Evaluation professionnelle : l’optimisme n’est pas un critère

Carnet de bureau. La directive européenne sur la transparence des salaires à mettre en œuvre d’ici à l’été 2026 oblige les entreprises à travailler davantage sur les entretiens annuels. Une récente étude de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) publiée le 18 novembre montre à quel point les salariés sont à l’aveugle sur les critères d’évaluation de la compétence professionnelle et en attente de plus de transparence pour comprendre les écarts de rémunération.

Près d’un cadre sur deux estime que la politique salariale de son entreprise manque de transparence. Selon cette étude, 63 % des manageurs auraient même du mal à expliquer certaines différences de rémunération dans leur équipe. Et 49 % des cadres jugent les critères d’augmentation « opaques ».

La question de l’objectivité des critères pour évaluer les salariés est à la fois essentielle et délicate. « Pas évident de rémunérer la performance, car il faut expliquer objectivement les critères », explique Laetitia Niaudeau, la directrice générale adjointe de l’APEC. L’objectivation suscite beaucoup d’interrogations parmi les responsables des ressources humaines.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Evaluer les entretiens d’évaluation

L’article L-1222-3 du code du travail indique que la méthode d’évaluation des salariés doit reposer sur des critères précis, vérifiables et « pertinents au regard de la finalité poursuivie ». La directive européenne mentionne, quant à elle, quatre facteurs de critères objectifs : les compétences, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail.

Méthode jugée « illicite »

Les entreprises peuvent se doter de grilles de notation pour apprécier la réalisation des objectifs, le niveau de production, la qualité des relations professionnelles, l’esprit d’équipe, etc. Les compétences comportementales sont, à ce titre, vantées par les responsables des ressources humaines comme le « petit plus » qui fait toute la différence entre deux salariés à qualification équivalente. Mais il s’agit d’évaluer les aptitudes uniquement professionnelles.

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Dans les bureaux, l’intelligence artificielle transforme à bas bruit la nature du travail

Le supercalculateur européen Jupiter, à Jülich (Allemagne), le 5 septembre 2025.

Elle ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour la secrétaire qui travaillait dans l’entreprise familiale de son père. « C’était en 1985 : avec l’avènement de l’informatique dans la comptabilité, cette professionnelle, qui avait l’habitude de consigner les écritures à la main dans de grands livres de comptes, a vu son travail bouleversé, se souvient Annie Martins, qui était alors au lycée. Elle pestait contre l’idée que ce n’était plus son métier. » Avec l’introduction des outils d’intelligence artificielle (IA), cette responsable administrative et financière en poste dans un cabinet d’avocats parisien a désormais l’impression que c’est un peu son tour.

Pour la comptabilité, « l’IA permet désormais de saisir automatiquement les relevés bancaires et les factures, un travail qui prenait 30 % de mon temps », raconte-t-elle, alors qu’elle occupe déjà un poste et la moitié d’un autre. « Dans un sens cela m’allège, c’est plutôt positif, mais il faut voir comment cela va se traduire sur le long terme, se demande-t-elle. Par une qualité au travail améliorée, ou plus de charge encore ? »

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Le géant de l’informatique HP annonce la suppression de 4 000 à 6 000 emplois d’ici 2028 du fait de l’IA

Le logo HP au siège du groupe à Palo Alto, en Californie, le 4 novembre 2016.

Le groupe informatique américain HP a annoncé mardi 25 novembre, dans un communiqué, prévoir la suppression de 4 000 à 6 000 emplois d’ici fin 2028 dans le cadre d’un plan d’adoption de l’intelligence artificielle (IA) qui doit lui permettre d’augmenter la productivité.

Cela pourrait représenter jusqu’à un peu plus de 10 % des effectifs du groupe de Palo Alto (Californie), qui compte environ 58 000 salariés selon son dernier rapport annuel. C’est l’une des premières fois qu’une entreprise de taille importante fait publiquement un lien direct entre des réductions de personnel et la mise en place d’outils IA.

Le plan à trois ans de HP doit « faire progresser la satisfaction des clients, l’innovation produits et la productivité par le biais de l’adoption et l’activation de l’intelligence artificielle » au sein du groupe, selon le communiqué. HP compte générer, grâce à cette initiative, environ un milliard de dollars d’économies en rythme annuel d’ici fin 2028. Les coûts de restructuration devraient, eux, atteindre 650 millions de dollars au total, dont 250 millions pour l’exercice comptable décalé 2026 (de novembre à octobre).

Chute du titre boursier

HP est né en 2015 de la scission du groupe informatique historique Hewlett-Packard, fondé en 1939 et alors en pleine restructuration. L’entreprise avait décidé de loger ses activités d’infrastructures, de logiciels et de services aux entreprises dans HPE, tandis que les ordinateurs personnels et imprimantes se retrouvaient dans HP.

Depuis dix ans et l’éclatement de Hewlett-Packard, HP n’a vu son chiffre progresser que de 7 %. Beaucoup d’observateurs prédisent que la généralisation de l’IA générative va entraîner la suppression de nombreux emplois, certains estimant que ce mouvement pourrait être partiellement ou totalement compensé par la création de fonctions et de métiers nouveaux.

Wall Street a mal réagi à cette annonce, conjuguée à la publication d’objectifs inférieurs aux attentes des analystes pour l’exercice fiscal 2026, et dans les échanges électroniques postérieurs à la clôture de la Bourse de New York, le titre HP abandonnait près de 6 %. Le groupe a fait savoir que ces projections jugées décevantes par le marché intégraient « des coûts supplémentaires liés » aux droits de douane mis en place par le gouvernement de Donald Trump pour les produits importés aux Etats-Unis.

Le Monde avec AFP

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« C’est humiliant, le chômage, et c’est humiliant, le processus d’embauche » : la difficile insertion des jeunes cadres sur le marché du travail

C’est d’abord sur LinkedIn qu’Enzo (le prénom a été modifié) a senti le vent tourner. Encore étudiant ingénieur à l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) en 2023, il recevait plusieurs offres d’emploi par semaine. Puis, pendant son volontariat international en entreprise en Espagne, ces messages se sont raréfiés. Au moment de chercher un contrat en France, fin 2024, la situation est devenue « franchement sordide ». Le jeune homme de 25 ans peut presque réciter par cœur l’e-mail de refus automatisé du réseau social professionnel. « Je l’ai en 200 exemplaires », soupire-t-il.

« Quand je sortais de l’école et que je recevais des messages tout le temps, je me disais que les “trente glorieuses” ne s’étaient jamais finies, qu’il fallait juste traverser la rue pour trouver un travail, soutient Enzo, railleur. Et en fait non : le retour au XXIe siècle est très dur à vivre» Cela fait donc presque un an que l’ingénieur en informatique cherche un emploi dans sa branche. Il vit chez sa mère en banlieue parisienne, et a droit au chômage grâce à l’alternance qu’il a faite en master.

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Les huit visages européens de l’assistance chômage décryptés par l’Unédic

Allocation de solidarité spécifique (ASS) en France, Bürgergeld en Allemagne, subsidio de desempleo en Espagne… Les noms varient d’un pays à l’autre, mais renvoient tous à des dispositifs d’assistance aux demandeurs d’emploi qui ont épuisé leurs droits à l’assurance-chômage.

Bien que ces deux prestations visent le retour à l’emploi, elles procèdent de logiques différentes, rappelle l’Unédic dans son étude comparative publiée le 7 novembre. Financée par des contributions aux systèmes locaux de sécurité sociale, l’assurance-chômage garantit aux chômeurs qui ont suffisamment cotisé un niveau de vie en lien avec celui qui prévalait avant la perte de leur emploi. Tirée de l’impôt et accordée en deçà d’un certain seuil de revenu, l’assistance chômage se contente de garantir un minimum vital aux demandeurs d’emploi en fin de période d’indemnisation.

L’assistance chômage se distingue des aides sociales ciblant une population plus large, apte ou non à travailler, et qui visent à réduire la pauvreté. C’est pourquoi l’ASS, qui relève de l’assistance chômage, cohabite et se cumule partiellement avec l’ultime filet de sécurité sociale constitué par le revenu de solidarité active.

L’inconvénient est que cet empilement de dispositifs assortis de règles techniques crée de la complexité. « Or pour encourager le retour à l’emploi, il faut des règles simples et des incitations à retravailler identiques quelle que soit votre situation », explique Bruno Coquet, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques et spécialiste du marché du travail, qui appelle à un toilettage du système français.

Modulation par les ressources

Pour sa part, l’Unédic identifie des dispositifs d’assistance chômage complétant l’assurance dans huit pays d’Europe sur les quinze examinés. Au sein de ce groupe de huit, les modalités varient. La France et l’Espagne versent ces allocations d’assistance au demandeur d’emploi à titre individuel, mais l’Allemagne et le Royaume-Uni les versent au foyer. Ces deux derniers pays peuvent donc majorer le montant de l’assurance-chômage en fonction du nombre d’enfants à charge, contrairement à la France, où d’autres dispositifs interviennent (allocations familiales, logement…).

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« Histoire du droit du travail par les textes » : un décryptage minutieux des grands enjeux

Et si Thémis, la déesse de la justice, engageait un dialogue avec Clio, la muse de l’histoire… C’est avec ce fil rouge que les auteurs d’Histoire du droit du travail par les textes (Economica, 756 pages, 89 euros) ont conçu leur ouvrage, qui rassemble 55 textes majeurs. Avec, pour chacun d’entre eux, une même ambition : offrir une analyse et une mise en perspective qui s’appuient sur des dynamiques de long terme.

Sous la direction de Paul-Henri Antonmattei, professeur de droit du travail, d’Alain Chatriot, professeur d’histoire, de Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la Cour de cassation, et d’Yves Struillou, ancien membre du Conseil d’Etat et ex-directeur général du travail, 41 auteurs ont décortiqué des textes aux thématiques aussi variées que le travail des enfants au XIXe siècle, les grandes lois du Front populaire, la santé au travail, etc. A charge pour eux de les replacer dans « l’esprit du temps », mais aussi, parfois, de les aborder à la lumière des recherches récentes.

La force de l’ouvrage réside dans cette contextualisation éclairante. On comprend, par exemple, quels ressorts ont conduit à l’instauration du smic, en 1970. S’il a été porté par la volonté de « cantonn[er les] inégalités salariales », il s’inscrit plus largement dans « l’histoire mouvementée des décennies 1950 et 1960, et sa spectaculaire culmination en mai 1968 ». Les autorités avaient compris, après les événements de mai, que dans une « société en pleine croissance » elles devraient « répondre aux besoins nouveaux exprimés par une partie des couches sociales les plus modestes ».

Adaptation continuelle

L’ouvrage revient aussi sur les multiples influences qui ont été à la source de certains textes. On suit la lente maturation des esprits vers la loi de 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, notamment le droit d’expression. Elle permettra progressivement de purger les règlements intérieurs de leurs clauses illicites.

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Philippe Askenazy : « La réforme du cumul emploi-retraite repose sur du sable »

La suspension du report de l’âge normal de liquidation des retraites concentre l’attention et cache une vraie contre-réforme glissée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 : un brutal coup de frein au cumul emploi-retraite, qui permet de poursuivre ou de reprendre une activité professionnelle en touchant à la fois sa pension et son revenu d’activité.

Le nombre de personnes actuellement en cumul emploi-retraite est difficile à évaluer. Les systèmes des régimes de retraite peinent à suivre en direct le phénomène lorsqu’un retraité prend une activité dans un autre régime (exemple : une ancienne ouvrière qui vend des créations artisanales en tant qu’autoentrepreneuse). L’enquête emploi en recensait plus de 600 000 en 2023. Mais des travaux récents de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) suggèrent qu’il existe une forte sous-déclaration de leur activité par les retraités. On serait plutôt autour de 1 million.

Le cumul emploi-retraite a été amendé à chaque réforme des retraites. La réforme de 2023 lui a ainsi donné un coup de pouce important en permettant une « recharge » de droits à pension liés à l’activité professionnelle pendant la retraite. Deux ans après, le gouvernement propose un virage à 180 degrés. Si les dispositions qu’il propose sont actées, les nouveaux retraités se situant entre l’âge légal et 67 ans subiraient un écrêtement de moitié au-delà de 7 000 euros annuels, c’est-à-dire qu’ils verraient leur retraite amputée de 1 euro pour 2 euros de revenu d’activité. Il subsisterait de rares exceptions ; par exemple, un ancien magistrat à la Cour des comptes pourrait cumuler le revenu d’activités juridictionnelles vacataires sans limite. Les futurs bénéficiaires d’un départ anticipé pour carrière longue se verront appliquer un écrêtement de 100 % dès le premier euro. Pourquoi une telle interdiction de fait ?

Trois lignes argumentaires

Le gouvernement a repris à la lettre les propositions du rapport 2025 sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale de la Cour des comptes, propositions censées faire des économies. Pour aboutir à leurs préconisations, les magistrats avancent trois lignes argumentaires.

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