Archive dans 2024

En entreprise, le temps de l’« intelligence humaine » est venu

La ruée vers l’intelligence artificielle (IA) a bien lieu. Microsoft, Google, Amazon ou Meta ont massivement investi, et un fournisseur de puces spécialisées comme Nvidia connaît un succès enviable. Apple annonce intégrer ChatGPT à ses iPhone haut de gamme. Des start-up françaises lèvent des fonds impressionnants. Il est vrai que les outils génératifs de contenu promettent l’exploit pour tous : produire des textes, des images, des sons à la demande ; détecter l’indétectable, converser avec les robots et dans toutes les langues… Pourtant, l’avenir de l’IA est encore loin d’être prévisible.

Comme toutes les nouvelles techniques qui promettent le progrès universel, l’IA suscite d’abord l’extase ou l’effroi. Extase, avec les perspectives d’une vie facilitée par une infinité d’assistants omniscients. Effroi, avec les manipulations invisibles, le pillage des données et des œuvres, les bouleversements annoncés des emplois. Ces dangers bien réels ont déjà suscité des régulations nationales et internationales qui visent à défendre les individus et les Etats, tout en réduisant la domination des grandes entreprises américaines.

Mais ces régulations ne déterminent ni les stratégies de développement futures de l’IA, ni les usages qui s’inventeront au fil des expériences. La recherche a bien montré que les techniques universelles sont confrontées au paradoxe d’une dissémination soumise à un double inconnu (« Gestion de risque en situation de double inconnu », Olga Kokshagina, thèse Mines Paris PSL Université, 2014).

Des ruptures scientifiques inattendues

Première inconnue, les possibilités d’usages sont si vastes que les modèles d’affaires les plus pertinents sont à inventer. Et comme les algorithmes sont encore particulièrement exigeants en temps de calcul et en quantité de données, même les géants du numérique se limitent à doper leurs applications classiques. Mais rien n’assure que ce sont ces applications les plus visibles qui bénéficieront vraiment de cette intelligence supplémentaire. L’invention de nouveaux produits et de nouveaux usages pourrait changer le visage de l’IA et ses acteurs.

Deuxième inconnue : aujourd’hui, ChatGPT et les algorithmes génératifs reposent sur de gigantesques structures probabilistes d’analyse et de composition des contenus (« large language models »). Pourquoi devrait-on s’arrêter là ? L’histoire récente de l’IA repose sur des investissements colossaux confiés à des start-up. Mais l’histoire des innovations regorge d’exemples où les stratégies de développement industriel, si elles ne sont pas soutenues par un effort de recherche, se sont enlisées ou ont été rendues obsolètes par des ruptures scientifiques inattendues (le transistor, la photo numérique…).

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Patrick Artus : « Les pays du sud de l’Europe, s’ils ne réagissent pas, vont prendre de plein fouet les effets négatifs du recul de la population en âge de travailler »

Les pays européens sont presque tous confrontés au vieillissement démographique et au recul de leur population en âge de travailler (de 15 à 64 ans). Celle-ci a reculé de 2,5 % dans la zone euro et de 2 % en France, entre 2010 et 2023.

La baisse du taux de fécondité, c’est-à-dire le nombre d’enfants qu’a en moyenne chaque femme, va amplifier ce mouvement. Il n’était plus, en 2023, que de 1,36 en Allemagne, 1,68 en France, 1,24 en Italie et 1,19 en Espagne, alors qu’il devrait être légèrement supérieur à 2 pour assurer le remplacement des générations.

On peut donc prévoir une baisse de 17 % de la population en âge de travailler, entre 2023 et 2050, dans la zone euro, et de 7 % en France. La situation est totalement différente aux Etats-Unis, où cette population augmente de 1 % par an depuis 2018, avec une accélération récente due à l’immigration : 647 000 immigrants ont été enregistrés aux Etats-Unis en 2021, 1,9 million en 2022, et leur nombre devrait atteindre 3 millions en 2023, année qui a connu par ailleurs 878 000 naturalisations. En Inde, la population active s’accroît depuis 2018 de 3 % par an, ce qui a contribué pour près de la moitié à la croissance économique du pays sur cette période.

« Population optimale »

Quelle stratégie faut-il adopter, en Europe, face à cette situation démographique inquiétante ? Une première stratégie possible est celle… de la résignation. Elle correspond à l’analyse théorique dite « de la population optimale », selon laquelle un pays qui va subir une baisse de sa population en âge de travailler doit, tant que le vieillissement ne s’est pas encore produit, accumuler des actifs extérieurs, non pas sous la forme de titres de dettes publiques d’autres pays, mais sous celle d’actifs productifs – investissements dans les entreprises et les infrastructures – de pays qui vont rester jeunes.

Cela permettra au pays vieillissant de compenser ou de compléter par des revenus du capital, rapatriés du reste du monde, la baisse de son revenu domestique, et ainsi de ne pas subir de recul de son revenu par habitant, alors même que sa production par habitant recule.

Lire le décryptage (2023) : Article réservé à nos abonnés Le vieillissement de la population, un défi qui dépasse de loin le problème des retraites

C’est, par exemple, la stratégie suivie par le Japon. Le pays bénéficie, depuis dix ans, d’un excédent de sa balance courante de 2,9 % de son produit intérieur brut (PIB) en moyenne. Mais cet excédent courant n’est dû que pour 15 % à l’excédent de sa balance commerciale ; il résulte essentiellement de l’excédent de la balance des revenus du capital, grâce à un niveau considérable d’actifs nets extérieurs : 3 460 milliards de dollars (3 235 milliards d’euros), soit 64 % du PIB du pays !

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Un nouveau groupe de travailleurs sans-papiers des centres de tri des déchets d’Ile-de-France devant les prud’hommes

Des travailleurs manifestent devant le centre de tri Veolia du 15ᵉ arrondissement de Paris, le 28 août 2023.

Hind (les salariés ont demandé qu’on ne mentionne pas leur nom de famille), 28 ans, a trié les emballages usagés des centres de tri des déchets d’Ile-de-France chaque nuit de 23 heures à 5 heures jusqu’à son huitième mois de grossesse. Sans-papiers, elle n’a bénéficié d’aucun congé maternité : ce furent trois mois sans solde. Pour demander réparation, elle et douze autres salariés sans-papiers exploités par NTI, une entreprise sous-traitante de Veolia, Paprec, Suez et Urbaser entre 2019 et 2022, ont déposé un dossier devant les prud’hommes de Paris, mercredi 12 juin.

Ils emboîtent ainsi le pas aux onze de leurs collègues qui ont dénoncé cette dérive le 28 août 2023, en occupant symboliquement le centre de tri XVEO Veolia à Paris, avec le soutien de la CGT. Le Monde avait alors révélé les pratiques délétères de cette entreprise sous-traitante, semblant fonctionner comme une agence d’intérim, puisqu’elle envoyait du personnel compléter les équipes de Suez, Veolia ou Paprec. Mais dans des conditions de travail et de rémunération bien moins-disantes. Une enquête de l’inspection du travail est toujours en cours. Et pourrait déboucher sur des poursuites pénales.

« On nous téléphonait pour nous donner les missions au jour le jour. Parfois, je travaillais de 21 heures à 5 heures sur un site, puis j’enchaînais en 6 h 30-14 heures sur un autre », confie Hicham, 35 ans. « Nos cadences étaient plus élevées, les tapis plus rapides et il y avait dessus plus de déchets », témoigne Hind, preuve, selon elle et ses collègues, que des responsables, chez les entreprises donneuses d’ordre, étaient conscients de leur statut de seconde zone. Ce que Veolia, Paprec et Suez démentent fermement.

Lire l’enquête | Article réservé à nos abonnés Le groupe de nettoyage Arc-en-ciel ne ménage pas le droit du travail

« Personne ne vérifiait jamais nos pièces d’identité. Ces gens-là profitent de la situation. C’est comme si nous n’avions aucune valeur, alors qu’on faisait le double ou le triple du travail », déplore Youssef. « Ils sont tous complices. Leur but, c’était juste que le travail soit fait », estime Anes, qui montre les photos d’un bleu de 20 centimètres sous son aisselle après qu’il a chuté d’un escabeau. Les accidents du travail n’étaient jamais déclarés. Aucun n’a jamais reçu de formation à la sécurité.

Une solution aux premiers sans-papiers lanceurs d’alerte

La plupart travaillaient sans contrat, rémunérés 60 euros la journée, 80 euros la nuit. Usés par ces abus, ils ont fini par alerter eux-mêmes l’inspection du travail. Laquelle a orchestré des contrôles coordonnés dans quatre centres de tri franciliens, fin 2022. Les dirigeants de NTI ont liquidé leur société quelques semaines plus tard. Mais plusieurs de ses salariés sans-papiers ont pu continuer à travailler plusieurs mois dans les mêmes centres de tri, en intérim cette fois, prouvent les contrats qu’ils ont montrés au Monde.

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Réforme du marché du travail : « Les fonctionnaires sont en demande d’une visibilité accrue sur l’avenir »

Stanislas Guerini, ministre de la fonction publique, a déclaré, le 9 avril, vouloir « lever le tabou » du licenciement des fonctionnaires. « Le statut n’est pas le statu quo », a-t-il affirmé, au nom de la même volonté d’assouplissement et de modernisation invoquée pour justifier les réformes du marché du travail menées au long des deux quinquennats. Les résultats d’une recherche récente sur la valeur attribuée par les individus à leur sécurité de l’emploi permettent de mieux comprendre les perceptions des personnes concernées par ce type de réforme.

Combien demanderiez-vous pour accepter de passer d’un emploi sécurisé à un autre, qui ne le serait pas ? Combien seriez-vous prêts à donner, à l’inverse, pour avoir un emploi sécurisé si vous n’en avez pas actuellement ? Telles sont les questions posées par une équipe de chercheurs israéliens, dans le cadre d’une enquête originale, en cours de duplication en France et au Canada, mais qui donne dès à présent des indications éclairantes (« How Does the Welfare Policy Impact Tenure and Job Security ? », Eitan Hourie, Miki Malul, Raphael Bar-El, SSRN, 2022).

Pour renoncer à un emploi sécurisé, les revenus supplémentaires demandés varient entre 10 % et 22 %. Tout dépend des scénarios proposés. En période de chômage élevé et/ou lorsque la durée et le niveau d’indemnisation sont limités, les exigences apparaissent naturellement les plus fortes. S’ils doivent accepter une diminution de leur sécurité professionnelle, les individus réclament alors une augmentation salariale de 22 %. Avoir voulu s’attaquer au statut des fonctionnaires juste après avoir durci les conditions d’indemnisation du chômage était, à cet égard, particulièrement risqué.

Même lorsqu’on leur décrit une situation proche du plein-emploi et/ou un système d’assurance-chômage très efficace et protecteur, avec un revenu garanti pour tous, comme en Finlande, les personnes interrogées demandent tout de même 10 % de revenus supplémentaires en échange de leur renoncement à un emploi parfaitement sécurisé.

Eviter les « petites phrases »

La sécurité de l’emploi, en effet, ne signifie pas seulement un revenu garanti à long terme et sur lequel on peut s’appuyer pour bâtir des projets. Elle correspond aussi au fait de pouvoir continuer à exercer son métier au sein d’une organisation à laquelle on s’identifie. Elle implique des conditions de travail stables (situation géographique, horaires…) permettant de conserver l’équilibre délicat que chacun construit progressivement entre sa vie professionnelle et son organisation personnelle, ses responsabilités familiales, associatives, citoyennes, etc.

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« L’assurance-chômage n’est pas le seul levier pour augmenter l’emploi »

La réforme de l’assurance-chômage récemment annoncée vient à la fois durcir les conditions d’accès à l’indemnisation et réduire la durée d’indemnisation. Chacun de ces deux paramètres a déjà été modifié lors d’une précédente réforme. Que penser de ce nouveau tour de vis ?

Concernant les conditions d’éligibilité, les durcir peut pousser les employeurs à proposer des contrats plus longs. En 2009, lorsque la durée de travail minimum pour être indemnisé était passée, à l’inverse des réformes actuelles, de six à quatre mois, cela avait induit une augmentation significative de la part des contrats de quatre mois parmi les CDD. Cet argument est à mettre en balance avec le fait que certains demandeurs d’emploi vont se voir privés d’indemnisation à cause de la réforme, principalement des personnes aux trajectoires hachées et des jeunes, dont la situation sera d’autant plus difficile qu’ils ne sont pas éligibles au RSA.

Qu’en est-il pour la durée d’indemnisation ? Nos travaux, comme beaucoup d’autres conduits en France ou à l’étranger, montrent qu’avoir droit à une période d’indemnisation plus longue induit des périodes de chômage un peu plus longues. Deux exemples parmi d’autres. Avant 2009, on peut comparer les demandeurs d’emploi ayant travaillé sept mois dans les deux dernières années et ceux qui avaient travaillé huit mois. Il s’agit de personnes au parcours assez similaire et pourtant, du fait des règles de l’époque, les premières étaient éligibles à sept mois d’indemnisation tandis que les secondes avaient le droit à quinze mois.

Nous avons montré que les premières, qui étaient donc éligibles à huit mois d’assurance-chômage de moins que les secondes, restaient au chômage en moyenne environ deux mois de moins. Toujours avant 2009, on a pu également comparer les personnes qui s’inscrivaient au chômage à 49 ans et celles qui le faisaient à 50 ans. A l’époque, c’est à 50 ans que commençait la « filière seniors », qui donne droit à une indemnisation plus longue. Toutes choses égales par ailleurs, les personnes qui ouvraient un droit à 50 ans étaient éligibles à une durée d’indemnisation en moyenne 30 % plus longue que celles qui ouvraient leur droit à 49 ans et avaient une durée de chômage 6 % plus longue.

Agir de manière oblique

Autre résultat frappant des travaux de recherche : réduire la durée d’indemnisation ne fait pas baisser le salaire de l’emploi retrouvé. En théorie, une durée d’indemnisation plus courte pourrait pousser les demandeurs d’emploi à chercher des emplois de moins bonne qualité. D’un autre côté, rester au chômage plus longtemps exerce un effet à la baisse sur les salaires retrouvés ; une baisse de la durée d’indemnisation peut donc augmenter les salaires du nouvel emploi en raccourcissant le temps passé au chômage. Empiriquement, ces deux effets semblent donc s’annuler.

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« Comment expliquer que les salaires ne réagissent pratiquement pas au manque de main-d’œuvre ? »

Les marchés du travail de plusieurs pays européens ont récemment vu émerger un paradoxe. Les employeurs font régulièrement le constat d’une pénurie de main-d’œuvre et de difficultés à l’embauche. Cela devrait, en théorie, conduire à des augmentations de salaires jusqu’à ce que ces pénuries disparaissent. Pourtant, rien de tel n’est observé. En Allemagne comme en France, les travailleurs ont même enregistré des pertes salariales réelles ces dernières années. Bien que certaines de ces pertes soient liées au Covid-19 et à la crise énergétique qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est tout de même surprenant que les salaires ne réagissent pratiquement pas au manque de main-d’œuvre. Comment cela peut-il s’expliquer ?

Une réponse à cette question réside dans la concurrence limitée entre les employeurs, et la mauvaise répartition des travailleurs qui en découle. Les conséquences de ce pouvoir de marché des employeurs sont immédiates : le manque de concurrence se traduit par des salaires et des niveaux d’emploi inférieurs à ceux qu’offrirait un marché concurrentiel. Pire encore, une faible concurrence peut créer des distorsions sur le marché du travail : les entreprises improductives prospèrent tandis que les entreprises plus productives peinent à embaucher, ce qui freine le dynamisme économique.

Des recherches empiriques récentes mettent en évidence une raison essentielle du pouvoir démesuré des employeurs : les travailleurs et les demandeurs d’emploi n’ont qu’une connaissance limitée des salaires qu’ils pourraient percevoir chez d’autres employeurs. Prenons un exemple concret : si une représentante commerciale à Rouen ne sait pas qu’elle pourrait gagner 10 % de plus en changeant d’employeur dans sa région, elle ne dispose pas des informations nécessaires pour exiger un salaire équitable ou trouver un meilleur emploi. En conséquence, elle risque de rester bloquée dans un emploi mal rémunéré et peu productif. Ces frictions sont particulièrement graves pour les travailleurs à bas salaires, car ils sont les moins susceptibles d’avoir accès aux barèmes de rémunération.

Les bénéfices de la transparence

Des réformes novatrices actuellement envisagées par les responsables politiques français et allemands et encouragées par le Parlement européen pourraient contribuer à remédier à cette situation : des lois efficaces sur la transparence des salaires pour favoriser la concurrence sur le marché du travail. Allant au-delà des politiques non contraignantes actuellement en vigueur, elles obligeraient les employeurs à inclure des fourchettes de salaires dans toutes les offres d’emploi. Les modèles d’entreprise qui reposent sur la sous-rémunération des travailleurs auraient plus de mal à être compétitifs, tandis que les entreprises plus productives, qui versent des salaires plus élevés, auraient accès à un plus grand vivier de talents.

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Réforme de l’assurance-chômage : « Les savants équilibres qui gouvernent le droit du travail et la protection sociale sont probablement sous-estimés »

Le projet de réforme de l’assurance-chômage est l’un des sujets polémiques des législatives anticipées, polarisant le débat entre l’impact social délétère d’une réforme « inacceptable » et sa légitimité économique « indispensable ». Mais, au-delà des effets d’aubaine et politiques recherchés, les savants équilibres qui gouvernent le droit du travail et la protection sociale sont probablement sous-estimés, ce qui peut s’expliquer par la dépossession, par l’exécutif, des partenaires sociaux de la cogestion de cette assurance qui leur est pourtant légalement dévolue.

Selon le gouvernement, l’objectif serait la création de 90 000 emplois, ce qui est peu, mais également, et surtout, de faire des économies budgétaires, évaluées à 3,6 milliards d’euros, ce qui est significatif. Pour autant, il est certain que le niveau de protection sociale des chômeurs, certes l’un des plus favorables en Europe, sera drastiquement diminué.

Selon une étude de l’Unédic de 2021, la précédente réforme impliquait déjà une précarisation de la population jeune, souvent employée dans le cadre de contrats courts (ouverture des droits restrictive, baisse des durées d’indemnisation), mais aussi des chômeurs âgés (seuil et durée d’indemnisation, baisse et limitation du montant des allocations servies dans l’attente de la liquidation de leurs retraites). Il est pourtant établi que le taux de chômage des jeunes est très élevé, et que les seniors licenciés ont une employabilité limitée. Même si des mesures spécifiques sont envisagées pour favoriser leur reprise d’emploi, elles paraissent insuffisantes pour surmonter ce problème structurel, de surcroît amplifié par la réforme.

Radicalisation des discussions

On peut également s’interroger sur la réduction des aides à la création d’entreprise, qui sont souvent une voie de reconversion pour les salariés, en particulier dans le cadre de la profonde mutation des modes de travail et de la très sensible augmentation du travail indépendant.

Mais, au-delà de ces considérations d’ordre politique et social, on doit également se pencher sur l’effet de ces réformes successives sur les dispositifs légaux mis en œuvre antérieurement, sous les quinquennats de Sarkozy, de Hollande, puis de Macron, pour favoriser la fluidité du marché du travail, sécuriser la rupture des contrats de travail et désengorger les tribunaux. Depuis 2008, année de sa mise en place, la rupture conventionnelle homologuée du contrat de travail connaît un succès qui ne se dément pas. Selon les statistiques de la Dares, on enregistrait, en 2023, environ 515 000 recours à la rupture conventionnelle, contre 90 000 licenciements pour motif économique et 895 000 licenciements pour autres motifs.

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A Emmaüs, la fédération cherche une sortie de crise

Une manifestation de travailleurs sans papiers d’Emmaüs pour leur 144e jour de grève, devant la mairie de Saint-André-lez-Lille (Nord), le 21 novembre 2023.

Voilà près d’un an qu’Emmaüs est pris dans la tourmente. Jeudi 13 et vendredi 14 juin, l’association de lutte contre la pauvreté fondée par l’abbé Pierre se réunissait en assemblée générale et devait chercher l’épilogue d’une crise inédite. Plusieurs communautés, parmi les quelque 120 que compte le mouvement, ont été ébranlées par des grèves de compagnons qui dénoncent leurs conditions de travail.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Emmaüs, une fraternité au bord de la rupture

Un numéro du magazine d’investigation Complément d’enquête, diffusé le 6 juin sur France 2, a révélé, en outre, des cas de défaillance de sécurité des compagnons, de mauvais traitements, de harcèlement et même des soupçons de détournement de fonds.

Des perquisitions ont, par ailleurs, été effectuées, le 4 juin, sur quatre sites de l’association dans le Tarn-et-Garonne, dans le cadre d’une enquête ouverte par le parquet de Montauban sur des faits de travail dissimulé au détriment de personnes vulnérables.

Un procès s’est enfin tenu, le 13 juin, devant le tribunal judiciaire de Lille au cours duquel trois dirigeants de communautés de Saint-André-lez-Lille et de Nieppe (Nord) ont notamment répondu des faits de travail dissimulé. Le procureur a requis un an de prison avec sursis et 2 000 euros d’amende à l’encontre du président de la Halte-Saint-Jean, implantée à Saint-André-lez-Lille, et deux ans de prison avec sursis et 3 000 euros d’amende à l’encontre de la directrice. Six mois de prison avec sursis ont été requis à l’encontre d’un ancien responsable de la communauté de Nieppe. La décision du tribunal sera connue le 5 juillet.

Un statut imaginé par les pouvoirs publics

Une vingtaine de compagnons de la Halte-Saint-Jean avaient à l’origine déposé plainte pour « traite des êtres humains », une qualification que n’a pas retenue la justice. Tous en situation irrégulière, et en grève depuis juillet 2023, ils dénonçaient des conditions de travail harassantes – à raison de quarante heures par semaine et pour certains depuis plusieurs années – et des promesses de régularisation non tenues. La personnalité de la dirigeante de la communauté était aussi mise en cause.

Officiellement, les compagnons des communautés Emmaüs ne sont pas des salariés mais pratiquent une « activité solidaire ». Ils participent au tri de vêtements ou de livres, au débarras de meubles, à la réparation d’appareils électroménagers, à la vente d’articles ou encore à des travaux d’entretien des bâtiments. En échange de quoi, ils sont nourris, logés et perçoivent une rétribution.

En 2008, pour clarifier la situation juridique des communautés, un statut d’organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires (Oacas) a été imaginé par les pouvoirs publics. Les structures agréées garantissent aux personnes accueillies un habitat digne, un soutien financier et un accompagnement social. Elles cotisent à l’Urssaf, ce qui permet aux compagnons de bénéficier de tous les droits qui découlent du régime général de la protection sociale : arrêt de travail et indemnités journalières, accident du travail ou encore retraite. Le statut Oacas avait été refusé par cinq communautés du Nord, dont celles dans la tourmente aujourd’hui.

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Parcours professionnels : le poids des origines sociales

« Depuis les années 1960, l’effet de l’origine sociale sur les parcours scolaires est l’un des faits sociaux les plus documentés en sociologie. Nous avons voulu prolonger cette réflexion en évaluant l’impact de ce facteur sur les carrières professionnelles », explique Dominique Epiphane, autrice avec Gaëlle Dabet et Elsa Personnaz d’une étude publiée le 14 mai sur le site du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (« Origine sociale, diplôme et insertion : la force des liens », Céreq Bref, n° 452). Dans ce cadre, les trois chargées d’études du Céreq ont observé en 2020 les trajectoires de 22 450 jeunes sortis du système scolaire trois ans plus tôt.

Premier constat : en dépit d’une relative démocratisation de l’enseignement supérieur long (bac + 5 et plus), 55 % des enfants de deux parents cadres en sont diplômés, contre seulement 11 % des enfants de familles à dominante ouvrière. Moins bien formés, les jeunes d’origine modeste subissent davantage la précarité : dans les trois premières années après la sortie des études, les trajectoires aux marges de l’emploi (chômage, inactivité…) concernent 7 % des enfants de cadres contre 17 % des enfants de familles à dominante ouvrière, la part des précaires augmentant à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale.

Les défenseurs de l’égalité des chances pourront cependant se satisfaire du fait qu’à niveau de diplôme égal l’origine sociale joue peu sur l’accès à l’emploi. Ainsi, qu’ils soient enfants de cadres ou de familles à dominante ouvrière, un tiers des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur court accèdent rapidement et durablement à un emploi. Et l’origine sociale pèse encore moins sur ce critère pour les diplômés du supérieur long.

Un meilleur réseau social et professionnel

A l’inverse, contrairement à ce qui est observé pour l’accès à l’emploi, le milieu social pèse lourdement sur le statut décroché à l’issue de la formation. « Les jeunes diplômés de bac + 5 et plus avec deux parents cadres sont 78 % à être cadres eux-mêmes, contre seulement 60 % de celles et ceux issus de familles à dominante ouvrière », relatent les autrices de l’étude. Cette différence de traitement traduit d’abord le fait que les uns et les autres n’ont pas suivi les mêmes voies, l’enseignement supérieur long proposant des formations de valeur inégale sur le marché du travail.

D’autres travaux montrent en effet que les enfants des classes favorisées sont surreprésentés dans les filières scientifiques et commerciales les plus cotées. Les employeurs accordent plus facilement et rapidement le statut cadre à ces diplômés des grandes écoles qu’à ceux des universités souvent perçus comme moins opérationnels mais au recrutement social plus large. Tout porte à croire que les diplômés d’écoles privées peu sélectives, qui attirent de plus en plus de jeunes de milieu modeste avec l’apprentissage, sont également pénalisés.

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Simon Cottin-Marx, sociologue, et Baptiste Mylondo, économiste : « Les projets autogestionnaires ne sont pas forcément voués à l’échec »

Le sociologue Simon Cottin-Marx et l’économiste Baptiste Mylondo, auteurs de Travailler sans patron (Folio, 352 pages, 9,40 euros), appellent les salariés des entreprises autogérées à se saisir collectivement de la fonction employeur et à développer la polyvalence en interne.

Vous vous intéressez dans votre ouvrage aux entreprises en autogestion. Quel a été votre terrain d’étude ?

Simon Cottin-Marx : Nous nous sommes centrés sur le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui regroupe associations, coopératives, mutuelles ou fondations et leurs 2,4 millions de salariés. C’est principalement là que l’on trouve des structures qui, à différents niveaux, mettent en œuvre les idées autogestionnaires. Elles développent une organisation démocratique, où les richesses sont partagées équitablement et où le travail est mené en coopération, ce qui les distingue des entreprises privées capitalistiques ou de l’administration publique.

Baptiste Mylondo : Leurs membres souhaitent que les valeurs de l’ESS soient respectées. Ils font donc en sorte que les décisions soient prises par toutes les personnes concernées par les conséquences de ces mêmes décisions. Ils sont attachés aux principes de démocratie, d’équité, de gestion humaine des collectifs, et souhaitent en conséquence travailler sans patron.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Entreprise sans chef : l’avenir d’une utopie

S. C.-M. : Il faut toutefois avoir à l’esprit que ce n’est pas parce qu’on est une coopérative ou une association que l’on va automatiquement mettre en œuvre ces idées. De nombreuses structures se sont éloignées de l’utopie autogestionnaire et des valeurs de l’ESS.

Vous distinguez aussi des organisations qui pratiquent une autogestion de type néolibéral, comme les entreprises libérées et qui constitueraient, à vos yeux, un leurre…

B. M. : La question de la propriété est au cœur de cette distinction. L’autogestion néolibérale consiste à travailler pour l’entreprise de quelqu’un d’autre et non dans un collectif dont les membres sont copropriétaires.

De même, la démocratie y est accordée par le patron et non « saisie », instaurée par les salariés. Lorsque les entreprises libérées mettent en place davantage d’autonomie ou de démocratie, l’objectif est généralement d’augmenter leur propre productivité et, in fine, d’accroître leurs profits.

Votre livre met en lumière toute la difficulté qu’il y a à maintenir une structure autogérée. Vous citez notamment le sociologue Albert Meister (1927-1982) qui, désabusé, évoque des « échecs répétés » et une tendance à la « dégénérescence » du processus démocratique au sein de ces organisations. Quelles sont les contraintes auxquelles ces structures doivent faire face ?

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