Accidents du travail : des morts invisibilisés

Accidents du travail : des morts invisibilisés

Carnet de bureau. « J’ai écouté les récits glaçants des accidents d’Adrien, de Xavier, d’Anthony, de Raphaël, d’Yves, de Nicolas… Que serais-je si je restais de marbre devant le combat de ces hommes aux corps abîmés à jamais ? », interroge Eric Louis, dans un récit rageur mais revigorant de plus de trente ans de parcours professionnel dans la précarité (Mes trente (peu) glorieuses, Les Imposteurs).

Les rambardes branlantes, les interventions aventureuses sur des toits d’usine ou dans des silos de céréales de la Marne, les opérations de maintenance évitées par petite économie ou pour gagner du temps ont provoqué autant de morts ou de blessures graves. « Pour beaucoup, ce bilan se résume à quelques chiffres dans des cases. Qu’il me soit pardonné d’y voir bien autre chose. » L’intérimaire Eric Louis parle de dignité dans le monde du travail.

En 2019, en France, 733 salariés sont morts dans un accident du travail, soit en moyenne quatorze par semaine (hors accidents de trajet), avec une surreprésentation chez les jeunes (plus nombreux dans les secteurs à risques), les hommes (le partage des risques est genré), les intérimaires (mal formés, mal équipés), dans les secteurs de la santé et du nettoyage.

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Même si le témoignage d’Eric Louis est un portrait à charge du secteur de l’intérim, peu flatteur pour les employeurs, il n’entreprend pas de fustiger un secteur ou une entreprise en particulier, mais de comprendre comment la mort d’un individu peut être réduite aux pertes et profits de l’activité économique et invisibilisée par sa relégation à la rubrique « faits divers ».

Dès les premiers incidents

Pourquoi ce problème structurel reste au second plan ? La sociologue Véronique Daubas-Letourneux, qui postule qu’« au-delà des drames individuels et des indicateurs chiffrés les accidents du travail sont un fait social », tente d’y répondre dans son ouvrage Accidents du travail. Des morts et des blessés invisibles (Bayard), à paraître ce mercredi 29 septembre. Car c’est bien d’invisibilité qu’il s’agit : qui associe la prochaine Coupe du monde de football au Qatar aux accidents du travail ? Et, pourtant, 6 500 travailleurs y seraient morts sur les chantiers, selon une enquête du Guardian (« Revealed : 6 500 migrant workers have died in Qatar as it gears up for World Cup »). Un bilan contesté par le Qatar.

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En France comme au Qatar, « l’accident questionne les rapports sociaux (…), inscrits dans une organisation du travail et de l’emploi qui dépasse le seul cadre de l’entreprise », explique la sociologue.

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LJD

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