L’étrange statut des étudiants en « junior entreprise »

Vingt-cinq mille futurs entrepreneurs en risque juridique ! La « junior entreprise », à ne pas confondre avec les conventions de stage conduisant à la mise à disposition directe de l’étudiant par l’école ou l’université, est un cadre juridique permettant aux étudiants qui en sont membres de participer à des missions d’études, de développement informatique, de data science ou d’ingénierie confiées par des entreprises ou administrations publiques, moyennant rémunération de l’association. Car cette structure est une association à vocation pédagogique exclusive, à but non lucratif mais commercial, et constituée par des étudiants d’établissements d’enseignement supérieur.

Le dispositif a essaimé dans les grandes écoles et dans quelques universités. Créé en 1967 au sein de l’Essec dans la catégorie des pédagogies par projet, il concerne désormais près de 25 000 étudiants par an. Il existe même une Confédération nationale des JE, qui organise notamment une procédure d’appel d’offres à projet à destination des entreprises.

Les conditions de la collaboration entre les étudiants et la junior entreprise sont fixées par une convention. Mais quelle est la nature juridique des sommes versées par l’association à l’étudiant ? Le droit social pose la question.

Dissonances

En effet, selon le code de la Sécurité sociale, « toutes les sommes, ainsi que les avantages et accessoires en nature ou en argent qui y sont associés, dus en contrepartie ou à l’occasion d’un travail, d’une activité (…), quelles qu’en soient la dénomination, ainsi que la qualité de celui qui les attribue, que cette attribution soit directe ou indirecte “sont assujetties à cotisations” ».

Mais les textes censés cadrer la mise en œuvre ont multiplié les dissonances. Une première circulaire Bérégovoy de 1984 avait qualifié les sommes perçues par les étudiants d’« honoraire ». La Cour de cassation a, pour sa part dans un arrêt du 15 juin 1988 (n° 86-10.732), approuvé une cour d’appel qui avait jugé que, « s’agissant d’un travail rémunéré à la tâche et accompli dans le cadre du service organisé par l’association », les étudiants relevaient du régime général.

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Daniel Veron, sociologue : « Le rejet social des personnes étrangères rend leur force de travail attrayante économiquement »

« S’ils ne passent pas la frontière, les fraises sont flinguées ! », s’alarmait, en février 2021, dans les colonnes du Monde un maraîcher exploitant, tandis qu’un autre prévenait, en mai 2020 : « Si l’on embauche des locaux, on ne va pas sortir nos récoltes ! » Alors que la pandémie de Covid-19 a stoppé net l’immense majorité des circulations humaines et a mis en crise l’économie mondiale, en particulier le secteur agricole, la plupart des pays européens ont permis, de manière plus ou moins assumée, l’entrée – ou la régularisation – de nombreux travailleurs et travailleuses migrants pour « sauver » les récoltes.

La crise sanitaire du printemps 2020 a ainsi rappelé de manière aiguë la dépendance des économies capitalistes avancées au travail de femmes et d’hommes venus d’ailleurs. Pour autant, cette réalité n’a pas infléchi l’hostilité envers l’immigration et celle-ci n’a cessé de s’accentuer ces dernières années.

Comment comprendre cette contradiction profonde qui structure les politiques migratoires depuis un siècle et demi ? La présence des travailleurs étrangers est soumise à la fois à un rejet social, souvent violent, et à un appétit économique, toujours insatiable, pour cette main-d’œuvre. Comme pour tenter de tenir ensemble ces injonctions contradictoires, Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, avait promis, en novembre 2022, à l’occasion de l’annonce de la future loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », d’être « méchants avec les méchants et gentils avec les gentils ».

Logique utilitariste

Si ce projet de loi a eu un temps pour ambition de faciliter les régularisations pour les travailleurs sans papiers, notamment lorsqu’ils sont employés dans les métiers dits « en tension », le texte promulgué le 26 janvier 2024 est loin des promesses initiales, tant il a été au cœur des rapports de force politiciens et des enjeux de survie d’un gouvernement sans majorité à l’Assemblée nationale.

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« ChatGPT, c’est ma bouée de sauvetage » : les parades des jeunes actifs fâchés avec l’orthographe

« Koniac et andoulilette. » Le bon de commande massacrant deux emblèmes du terroir français a été encadré telle une relique dans l’établissement du Nord où Arnaud (les personnes citées par leur seul prénom ont requis l’anonymat) a fait ses débuts « chaotiques » dans la restauration « C’est devenu mon surnom amical, et la restauratrice m’avouait récemment qu’à force de raconter cette anecdote elle devait réfléchir à deux fois quand elle présente sa carte aux clients, car son cerveau a intégré le terme “andoulilette” », raconte le maître d’hôtel de 21 ans, parfois sommé par ses patrons, à la fin du service, de copier 100 fois le nom de la spécialité charcutière dûment orthographié.

Aujourd’hui, les quetsches, topinambours, kouign-amann et autres profiteroles ne font plus trembler Arnaud, le crayon à la main : dans le grand établissement luxembourgeois où il est en poste, les commandes sont informatisées, mais l’écrit reste pour lui « très compliqué au quotidien ». « Je ne fais pas attention à accorder en genre, en nombre… La fée de l’orthographe ne s’est jamais penchée sur mon berceau », dit-il.

A l’image de ce que ressent Arnaud, les lacunes en expression écrite restent souvent mal vécues par les jeunes actifs concernés et sont susceptibles de nuire à leur insertion dans le monde professionnel. Le phénomène touche toutes les catégories socioprofessionnelles, indépendamment du niveau d’études.

Stratégies d’évitement

Maud (le prénom a été changé) aspire au bac + 8 et se dit « une quiche en orthographe ». « J’accepte davantage qu’on critique mon travail sur le fond plutôt qu’on relève mes fautes d’orthographe, j’ai l’impression d’être une gamine de CP », témoigne la doctorante en sociologie à Toulouse. La jeune femme de 25 ans a beau s’être offert un Bescherelle pour son anniversaire, les pièges vicieux de la langue française restent impénétrables. « Je me pose souvent la question de ma légitimité en doctorat, alors que je ne maîtrise même pas bien les règles d’écriture de la langue française, poursuit la future chercheuse. Je ne peux plus envoyer un SMS en ayant la conscience tranquille, à chaque fois que j’en rédige un à mes directeurs de thèse, je le repasse au correcteur d’orthographe. »

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« Pourquoi adopter un discours alarmiste sur le fait de ne pas être constamment productif sur son lieu de travail, alors que cela est impossible ? »

Une chronique parue le 18 septembre 2025 dans Le Monde expliquait que l’usage du smartphone était symptomatique d’une « économie de l’inattention » (« L’usage inconsidéré du téléphone portable au travail reviendrait à ajouter six jours fériés au calendrier », par Béatrice Madeline). Ses conséquences : de très sérieuses pertes en productivité organisationnelle, équivalentes à six jours fériés par an à l’échelle sociétale, et des dégâts sur la santé mentale des individus.

Mais pourquoi adopter un discours alarmiste sur le fait de ne pas être constamment productif sur son lieu de travail, alors même que cela semble impossible ? Nous pourrions nommer « activités de non-travail » ces instants où l’on n’est pas, ou peu, efficace. Procrastiner en ligne est la plus répandue d’entre elles, mais la thèse que j’ai consacrée à ce sujet en compile 37 autres.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Et si les manageurs arrêtaient d’avoir peur du « non-travail » ?

Cela montre bien qu’au travail, on ne travaille pas tout le temps, même si techniquement il le faudrait. La frontière entre travail et non-travail est floue, difficilement qualifiable et, donc, quantifiable. En outre, il y a du travail dans le temps personnel, hors du lieu où l’on est employé, qui passe de façon privilégiée par l’usage du smartphone. Ce recours à la quantification mériterait d’être nuancé de façon plus qualitative.

Des pratiques jugées a priori personnelles

Que penser de la consultation de courriels au réveil ? Du bouclage d’un dossier sur le trajet retour ou chez soi ? Cette colonisation du travail dans les espaces-temps hors travail, nourrissant de nombreux débats sur l’équilibre vie professionnelle-vie privée – droit à la déconnexion, par exemple – n’est pas considérée dans l’article. Or, la fluidité entre espaces-temps professionnel et personnel est largement constatée en recherche, et le smartphone s’en fait le support privilégié. Là se trouve pourtant une piste sérieuse en faveur de la santé mentale.

Il n’y a rien de farfelu, alors, à s’intéresser au phénomène inverse : s’adonner à des activités non professionnelles alors même que l’on est au bureau. Le téléphone cristallise des pratiques jugées a priori personnelles, alors qu’en réalité, les interlocuteurs et les sujets intimes et professionnels se mélangent allègrement. On échange sur WhatsApp avec ses proches, mais aussi avec ses collègues, on évoque sa vie privée en contexte professionnel et on parle de ses problèmes de travail à sa famille et à ses amis.

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« Les jeunes ne remplacent pas les salariés » : quand le dispositif Argent de poche crée de drôles de petits boulots pour adolescents dans les communes

Gants en latex et gilet réfléchissant orange, Manon Peaucelle, 17 ans, est parée pour sa tâche du jour. Imperturbable, la lycéenne repeint la porte du club de tennis de Breteuil (Oise) couleur vert bouteille, sous le regard attentif de son encadrant, Richard Savary, menuisier employé par la mairie. Pendant une semaine, Manon suit les agents des services techniques pour effectuer de petits chantiers. En plus de la peinture, elle a aidé à poncer un banc public et à déménager une salle de classe. A la fin, l’adolescente touche une indemnisation de 340 euros pour trente-quatre heures de travail. Soit 10 euros de l’heure, quand le smic horaire net pour un mineur est inférieur à 9 euros.

Tout cela est possible grâce au dispositif Argent de poche, qui est issu de l’opération Ville, Vie, Vacances lancée par François Mitterrand. Elle s’inscrivait dans la politique de prévention sociale mise en place en réponse aux tensions urbaines de l’été 1981.

Drôle d’objet que ce dispositif. Des dizaines de communes continuent à l’utiliser, comme la presse quotidienne régionale s’en fait l’écho très régulièrement. Mais aucun organisme ne supervise ni ne quantifie nationalement le recours à ce mécanisme. Son application relève de la décision de chaque collectivité locale, d’où le manque d’informations concernant le nombre exact de communes et de jeunes impliqués. De plus, l’indemnisation ne génère aucune cotisation pour le système social et n’ouvre aucun droit au jeune concerné. L’absence de statistique globale empêche aussi de savoir dans quelle mesure les multiples opérations Argent de poche locales viennent prendre le relais des traditionnels jobs d’été.

Marginal, mais utile

A Breteuil, cette initiative, lancée en 2019, semble satisfaire beaucoup de monde. La mairie consacre chaque année 12 000 euros à l’ensemble de ses aides pour la jeunesse, dont le programme Argent de poche, qui permet à une dizaine de jeunes Brituliens âgés de 16 à 18 ans de gagner un peu d’argent pendant l’été. « Personne ne veut embaucher de mineurs, c’était ma seule solution pour travailler », témoigne Manon.

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Le travail s’intensifie et s’allonge en Europe, la France dans la moyenne

De quoi dépend la qualité du temps de travail ? De la capacité qu’ont les actifs de concilier vie professionnelle et vie personnelle, d’être autonomes dans l’organisation de leur planning et d’éviter les horaires atypiques ou excessifs. Ainsi le temps de travail optimal s’évalue d’abord au regard de sa durée hebdomadaire, moyenne que les dernières enquêtes fixent à 40 heures pour la majorité des Européens.

En France, 54 % des actifs travaillent entre 35 et 40 heures par semaine, soit des niveaux proches de cette moyenne. Ils s’en écartent sur le critère des heures supplémentaires, du fait d’un encadrement plus strict de la durée du travail que chez nos voisins. Conséquence ? Seulement 8 % des actifs français travaillent plus de 48 heures par semaine, contre 11 % dans l’Union européenne, selon l’enquête European Working Conditions Survey 2024 de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail en Europe Eurofound publiée le 3 septembre.

Ces semaines de plus de 48 heures s’effectuent surtout dans la santé, l’hôtellerie-restauration et certaines industries qui peinent à recruter. « Comme les recrutements y sont difficiles, le travail se concentre sur un nombre plus réduit de personnes. Mais c’est un cercle vicieux, car cette pratique réduit encore l’attractivité des métiers concernés », analyse Christine Erhel, professeure au Conservatoire national des arts et métiers et directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail.

Au-dessus de la moyenne européenne

L’enquête Eurofound tente par ailleurs d’évaluer le degré d’autonomie dont disposent les travailleurs européens : une minorité, 21 %, organisent très librement leur emploi du temps, mais la grande majorité demeure soumise à des contraintes imposées par l’employeur. En France, ce chiffre progresse fortement : désormais, 24 % des répondants déclarent pouvoir adapter leurs horaires dans certaines limites, ce qui place le pays légèrement au-dessus de la moyenne européenne.

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« La politique française de l’emploi low cost a des conséquences délétères »

Les Français ont la passion de l’égalité, constatait Tocqueville. Et pourtant, ils ne s’entendent pas sur la façon de la mesurer. Dans la fureur du débat sur la taxe Zucman, les uns ont insisté sur l’explosion du patrimoine des 0,1 % les plus riches et l’aggravation du taux de pauvreté. Les autres ont répondu en mettant en avant le sérieux coefficient de Gini, qui mesure scientifiquement la répartition des revenus (ou de la richesse) au sein de la population. Or, d’après cette méthode imaginée par le statisticien italien fasciste, mais surdoué, Corrado Gini (1884-1965), la France est, du point de vue des inégalités, dans la moyenne des pays riches.

Mais une précision s’impose : elle est dans la moyenne des pays riches… « après redistribution ». Seul le système fiscalo-social français, avec son impôt progressif et ses allocations, permet de contenir l’ampleur des écarts. En revanche, comme le montre une étude publiée le 8 juillet par l’Observatoire des inégalités, la France est, parmi ces pays, l’un des plus inégalitaires avant redistribution.

Tout se passe comme si l’on avait écrasé les revenus primaires des Français se situant dans la moitié basse de l’échelle, pour ensuite les « regonfler » grâce à des transferts. La France est le seul pays à présenter un tel profil. Dans les pays européens qui lui sont comparables, les rémunérations primaires sont plus élevées, ce qui allège la nécessité d’une redistribution.

L’une des causes de cette anomalie française, c’est la « smicardisation du salariat », souligne une note publiée le 29 septembre par la Fondation Jean Jaurès, sous la signature de Guillaume Duval. En France, aujourd’hui, la moitié des salariés du privé gagnent entre un smic et 1,5 smic, soit de 1 800 euros à 2 700 euros brut par mois. Si l’on excepte la Grèce et le Portugal, c’est la concentration des salaires dans le bas de l’échelle la plus forte d’Europe !

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« La formation continue au service des reconversions ? » : la fragilité des liens entre aspirations et mobilité professionnelle

En 2022, le Centre pour le développement de l’information sur la formation permanente notait que 21 % des actifs étaient « en train de préparer une reconversion » et que 26 % assuraient « l’envisager ». C’est un fait : le changement de cap professionnel – souhaité ou subi – est au cœur des réflexions de nombreux travailleurs.

Ils sont encouragés en cela par la mise en place de multiples dispositifs (bilan de compétences, compte personnel de formation, projet de transition professionnelle…), mais aussi par « les incitations des pouvoirs publics [à] devenir acteur de sa carrière et même disposer de “la liberté de choisir son avenir professionnel” », du nom d’une loi adoptée en 2018.

Quelle est la réalité de telles aspirations sur le terrain ? Les réorientations débouchent-elles sur une évolution satisfaisante de la vie professionnelle ? La formation, qui doit accompagner cette dynamique, tient-elle ses promesses ? Autant de questions qui sont posées par un ouvrage collectif, La Formation continue au service des reconversions ? (Presses universitaires de Rennes, 266 pages, 24 euros), mené sous la direction de trois universitaires, Emmanuel de Lescure, Nicolas Divert et Fabienne Maillard.

Pour y répondre, les auteurs proposent une série d’enquêtes sociologiques au plus près du terrain. Au côté d’actifs se formant au code informatique, d’assistantes maternelles cherchant à obtenir un CAP par une validation des acquis de l’expérience ou de syndicalistes cégétistes reprenant leurs études à l’université, ils dessinent un portrait nuancé des candidats à la « bifurcation ». Les facteurs qui peuvent expliquer le succès ou l’échec d’une reconversion apparaissent multiples (les conditions sociales et matérielles notamment) et l’on comprend, au fil des immersions, que « les liens (…) entre aspirations et mobilités dans le monde du travail » sont finalement très « fragiles ».

Freins multiples

« La finalisation du parcours est loin d’être certaine pour tous les impétrants », note ainsi la sociologue de la formation Catherine Agulhon. « A la lecture de ces textes, on constate que peu de cheminements ont véritablement mené à une reconversion », souligne-t-elle en conclusion de l’ouvrage. Seulement 7 des 32 travailleurs qui ont suivi une formation au codage informatique ont, par exemple, pu s’engager par la suite dans l’entrepreneuriat.

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