Anthony Smith, l’inspecteur qui faisait trop bien son travail

Anthony Smith, l’inspecteur qui faisait trop bien son travail

Anthony Smith, à Châlons-en-Champagne, le 19 septembre 2022.

Le caillou dans la chaussure du ministère du travail depuis plus de deux ans est un fonctionnaire aux airs de M. Tout-le-Monde, aimable et grisonnant. L’inspecteur du travail Anthony Smith a été suspendu mi-avril 2020, puis muté d’office, pour avoir saisi la justice face à un employeur qui ne protégeait pas assez ses salariées contre le Covid-19. « Ubuesque », « digne d’un polar de seconde zone », assène-t-il aujourd’hui.

Echaudé par son bras de fer avec sa tutelle, l’agent, 47 ans, précise qu’il s’exprime au titre de responsable syndical CGT au ministère du travail, mandat qui lui procure une certaine liberté de parole. Précaution utile, car le dossier est hautement politique : l’affaire a débuté lorsque Muriel Pénicaud était à la tête du ministère, mais la sanction s’est abattue après qu’Elisabeth Borne, actuelle première ministre, lui a succédé.

La Rue de Grenelle a vite rétropédalé, allégeant sa sanction pour tenter d’enterrer le dossier. Mais l’opposition ne cesse de le lui rappeler. Le 28 septembre, Anthony Smith demandera au tribunal administratif de Nancy d’effacer sa peine. Son comité de soutien, coprésidé par deux députés La France insoumise, Mathilde Panot et Thomas Portes, fait déjà monter la pression sur les réseaux sociaux. Des élus de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) ont prévu de l’accompagner à l’audience, comme les chercheurs, les militants syndicaux ou associatifs qui font bloc autour de lui : depuis 2020, Anthony Smith opère l’union de la gauche à lui tout seul. Ses partisans voient en lui l’incarnation d’une inspection du travail malmenée par les impératifs économiques.

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Entré dans le métier en 2005, Anthony Smith explique son choix de carrière par le parcours de ses parents. Son père, ouvrier, et sa mère, institutrice, lui ont transmis l’idée que « le travail est la seule façon de s’élever socialement ». Mais leur exemple l’a aussi structuré politiquement, à gauche. « J’ai vu ce qu’était le travail d’un ouvrier, cela m’a construit. » Il découvre que l’entreprise est un lieu de rapports de force qui appelle des contre-pouvoirs. L’inspection du travail en est un. Anthony Smith aime à rappeler que la loi qui l’a créée, en 1892, a interdit le labeur des enfants de moins de 13 ans et celui des femmes dans les mines.

Au service du code du travail

Après quelques années comme professeur d’économie, il devient un « observateur privilégié » autorisé à entrer dans les entreprises pour y faire appliquer le code du travail et ses « grandes conquêtes sociales ». Dans la Marne, où il est affecté, le gros du boulot est administratif : « échanges, observations, demandes de mise en conformité ». La coercition – procès-verbaux, arrêts d’activité en cas de danger grave et imminent… – vient en dernier recours. Le métier n’en reste pas moins politique. « Etre le bras gauche de l’Etat », « servir le code », il l’assume et en fait sa fierté. Comme d’être syndiqué depuis ses 18 ans, à l’UNEF, le syndicat étudiant, puis à la CGT, même s’il assure « dissocier [s]on travail de [s]on action militante ».

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LJD

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