On a fini par comprendre que tous les chemins ne mènent pas à Rome, mais celui des écoliers peut conduire à Thouars (Deux-Sèvres) et, plus précisément, place du 4-Août. A condition, toutefois, de descendre la rue de la Porte-de-Paris en venant du nord ou de monter la rue Saint-Médard en arrivant du sud puis, dans les deux cas, d’emprunter un tronçon de la rue de la Porte-au-Prévost.
Au MZ, à Thouars (Deux-Sèvres), le 6 juin 2025. CLAUDE PAUQUET/VU’ POUR « LE MONDE »
Un dédale de voies étroites qui serpentent entre les siècles, se jouent du soleil, égarent les touristes et, malgré une absence notable de signalétique, mènent sans coup férir au MZ. Au quoi ? Au MZ, tiers-lieu magnétique qui, selon l’un de nos informateurs, « a rendu le sourire aux 14 000 habitants recensés ».Encore un tiers-lieu ?Tout doux ! Si le pays en compte au moins 3 500 en 2023, selon l’Agence nationale pour la cohésion des territoires, celui-ci ne fait pas les choses à moitié.
Depuis deux ans, c’est ici que Thouars catalyse ses énergies, combine ses talents, agrège ses différences. Du mercredi au samedi, de 12 heures à 20 h 30 (et jusqu’à minuit le vendredi et le samedi), le MZ ne désemplit pas. Les concerts sont gratuits, les expos aussi. Pianos en libre-service, expresso à 1,20 euro, pinte de blonde à 6,60 euros. On peut apporter à manger.
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Cible privilégiée des Etats autoritaires, l’indépendance de l’enseignement supérieur et de la recherche est désormais attaquée au sein même des régimes libéraux. L’histoire de cette idée, née dans la période postrévolutionnaire, éclaire les enjeux démocratiques des batailles culturelles en cours.
Lors de l’inauguration de l’Ecole internationale de théâtre Jacques-Lecoq, à Avignon, en juillet 2024. ALEXANDRA DE LAMINNE
L’Ecole internationale de théâtre Jacques-Lecoq, l’Ecole supérieure des arts du rire (ESAR) et, bientôt, l’école du Théâtre du Chêne-Noir : de plus en plus d’apprentis comédiens vivent à l’année à Avignon. Contrainte de quitter ses locaux historiques parisiens (le Central, où elle était installée depuis 1976), l’institution Lecoq a trouvé refuge, depuis octobre 2023, dans une ancienne caserne de pompiers, réaménagée et mise à disposition par la mairie avignonnaise. Créée par l’entrepreneur Frédéric Biessy, directeur général des théâtres La Scala, et soutenue par l’humoriste Jérémy Ferrari, l’ESAR accueille depuis septembre 2024 sa première promotion dans les locaux de La Scala Provence. Quatre-vingt-cinq élèves d’un côté, 50 de l’autre, deux formations très différentes, l’une mythique (Lecoq), fondée en 1956, qui compte parmi ses diplômés des figures de la scène telles que Christoph Marthaler, Julie Deliquet ou Olivier Letellier ; l’autre dans l’air du temps (ESAR), portée par le succès du stand-up. Mais un même sentiment parmi les étudiants : celui de sentir dans « un cocon », « une bulle » au sein des remparts de la cité des Papes.
En ce printemps ensoleillé, l’ambiance de la ville est très calme, loin de l’effervescence suscitée chaque été par le festival. Bon nombre de ces jeunes resteront en juillet à Avignon, la plupart pour travailler sur des postes de régisseur, à la billetterie ou à l’accueil pour des compagnies programmées dans le « off », quelques-uns pour se frotter à la scène. Ainsi, le Belge Vladimir Venanzi, le Français Aliocha Kasprzak et le Suisse Anthony Crettex, trois vingtenaires, élèves de la première promotion de l’ESAR, présenteront The Threeman Show au Théâtre de l’Observance. « L’idée d’un trio est née de notre rencontre au sein de l’école. Notre objectif n’est pas de proposer trois fois vingt minutes de stand-up, mais d’imaginer une parodie d’émission de télé-réalité dans laquelle des humoristes seraient en concurrence », explique Anthony Crettex. « J’avais besoin de rejoindre un collectif et de travailler sans le formatage des plateaux de comedy club », complète Aliocha Kasprzak. Eux ont pu se payer cette nouvelle formation – 9 200 euros l’année – grâce au soutien de leurs parents.
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La 17e édition du baromètre de l’absentéisme et de l’engagement du cabinet Ayming, publiée le 13 juin, relève que les salariés français ont été malades 23,3 jours par an en 2024, contre 12 en 2012. Cette forte augmentation a été mesurée en interrogeant 1 000 professionnels des ressources humaines (RH) du secteur privé. Et 49 % des sondés déclarent l’absentéisme élevé, voire très élevé, dans leur entreprise. Ainsi, 55 % des acteurs RH estiment ne pas avoir les bons indicateurs, voire ne pas en avoir du tout, pour le réduire.
Le vieillissement de la population active ne suffit pas à expliquer ce phénomène, qui coûte 4 000 euros par an et par salarié aux organisations, selon le Conservatoire national des arts et métiers. Les professionnels RH qui ont répondu au baromètre mentionnent, par ordre décroissant d’importance des causes de l’absentéisme : les maladies non professionnelles, la démotivation et l’insatisfaction professionnelle, des problèmes personnels, les accidents du travail et le burn-out.
Autant de causes susceptibles d’affecter le moral et la santé mentale des collaborateurs. Parce qu’il occasionne un report de la charge de travail, l’absentéisme dégrade en effet les conditions de travail, le climat social et la motivation, engendrant un cercle vicieux qui nourrit les risques psychosociaux (RPS).
Le groupe de protection sociale Malakoff Humanis dresse le même constat dans son baromètre annuel sur l’absentéisme 2025 publié le 5 juin. Cette étude auprès d’échantillons représentatifs de dirigeants d’entreprise et des salariés du secteur privé montre d’abord que 51 % de ceux qui jugent moyenne ou mauvaise leur santé mentale ont subi au moins un arrêt dans l’année, contre 42 % pour l’ensemble de l’échantillon.
« Les salariés tardent à consulter »
Avec 15 % des arrêts prescrits en 2024, les affections mentales constituent désormais la deuxième cause d’absentéisme pour raison médicale, derrière les maladies ordinaires (45 %), mais devant les accidents du travail (13 %) et les troubles musculo-squelettiques (11 %). « La parole s’est libérée. Les salariés, notamment les jeunes, n’hésitent plus à consulter sur ce motif. Cela a aussi contribué à l’inflation des arrêts », précise Anne-Sophie Godon-Rensonnet, directrice accompagnement et prévention en entreprise à Malakoff Humanis.
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Une bouffée d’oxygène. Quand le télétravail est entrée dans les mœurs, durant la pandémie de Covid-19, Thibault (le prénom a été modifié), 46 ans, a trouvé un meilleur équilibre entre ses vies professionnelles et personnelles. « Cela m’a permis de voir mes enfants se lever le matin et de les coucher le soir, ce qui fait une grande différence. Et le poids de la gestion des enfants ne reposait plus uniquement sur ma femme. Si je n’ai pas le télétravail, ma vie est complètement dédiée à mon entreprise du matin au soir, transport inclus », raconte ce salarié de la Société générale (SG). Le 27 juin, il est de ceux qui, comme beaucoup, se sont mis en grève pour contester l’annonce d’une réduction du télétravail dans la banque. Jeudi 3 juillet, comme tous les salariés, il était appelé par les syndicats à venir « sur site » en arborant un ruban vert, pour manifester sa détermination.
Quarante-huit heures auparavant, mardi 1er juillet, c’était chez Trax, l’entité audiovisuelle de Free, qu’un mouvement social était lancé contre des mesures restreignant le télétravail. « Cela va avoir un gros impact sur ma vie, cela fait plus de cinq ans que j’ai organisé mon quotidien avec », témoigne un développeur, qui a souhaité garder l’anonymat.
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La devanture d’un fleuriste, à Paris, le 24 décembre 2020. STEPHANE DE SAKUTIN/AFP
Le Sénat a adopté, jeudi 3 juillet, une proposition de loi pour autoriser certains établissements, comme les boulangeries et les fleuristes, à faire travailler leurs salariés le 1er-Mai, Journée internationale des travailleurs, fériée et chômée en France. Dans un hémicycle dominé par une alliance entre la droite et les centristes, la proposition de loi portée par le patron de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) Hervé Marseille et sa collègue Annick Billon a été adoptée en première lecture à 228 voix contre 112. Le texte est transmis à l’Assemblée nationale.
L’initiative, soutenue par le gouvernement et fustigée par la gauche et les syndicats, vise à étendre le périmètre des commerces bénéficiant d’une dérogation pour faire travailler leurs salariés, s’ils sont volontaires, pendant la fête du travail. Il pourrait ainsi s’appliquer, en plus des activités déjà concernées (hôpitaux, transports…), aux « commerces de bouche de proximité » (boulangeries, pâtisseries, boucheries… ), aux activités répondant à un « usage traditionnel propre au 1er-Mai », comme les fleuristes, ou encore aux établissements exerçant « une activité culturelle » comme les cinémas et les théâtres.
Le point de départ de la discussion remonte à la fin du mois d’avril, lorsque certains boulangers avaient dénoncé les contrôles inédits menés ces dernières années par l’inspection du travail auprès de plusieurs artisans. Car si eux sont autorisés à travailler, ils ont été épinglés pour avoir fait travailler leurs salariés durant cette journée fériée et chômée.
Ces chefs d’entreprise pointent une législation très floue, qui permet certes des exceptions, mais seulement dans les établissements qui « ne peuvent interrompre le travail », comme les transports, la sécurité ou les hôpitaux… C’est pour clarifier cette disposition que les sénateurs centristes, appuyés par le gouvernement, ont souhaité agir par la loi.
Cette proposition de loi « ne remet pas en cause l’existant », mais vient « combler une faille juridique, une insécurité qui pénalise des commerçants, des salariés, des territoires et certains de nos concitoyens », a insisté la ministre du travail Catherine Vautrin, qui soutient « pleinement » l’initiative.
Accusation de « Détricoter petit à petit le principe du 1er-Mai chômé »
Le texte centriste visait initialement à permettre aux établissements déjà autorisés à ouvrir le dimanche de pouvoir le faire le 1er-Mai. Mais dans sa version votée jeudi, il a été remanié et définit désormais précisément le périmètre des commerces bénéficiant d’une dérogation spécifique pour la fête du travail.
La mesure a offusqué l’ensemble des groupes de gauche au Sénat, qui ont échoué à faire adopter une motion de rejet du texte. La communiste Cathy Apourceau-Poly a accusé la majorité sénatoriale et le gouvernement de « détricoter petit à petit le principe du 1er-Mai chômé de manière à justifier demain sa remise en cause totale », estimant que ce texte impactera « 1,5 million de salariés ». « Votre objectif final est de voler un jour de congé aux salariés, car vous trouvez qu’ils ne travaillent pas suffisamment », a-t-elle déclaré durant les débats.
« Il va falloir nous expliquer en quoi le 1er-Mai, on ne peut pas se passer d’aller dans une charcuterie acheter du pâté, ou dans une boulangerie où l’artisan aura mobilisé sa horde de salariés », a pour sa part lancé la socialiste Monique Lubin.
« Pendant 40 ans, vous avez acheté du pain le 1er-Mai, vous avez acheté du muguet le 1er-Mai, sans que cela ne vous pose aucun problème », lui a rétorqué Annick Billon, dénonçant une attitude « caricaturale » de la gauche.
Si le patronat soutient cette modification juridique, les syndicats opposent eux une fin de non-recevoir en bloc : dans un communiqué intersyndical publié mardi, ils ont appelé les sénateurs à s’opposer au texte. « Remettre en cause le principe de cette journée, c’est remettre en cause 100 ans d’histoire de lutte sociale », écrivent ainsi CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Solidaires et la FSU.
Des travailleurs sur le chantier de la station Villejuif-Gustave-Roussy de la ligne 14 du métro, le 18 janvier 2025. VALENTINE CHAPUIS / AFP
La société Eiffage a été condamnée, jeudi 3 juillet, par le tribunal de Bobigny à 200 000 euros d’amende pour avoir involontairement causé la mort d’un chauffeur de camion sur un chantier du Grand Paris Express en 2023.
Le 7 mars 2023 à 7 h 16, Franck Michel vient d’effectuer sa livraison sur le chantier de la gare du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) de la future ligne 16 du Grand Paris Express. Il replace la bâche latérale de son camion quand il est percuté à la tête par un colis de plus d’une tonne tombé d’un chariot élévateur.
Eiffage Génie Civil a comparu en juin à Bobigny en tant que personne morale, au côté d’un conducteur des travaux, pour cet accident du travail, l’un des cinq mortels recensés sur le colossal chantier des nouvelles lignes de métro automatique en banlieue parisienne.
Le tribunal a relaxé le conducteur de travaux du chef d’homicide involontaire, au motif qu’il n’avait pas commis de faute « caractérisée ou délibérée ». Le responsable n’était pas présent sur les lieux au moment du drame, mais en chemin vers la gare. Les juges ont, en revanche, estimé qu’en commettant une « faute simple », à savoir en ne transmettant pas le protocole de sécurité, il avait engagé « la responsabilité de la personne morale », son employeur, Eiffage.
Le parquet avait requis une peine d’amende de 300 000 euros contre Eiffage, en récidive, car déjà condamnée pour un autre homicide involontaire, et neuf mois de prison avec sursis, et 20 000 euros d’amende contre le conducteur des travaux.
A l’audience du 5 juin, l’entreprise essuie la colère d’une sœur de la victime : un groupe de BTP qui « brasse des milliards » devrait être « nickel » sur la sécurité, assène Karine Michel. « Je sais que vous ne vous êtes pas levés le matin en vous disant on va tuer quelqu’un (…) mais par vos manquements de sécurité, vous l’avez quand même tué », leur lance-t-elle.
Un comportement « disruptif »
La défense d’Eiffage avait fustigé le chef de chantier, absent du procès, le présentant comme l’« auteur direct de l’accident » en lui imputant un comportement « disruptif ». Elle avait insisté sur le fait qu’au lieu de faire décharger le camion à l’aide d’une grue, le chef de chantier s’était mis lui-même au volant d’un chariot élévateur – sans avoir suivi la formation adéquate – dont les fourches avaient été rallongées avec des poutrelles inadaptées, appartenant à un prestataire.
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Les chantiers du Grand Paris Express sont concernés par d’autres accidents mortels ainsi que par d’autres procès à l’encontre d’entreprises privées travaillant pour le projet. Les dirigeants d’une société sous-traitante ont été condamnés en mai à Bobigny à des peines allant jusqu’à deux ans de prison avec sursis pour la mort de l’ouvrier Joao Baptista Fernandes Miranda. En janvier 2022, ce salarié d’Eiffage avait été tué par la chute d’une plaque en acier sur le chantier de la future gare majeure de Saint-Denis-Pleyel.
Entre 2020 et 2023, l’inspection du travail a répertorié 18 accidents graves sur les chantiers du Grand Paris Express et le décès de Franck Michel est le quatrième accident mortel de ces travaux colossaux lancés en 2016.
Lors d’un « hackathon » organisé au ministère de la fonction publique en marge de la présentation de la stratégie gouvernementale pour l’IA dans le secteur public, à Paris, le 6 février 2025. LUDOVIC MARIN/AFP
De France Travail à la Caisse d’allocations familiales, en passant par l’éducation nationale ou les collectivités locales, l’intelligence artificielle (IA) est déjà très intégrée aux différents secteurs de l’action publique. Lutte contre la fraude, orientation des usagers, recrutement, agents conversationnels, les usages se multiplient. Et les transformations vont encore s’amplifier à l’avenir.
C’est pour cette raison que le centre de réflexion Le Sens du service public publie un rapport, jeudi 3 juillet, en partenariat avec la Fondation Jean Jaurès, intitulé « Le service public à l’épreuve de l’intelligence artificielle ». Alors que la fonction publique est déjà confrontée au développement et aux expérimentations de l’IA, le document appelle à la création d’un cadre politique clair pour que le sujet ne soit pas seulement appréhendé d’une manière technique et technologique.
« On voit bien que l’IA se développe de manière effrénée dans toutes les organisations,explique Johan Theuret, cofondateur du Sens du service public et coordinateur du rapport. L’objectif était d’essayer de voir s’il est possible de définir un mode de développement de l’IA qui soit respectueux des principes fondamentaux des services publics. » Souveraineté, soutenabilité écologique, respect de la démocratie… Autant d’enjeux qui réclament une vraie politique publique et une vision stratégique de long terme.
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Le professeur en sciences de gestion Lionel Honoré, codirecteur de l’ouvrage Le Management désenchanté. Erreurs, échecs et bullshit en management (EMS, 288 pages, 25 euros), dénonce « la diffusion d’un culte de l’individu » au sein de l’entreprise, valorisant le « manageur sachant » et niant l’expertise des collectifs de travail.
Votre ouvrage prend appui sur différentes études menées dans des secteurs d’activité variés. Que disent-elles du désenchantement du management ?
Prenons l’exemple du secteur médico-social. On y observe très clairement une dissonance, qui tend à s’accentuer, entre les discours et la brutalité de la réalité. Le travail y est considéré comme un objet noble, tourné vers les autres, dans des organisations où se multiplient les injonctions à un management collaboratif, participatif, bienveillant.
Mais, dans le même temps, on voit se déployer des outils de gestion de plus en plus brutaux, justement, qui confrontent les acteurs du secteur à une logique de tableaux de bord et de KPI, indicateurs-clés de performance. En conséquence, le management ne s’intéresse pas réellement au travail, à l’activité elle-même, mais bien davantage à la manière dont on peut, à partir de ce même travail, satisfaire des objectifs venant « d’en haut ».
Vous soulignez que, derrière les discours appelant à la bienveillance, c’est en réalité un management « autoritaire » qui s’impose.
Ce retour du management autoritaire est en effet une problématique fondamentale des organisations modernes. C’est un management qui explique comment le travail doit être réalisé, ce que doivent être ses objectifs… Il prétend savoir mieux que ceux qui « font », alors qu’il est en réalité de plus en plus « à distance », s’appuyant avant tout non sur une fine connaissance du terrain, mais sur des outils de gestion qui l’en éloignent.
Qu’est-ce qui sous-tend de telles évolutions ?
Il y a, bien sûr, la financiarisation de l’économie, qui se traduit par une tendance à la « gestionnite » : la mise en coupe réglée du travail par des outils de gestion s’appuyant sur des objectifs financiers déconnectés de la réalité du terrain.
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Pour être supportable, la vie de bureau exige un minimum de créativité conversationnelle. Quand vous rentrez dans un ascenseur, il faut être capable de rebondir sur un petit détail pour briser la glace et huiler la mécanique des rapports sociaux. En période de canicule, cette mécanique est réduite à sa plus simple expression. Accablés par les températures, on se regarde d’un air liquéfié : « Fait chaud, non ?! » Ben ouais, fait chaud.
Comme l’a expliqué le sociologue américain Erving Goffman (1922-1982), nos comportements se déploient dans un enchâssement de cadres naturels et sociaux. Pour être en mesure de tenir une conversation d’open space potable, il faut que nos variables vitales soient en état de fonctionner, et c’est pour cette raison que les phénomènes climatiques n’induisent pas tous les mêmes discours.
Le froid est piquant et permet tout un tas de variations. Il fait naître la perspective de contre-mesures – un chocolat fumant, la ressortie de sa plus belle doudoune sans manches – qui sont autant d’occasions de partager un bon mot. La chaleur, elle, annihile toute velléité de créativité dialogique et nous fait toucher du doigt l’inhabitabilité de notre monde. Il n’y a plus de glace à briser (tout a fondu). On perçoit, dans le « fait chaud », un mélange curieux de dépit et de redécouverte, qui traduit l’ampleur de notre déni climatique. Le réchauffement, on le met sous le tapis pendant l’hiver, on part en avion se revigorer aux antipodes, en espérant slalomer au mieux entre les pics de chaleur l’été venu. Mais une fois que le « fait chaud » est là, c’est notre « devenir-cadavre » et celui de nos enfants qui nous saute à la figure.
Dans ce climat (suffocant), on tente néanmoins de positiver. L’avantage du « fait chaud », pourrait-on penser de prime abord, c’est qu’il traduit un unanimisme des ressentis. On aurait tous identiquement chaud, on serait enfin tous d’accord. Il n’y a rien de plus faux. Comme beaucoup de choses en entreprise, la température est l’objet d’une bataille concrète et symbolique, voire d’une forme d’appropriation. Le « fait chaud » s’est ainsi doublé d’un discours parallèle de la part des mecs se plaignant de ne pas pouvoir porter de short (j’en sais quelque chose, j’ai fait un article-manifeste à ce propos il y a quinze jours).
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