iéseg School of Management, et Jérémy Lamri, entrepreneur et cofondateur du Lab RH, dans leur ouvrage, Le Défi du management intergénérationnel (Dunod). Des idées reçues qui limitent, à leurs yeux, la compréhension des équipes et de leurs attentes mais aussi la fluidité des rapports au sein des collectifs de travail.

Il y a donc, pour les auteurs, urgence à s’en détacher, et à adopter une vision plus fine et moins cloisonnée des générations en entreprise – sans pour autant nier certaines de leurs singularités, au premier rang desquelles les « différences de rapport à l’autorité ».

De fait, les organisations font face à plusieurs défis qui leur imposent une remise à plat de leur management pour privilégier une approche intergénérationnelle. « L’accélération de l’innovation technologique tend à creuser un fossé entre les générations », constate Mme Gentina. L’évolution démographique est un autre sujet d’attention. « La population vieillit, on reste de plus en plus tard en emploi, note-t-elle. Quatre générations peuvent se côtoyer dans l’entreprise. Comment travailler ensemble ? »

« Comprendre les différences »

Pour y parvenir, l’une des premières étapes consister à « donner du temps pour comprendre les différences », précise l’ouvrage – tout en évitant, donc, les stéréotypes. Des programmes de sensibilisation à la diversité générationnelle peuvent être déployés à cette fin. Une compréhension qui peut se décliner au niveau managérial, l’encadrement se tenant davantage à l’écoute des attentes. « Cette meilleure compréhension est nécessaire, mais elle ne suffit pas, prévient toutefois M. Lamri. Il faut aller vers la recherche de l’équité tout en créant une culture de la flexibilité, de la diversité et de l’inclusion ».

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Dans les entreprises, les référents handicap en quête de davantage de soutien

Reinicker et Arthur, adultes autistes, dans l’usine Andros à Auneau-Bleury-Saint-Symphorien (Eure-et-Loir), le 19 février 2025.

« J’ai perdu l’usage d’un bras dans un accident de voiture à 17 ans. Cela ne m’a pas empêché d’accomplir mon rêve de devenir conducteur de poids lourd et j’ai passé mes permis sur des véhicules adaptés », raconte, avec enthousiasme, Renaud Dennielou, 33 ans aujourd’hui. Grâce à un article que lui avait consacré un journal local du Finistère, il a été repéré par l’entreprise STEF, spécialiste du transport et de la logistique sous température dirigée dans l’alimentaire.

Véronique Lamboglia, responsable de la mission handicap qui anime les référents du groupe, explique la genèse de son arrivée dans la société : « Nous avons fait valoir au service de recrutement les solutions de compensation, comme l’installation d’une boule de commande sur le volant et d’un marchepied pour accéder au véhicule. » M. Dennielou a rejoint STEF en 2023, d’abord sur le site de Rennes Est, puis sur celui de Landivisiau, près de chez lui.

« Nous accompagnons au quotidien nos 1 000 salariés porteurs de handicap (soit 7,46 % des 14 500 employés) et développons des outils de médiation, tels que des vidéos de témoignages, un guide sur les maladies chroniques ou un programme de management de la diversité », ajoute Véronique Lamboglia. Afin de partager les bonnes pratiques avec d’autres entreprises, elle a intégré le Club handicap et compétences. Elle va également participer à la sixième édition de l’Université du réseau des référents handicap (URRH) de l’Agefiph, les 13 et 14 mars, à Marseille, où sont attendus 2 500 participants.

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Ces autistes qui ont pu trouver leur place en entreprise

Une douce odeur de desserts lactés flotte dans l’air de l’usine Andros Ultra-Frais (Bonne Maman, Mamie Nova…). C’est dans ce bâtiment de 50 000 mètres carrés, situé à Auneau-Bleury-Saint-Symphorien (Eure-et-Loir), que travaillent 550 salariés dont 11 jeunes autistes sévères avec déficience intellectuelle, pour certains non verbaux.

Sur les murs des salles où ces derniers officient (contrôle qualité, dessachage, destruction, conditionnement, découpe des préfiltres) sont accrochés de grands tableaux blancs rassemblant pictogrammes et photos. « Nous y avons séquencé les tâches à réaliser avec des consignes faciles à comprendre afin que ces jeunes puissent respecter le protocole », explique Jean-François Dufresne, à l’origine de cette initiative d’inclusion du handicap par le travail. C’est en 2014 que l’ancien directeur général d’Andros, père d’un garçon autiste, lance l’idée, « un peu folle », de proposer un emploi dans une entreprise classique à ces personnes considérées comme inemployables.

« C’est pour porter ce projet que j’ai créé la structure Vivre et travailler autrement [VETA] », ajoute M. Dufresne, en suivant du regard Reinicker Mata. Charlotte sur la tête, lunettes de sécurité et vêtu d’une blouse bleue, ce trentenaire au visage concentré fait rouler à bonne cadence un chariot de pots de yaourt vides vers le lieu de remplissage. Surnommé par les éducateurs la « machine de guerre », il ne dévie jamais de sa tâche. De son côté, Lisa Pierotti, 28 ans, assemble, au gramme près, les ingrédients d’une recette de dessert. « Comme ses pairs, sa rigueur est exceptionnelle, ce qui permet d’économiser au total 50 000 euros de matière première par an », relève Jean-François Dufresne.

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Surcharge de travail et rituels d’alerte

Dans le quartier d’affaires de la Défense près de Paris, le 2 novembre 2020.

Carnet de bureau. Des bureaux qui restent allumés jusqu’à pas d’heure, les dossiers qui s’empilent, des échanges de courriels au-delà de 22 heures… La surcharge de travail devient un sujet préoccupant pour les entreprises, au regard de ses conséquences sur le psychisme de leurs collaborateurs.

Ainsi, 62 % des salariés lient la dégradation de la santé mentale à leur surcharge de travail, qu’elle soit physique, cognitive ou psychique, selon une étude publiée le 4 mars, et réalisée auprès de 2 200 salariés du public et du privé, dont 400 travaillant dans des services de ressources humaines (RH), interrogés en janvier par l’IFOP pour le Groupe hospitalier universitaire psychiatrie et neurosciences de Paris et l’entreprise moka.care, spécialisée dans la prévention des risques psychosociaux.

La surcharge de travail est le premier risque professionnel qui affecte la santé mentale. « Le rapport Gollac a identifié six facteurs de risques psychosociaux, dont la surcharge de travail qui provoque un stress chronique. Parce qu’elle se traduit par une vigilance permanente, la surcharge de travail active la sécrétion du cortisol (l’hormone du stress), dont la surproduction provoque fatigue, irritabilité et troubles du sommeil. C’est la surchauffe, un peu à l’image d’une batterie de téléphone », explique Margaux Tancrède, psychologue du travail et directrice santé mentale chez moka.care.

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Dans la fonction publique, le risque d’une concurrence entre les statuts de contractuel et de fonctionnaire

Photo d’illustration.

« J’avais peur de rester prof toute ma vie, de la grande machine qu’est l’éducation nationale, et des conditions de travail des fonctionnaires », raconte Clémence, professeure dans un collège de banlieue parisienne. Depuis six ans maintenant, cette trentenaire renouvelle chaque année son contrat, sans volonté d’être titularisée. Enfin… jusqu’à ce qu’elle se rende compte que ses collègues bénéficiant du statut de fonctionnaires voient leur carrière progresser, et qu’elle est moins protégée que les salariés du privé, notamment en cas de chômage.

Aujourd’hui, la voilà admissible aux épreuves orales du Capes, et elle espère devenir à son tour fonctionnaire. « Les étudiants connaissent mal la fonction publique et ont tendance à surestimer les désavantages de travailler pour elle », pointe Emmanuelle Prouet, coautrice d’un important rapport de France Stratégie (organisme de réflexion rattaché à Matignon) intitulé « Travailler dans la fonction publique. Le défi de l’attractivité ».

Dérogatoire, le recours aux contractuels s’est pourtant installé massivement dans la fonction publique d’Etat, territoriale et hospitalière, passant au global de 17 % des effectifs en 2011 à 22 % en 2022, selon la direction générale de l’administration et de la fonction publique. L’augmentation se fait sentir en proportion, mais aussi en volume, puisque les effectifs de contractuels ont bondi de 36,6 % au moment où le nombre de fonctionnaires s’est tassé de 0,6 % sur la même période.

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Les désillusions du « cost killing » aveugle

Entreprises. Dans sa précipitation à réduire les activités de l’Etat fédéral, la nouvelle administration américaine a limogé sans hésiter tous les fonctionnaires chargés… des armes nucléaires ! Une fois la faute découverte, il ne restait plus qu’à les réembaucher au plus vite…

Ce comportement extrême ne résulte-t-il que des obsessions professeur émérite d’idéologues anti-Etat ? A vrai dire, ce type d’erreurs absurdes menace les stratégies brutales de « cost killing » (chasse aux coûts), car elles s’exercent le plus souvent dans l’urgence, de façon aveugle, et dans des organisations que les agents transformateurs connaissent mal.

La réduction des coûts ou l’optimisation d’un fonctionnement sont des démarches d’amélioration banales. Mais elles doivent être mises en œuvre sous des contraintes de qualité du service et de cohérence. Qualité de service, parce qu’il serait absurde de vouloir augmenter ses profits en faisant fuir ses meilleurs clients ou de réduire la dette publique en défaisant l’Etat. Cohérence, parce qu’il serait contreproductif de réduire certains coûts sans tenir compte des pertes que cela provoque ailleurs. Or, le respect de ces deux contraintes exige à la fois une bonne connaissance des métiers concernés et une vigilance constante face aux conséquences inattendues des actions engagées.

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Sur le terrain, on est souvent loin de telles prudences. Les stratégies drastiques de « cost killing » sont imposées par de nouvelles équipes dirigeantes ou de nouveaux gouvernements qui promettent, respectivement, le retour rapide à une rentabilité élevée ou des économies budgétaires majeures. Les agents qui conduisent ces stratégies ne disposent pas des compétences nécessaires et doivent agir, au moins en partie, à l’aveugle.

Pertes inattendues

D’où, en pratique, le recours fréquent à des réductions budgétaires uniformes ou à des coupes qui se concentrent sur des activités que l’on croit moins visibles, moins défendues ou dont les effets délétères n’apparaîtront pas immédiatement. Souvent, ces stratégies s’appuient sur des consultants, mais cela exige que ceux-ci connaissent déjà les activités à transformer, sinon ils pourraient être tout aussi démunis que leurs commanditaires.

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« Cette transmission d’un héritage et d’une excellence made in france, cela résonne parmi les jeunes générations » : les maisons de luxe façonnent des cursus cousus main pour leurs futures recrues

L’atelier de formation de l’Ecole Hermès des savoir-faire, à Pantin (Seine-Saint-Denis), en janvier.

Presque aucun bruit ne retentit dans l’atelier, si ce n’est celui d’un maillet de temps à autre. Les gestes auxquels sont initiés les apprentis artisans de l’Ecole Hermès, en ce jour de février, sont silencieux. Dans ce centre de formation ouvert par la maison de luxe en 2023 à Pantin (Seine-Saint-Denis), le travail du cuir et la broderie s’effectuent principalement à la main, avec très peu de recours à des machines. Sous la verrière de l’atelier flambant neuf, les 70 élèves qui apprennent le métier de sellier-maroquinier piquent, astiquent, assemblent le cuir. Et s’entraînent à la maîtrise du « point sellier », réalisé avec un fil de lin et deux aiguilles, signature historique des sacs de la marque.

« La fabrication de nos objets repose sur des savoir-faire très singuliers, qui nous viennent de l’histoire de la maison et de ses origines de sellier-harnacheur, explique Maxence Baseden, directeur général du pôle maroquinerie-sellerie d’Hermès. Ces techniques ne sont pas transmises au sein des formations en maroquinerie existantes sur le territoire. » Pour répondre à ses besoins en recrues formées à ces gestes, besoins qui augmentent alors que les effectifs sont vieillissants au sein des maisons d’artisanat d’art, Hermès a choisi de se coudre un cursus sur mesure.

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