Bastien, 26 ans, agriculteur-éleveur, 2 000 euros par mois : « Les 35 heures, je les fais en moins de trois jours »

Je gagne environ 2 000 euros net par mois. Je n’ai pas de salaire, mais une société individuelle grâce à laquelle je prends un peu d’argent quand j’en ai besoin. Je suis agriculteur-éleveur. Je fais de la pension de génisses dans une ferme de 40 hectares et j’exploite un élevage de 800 poules à Saint-Eustache, en Haute-Savoie. Je suis également prestataire agricole, c’est-à-dire que je vends ma force de travail aux agriculteurs locaux lorsqu’ils en expriment le besoin, notamment pour le pressage des foins et l’épandage de lisier. Je ne compte jamais mes heures.

Je suis né en avril 1999, à Annecy, mais j’ai grandi à Saint-Eustache, sur les hauteurs, avec vue sur la capitale départementale et son lac. J’habitais près de la ferme de mes grands-parents, qui étaient alors agriculteurs. Mon père est gérant d’une petite entreprise industrielle, où ma mère est employée. J’ai un frère aîné et un frère cadet.

Enfants, pour nous rendre à l’école, nous prenions chaque matin un car qui nous déposait devant les établissements scolaires des communes du secteur. Je n’étais pas un mauvais élève, mais je me rappelle avoir beaucoup bavardé en cours. Des fenêtres des salles de classe, j’observais les tracteurs passer. Mon jeu consistait à apercevoir la personne qui conduisait. En fait, je n’aimais pas trop être enfermé.

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Ces jeunes poussés à cumuler plusieurs jobs, entre nécessité et échappatoire : « Je travaille tous les jours sur tous les sujets, même le week-end »

« Je travaille tous les jours de 9 heures à 17 heures. Quand je rentre, je profite. Et une fois que les enfants sont couchés, je recommence à travailler, souvent entre 22 heures et minuit, tous les soirs, et un peu le week-end. » Depuis quatre ans, Emeline Busquet, 28 ans, est assistante de gestion dans un cabinet d’expertise automobile le jour, et effectue des tâches administratives pour des clients, au moyen d’une microentreprise, le soir.

« Ce cumul représente un vrai sacrifice, mais il est devenu indispensable », poursuit-elle, confiant que même en travaillant à temps plein, il est devenu difficile de vivre dignement avec le smic. Son conjoint a arrêté son activité pour s’occuper des enfants, car ils ne pouvaient pas payer les frais de garde, trop élevés. « Il y a le loyer, la voiture… On n’est pas dépensiers, on ne voyage pas, même si on en aurait bien envie », poursuit-elle.

Emeline Busquet est une « slasheuse », terme signifiant qu’elle exerce plusieurs emplois à la fois, séparés par un « slash », soit le symbole « / ». Il a été inventé en 2007 par Marci Alboher, essayiste américaine, dans son best-seller One Person/Multiple Careers (« Une personne/de multiples carrières », Business Plus, non traduit).

De passage à Paris en octobre à l’occasion du salon SME destiné aux indépendants et dirigeants de TPE, elle précise qu’à l’origine « les slasheurs sont des gens qui ont choisi de s’afficher publiquement en tant que tels », fiers de ce mode de vie leur permettant de « mettre à profit d’autres compétences, de manière flexible, à côté de leur emploi principal ». Elle reconnaît toutefois qu’aujourd’hui la part du slashing subi a largement augmenté, en raison des tensions sur le pouvoir d’achat : « Il y a davantage de personnes qui cumulent par nécessité dans cette période d’instabilité économique. Comme le coût de la vie a augmenté, ils cherchent à multiplier les sources de revenus. »

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Cinq coursiers de Frichti requalifiés comme salariés, à quelques jours d’un procès pénal pour travail dissimulé

La devanture d’une boutique de la société Frichti, à Paris, en mars 2023.

Une première condamnation pour l’un des grands noms de l’ubérisation. Le conseil de prud’hommes de Paris a reconnu jeudi 6 novembre l’existence d’un contrat de travail en CDI à temps plein entre cinq anciens livreurs à vélo microentrepreneurs et l’entreprise française Frichti. L’infraction de travail dissimulé a aussi été reconnue. Les plaignants recevront en moyenne près de 30 000 euros de dommages et intérêts à ce titre et pour la rupture abusive du contrat, ainsi que des rappels de salaires à temps plein, de congés payés et de frais professionnels. Ces sommes seront versées par l’Agence de garantie des salaires, qui assurait la défense, car la start-up n’existe plus.

Cette décision en appelle d’autres dans les mois à venir, car 233 anciens coursiers ont saisi les prud’hommes entre 2023 et 2025, sur des périodes de travail allant de 2017 à 2023. Frichti, a été rachetée en 2022 par Getir puis par Gorillas, avant que cette dernière soit liquidée, signant l’éclatement de la bulle du « quick commerce », à l’été 2023. En septembre de la même année, la marque a été reprise sous une autre forme juridique par La Belle Vie, qui a conservé une partie des salariés, mais les microentrepreneurs sont eux restés sur le carreau.

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85 % des actifs européens ont une bonne visibilité sur leurs revenus à court terme

Que l’on soit salarié ou indépendant, l’incertitude sur le montant de ses revenus à venir engendre « un impact négatif sur la santé physique et mentale », apprend-on dans l’étude 2024 d’Eurofound, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail en Europe. Les travailleurs concernés sont davantage susceptibles de souffrir de dépression, de stress ou de conflits familiaux liés au travail.

Ce sentiment d’insécurité nourrirait, en outre, l’absentéisme et dissuaderait les actifs concernés d’innover ou de prendre des initiatives. Ce qui n’étonne pas Nicolas Bourgeois, expert RH et rémunération du cabinet PwC, et enseignant à Paris-Dauphine : « Le fait que l’insécurité motive est un mythe. Elle détruit l’engagement, car le mécanisme contribution-rétribution est mis à mal. »

La grande majorité des actifs de l’Union européenne y échappent : dans l’étude Eurofound, 85 % d’entre eux affirment savoir précisément ou approximativement combien ils gagneront durant les trois prochains mois. A l’inverse, 15 % disent qu’ils ne peuvent pas estimer leurs revenus à venir. Les hommes pâtissent davantage de cette incertitude, surtout quand ils sont jeunes : 26 % des travailleurs (contre 21 % des travailleuses) de moins de 24 ans affirment être concernés.

Des écarts importants se constatent par ailleurs entre pays. En Autriche ou Allemagne, plus de 90 % des actifs connaissent précisément ou approximativement le montant de leurs gains futurs. La France occupe une position intermédiaire : 14,2 % des actifs affirment ne disposer d’aucune visibilité. En bas du classement, plus de 25 % des actifs roumains et grecs affirment ignorer ce qu’ils vont gagner dans les trois mois. Se dessine donc une Europe à deux vitesses sur ce critère.

Tendance à l’amélioration

Mais les écarts entre pays tiennent aussi à la part des indépendants dans la population active, car ceux-ci subissent plus d’incertitude que les salariés, relève l’étude Eurofound : « La difficulté à prédire son revenu reste très principalement le sujet des artisans, commerçants, professions libérales, microentrepreneurs. Ils sont environ 4,5 millions en France et représentent 13 % des personnes en emploi. En Italie ou en Grèce, on est plus proche des 20 %-25 % », confirme Nicolas Bourgeois.

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« Le travail entrepreneurial » : le coaching, entre rêve d’autonomie et risque de précarité

La figure de l’entrepreneur, volontiers héroïsée, serait-elle un leurre ? Et l’injonction à « l’entreprise de soi », portée par la pensée néolibérale, une impasse ? La Revue française de socio-économie a souhaité, dans son édition du premier semestre 2025, se pencher sur « les réalités concrètes du travail entrepreneurial », « à rebours des discours normatifs et idéalisés » et, parfois, bien loin des espoirs portés par de nouveaux entrepreneurs.

A travers des enquêtes de terrain menées auprès de populations très variées (cartomanciennes en ligne, entrepreneurs des quartiers prioritaires), la publication propose d’explorer l’envers du décor de l’entrepreneuriat. Des chercheurs en sciences sociales y pointent les activités contraintes, les rapports de pouvoir, l’accès inégal aux ressources et les formes de précarité qui touchent cette catégorie de travailleurs. L’étude menée sur les coachs spécialisés dans les reconversions professionnelles permet, en particulier, de saisir l’ampleur des difficultés rencontrées.

Tout commence par une envie de reconversion. Sensibles aux « discours dominants sur “l’esprit d’entreprendre” », les futurs coachs, majoritairement des femmes très diplômées, vont chercher à quitter un salariat qui ne leur convient plus. Les motifs d’insatisfaction sont nombreux : « L’expérience d’un management dit “toxique”, la frustration, l’ennui ou encore le sentiment d’exercer un métier qui n’a pas de sens », explique Anne Jourdain, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris-Dauphine-PSL. Près de la moitié des coachs qu’elle a rencontrés ont fait l’expérience du burn-out.

« Précarité en col blanc »

L’indépendance apparaît, au contraire, comme un horizon désirable, synonyme d’autonomie et permettant de « se récréer une identité professionnelle positive ». L’idéal est toutefois rarement atteint et la précarité, bien souvent, au rendez-vous. L’autrice évoque ainsi le parcours de Marion, 33 ans, ancienne chasseuse de têtes, qui « ne réalis[e] que 4 000 euros de chiffres d’affaires par an [à ses débuts] ». David, 34 ans, précédemment consultant en organisation, accomplit ses séances de coaching en ligne depuis « sa chambre d’enfance chez ses parents ». « J’ai été surprise (…) par la différence entre la posture et les discours très positifs véhiculés par les jeunes coachs (…) sur les réseaux sociaux et le portrait à l’inverse très noir qu’[ils] dressaient parfois de leur situation en entretien. »

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Transparence des salaires : les entreprises se préparent timidement

Sur un chantier des Jeux olympiques de Paris, à La Défense (Hauts-de-Seine), le 18 septembre 2024.

Les entreprises ont encore du chemin à parcourir. Le 7 juin 2026 au plus tard, la directive européenne sur la transparence des rémunérations, adoptée en mai 2023, devra être transposée en droit français. Son objectif ? Plus de transparence salariale pour plus d’équité, notamment entre les hommes et les femmes.

Le chantier est énorme. « D’après notre enquête 2025 sur la transparence des rémunérations, seuls 4 % des entreprises françaises communiquent actuellement la rémunération moyenne par catégorie de postes, explique Laura Grouberman, directrice de l’activité “Work, Rewards & Careers” chez WTW. Globalement, [elles] communiquent moins que la moyenne internationale, notamment sur la classification des emplois. »

Pourtant, la directive européenne va impliquer de fournir aux salariés demandeurs les niveaux de rémunération pour des postes de même valeur, ainsi que d’être en mesure de justifier les écarts, et de les corriger lorsqu’ils dépassent les 5 %. Au moment du recrutement, les fourchettes de salaire devront être indiquées, et toute question sur les antécédents salariaux des candidats sera bannie.

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Travailleurs étrangers : Amnesty International dénonce des lenteurs et des erreurs de l’administration française, qui entraînent précarité et exploitation

Nadia élève seule sa fille Emilie, âgée de 11 ans (les prénoms ont été modifiés). Ici, dans leur appartement, en région parisienne, le 18 octobre 2025.

Dans son petit appartement meublé chichement d’objets de récupération disparates, Nadia, 45 ans, pile de courriers à la préfecture du Val-de-Marne devant elle, dresse un bilan douloureux de ces dernières années. « Moi, j’ai toujours suivi mon chemin, c’est l’Etat qui m’a fait dérailler », résume-t-elle. Son parcours est symbolique de ceux qu’a compilés Amnesty International dans un rapport publié mercredi 5 novembre. Il démontre comment la brièveté des titres de séjour, mais aussi la montagne de difficultés pour les faire renouveler en préfecture, « fabrique la précarité » de travailleurs étrangers légaux, y compris dans les métiers en tension.

Titulaire, depuis 2015, d’un diplôme d’auxiliaire de vie – un secteur confronté à une forte pénurie de main-d’œuvre – et mère d’une fille de 11 ans qu’elle élève seule, Nadia (tous les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés) a longtemps travaillé pour un centre communal d’action sociale. Ivoirienne, elle a eu plusieurs cartes de séjour d’un an, puis de deux, puis de trois. En 2020, comme tous les travailleurs « essentiels », elle est restée à son poste pendant les confinements.

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En grève, les intervenants culturels de Paris Musées réclament une hausse des salaires

Lors du rassemblement des guides-conférenciers de plusieurs musées de la Ville de Paris, devant l’Hôtel de ville de Paris, le 23 septembre 2025.

Leur mobilisation ne faiblit pas. Les guides-conférenciers de Paris Musées – qui regroupe 14 musées de la Ville de Paris (Musée d’art moderne, Musées Bourdelle et Carnavalet, le Petit Palais, Musée de la vie romantique, Musée Zadkine…) – sont en grève depuis mardi 4 novembre et jusqu’à vendredi 7 novembre. Après deux mouvements, le 24 juin puis du 18 au 21 septembre, les intervenants culturels de la Ville de Paris (IVCP) – à 77 % des femmes – refusent leur salaire « indécent ».

Ces 29 conférenciers, plasticiens ou conteurs assurent les visites guidées et les ateliers dans ces musées, tout en contribuant à éclairer les différents publics. La plupart sont hautement qualifiés (bac + 5 et jusqu’à bac + 11) mais payés « 13 euros de l’heure », une rémunération « quasiment inchangée depuis 2008 », selon l’association Intervenants culturels de la Ville de Paris (ICVP), essentiellement soutenue par la CGT.

Si l’on comptait 45 contrats en 2008, ils ne représentent plus que 18 équivalents temps plein, selon Paris Musées. « Avec 1 300 euros par mois en temps partiel à 70 %, je dois travailler à côté comme enseignante vacataire dans trois universités et une école d’ingénieurs », explique Sophie (le prénom a été changé), la plus diplômée, qui travaille depuis vingt-quatre ans au Musée d’art moderne. Diplômée de l’Ecole du Louvre, cumulant un DEA d’histoire et une thèse en art contemporain, elle a conscience de faire partie de ces « intellectuels précaires ».

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