Archive dans janvier 2025

Isabelle Hornecker, psychologue du travail, et Marie Tognazzi, avocate : « La définition du harcèlement moral reste méconnue en entreprise »

Coautrices de l’ouvrage Harcèlement moral et sexuel au travail (Afnor Editions), la psychologue du travail Isabelle Hornecker et l’avocate Marie Tognazzi rappellent que, face au risque de harcèlement moral, l’employeur a une obligation de prévention.

Quel est, aujourd’hui, l’état des connaissances sur la question du harcèlement moral au sein des entreprises ?

Isabelle Hornecker : On constate un réel déficit à ce niveau. La définition du harcèlement reste méconnue. Beaucoup de professionnels mis en cause n’ont d’ailleurs pas conscience de harceler. C’est par exemple le cas de manageurs qui isolent volontairement un salarié qu’ils n’estiment pas assez compétent pour un poste – une situation qu’on retrouve fréquemment dans les enquêtes pour harcèlement moral. Une mécanique peut alors se mettre en place pour tenter de le faire partir : ne pas lui donner de travail, ne plus communiquer avec lui, ne pas le convier aux réunions.

Certains de ces encadrants ne comprennent pas le lien établi : « Comment voulez-vous que je le harcèle, cela fait six mois que je ne lui parle plus », a pu me dire l’un d’entre eux. Ces faits peuvent pourtant constituer une situation de harcèlement, au même titre que les critiques incessantes d’un manageur sur le travail accompli par un collaborateur ou le dénigrement visant à salir l’image d’un salarié.

Marie Tognazzi : La méconnaissance vient également d’une confusion entre la définition pénale du harcèlement, et celle issue du code du travail. Au pénal, il faudra démontrer l’intention de la personne mise en cause – sa volonté délibérée de faire subir des agissements de harcèlement – pour aboutir à une condamnation. Ce n’est pas le cas dans le code du travail. Devant une juridiction prud’homale, l’intention de l’auteur indiffère, seuls ses agissements comptent. La lumière est mise sur le salarié, sur ce qu’il vit et les conséquences des actes commis sur ses conditions de travail, l’évolution de sa carrière, sa santé, ses droits, sa dignité.

Il vous reste 70.03% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Comment profiter de l’épargne salariale

C’est le troisième produit d’investissement en en-cours préféré des Français, après le Livret A et l’assurance-vie. La moitié des salariés du pays bénéficient de l’épargne salariale par le biais de deux mécanismes principaux : l’intéressement et la participation, qui génèrent 90 % des montants consacrés à ce placement en 2022.

La participation consiste en la redistribution d’une partie des bénéfices de l’entreprise à ses salariés, quand l’intéressement permet de les récompenser quand les objectifs de la société sont atteints. Ce dernier, dont la mise en place est facultative, concentre 46,5 % des montants, tandis que la participation, obligatoire dans les entreprises de plus de cinquante salariés, représente 43,5 % des sommes consacrées à l’épargne salariale. Les 10 % restants correspondent aux abondements de l’entreprise quand le salarié verse ses avoirs personnels en épargne salariale ou retraite.

Dans le cas où l’entreprise verse de la participation, les salariés peuvent demander à la percevoir immédiatement. S’ils la placent, les fonds sont bloqués de cinq à huit ans, en fonction de l’accord noué sur le sujet, et hors situation de déblocage exceptionnel comme la rupture du contrat de travail ou l’achat d’un logement.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Comment les Français gèrent-ils leur épargne salariale ?

L’entreprise mandate un gestionnaire d’actifs pour s’occuper de ces fonds et offrir différents supports de placement aux bénéficiaires. En France, ce secteur est extrêmement concentré : Amundi (Crédit agricole) et Natixis (BPCE) se partagent deux tiers des en-cours d’épargne, selon les données recueillies par l’association écologiste Reclaim Finance.

« Un système de poupées russes »

Le nombre de fonds proposé dépend de ce que demande l’entreprise, après la consultation ou non des syndicats. « En moyenne, les dispositifs d’épargne salariale et retraite proposent huit supports d’investissement distincts. Cela peut varier de cinq supports jusqu’à une trentaine », détaille Catherine Leroy, directrice épargne salariale et retraite chez Amundi. La branche du Crédit agricole propose par exemple des fonds actions classiques et d’actionnariat salarié, de l’obligataire, du monétaire ou des fonds diversifiés.

Il vous reste 37.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Au bureau, dans la jungle « corporate », osez le mug assertif

Sans trop de risque de se tromper, on peut imaginer que « Je repars à mon poste, j’ai oublié mon mug » sera une des phrases les plus prononcées à la cafète en 2025. Ces dernières années, cet objet qui résume la vie de bureau à lui tout seul a acquis un nouveau statut, alors que le gobelet se voyait progressivement marginalisé pour des raisons écologiques. Ainsi, au Monde, de petites affichettes ont fleuri à côté des distributeurs automatiques, vantant la « prime à la tasse » (oui, les journalistes adorent faire des jeux de mots). Si vous venez jusqu’à la machine avec votre contenant perso, le café vous coûtera moins cher. Et vous aurez fait un petit pas pour vous éloigner de l’orbite mortifère du « tout-jetable ». Le mug fait d’ailleurs partie des bonnes pratiques mises en avant par l’association No Plastic In My Sea, qui promeut le #NoPlasticChallenge.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Work in progress : la grande débandade du retour au bureau

Véritable doudou pour adultes, il figure un semblant de solution à une situation (la pollution dantesque de l’environnement) qui semble ne pas avoir de solution et permet de continuer à bosser en éloignant un peu le spectre paralysant de la dégradation des écosystèmes.

Accessoire indispensable du petit colibri de bureau, ce godet réconfortant et souvent tapissé de vieux résidus de boisson peut aussi servir, à l’occasion, d’instrument de greenwashing à échelle individuelle. Pendant que vous déambulez dans les espaces communs avec votre mug « Save Our Planet », personne n’ira imaginer que vous avez pris l’avion pour aller faire du Jet-Ski sur la Riviera mexicaine lors de vos dernières vacances. Comme le précise le site de la société Ope Five, qui commercialise des goodies et des cadeaux d’entreprise, le mug est un médium puissant, possédant un « fort pouvoir de visibilité ».

Autodérision

Parfois, ce sont les sociétés elles-mêmes qui en équipent leurs salariés, moyen habile de renforcer le sentiment d’appartenance. Dès 2016, Le Gorafi anticipait la tendance avec un article parodique titré : « Ce patron redonne un sens à la vie de ses employés en leur offrant un mug aux couleurs de l’entreprise. » Pour vous éviter de vous faire déposséder de votre espace d’expression, on vous conseille d’opter pour un contenant à message personnalisé, qui pourra devenir un véritable support de marketing personnel (voire un inconscient à ciel ouvert).

Il vous reste 37.4% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partage de la valeur : les petites entreprises sont mal préparées à leur nouvelle obligation

Associer davantage les salariés des TPE-PME aux performances de leur entreprise. Depuis le 1er janvier, les entreprises de 11 à 49 salariés sont – au même titre que les plus grandes – concernées par la loi du 29 novembre 2023, transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur, conclu entre les partenaires sociaux le 10 février 2023.

Sont-elles prêtes ? Rien n’est moins sûr, car selon une étude IFOP pour Primeum, cabinet spécialisé en rémunération variable, 57 % des chefs d’entreprise de 11 à 49 salariés ignorent être concernés par cet élargissement du dispositif. Pire : un tiers des dirigeants déclarent même n’en avoir jamais entendu parler. « Ce ne sera pas le grand soir du partage de la valeur, avertit Mathieu Chauvin, président du groupe Eres, qui accompagne les entreprises sur les sujets d’épargne salariale, retraite et actionnariat salarié. Mais la loi va permettre d’installer progressivement une culture du sujet dans les petites entreprises. » D’après l’association française de gestion (AFG), cette loi pourrait toucher 1,5 million de salariés.

Le dispositif, qui concerne les TPE-PME réalisant un bénéfice net fiscal égal à au moins 1 % du chiffre d’affaires pendant trois années consécutives – 2022, 2023 et 2024 –, est expérimental pour cinq ans. Mais « aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect, s’étonne Déborah Fallik, avocate en droit social et associée chez Redlink Avocats. Or, culturellement, les petites entreprises n’ont que rarement mis en place de tels dispositifs, car elles les jugent contraignants. »

« Des choses simples »

Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) chargé des affaires sociales, n’est guère surpris par la méconnaissance des chefs d’entreprise, qui « ont le nez dans le guidon », mais il rappelle l’esprit de l’ANI : « Face au problème des trappes à bas salaires et au manque de perspectives de carrière, nous avons souhaité proposer des choses simples. L’entreprise est une aventure collective et non individuelle. Si une entreprise est bénéficiaire pendant trois ans, il serait choquant que ses salariés n’en profitent pas. »

Il vous reste 62.91% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Activités sociales du CSE : 2025, année du changement

Droit social. Il est une particularité du droit français d’avoir, en 1945, établi au profit de la représentation élue du personnel dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le comité d’entreprise, devenu comité social et économique (CSE). Il est doté d’un monopole de gestion des œuvres sociales, dénommées depuis 1982 « activités sociales et culturelles » (ASC). Il dispose pour cela d’un budget versé essentiellement par l’entreprise.

A la liste non exhaustive de l’article R. 2312-35 du code du travail, les élus peuvent collectivement décider d’autres activités. On citera par exemple les chèques culturels, les chèques-vacances, des bons d’achat de subventions, de l’activité sportive, voire des cadeaux aux enfants de salariés à certaines occasions.

En droit des cotisations sociales, par principe, ces sommes ou avantages en nature versés par le CSE à un salarié en contrepartie ou à l’occasion d’un travail sont soumis à cotisations et contributions sociales sauf s’il s’agit d’un « secours », donc sous conditions de ressources ou d’une indemnité. Par « tolérance », en application de l’instruction ministérielle du 17 avril 1985, les prestations en lien avec les activités sociales et culturelles du CSE sont exonérées jusqu’à un certain niveau – lui-même différent selon chaque activité – de cotisations et contributions sociales.

Le bénéfice de l’exonération est donc lié à la définition des activités sociales et culturelles. L’article L. 2312-78 du code du travail dispose que « les activités sociales et culturelles [sont] établies dans l’entreprise prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires (…) ».

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Comité social et économique : refondation ou continuité ?

La Cour de cassation avait, en 1975 déjà, donc bien avant la codification de la notion, défini « l’œuvre sociale » (donc l’ASC) comme « toute activité non obligatoire légalement, quels qu’en soient sa dénomination, la date de sa création et son mode de financement, exercée principalement au bénéfice du personnel de l’entreprise, sans discrimination, en vue d’améliorer les conditions collectives d’emploi, de travail et de vie du personnel au sein de l’entreprise ».

Il vous reste 37.98% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« C’est un métier ! » : les cordonniers espèrent remonter la pente, une fois de plus

C’est probablement l’une des professions le plus souvent associées au passé : un petit atelier en centre-ville, de vieux outils et des étagères pleines de chaussures en cuir. Les cordonniers ont presque disparu : de 20 000 à 30 000 dans les années 1950-1960, ils étaient près de 5 000 en 2023. Mais l’histoire de ceux qui réparent, recollent ou reprisent les chaussures n’en est pas à sa première turbulence.

Face à l’émergence des chaussures bon marché dans les années 1980, les cordonniers ont su ajouter une panoplie de services pour compléter leur chiffre d’affaires et maintenir leur commerce : vente de chaussures, de tampons encreurs, doubles de clés, gravure de plaques d’immatriculation, piles, plus récemment relais colis… Ce qui a donné à ce métier son nom officiel : cordonnier multiservices.

« Dans les années 2000, la baisse s’est stabilisée, explique Jean-Pierre Verneau, président de la Fédération française de la cordonnerie. Il y a eu un regain d’intérêt pour la réparation, une évolution dans les colles et matières premières, les cordonniers ont commencé à prouver qu’ils pouvaient aussi réparer des baskets et des sneakers. »

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Franck Bourgogne, un cordonnier bien dans ses chaussures

Les cordonniers sont ainsi en permanente adaptation à la demande, d’autant plus ces dernières années : « J’avais analysé qu’il y avait une très forte demande dans le sport et le matériel de montagne », explique Clément Boutry, qui a ouvert sa boutique en 2019 à Chambéry. Il voit passer trois types de clients : « Des personnes âgées qui ont toujours eu l’habitude, des gens de 40-50 ans ayant des enfants à l’école, qui les poussent vers la réparation, et de plus en plus de moins de 30 ans qui achètent de l’occasion, et sont prêts à investir plus que le prix de l’occasion. »

Revaloriser l’image auprès des jeunes

Certains métiers hybrides en plein essor font appel aux compétences du cordonnier : Sophie Moyeux, qui a fait un stage chez Clément Boutry, a ouvert une boutique à Chambéry où elle répare des vêtements techniques, des sacs à dos ou des tentes. Elle sort de la première promotion « réparateur de matériel outdoor », un nouveau métier créé par l’AFPA de Drôme-Ardèche. « Je ne fais pas de ressemelage de chaussures, mais comme le cordonnier je sais réparer un zip sur des chaussures de ski de fond, illustre-t-elle. On apporte une spécificité, et on peut se renvoyer des clients avec les cordonniers purs, en tout cas la demande est là. »

Il vous reste 47.99% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La semaine de quatre jours, le grand malentendu

« Ça va vous sembler anecdotique, mais j’ai enfin remonté le placard de la cuisine. Du bricolage que je repoussais depuis des semaines… Ne plus travailler le vendredi, ça m’a changé la vie : j’ai du temps pour moi, pour la maison, pour mes enfants. » Pour rien au monde Benjamin Granier, responsable de l’environnement de travail chez Numix, une petite entreprise de logiciels à Marssac-sur-Tarn (Tarn), ne reviendrait à la semaine de cinq jours. Depuis qu’il s’arrête le jeudi soir, il revit. « Avec trois jours de repos d’affilée, je déconnecte complètement », constate-t-il. Jean-Claude Chaix, acheteur pour l’entreprise d’e-commerce LDLC, ne dit pas autre chose. « Clairement, j’en fais moins. Parfois, on est jeudi midi et je suis déjà en week-end. Je ne me sens plus crevé », explique ce Lyonnais. « Moi, j’ai choisi le mercredi en jour off. En pleine semaine, c’est une vraie coupure, s’enthousiasme Latifa Lefebvre, qui dirige une agence Adecco à Valenciennes (Nord). J’ai repris un abonnement à la piscine et au fitness. »

Du temps libre, quoi de plus précieux dans une société où tout est chronométré et contraint ? « La principale aspiration des salariés est de dégager du temps pour soi, rappelle la sociologue Sandra Hoibian. La période Covid a été l’occasion d’une introspection pour les salariés. L’analyse de la consultation citoyenne [« Equilibre de vie personnelle-vie professionnelle », pilotée par le Conseil économique, social et environnemental] publiée en avril 2024 révèle que la moitié des actifs ne veulent pas que le travail empiète sur leur vie privée. »

Il vous reste 85.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le temps partiel subi recule

C’est une bonne nouvelle pour les salariés : à l’instar du chômage, le travail à temps partiel (TTP) subi a régressé ces dernières années. « En 2023, 24,4 % des salariés à temps partiel déclarent l’être principalement faute d’avoir trouvé un emploi à temps complet, contre 28,2 % en 2021 », constate Fouad Amar, chargé d’études à la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, et coauteur avec Sonia Makhzoum de cette enquête. La Dares tire ce chiffre des statistiques de l’Insee, qui interroge chaque année environ 200 000 personnes de 15 ans ou plus en France (hors Mayotte) sur leur situation professionnelle.

Pour autant, les auteurs de l’étude de la Dares se défient de « la dichotomie subie/choisie » concernant le TTP, sachant que certains choix en ce domaine s’exercent sous contrainte. Un salarié peut en effet refuser un temps plein pour raisons de santé ou parce qu’il est obligé de s’occuper de ses proches. Quoi qu’il en soit, ce « chiffre noir » du temps partiel subi explique que les syndicats de salariés considèrent souvent le TTP avec suspicion.

L’analyse du profil des salariés concernés révèle de fortes disparités par âge et sexe, avec une constante : tout au long de leur vie professionnelle, les femmes optent plus souvent pour cette formule que les hommes. Cet écart reflète les stéréotypes de genre qui influencent les choix de carrière, sachant que « les métiers dits féminisés se pratiquent plus souvent à temps partiel », rappellent Fouad Amar et Sonia Makhzoum.

Faute de trouver un temps complet

Les pics interviennent aux deux extrémités de la pyramide des âges : 26 % des salariés de 15 à 24 ans et 24,8 % des plus de 55 ans travaillent à temps partiel. Pour les jeunes des deux sexes, le TTP permet souvent de financer leurs études, de gagner de l’argent de poche ou de se constituer une première expérience faute de pouvoir décrocher immédiatement un temps complet.

Il vous reste 52.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.