En France, les grandes pénuries des familles monoparentales

Christelle, 45 ans est la maman de deux filles : Maeva, 13 ans et Eve 7 ans, dont elle s’occupe seule. Elle exerce le métier d’assistante maternelle. Francheville (métropole de Lyon), le jeudi 2 Mai 2019.
Christelle, 45 ans est la maman de deux filles : Maeva, 13 ans et Eve 7 ans, dont elle s’occupe seule. Elle exerce le métier d’assistante maternelle. Francheville (métropole de Lyon), le jeudi 2 Mai 2019. 

En trente ans, le nombre de familles monoparentales a presque dépassé. 85 % sont faites par des femmes, fréquemment en grande nécessité.

C’est son « heure de pointe » à elle, chaque jour entre 11 h 45 et 13 heures. A peine dissimulée de l’école, il faut faire absorber les six enfants dans sa cuisine de quelques mètres carrés de l’Ouest lyonnais. Ses filles de 13 et 7 ans et les quatre petits qu’elle garde, âgés de 6 mois à 3 ans. Au pied de la gazinière, le blondinet sur son chaise longue recrache la purée qu’elle lui tend, durant que l’adolescente se plaint de rater de rösti. « Prends les miens », répond Christelle N. en tranchant le poulet. « Il faut avoir des yeux à 360 degrés et trois bras », badine l’assistante maternelle en fortifiant les manches qui immergent dans les carottes râpées. Fréquemment, elle en oublie de manger.

Depuis sept ans, c’est son tourbillon quotidien. A la rengaine « métro-boulot-dodo », Christelle N. a inventé la sienne : « maman solo-boulot-bobo ». Comme un quart des familles françaises, elle et ses filles forment un « foyer monoparental ». En trente ans, leur nombre a augmenté de 87 %.

Nouvelle priorité du quinquennat présidentiel

Le pays semble malgré cela les ­découvrir, à la faveur de la crise sociale des « gilets jaunes ». En novembre, les mères célibataires – 85 % des familles monoparentales sont coalitions par des femmes − ont été abondantes à gagner les ronds-points pour résilier leurs difficultés à attacher les fins de mois, au point qu’Emmanuel Macron en a fait une nouvelle préséance de son quinquennat.

A 45 ans, Christelle N. n’était pas de celle-là. « Comment je trouverais le temps de manifester quand aller aux toilettes est déjà un luxe ? », se questionne t-elle. La mère de famille a suivi « devant son écran » les luttes, qui, selon elle, ont autorisé de« rappeler qu’on tape toujours sur les mêmes, et que les banques trouvent toujours des moyens d’aider les riches à être plus riches et les pauvres à être plus pauvres ». Mais Christelle N. reste incrédule sur l’évolution du mouvement et la violence qu’il produit. « Au bout d’un moment, chacun veut tirer la couverture à soi. »

Les CV sont une longue énumération de ces petits boulots sous-payés, généralement féminins, qui abîment les corps.

Christelle N. a connu son lot de galères, même si elle a continuellement travaillé. Son CV est une longue litanie de ces petits boulots sous-payés, en majorité féminins, qui abîment les corps : femme de ménage, aide-soignante, serveuse, opératrice téléphonique… Les contrats, quand ils existent, sont continués au compte-gouttes.

Les grands groupes payent les études de leurs salariés

« Starbucks, qui a démarré son programme en 2014, est à l’avant-garde d’un effort de formation dans lequel se sont engagées de multiples compagnies. » (Photo: Starbucks, Los Angeles, 2018).
« Starbucks, qui a démarré son programme en 2014, est à l’avant-garde d’un effort de formation dans lequel se sont engagées de multiples compagnies. » (Photo: Starbucks, Los Angeles, 2018). Mike Blake / REUTERS

Plein emploi impose, pour se différencier de la concurrence, les sociétés américaines offrent à leurs salariés, souvent sans qualification, la possibilité de prendre le chemin de l’université.

Fiamma, 24 ans, la serveuse d’un Starbucks de Greensboro en Caroline du Nord, vient de fêter sa maîtrise de sciences politiques et de relations internationales à l’université d’Etat d’Arizona. Son mari avait même fait l’expédition pour la voir, en longue robe couleur framboise et mortier assorti, encaisser son diplôme. Un voyage tous frais payés, et les encensements de la direction du groupe Starbucks, ravie de voir sa barista réussir ses études supérieures.

La jeune étudiante est la première de sa famille à commercer les bancs virtuels de l’université. Et son employeur l’y a bien assisté. Quand elle a passé son entretien d’embauche chez Starbucks, on lui a de suite parlé des éventualités de formation interne. Ceux qui œuvrent au moins vingt heures par semaine peuvent s’inscrire aux 80 programmes en ligne offerts par l’université d’Arizona, s’étalant de la philosophie à l’ingénierie électrique. Starbucks s’engage à leur acquitter les quelques milliers de dollars de frais d’inscription.

« Mon manageur m’a bien soutenue, décalre Fiamma. Il m’a montré comment monter mon dossier et il s’est arrangé pour me faire travailler seulement deux jours par semaine. » Fiamma fait partie des 12 000 employés du groupe qui convoient les cours de l’Arizona State University et devraient admettre à l’entreprise d’atteindre son objectif de 25 000 diplômés en 2025.

Pour un dollar par jour

Starbucks, qui a commencé son programme en 2014, est à l’avant-garde d’un effort de formation dans lequel se sont embauchées de multiples compagnies. Les hypermarchés Walmart, les parcs d’attraction Disney, les restaurants Taco Bell et Chipotle, les cartes de crédit Discover, les grands magasins de bricolage Lowe’s… tous présentent à leurs troupes de retourner à l’école.

« Offrir des formations n’est pas nouveau, nuance Nicole Smith, économiste en chef du CEW (Center on Education and the Workforce) à l’université Georgetown (Washington DC). Depuis amplement, les grands groupes proposent à leurs cadres de se perfectionner. Mais ce qui est nouveau, c’est que tous les échelons de la hiérarchie sont actuellement concernés, du plus petit jusqu’au sommet. » Disney en Amérique a prévus de mettre 150 millions de dollars (135 millions d’euros) dans l’éducation de ses guides, artistes, caissières… Walmart, le numéro un mondial des hypermarchés, a ouvert en 2018 des cours en ligne de gestion, des formations sur la chaîne d’accumulation et des séances de leadership dans trois établissements, l’université de Floride, Brandman et Bellevue.

Changeons le travail pour changer la société

« L’intelligence collective - clé du monde de demain. Changeons le travail pour changer la société », de Jean Staune. Editions de L’Observatoire, 320 pages, 21 euros.
« L’intelligence collective – clé du monde de demain. Changeons le travail pour changer la société », de Jean Staune. Editions de L’Observatoire, 320 pages, 21 euros. DR

Jean Staune relate dans son livre les stratégies et les réussites d’entreprises pionnières qui se sont escomptées dans deux grandes voies : le développement de l’intelligence collective et la mise en place d’un environnement prenant en compte toutes les parties prenantes.

Sans l’écriture, la transformation néolithique et la mise en place des premières cités et des premières formes de commerce structuré n’auraient pas été possibles. Sans l’imprimerie, toute la révolution technologique qui a conduit à la société industrielle n’aurait pas, non plus, été possible. Nous nous concentrons sur le progrès technique, alors que celui-ci dépend d’abord d’une amélioration de la communication entre les êtres humains.

C’est ce qu’avait bien vu un penseur de la communication comme Marshall McLuhan avec sa devise provocante : « Le média est le message. » McLuhan est décédé en 1980, avant l’ère d’Internet. Il avait malgré cela enseigné l’arrivée d’une troisième vague, après l’écriture et l’imprimerie : celle de médias interactifs. L’accès de tous à la connaissance change la nature même de notre civilisation, et est vecteur de mutations sociales, politiques, ainsi qu’économiques, souligne Jean Staune, expert de l’Association pour le progrès du management, dans son essai L’intelligence collective – clé du monde de demain. Changeons le travail pour transformer la société (Editions de L’Observatoire).

Hier, l’entreprise devait faire des avantages pour ses actionnaires, tout en fabriquant de bons produits pour satisfaire des clients. Actuellement, celle qui ferait cela en polluant dignement l’environnement supporterait une réprobation générale, rappelle Jean Staune. Demain, on ne sollicitera pas seulement à l’entreprise d’estimer l’environnement, mais aussi d’avoir une participation sociale positive.

La nature même de la suite des entreprises évolue : développer la créativité et l’implication des salariés est dorénavant essentiel. « Cela nécessite un type d’organisation très distinct et change fortement le rôle du dirigeant, qui devient en quelque sorte un chef d’orchestre assurant la complémentarité des différentes partitions exécutées par ses collaborateurs, alors que lui-même ne contribue par aucun son à la beauté de la musique. »

La stratégie des entreprises pionnières

Pourquoi Xavier Niel (actionnaire à titre personnel du Monde) dépense-t-il 50 millions d’euros de sa fortune personnelle pour engendrer et faire vivre l’École 42 au cours des dix prochaines années ? Non uniquement son entreprise sera la première à bénéficier de personnes formées, mais surtout, en progressant le tissu créatif français, il créera des synergies positives dont il profitera indirectement.

Sous-traitance des services publics

Pour réhabiliter la nationalisation, on suppose que l’Etat sait entièrement définir ses objectifs et la qualité du service acheté. Mais à la lumière des déboires de Carillion et d’Interserve, au Royaume-Uni, cette allusion ne tient plus, explique le possesseur de la chaire Théorie et méthodes de la création novatrice, Armand Hatchuel.

En janvier de l’année dernière, le krach de l’anglais Carillion – 45 000 personnes et grand fournisseur de services publics – fut un véritable séisme. Or, en mars, le groupe Interserve s’est effondré à son tour. Cet autre sous-traitant du public de 68 000 personnes a dû être repris in extremis par ses banquiers, et ses actionnaires ont tout perdu. Pour le gouvernement anglais, chantre de l’externalisation du service public, le coup est strict et il a enseigné en urgence une rationalisation des décisions de privatisation.

Détritus que les deux faillites mettent à bas l’illusion du « bon choix économique » et exigent de repenser le statut des entreprises sous-traitantes du service public et les contrats associés. Car, pour justifier la nationalisation, on suppose que l’Etat sait parfaitement définir ses objectifs et la qualité du service acheté. Il suffit alors de mettre en concurrence les fournisseurs pour obtenir un service fiable et au meilleur coût.

Mais à la lumière des déboires de Carillion et d’Interserve, cet apologue ne tient plus. En effet, les services publics (services aux écoles, aux armées, aux municipalités …) sont complexes. Ils doivent souvent être personnalisés et répondre à des demandes inattendues. Dès lors, les coûts sont difficiles à prévoir et les cahiers des charges les plus serrés comportent des ambiguïtés et des zones d’incertitude. Cette part d’inconnu pèsera également sur une gestion publique du service. Mais quand l’Etat passe contrat avec un opérateur privé et soumis au diktat du rendement actionnarial, cela peut conduire aux spirales destructives du modèle anglais.

Un service au public

En effet, si cette part d’inconnu protège des marges importantes pour l’opérateur, celles-ci iront d’abord à la rétribution des actionnaires et des dirigeants. La qualité des services demeurera bornée au minimum contractuel et les services tendront à être plus chers que prévu.

Qu’y peut alors l’Etat ? Introduire de nouveaux fournisseurs n’est pas continuellement possible ou risque d’abaisser la qualité. Le gouvernement anglais a choisi de renouveler les contrats tout en négociant durement les prix, au risque de créer de gros fournisseurs peu commutables.

Mais en forçant des prix bas, on encourage aussi à une course à l’endettement et aux nouveaux contrats et, in fine, à de nouvelles privatisations dans le seul but de soutenir les sous-traitants. Les bilans des entreprises se transforment de plus en plus opaques et celles-ci multiplient les artifices comptables pour paraître en bonne santé, distribuer d’enviables dividendes et rétribuer grassement leurs dirigeants. Il suffit alors d’un choc : un gros contrat qui se dérobe, une trésorerie ébranlée et c’est la banqueroute…

Les annonces des écoles d’ingénieurs ne concerne pas les filles

« La parution d’une annonce varie en fonction du profil de l’internaute et du coût de l’annonce à un instant donné, le média sélectionnant le mieux-disant selon un système d’enchères. »
« La parution d’une annonce varie en fonction du profil de l’internaute et du coût de l’annonce à un instant donné, le média sélectionnant le mieux-disant selon un système d’enchères. » Woods Wheatcroft/Aurora / Photononstop

Une jeune fille a abondamment moins de fortunes qu’un garçon de voir une publicité en ligne pour une école spécialisée, car les annonces visionnées par les femmes coûtent plus cher.

Une fois de plus, l’enquête Gender Scan, qui chiffre l’existence de femmes dans l’emploi scientifique et technique, tire la sonnette d’alarme : de moins en moins de femmes s’oriente au digitale, révèle sa dernière édition publiée le 13 mai. « La rentrée 2017-2018 ne comptait que 8 % de femmes parmi les 21 700 inscrits dans ces spécialisations, soit un point de moins qu’en 2010 ! » Or le secteur manque de têtes, on le sait. D’où l’exigence d’attirer un maximum d’individus – hommes et femmes – de qualité vers des emplois techniques.

Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais patronage, il est probable que les vœux affirmés par les futures étudiantes pour la prochaine dissimulée universitaire n’inverseront pas la tendance. Et pour cause. Effacer un mauvais pli culturel, tel celui qui éloigne les femmes du numérique, réclame, entre autres, un énorme investissement en matière de communication. Sur Internet, en particulier, vu la jeunesse de la clientèle visée. Or, une jeune fille a beaucoup moins de chances qu’un garçon de voir une publicité en ligne pour une école du digitale. La faute aux algorithmes d’affichage des annonces.

Un travail de prospection mené par Grazia Cecere (Institut Mines-Telecom), avec Clara Jean (université Paris-Sud), Fabrice Le Guel et Matthieu Manant (Epitech), le prouve. Ils ont conduit cent une campagnes publicitaires pour l’Efrei et l’Epitech sur Facebook, visant des jeunes entre 16 et 19 ans. Et ils ont enregistré que les garçons y avaient été plus affichés que les filles.

Coût additionnel

Parce que tous les lecteurs ne voient pas la même publicité quand ils naviguent sur Internet. La parution d’une annonce varie en fonction du profil de l’internaute et du coût de l’annonce à un instant donné, le média choisissant le mieux-disant selon un système d’enchères.

Deux raisons qui distinguent négativement les filles pour une annonce d’école du digitale. Parce que les algorithmes ont tendance à reproduire les modèles existants. Et parce que les publicités vues par des femmes valent plus cher, déclare Elisabeth Cialdella, directrice générale adjointe Groupe Le Monde-M Publicité. « Les femmes consomment davantage sur Internet. Plus d’annonceurs souhaitent donc les atteindre. Ce qui accroît la concurrence et donc les prix des annonces ciblant des femmes », ajoute-t-elle.

Pour captiver plus de filles dans le secteur, il faudrait donc que les algorithmes soient programmés pour les cibler. Ce qui augmenterait le coût de la campagne. Pour la raison invoquée préalablement, et parce que, pour atteindre cet objectif, il faut disposer de fichiers bien renseignés quant au genre des individus. Des fichiers notamment onéreux, additionne Elisabeth Cialdella.

Le grand vertige de la culture générale

Certains saisissent connaissance de leurs déficiences durant les études supérieures, entourés par des camarades au capital social et culturel plus élevé.

Premier cours de littérature dans sa prépa toulousaine. Julie (le prénom a été changé) reste silencieuse. Elle examine ébahie ses camarades prendre la parole et s’exprimer sur l’œuvre étudiée. « Ils m’impressionnaient par leurs connaissances. Devant leurs phrases si bien élevées, je me suis dit : “Des gens savent vraiment parler comme ça ?” Les mots qu’ils employaient désiraient dire tout ce que je ressentais et que je n’arrivais pas à nommer. » Julie a grandi dans un petit village, à deux heures de la capitale occitane. Ses parents ont connu, enfants, la grande précarité, et Julie est la première de la famille à arriver jusqu’au bac.

Soutenu par la dynamique des « trente glorieuses », son père a relevé son imprimerie et connu une ascension sociale. Actuellement, la famille vit commodément mais, à table, on ne parle ni littérature, ni cinéma, ni histoire.

Une attention pour cultiver sa mémoire et ses connaissances

Quand Julie, bonne élève au lycée, préfère aller en prépa littéraire, elle est loin d’imaginer le choc qui sera le sien au contact de ses nouveaux camarades. « Je me suis vite sentie en éloignement. Abondamment venaient de familles de professeurs, ils avaient grandi en entendant France Inter, étaient allés plusieurs fois au musée et avaient beaucoup de connaissances politiques ou historiques qui m’étaient inconnues. »

« Une très discriminante logique du mimétisme »

De nombreux universitaires perçoivent un tel malaise en entrant dans l’enseignement supérieur, lorsqu’ils se comparent à des jeunes ayant profité, par le biais de leur famille et de leur environs, d’un important capital social et culturel. Ce sentiment de « manquer de culture générale » culmine lorsque celle-ci fait l’objet d’une épreuve écrite ou orale pour intégrer une grande école, un institut d’études politiques ou un concours administratif.

C’est uniquement au début du XXe siècle que la culture ­générale devient une épreuve de concours – d’abord pour les écoles militaires. Elle ­départage les candidats sur leur « hauteur de vue et la sûreté de leur jugement », exposent les chercheurs Charles Coustille et Denis ­Ramond, dans un article de la revue Le Débat. Les compositions de culture générale se multiplient au milieu du siècle, particulièrement dans les concours menant à la haute administration, ou dans les écoles de commerce.

Bilan des restaurants du chef superstar Jamie Oliver

Des passants devant un restaurant fermé de l’enseigne Jamie’s Italian, mardi 21 mai, à Londres.
Des passants devant un restaurant fermé de l’enseigne Jamie’s Italian, mardi 21 mai, à Londres. Hannah McKay / REUTERS

Vingt-cinq restaurant de la chaîne, particulièrement ceux de son enseigne Jamie’s Italian, sont intéressés. Un millier d’emplois est en péril.

Vingt ans après avoir descendu sur les de télévision britannique, le chef superstar britannique Jamie Oliver connaît son premier grand échec. Sa chaîne de restaurant a enseigné mardi 21 mai qu’elle allait poser son bilan, posant en danger un millier d’emplois. Vingt-cinq restaurants sont intéressés, principalement ceux de son enseigne Jamie’s Italian. Les franchises à l’international ne sont pas affectées. Le cabinet KPMG a été mandaté pour apercevoir un repreneur, ou, à défaut, revendre les actifs du groupe.

Extraordinairement charismatique, le cuisinier, borné par hasard par une équipe de télévision dans le restaurant où il besognait à la fin des années 1990, avait fait souffler un vent de fraîcheur sur la gastronomie britannique. Son émission, « The Naked Chef », avait immédiatement conquis son public avec des recettes ultra-simples présentées par ce gamin enjoué de l’Essex, avec son accent des banlieues, ses expressions populaires et son scooter pour bouger dans Londres. Depuis, avec 40 millions de livres vendus (première vente de livres de non-fiction), M. Oliver a dépassé de très loin le simple succès passager. Le Britannique est à la tête d’un empire médiatique, enchaînant livres, émissions et publicités. Sa fortune est évaluée à 150 millions de livres (170 millions d’euros).

Campagne contre la malbouffe

Après ses débuts bruyants, M. Oliver a su se reproduire, menant plusieurs campagnes très actives contre la malbouffe dans les cantines scolaires – jusqu’à être perçu par Tony Blair, alors premier ministre – puis plus amplement contre l’obésité. Un de ses restaurants, Fifteen, faisait travailler des apprentis en échec scolaire, issus de milieux défavorisés.

Sa réussite médiatique n’a malgré cela jamais vraiment été répondu dans ses restaurants. Son enseigne italienne était certes reconnue par la critique, se plaçant dans une catégorie milieu de gamme, avec de très bons produits frais. Mais elle s’est étendue trop vite, s’endettant dans un marché extrêmement concurrentiel. L’augmentation des taxes sur les magasins, la baisse de la livre sterling à la suite des soubresauts du Brexit, qui a augmenté le coût des aliments importés, et l’accroissement du salaire minimum ces dernières années ont accéléré la chute. Les enseignes Prezzo et Carluccio’s, concurrentes, ont dernièrement dû fermer une série de restaurants.

  1. Oliver s’est dit « bouleversé ». Le dépôt de bilan n’a mais pas d’incidence sur le reste de son autorité médiatique.

 

L’instabilité, en toile de fond de la campagne des européennes

Contre la hausse des prix de l’immobilier, des banderoles demandent de « justes loyers pour tous », dans la Karl-Marx Allee, à Berlin, le 6 avril.
Contre la hausse des prix de l’immobilier, des banderoles demandent de « justes loyers pour tous », dans la Karl-Marx Allee, à Berlin, le 6 avril. ODD ANDERSEN / AFP

En dépit de la diminution du chômage, au plus bas depuis 2000 dans l’UE, un nombre progressif d’Européens aperçoivent des gênes sur le marché du travail et dans le logement.

C’est l’un des grandes extravagances de la campagne qui se finisse. La crise des « gilets jaunes » et la consultation lancée dans la foulée ont remis la question sociale au cœur du débat public français, renvoyant les échanges sur le scrutin européen du 26 mai.

Les programmes des trente-quatre listes, souvent concis, ont été présentés très tard. Un consensus flou s’y dégage sur l’urgence de bâtir une Europe qui « protège plus ». Les partis de gauche se discernent sur le besoin d’instaurer un « smic européen », comme proposé par Emmanuel Macron. Mais au-delà, les lignes de fracture réapparaissent. Surtout, les débats restent, pour l’essentiel, dominés par l’affrontement entre le Rassemblement national (RN) et La République en marche (LRM), avide de rejouer le match de la présidentielle de 2017.

La France n’est pas la seule dans ce cas : dans tout l’Union européenne (UE), la campagne est commandée par les enjeux politiques nationaux. Selon l’Eurobaromètre de mars, les Européens considèrent pourtant que la croissance (50 %) et la lutte contre le chômage des jeunes (47 %) auraient dû être exprimées en priorité lors des débats, devant l’immigration (44 %). Aussi, ils jugent la protection sociale des Européens (35 %) plus importante que celle des frontières extérieures (24 %).

Et pour cause. Dans les vingt-huit pays membres, l’anxiété des classes moyennes accroissement face au risque de déchéance et à la précarisation. Brexit, vote populiste, « gilets jaunes » : selon les Etats, ce ras-le-bol s’est exprimé sous différentes formes ces derniers mois.

Il impose un constat : derrière les chiffres prometteurs du taux de chômage européen (6,4 % de la population active en mars 2019), au plus bas depuis 2000, selon Eurostat, d’importantes mutations sont à l’œuvre sur les marchés du travail. Et elles ont débuté bien avant la crise. « En Europe, comme dans les pays industrialisés, la précarité se développe aux marges et la qualité de certains emplois se dégrade », déclare Stefano Scarpetta, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

« Concurrence fiscale »

Donc, dans l’UE, 11,2 % des 20-64 ans employaient un contrat à durée déterminée (CDD) en 2018, contre 9,5 % en 2003, selon Eurostat. Les moins de 25 ans sont en première ligne : pour eux, la part des CDD a bondi de 34 % à 41 % sur la période, et elle atteint actuellement des sommets en Espagne (67 %), au Portugal (61 %) et en Italie (57 %).

« L’implication des plates-formes doit s’apercevoir dans une perspective globale : économique, sociale, sociétale et environnementale »

« Une plate-forme responsable, à partir du moment où elle fait des bénéfices, doit rejeter cette facilité et payer l’impôt là où elle réalise ses bénéfices » (Paris, le 16 mai).
« Une plate-forme responsable, à partir du moment où elle fait des bénéfices, doit rejeter cette facilité et payer l’impôt là où elle réalise ses bénéfices » (Paris, le 16 mai). CHARLES PLATIAU / REUTERS

Réunir travailleurs et indépendants aux bénéfices, borner les dividendes, payer ses impôts… Marion Darrieutort, Yanis Kiansky et Antoine Lemarchand, membres de l’association Entreprise et Progrès, listent les critères qui feraient des plates-formes des entreprises véritablement responsables.

Dans le bras de fer mondial qui se promette entre les plates-formes numériques, les citoyens et les Etats, le même mot revient sans fin : responsabilité. L’exigence monte et, de plus en plus, ce besoin est chiffré. En France, une offre de loi sur la propagation de propos haineux, portée par la députée Laetitia Avia, a été placée en mai pour un vote avant l’été.

Si elle devient loi, les plates-formes « accélératrices de contenus » seront tenues de retirer tout message « incontestablement illicite » sous vingt-quatre heures, la discrétion sera levé pour les auteurs des délits et les sites coupables seront réunis. Reste à définir le seuil d’audience au-delà duquel ces mesures s’appliqueront : 2 ou 5 millions de visiteurs uniques mensuels ? En cas de manquement, les plates-formes pourraient encourir des sanctions allant jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondial.

Mais la haine, les « fake news » ou la protection des données personnelles dorénavant garantie par le règlement européen RGPD [règlement général sur la protection des données], ne sont qu’une face du défi. La responsabilité des plates-formes, qui sont avant tout des entreprises, doit s’apercevoir dans une perspective globale : économique, sociale, sociétale et environnementale. Les dirigeants membres d’Entreprise et Progrès font cinq propositions, ancrées dans la longue histoire de leur mouvement.

1) Ne pas omettre les salariés. Pour que l’expérience client continue de se progresser, il faut récompenser les forces vives de la plate-forme à leur juste valeur et donc cesser de les réduire à de simples rouages humains. La plate-forme doit affirmer aux salariés une vraie voix au chapitre. Et, par exemple, rationaliser leur accès au capital. Demandons que tous les salariés soient actionnaires en 2025.

Tous actionnaires en 2025

2) Réunir les travailleurs indépendants. Les « free-lances » sont une ressource capitale pour de nombreuses plates-formes. Ils ne doivent plus être envisagés comme une variable d‘adaptation condamnée à la précarité. De la qualité des liens que la plate-forme noue avec ses indépendants dépend sa survie et son éternité.

Il ne fait plus aucune incertitude qu’une forme de protection sociale doit être mise en place, mais il faut aller plus loin car le travailleur indépendant collabore aussi à la création de valeur. Intégrons ces indépendants dans le capital humain de la plate-forme et valorisons leurs participations. Objectif : tous actionnaires en 2025.