Archive dans 2024

Intelligence artificielle : « Y aura-t-il suffisamment de travail pour tout le monde dans quelques années ? »

Alfred Sauvy [1898-1980], économiste, sociologue et démographe français, est célèbre entre autres pour sa théorie du déversement présentée dans son ouvrage La Machine et le Chômage. Le progrès technique et l’emploi [Dunod, 1980]. Selon cette théorie, la population active du secteur primaire, l’agriculture, se transfert historiquement (se « déverse », dit-il) vers le secteur secondaire, l’industrie, puis vers le secteur tertiaire, les services.

Ce « déversement » est un effet des gains de productivité dégagés par le progrès technique et la mécanisation qui ont touché en premier lieu l’agriculture à la fin du XVIIIe siècle. La force de travail est remplacée par les machines (plus rapides, plus puissantes, plus productives), ce qui permet d’accroître le rendement agricole et donc le volume des récoltes.

Les gains de productivité vont permettre de baisser les prix, d’augmenter les salaires et les profits et d’accroître le pouvoir d’achat des consommateurs, qui vont pouvoir déplacer leur consommation vers l’achat d’équipements pour la maison, pour se vêtir, pour se déplacer, donc vers les produits de l’industrie.

Les paysans quittent les champs (car l’emploi y devient plus rare) pour la ville et travaillent dans les usines en plein essor du fait de la révolution industrielle. Il y a donc bien eu un déversement de la main-d’œuvre agricole vers le secteur secondaire, berceau du fordisme.

Plus grande qualification

Puis vient le déversement des emplois industriels vers les services à partir du milieu des années 1970, quand s’affirme la tertiarisation de l’économie. Là encore, les emplois sont détruits dans l’industrie, en particulier les emplois à faible niveau de qualification. En revanche, les nouveaux emplois créés sont toujours d’une plus grande qualification car ils accompagnent le progrès technique : besoin d’emplois pour la maintenance et l’évolution de la mécanisation, emplois de contrôle, de réglage et de surveillance des machines, emplois dans l’informatique et la gestion des réseaux…

Sauvy précise toutefois qu’il existe des obstacles au déversement car « les emplois créés ne sont identiques ni en nature ni en nombre aux emplois détruits », ce qui pose le problème de la reconversion des travailleurs victimes du progrès technique.

L’émergence de l’intelligence artificielle (IA) vient cependant « refroidir » aujourd’hui la thèse optimiste de Sauvy, selon lequel l’emploi détruit par le progrès technique donne naissance à de nouveaux emplois mieux qualifiés. Et ceci pour quatre raisons.

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Pour Marie, généraliste, et Richard, urgentiste, la téléconsultation permet d’échapper au statut de médecin traditionnel

Médecin généraliste depuis dix ans, Marie (les prénoms ont été modifiés), 36 ans, n’a jamais eu envie d’ouvrir un cabinet. Elle assure des remplacements dans la région lyonnaise, et consacre quelques heures par semaine à la téléconsultation.

Salariée d’une plate-forme, elle y gagne entre 300 et 700 euros par mois. « C’est un complément de salaire », reconnaît-elle. Et Marie décide de ses horaires : « Je m’organise selon mes disponibilités : quand je fais un remplacement et qu’il n’y a pas grand monde en cabinet, ou que des patients n’honorent pas un rendez-vous, je me connecte à la plate-forme. Parfois aussi, j’assure quelques heures le soir en semaine ou le samedi matin depuis chez moi. »

De l’autre côté de l’Atlantique, Richard, 44 ans, est urgentiste salarié dans un hôpital situé dans une petite île des Antilles françaises, et dégage de « 800 euros à 1 000 euros » presque tous les mois en profitant également de moments creux : « J’ai des astreintes deux jours par mois au cours desquelles il ne se passe pas forcément grand-chose. J’en profite pour assurer quelques rendez-vous sur la plate-forme. »

Tous les deux connaissent les limites de l’exercice. « On dépanne des patients qui n’ont pas de médecin traitant ou qui ne veulent – ou ne peuvent – pas attendre un rendez-vous. Avec un bon interrogatoire, on peut faire un bon diagnostic, et c’est toujours mieux qu’une automédication, explique Marie. Mais, dans la plupart des cas, je dis au patient d’aller consulter si ça ne va pas mieux le lendemain, car l’examen clinique reste quand même prioritaire. »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La télémédecine s’enracine et, avec elle, la régulation du secteur

« Renouvellement de pilule, rhino-pharyngite… C’est de la médecine de base, renchérit Richard. Mais je me vois comme un premier recours : pour une otite, par exemple, je vais donner un antalgique pour soulager la douleur en attendant que le patient puisse aller voir son médecin»

Si Marie a adopté cette formule, c’est aussi pour la sécurité qu’offre la consultation à distance, car elle s’est parfois sentie menacée dans des cabinets par des patients à qui elle refusait un arrêt ou une prescription : « Derrière l’écran au moins, je ne redoute pas l’agression. » Un autre avantage, selon elle, réside dans le fait de ne pas trop s’investir vis-à-vis des patients : « Ne pas gérer mon propre cabinet allège ma charge mentale, je ne vois les patients qu’une seule fois, je n’ai pas à les suivre et leurs problèmes ne me poursuivent pas quand je suis en congés. »

Pour les deux professionnels, cette prise de distance vis-à-vis de l’exercice traditionnel résulte aussi d’un regard très sombre porté sur le statut de médecin en France. Richard a passé plus de dix ans à l’hôpital en métropole et dit avoir souffert de conditions de travail difficiles et d’un manque de reconnaissance financière. Marie juge aussi que « le médecin traitant n’est pas respecté » par les pouvoirs publics, qui, dit-elle, paient mal : « 26,50 euros la consultation, c’est une insulte à la fonction et à mes compétences. » Par les patients, aussi, qui « viennent parfois chez nous faire leurs courses de médicaments, comme ils iraient au supermarché ».

En Savoie, la famille Rittaud, fine lame de la boucherie depuis quatre-vingts ans

René Rittaud finit patiemment de détacher le gras des morceaux de viande dans la marmite de choucroute. Depuis l’ouverture du magasin, à 7 h 30, l’imposante cocotte mijote dans le spacieux laboratoire de la boucherie de Fourneaux (Savoie). Ses 78 ans et des soucis de santé ne l’ont pas résolu à déposer son tablier. Voilà plus de cinquante-cinq ans qu’il a déménagé dans ce village proche de Modane la boucherie que ses parents, Joanny et Paulette, avaient fondée, en 1945, en Haute-Savoie.

Il l’a à son tour transmise, en 2004, à son fils Lionel et à sa belle-fille Mathilde, tout en continuant à les aider. En 2012, Alexis, le fils aîné du couple qui, à 10 ans, « venait déjà aider à préparer des saucisses », a rejoint l’entreprise. Sur quatre générations, les quatre-vingts ans d’histoire de cette lignée de bouchers racontent l’évolution de la profession, du petit commerce et d’habitudes de consommations.

Quand Joanny, décédé depuis, ouvre sa propre boucherie en 1945, la France est en pleine reconstruction économique. « A l’époque, ils pouvaient ouvrir un magasin et juste en vivre », relate Lionel. « Il y avait moins de contraintes de charges, de réglementation, d’emprunt que maintenant », estime celui qui a appris très jeune le métier auprès de son père et de son grand-père.

Lionel Rittaud réajuste le tablier de son fils Alexis, dans la boutique de la boucherie familiale, à Fourneaux (Savoie), le 29 septembre 2023.

Lorsque René et sa femme Josiane emménagent, à la fin des années 1960, à Fourneaux, ils vivent au-dessus de la boutique, lèvent le rideau de leur commerce à 5 heures, restent ouverts le midi et le dimanche matin. Avec Joanny, ils utilisent leur journée de repos du lundi pour aller récupérer les bêtes chez les éleveurs du coin et s’occuper de leur abattage. « Si on ne s’arrêtait pas boire un coup, les gars n’étaient pas contents ! », se rappelle René.

Lionel Rittaud replace une ancienne photo familiale exposée dans la boucherie, à Fourneaux (Savoie), le 28 septembre 2023.
Sur le présentoir de la caisse de la boucherie Rittaud, des boules à neige à l’effigie de la maison penchée de Modane, lieu touristique de la vallée de la Maurienne. A Fourneaux (Savoie), le 29 septembre 2023.
Trophées et récompenses de différents jeunes apprentis et bouchers passés par l’entreprise familiale exposés à la boucherie Rittaud, à Fourneaux (Savoie), le 28 septembre 2023.

Lionel, 52 ans, a gardé l’habitude d’aller rencontrer les éleveurs. Il rentre tout juste ce 28 septembre 2023 d’une randonnée à vélo dans la vallée de la Maurienne sur un itinéraire choisi en fonction des troupeaux à voir. Le boucher aime aller observer sur place comment se portent les animaux et prendre le pouls de l’éleveur.

Mathilde Rittaud, sur le parking de la boucherie familiale, à Fourneaux (Savoie), le 29 septembre 2023.

Son quotidien de boucher est pourtant bien différent de celui de ses aïeuls. Sa petite entreprise est passée, en vingt ans, de trois à neuf salariés, se fait maintenant livrer directement les carcasses de viande qui sont découpées sur place, et reste fermée deux jours par semaine, le dimanche et le lundi. « Mon père et mon grand-père ne pensaient et ne vivaient que pour le travail, se rappelle Lionel. Nous aussi, mais vie de famille et vie professionnelle sont deux lieux distincts. »

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Apprentis : La reconduction de la prime à l’embauche jusqu’à bac + 5, une fausse bonne idée ?

6 000 euros : c’est le montant de la prime versée pour la première année d’embauche d’un apprenti de moins de 30 ans jusqu’à bac + 5, ouverte à tous les employeurs, et ce sans condition quand il s’agit de petites et moyennes entreprises. Une prime généreuse, mise en place en 2020 durant le Covid-19, et que l’Elysée s’est engagé à reconduire jusqu’à la fin du quinquennat.

Annoncé fin décembre 2023, ce cadeau de Noël a de quoi satisfaire toutes les parties prenantes de l’apprentissage, un écosystème désormais bien huilé. Les entreprises pourront continuer à recruter à moindres frais, les centres d’apprentissage et écoles qui se sont développés s’appuyant sur ce dispositif pour remplir leurs classes.

Quant aux alternants qui naviguent entre ces deux mondes durant leur parcours, ils sont également gagnants. Ils ne déboursent quasiment plus de frais de scolarité, l’agence d’Etat France Compétences réglant l’essentiel de la facture avec les employeurs, et ils perçoivent un salaire. Ceux qui préparent un diplôme de niveau bac ou moins améliorent significativement leurs chances d’insertion professionnelle et de recrutement à l’issue de leur apprentissage.

La promotion sociale par l’apprentissage

Ces atouts expliquent l’engouement pour l’apprentissage, qui concernait 1 017 500 élèves et étudiants dans l’enseignement secondaire et supérieur en octobre 2023 selon le ministère du travail. Soit une hausse de 6,2 % par rapport à fin octobre 2022, contribuant à la hausse du taux d’emploi des moins de 30 ans et à la baisse du chômage dans cette population.

Mais, en 2022, 80 % de la hausse des embauches d’apprentis enregistrée depuis 2018 (+ 460 000) était liée à cette aide, apprend-on dans une étude de Bruno Coquet, un économiste rattaché à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Or, la prime reconfigurée en 2023 « se caractérise encore par un coût budgétaire très élevé », souligne ce spécialiste de l’emploi.

Alors, faudrait-il resserrer cette aide à l’embauche ? Non, estime l’association Walt, qui regroupe les acteurs de l’alternance. On y trouve notamment les entreprises du conseil, de l’ingénierie et de l’informatique, qui bénéficient largement de cette prime grâce au recrutement d’apprentis en master et militent pour le statu quo. Des études commandées par Walt mettent en évidence le rôle de promotion sociale par l’apprentissage pour les étudiants d’origine modeste. En l’état, le système rapporterait plus qu’il ne coûte aux finances publiques. Ainsi, il ne faudrait pas toucher à la prime.

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La SNCF face à des tensions sur les effectifs et les salaires

Dans la gare Montparnasse, à Paris, le 2 décembre 2022.

Alors que la grève des conducteurs de train en Allemagne paralyse le trafic ferroviaire outre-Rhin pour trois jours, du 10 au 13 janvier, les syndicats de la SNCF se sont réunis mercredi 10 janvier. Les quatre organisations s’étaient promis de se retrouver pour évoquer la suite à donner aux négociations annuelles obligatoires sur les salaires de novembre 2023. Elles ont débouché sur une hausse moyenne de rémunération de 4,6 % pour l’année 2024. Insuffisant pour la CGT et SUD-Rail, qui n’ont pas signé l’accord. Acceptable pour l’UNSA et la CFDT, qui l’ont paraphé, mais attendent maintenant des avances de la direction sur la refonte de la grille salariale, l’amélioration des conditions de travail et d’exercice des métiers ou l’aménagement des fins de carrière.

Lire aussi le décryptage : Article réservé à nos abonnés A la SNCF, climat social tendu et menace de grèves

A l’issue de cette réunion « posée, intéressante sur le fond », selon Thomas Cavel, secrétaire général de la CFDT-Cheminots, aucune action commune sur le pouvoir d’achat n’a finalement été décidée. Pas même sur un courrier au PDG, Jean-Pierre Farandou. Entre la CGT et SUD-Rail, qui demandent une augmentation générale, l’UNSA, qui veut travailler sur les conditions de travail et la formation des cadres, ou la CFDT, qui défend la négociation d’un accord d’entreprise sur le partage de la valeur, il n’y a pour l’instant pas de convergence de méthode.

Chacun va toutefois faire entendre ses revendications. Pour Thomas Cavel, la hausse de fréquentation des trains, avec des billets partis au prix fort à Noël, sans grève, et les bons résultats du groupe SNCF qui s’ensuivent doivent davantage profiter aux salariés. Ceux-ci ont touché en décembre 2023 une prime de partage de la valeur, nouvelle forme de la « prime Macron », de 400 euros.

Négociations des primes pour les Jeux olympiques

Il n’y a pas non plus pour l’instant de revendication commune sur les négociations des primes pour les Jeux olympiques et paralympiques. Les discussions se poursuivent. La direction a déjà mis sur la table une proposition d’indemnisation de 50 euros par jour, plus élevée que ce que propose la RATP (15 euros), des moyens supplémentaires pour l’aide à la garde d’enfants, les vacances en colonie et des facilités pour placer des congés sur un compte épargne-temps ou se faire rémunérer des jours épargnés.

Les cheminots qui déplacent leurs congés pourront bénéficier de primes comprises entre 300 et 500 euros. Mais la direction a choisi de laisser à chaque établissement le soin de négocier avec ses organisations syndicales quels agents pourront bénéficier de ces avantages et à quelles conditions. Les discussions, suivies de près au niveau national, sont ainsi très décentralisées, limitant, pour l’instant, le risque d’un mouvement général.

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A l’aube des soldes, les déboires de Minelli et Chaussexpo angoissent les salariés de la mode

Une employée en grève baisse le rideau du magasin de chaussures Chaussexpo, à Audincourt (Doubs), en mai 2017.

K.-O. A la veille du coup d’envoi des soldes, période de ventes à prix cassés qui s’ouvre ce mercredi 10 janvier pour quatre semaines, le secteur de l’habillement est sonné. Mardi 9 janvier, près de 160 points de vente Minelli n’ont pas ouvert leurs portes. La veille, les juges du tribunal de commerce de Marseille ont attribué l’enseigne de chaussures, en redressement judiciaire depuis septembre, à Mes Demoiselles, marque de mode féminine. Cette PME reprend 39 succursales, dont 9 boutiques parisiennes, 8 corners dans des grands magasins et 16 boutiques affiliées. Le couperet est tombé pour le reste des magasins : ils sont liquidés.

La PME reprend 187 salariés de l’enseigne et 26 employés du siège social de l’entreprise situé à Gémenos (Bouches-du-Rhône). L’opération permet de ne sauver que 30 % des emplois de Minelli, qui salariait 579 personnes pour 220 points de vente. Depuis la liquidation de San Marina en février 2023, autre chaîne de chaussures que détenaient les hommes d’affaires Laurent Portella et Stéphane Collaert, reprise au groupe Vivarte, le personnel s’inquiétait des loyers impayés et du manque de marchandises en magasin.

L’angoisse étreint aussi les 700 salariés Chaussexpo. Cette enseigne de chaussures, qui exploite 180 magasins principalement dans les zones commerciales situées en périphérie, a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Lille, lundi 8 janvier. Les juges ont accordé aux administrateurs judiciaires un délai de près de deux mois, pour poursuivre l’activité jusqu’au 15 mars et « chercher une solution de cession ». Sinon ? L’ensemble des magasins de cette chaîne fondée en 1987 à Templemars (Nord), près de Lille, fermera définitivement.

Quel investisseur pourrait se porter candidat et reprendre cette enseigne concurrencée par les petits prix de Gémo et l’offre pléthorique des plates-formes de vente en ligne type Zalando ? La question taraude ses salariés. D’autant qu’en 2017 et 2018 Chaussexpo a déjà subi deux plans sociaux, réduisant ses effectifs de plus de 200 postes et amputant son réseau de 64 magasins.

Scénario noir

Depuis, le commerce a subi la fermeture administrative des magasins en 2020 et 2021 pour lutter contre la propagation du Covid-19. Le marché s’est contracté. Et il n’est jamais parvenu à renouer avec les niveaux d’activité d’antan. Pis : depuis deux ans, la hausse des prix incite les Français à réduire leurs achats de chaussures et dépenses d’habillement. A tel point que le secteur est plongé dans une crise profonde.

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Pour loger leurs apprentis, des employeurs en quête de solutions

 Alexandre Morel et Safaa Megnafi, à l’extérieur de la maison dont ils occupent deux chambres, à Bayard-sur-Marne, le 21 décembre 2023.

« La cerise sur le gâteau, possibilité de vous héberger dans une maison rénovée spécialement pour nos alternants. » Dans une offre d’emploi, un tel détail ne passe pas inaperçu, tant la recherche d’un logement à prix abordable peut représenter un frein à la signature d’un contrat d’apprentissage.

Surtout quand l’employeur en question, l’entreprise Pam Building – une filiale du groupe Saint-Gobain, spécialisée dans la fabrication de tuyaux pour l’évacuation d’eaux usées – se situe à Bayard-sur-Marne, dans une partie du département de la Haute-Marne moins bien desservie par les transports en commun et éloignée des universités et des centres de formation… Où les jeunes en question peuvent avoir un autre logement à financer si l’endroit ne coïncide pas avec leur lieu d’origine. La gare la plus proche se trouve à Saint-Dizier (Haute-Marne), à une vingtaine de minutes en voiture, et seulement quelques bus s’y arrêtent en journée.

Ici, la maison à laquelle fait référence l’annonce est à six minutes à pied, chronomètre en main, du poste de sécurité de l’usine. Mitoyenne de la maison du responsable de la maintenance, c’est une bâtisse spacieuse de deux étages qui servait de logement de fonction à la famille d’un ancien responsable de production. Un temps inoccupée, et après un coup de neuf et l’achat de meubles, la voici habitée depuis septembre 2022 par trois alternants qui occupent chacun une chambre contre un loyer de 100 euros directement prélevé sur leur fiche de paie. « Le loyer couvre à peine les charges, mais nous considérons que c’est un moyen de ne pas perdre des candidats que nous jugeons intéressants dans une zone peu mobile où il est difficile de recruter sur des processus techniques », explicite Justine Franchi, la directrice des ressources humaines.

Des entreprises aux centres de formation, en passant même par les municipalités en recherche de jeunes actifs, le poids de la recherche d’un logement dans le recrutement d’apprentis est une problématique incontournable. Comme pour les travailleurs saisonniers, le frein relève surtout de la pénurie de logements. Mais avec un objectif d’un million d’apprentis par an, le développement de l’apprentissage, particulièrement dans l’enseignement supérieur grâce aux aides à l’embauche perçues par les entreprises, a renforcé les tensions sur le marché locatif.

Un déficit d’attractivité

En plus de l’allocation personnalisée au logement ou l’accès à des résidences pour jeunes travailleurs, des cautions locatives et des aides financières spécifiques et cumulatives ont été mises en place par Action Logement et des régions. En 2022, 162 000 apprentis et alternants avaient ainsi reçu l’aide Mobili-Jeune, pouvant aller jusqu’à 100 euros, soit plus du double des bénéficiaires de 2021.

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Retraites : ce qui va (encore) changer en 2024

Si l’année 2023 a été chargée en nouveautés pour les retraites, réforme oblige, 2024 sera aussi marquée par une série de changements importants.

+ 5,3 % pour les pensions de base

Ce 1er janvier, un taux de revalorisation de 5,3 % a été appliqué aux retraites de base et à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’ex-minimum vieillesse. Sauf pour les pensions de base des avocats, relevées de 2 %.

Vous ne verrez pas forcément la couleur de la hausse sur votre compte en janvier, car certains régimes versent les mensualités à terme échu, donc au début du mois suivant celui pour lequel elles sont dues. Le régime général, par exemple, versera les pensions de janvier le 9 février, dans le cas général.

Hausses variables côté complémentaires

La plupart des régimes de retraite complémentaire indexent aussi leurs pensions dès janvier.

Parmi les taux connus pour l’heure : celui s’appliquant aux commerçants et artisans, + 3,7 % ; aux avocats, + 1 % ; aux libéraux de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance-vieillesse (Cipav), + 4,3 % ; aux agents non titulaires de la fonction publique (à l’Ircantec), + 5,3 % ; aux experts-comptables et commissaires aux comptes, 6,14 % ; aux agents d’assurance, + 4,3 % ; aux médecins libéraux (Caisse autonome de retraite des médecins de France, Carmf), + 2,59 % (hors retraites ASV [allocation supplémentaire vieillesse]).

Pour les pharmaciens, la revalorisation est de 4 % pour la part régie par répartition. Pour celle par capitalisation, l’augmentation équivaut, pour chaque retraité, à la différence entre la performance votée, 4 %, et le taux d’intérêt technique utilisé à la liquidation de la pension. Pour les fonctionnaires (la retraite additionnelle de la fonction publique, RAFP), la décision doit être prise en février. Pour les salariés (à l’Agirc-Arcco), la revalorisation est prévue en novembre.

Disparition du malus Agirc-Arrco

Un malus temporaire de pension de 5 % ou 10 % avait été instauré à l’Agirc-Arrco en 2019 pour les salariés refusant de décaler leur retraite d’au moins un an à partir du moment où ils remplissaient les conditions du taux plein. Supprimé le 1er décembre 2023 pour les nouveaux retraités, il le sera aussi le 1er avril 2024 pour les retraités qui se sont vu appliquer ce dispositif, qui ont donc pris leur retraite entre janvier 2019 et novembre 2023.

En pratique : Article réservé à nos abonnés Retraite complémentaire : que change la fin du bonus-malus ?

Ainsi en ont décidé les partenaires sociaux qui pilotent ce régime. Il n’y a pas de démarche à accomplir. Mais « les retraités qui perçoivent une majoration [bonus temporaire] continueront de la percevoir conformément au calendrier initial », précise l’Agirc-Arrco.

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« Les associations contribuent à produire des biens communs existentiels »

Doit-on financer la vie associative ? La question se pose quand on sait que la part des subventions dans le financement des associations a baissé de 41 % entre 2005 et 2017, selon le Conseil économique, social et environnemental (CESE), et continue de se réduire. Certains estimant même qu’il faudrait les supprimer au profit des recettes marchandes et autres cotisations. C’est un bien mauvais calcul, non seulement pour les associations sursollicitées et déjà à la peine, mais aussi pour l’économie dans son ensemble. Pour au moins trois raisons.

Premièrement, le temps de travail ne pèse plus que 9 % dans le cycle de vie d’un salarié (soit 1 600 heures x 40 ans = 64 000 heures, à rapporter à une espérance de vie de 83 ans, soit 8 766 heures x 83 = 727 578 heures) à plein temps, jamais absent ou en formation durant sa carrière. Ce temps libéré du travail a intensifié les relations dans la société en multipliant les échanges de services.

Autrement dit, une part des ressources économiques des ménages se produit hors travail. Par toutes sortes de contributions, démultipliées par les réseaux, lesquelles ajoutées à l’économie sociale et solidaire et à l’économie domestique dépassent sensiblement le produit intérieur brut (PIB).

Mieux, les compétences, les connaissances et les expériences qui en dérivent sont souvent réinvesties dans la vie professionnelle. A telle enseigne que l’entreprise s’intéresse désormais plus au résultat attendu du salarié qu’au processus de travail lui-même. Nombre d’entreprises ont ainsi réduit leurs coûts, limité la place des bureaux, réduit les frais généraux, désynchronisé et augmenté la flexibilité du travail, notamment avec le télétravail. Plus le hors-travail augmente, s’organise et se complexifie avec le numérique, plus l’entreprise s’appuie sur ce capital social pour sa propre performance.

Complémentarité avec les entreprises

Ensuite, dans cette transformation des temps de la vie, les associations déclarées jouent un rôle décisif dans la complémentarité avec les entreprises. L’engagement suivi et régulier des salariés dans l’une des 1,3 million d’associations, selon l’Insee, est non seulement particulièrement apprécié des entreprises, mais sert de plus en plus à leur image de marque.

Aujourd’hui, presque toutes les enseignes de la grande distribution se disent « engagées » pour une raison ou pour une autre. De même, la rubrique « responsabilités associatives et civiques », annexe des CV, est désormais bien mise en évidence. A juste titre, car elle fait souvent la différence dans le recrutement face à des candidats plus diplômés mais n’ayant pas cette expérience. Responsabilités associatives très prisées dans le privé parce qu’elles développent ces fameuses compétences comportementales si utiles dans la plupart des métiers (leadership, initiative, créativité, sens du collectif, etc.), qui s’apprennent dans ces collectifs mais ne s’enseignent pas.

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Chaussures Minelli : près des deux tiers des 579 salariés sont licenciés

A la veille du coup d’envoi des soldes, mercredi 10 janvier, la plupart des magasins Minelli tirent définitivement le rideau. Le tribunal de commerce de Marseille a attribué, lundi 8 janvier, l’enseigne de chaussures, en redressement judiciaire depuis fin septembre 2023, à un consortium d’investisseurs emmené par la PME Mes Demoiselles, marque de mode féminine.

Ce dernier reprend trente-neuf succursales, dont neuf boutiques parisiennes, huit corners dans des grands magasins et seize boutiques affiliées. Soit 187 de leurs salariés et 26 des employés du siège social de l’entreprise, situé à Gémenos (Bouches-du-Rhône). Dès lors, seuls 30 % des emplois de l’enseigne Minelli, qui salariait 579 personnes pour 220 points de vente, ont été sauvés.

Les repreneurs bénéficient d’une « entrée en jouissance dès ce mardi 9 janvier », précise le jugement.

« Le moins de douleur dans les familles »

Les autres magasins demeurent fermés. Devant les juges, l’ancien dirigeant, Stéphane Collaert, qui, avec Laurent Portella, fin 2023, avait renoncé à présenter un plan de continuation pour l’enseigne, a rappelé avoir « pris un engagement vis-à-vis des salariés (…) de faire en sorte qu’il y ait le moins de douleur dans les familles », rapporte la minute du jugement.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’inflation entrave aussi le marché de la chaussure

Ensemble, les deux hommes d’affaires avaient repris Minelli et ses 260 points de vente, en 2021, au groupe Vivarte, deux ans après avoir aussi mis la main San Marina, aux côtés de Thierry Le Guénic, autre homme d’affaires.

Avant sa cession à ce trio, Vivarte, holding qui détenait les deux enseignes, avait renfloué San Marina à hauteur de 10 millions d’euros. A la suite de grandes difficultés financières, en raison notamment de la pandémie de Covid-19, les dirigeants avaient demandé le placement en redressement judiciaire de San Marina en septembre 2022. Faute de repreneurs, la chaîne aux 163 magasins a été liquidée en février 2023, entraînant le licenciement de près de 700 salariés.