Aux Etats-Unis, ouvriers et travailleurs manuels investissent la high-tech

Aux Etats-Unis, ouvriers et travailleurs manuels investissent la high-tech

Richard Yvarra, 45 ans, regardait avec inquiétude son collègue sexagénaire. Le travail dans le supermarché était « réellement physique ». Cela devenait difficile de soulever des palettes de fromage, à découper ensuite en petites quantités pour les redistribuer dans les magasins. Ah, ces gros blocs de gruyères ! Ils pesaient tellement sur son dos. Ensuite, il y avait sa femme. Une intellectuelle qui venait d’emmener la famille sur la Côte est pour y poursuivre des études de doctorat à l’université Yale. « Si je pouvais travailler chez moi, comme l’ont fait tant d’autres gens pendant l’épidémie, je serais plus mobile », se lamentait M. Yvarra.

« La trentenaire Kayla Mejire, professeure à l’école Per Scholas à Dallas, en est persuadée : l’enseignement high-tech gratuit de son établissement est bien plus efficace que l’université » (Photo : école Per Scholas, à Dallas).

C’est pour toutes ces raisons que ce col bleu, ce travailleur manuel, a décidé de changer de carrière. Il s’est inscrit dans ce que les Américains appellent un « boot camp » [un terme qui désigne à l’origine l’entraînement intensif réservé aux jeunes recrues de l’US Navy] de codage pendant six mois. Là, on lui a parlé des programmes d’apprentissage du groupe IBM. Il a brûlé les étapes, fini sa formation d’« IBMer » en neuf mois, au lieu des douze habituels. Et le voilà aujourd’hui ingénieur logiciel, expert en langages de programmation Python, Java, JavaScript… et grand protecteur des applications du service financier de son groupe contre les attaques de pirates.

M. Yvarra se dit « heureux ». IBM l’a payé pendant sa formation et il peut aujourd’hui prétendre au salaire annuel supérieur à 80 000 dollars des ingénieurs logiciels… Sans avoir passé quatre ans à l’université pour y décrocher une maîtrise en informatique.

Transfuge de la catégorie « cols bleus »

M. Yvarra est ce qu’on appelle un « new collar », un « nouveau col ». Un transfuge de la catégorie cols bleus, historiquement utilisée pour désigner la classe ouvrière, vers d’autres secteurs : logiciels, électronique, traitement de l’information, technologie de l’informatique… Ces anciens cols bleus, qui n’avaient pas fait d’études universitaires, ont appris un nouveau métier pendant la pandémie, ce qui leur a permis d’accéder à des postes mieux payés, et beaucoup plus prestigieux.

Le cabinet de conseil Oliver Wyman estime qu’un douzième (8,3 %) des Américains qui officiaient dans les entrepôts, les usines, les restaurants, ou toute autre position aux fiches de paie modestes ont fait le saut vers ces nouveaux emplois du secteur high-tech, mieux rémunérés.

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Un mouvement important. « Je ne pense pas qu’on ait vu une transition de cette ampleur depuis la seconde guerre mondiale, juge Ana Kreacic, cheffe des opérations du Forum Oliver Wyman. A l’époque, les femmes et les anciens soldats qui pouvaient suivre gratuitement un enseignement supérieur avaient transformé la composition de la force de travail. » L’étude baptisée « Renaissance » d’Oliver Wyman montre que le choc dû au Covid-19 a servi de révélateur.

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