Archive dans avril 2024

Pour les tenants du projet de réforme, « les allocations-chômage sont les ennemis de l’emploi et des politiques de remise en activité des chômeurs »

On peine à comprendre le bien-fondé d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage visant à durcir les conditions d’indemnisation des chômeurs, doctrine dont ce double mandat présidentiel se sera fait une spécialité. Les motivations pour justifier ces coups de canif portés à l’Unédic ont varié au fil du temps.

Ce fut l’argument financier de résorption de la dette : s’il s’agit d’en réduire le poids, il aurait été utile que l’Etat en donnât l’exemple en remboursant à l’institution paritaire ce qu’il lui doit : le financement du chômage partiel durant la crise sanitaire et l’équivalent des cotisations sociales perdues du fait de la politique d’allégement des charges sociales conduite depuis des années par ce gouvernement et ceux qui l’ont précédé.

Indemniser, placer, former

L’autre argument avancé consiste à justifier cette réforme au nom du travail avec le postulat implicite que les allocations-chômage, leur montant, leur durée sont les ennemis de l’emploi et des politiques de remise en activité des chômeurs, les fameuses politiques dites « actives ».

Et c’est sur ce point de l’argumentation que le bât blesse lourdement, et pour plusieurs raisons. Car depuis la création des premières formes d’indemnisation des chômeurs à la création de l’Unédic en 1958, puis de celle de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en 1967 (aujourd’hui France Travail), l’indemnisation des chômeurs et leur placement sur le marché du travail ne faisaient qu’un seul et même binôme.

Ce fut tout le sens de la mise en place d’un service public de l’emploi dans ces années-là, tout ce dont le rapport Ortoli, rédigé par un certain Jacques Delors (1925-2023), appelait de ses vœux en 1963 : mettre en place une grande politique d’infrastructure publique de l’emploi au service de la mobilité professionnelle des actifs. Pour cela il fallait avant toute chose indemniser correctement les chômeurs (Unédic), les accompagner pour les placer (ANPE) avec le recours éventuel de la formation professionnelle (Association pour la formation professionnelle des adultes). L’indemnisation, au cœur des réformes aujourd’hui, constituait l’indispensable maillon et le levier principal de ces politiques actives.

Plus récemment, un inspecteur de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), Jean-Marc Boulanger, chargé par le gouvernement en 2008 d’une mission de préfiguration pour la création de Pôle emploi, présentait l’indemnisation des chômeurs comme la rémunération du travail de recherche d’emploi des chômeurs. Il rappelait, ce que l’actuel gouvernement semble ignorer, que « l’indemnisation et le placement via une politique d’intermédiation active constituaient les deux leviers à mettre en une même main pour donner corps à la volonté de donner toute sa puissance à la stratégie de sécurité des parcours dans un marché de l’emploi souple et dynamique ».

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Emploi des seniors : le probable échec des négociations acte un revers pour la démocratie sociale

Hubert Mongon et France Henry-Labordère (au centre), de la délégation du Medef, et Yvan Ricordeau, numéro deux de la CFDT (debout), lors des négociations sur l’emploi des seniors, à Paris, le 8 avril 2024.

Ils n’ont pas réussi à trouver un terrain d’entente, même si beaucoup d’entre eux se sont refusés à le dire explicitement. Durant la nuit du mardi 9 au mercredi 10 avril, les syndicats et le patronat ont mis un terme à leurs négociations « pour un nouveau pacte de la vie au travail ».

Fruit de discussions engagées il y a trois mois et demi, l’ultime version du projet d’accord, qui vise à augmenter la part des seniors exerçant une activité, a été critiquée par l’ensemble des organisations de salariés. Ces dernières doivent maintenant consulter leurs instances avant d’arrêter une position officielle, mais tout laisse à penser, sauf très improbable coup de théâtre, qu’elles repousseront le texte que les mouvements d’employeurs leur ont soumis.

Une telle issue laisse la main libre au gouvernement pour prendre des dispositions qui tirent les conséquences de la réforme des retraites de 2023, avec le report de l’âge légal de 62 à 64 ans. Pour la démocratie sociale, il s’agit d’un sérieux revers, qui ne peut que conforter la piètre opinion d’Emmanuel Macron à l’égard des corps intermédiaires, le chef de l’Etat les jugeant incapables d’élaborer des mesures ambitieuses à l’échelle interprofessionnelle.

Initialement, la fin des pourparlers était prévue le 26 mars, mais les protagonistes l’avaient décalée au lundi 8 puis au mardi 9 avril, dans l’espoir que cette prolongation leur permettrait de parvenir à un compromis. En réalité, les séances supplémentaires de discussions ont tourné à la guerre des nerfs, entrecoupée d’interminables suspensions des débats. Au fil des heures, les représentants des chefs d’entreprise, qui tenaient la plume, ont fait évoluer le projet d’accord, mais de façon beaucoup trop parcimonieuse, aux yeux des syndicats.

Lire aussi (2023) : Article réservé à nos abonnés Les partenaires sociaux lancent la négociation sur l’emploi des seniors

C’est la CFTC, pourtant réputée pour sa modération, qui a eu les paroles les plus tranchées après la rencontre entre partenaires sociaux, organisée au siège national du Medef, à Paris. « C’est dommage d’arriver à un constat d’échec », a lancé Eric Courpotin, secrétaire confédéral de la centrale chrétienne, face aux journalistes, mercredi vers 2 heures du matin. « Le ressenti de toutes les organisations [de salariés], c’est qu’il n’est pas possible de signer », a-t-il ajouté en se demandant, sur un ton provocateur, si la volonté du camp adverse n’était pas d’obtenir « de la main-d’œuvre, pour pas cher ». Son homologue de la CFE-CGC, Jean-François Foucard, a également été plutôt direct. « Le patronat avait dit : “On va changer de paradigme.” On attend toujours », a-t-il ironisé, avant de conclure : « C’est un moment raté. »

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Emploi des seniors : syndicats et patronat échouent à trouver un accord

Les quarante-huit dernières heures de tractations n’auront pas suffi : les organisations syndicales de salariés ont dressé, dans la nuit du mardi 9 au mercredi 10 avril, un constat d’échec au terme de trois mois et demi de négociations sur l’emploi des seniors, compromettant la validation par le gouvernement de la convention d’assurance-chômage négociée à l’automne.

Le texte final soumis à la signature par les organisations patronales ne crée « aucun droit nouveau pour les salariés », a regretté le négociateur de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Yvan Ricordeau, à l’issue des pourparlers ; un constat partagé par les quatre autres syndicats. « Il n’y a pas de nouveau droit, il y a moins de destructions [de droits] que prévu, mais surtout des grands manques », a aussi pointé le négociateur de Force ouvrière (FO), Michel Beaugas, qui a réservé la position de son organisation.

« On va lister les plus et les moins : il n’y aura pas beaucoup de plus », a expliqué Denis Gravouil pour la Confédération générale du travail (CGT). « L’avis que je vais faire passer à nos instances n’est pas favorable », a renchéri Eric Courpotin (Confédération française des travailleurs chrétiens, CFTC), tandis que Jean-François Foucard (Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres, CFE-CGC) a dit qu’il proposerait à son instance dirigeante « de ne pas signer cet accord ».

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Emploi des seniors : les négociations se tendent

Un droit à la retraite progressive trop coûteux

Plusieurs syndicats ont affirmé qu’une ouverture patronale sur un droit à la retraite progressive aurait pu changer la donne, mais le Mouvement des entreprises de France (Medef) comme le gouvernement ont argué que la mesure coûtait trop cher. « Le patronat ne voulait pas de cette négociation depuis le départ, il a essayé de la retourner dans son sens » pour mieux l’évacuer, a estimé M. Ricordeau. L’adhésion de la CFDT au texte était déterminante pour parvenir à un compromis.

FO et la CFDT vont réunir, mercredi 10 et jeudi 11 avril, leurs instances dirigeantes pour décider formellement de la validation ou non de l’accord, mais les déclarations négatives de leurs négociateurs ne laissent guère de doute sur le fait que leur décision sera négative.

La cinquième et dernière version du texte, qui comportait très peu de modifications sur le fond par rapport aux deux versions précédentes, a été remise par le patronat aux syndicats de salariés tard dans la soirée de mardi, sans leur donner satisfaction. Le négociateur du Medef, Hubert Mongon, a regretté que les syndicats aient maintenu leurs positions initiales durant toutes les négociations.

Il a rappelé que son organisation avait voulu « faire en sorte de travailler à l’élévation du taux d’emploi dans le pays », en améliorant la qualité de l’environnement de travail, tout en évitant « la désinsertion professionnelle ». Selon lui, le projet d’accord soumis à signature répondait « à un certain nombre d’aspirations » de plusieurs syndicats de salariés.

Un objectif de 65 % de taux d’emploi des seniors à l’horizon 2030

Cet échec redonne la main au gouvernement, qui s’était engagé en cas d’accord à transcrire dans la loi le texte, dont le but affiché était d’augmenter le taux d’emploi des seniors, plus bas en France que dans la plupart des pays européens. Comme attendu, le compte épargne-temps universel (CETU), promu par la CFDT, mais rejeté par le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), était aussi absent du texte final. Pour rappel, le gouvernement a fixé l’objectif d’un taux d’emploi de 65 % « à l’horizon 2030 » pour les 60-64 ans.

Censé permettre à l’ensemble des actifs de convertir des jours de congé ou de repos en rémunération ou de partir à la retraite de manière anticipée, il devrait toutefois faire l’objet d’une négociation séparée prochaine − possiblement mardi 16 avril − à l’initiative de l’Union des entreprises de proximité (U2P), la troisième organisation patronale, qui représente artisans, professions libérales et commerçantes.

La réunion prévue mercredi en cas d’accord à l’Unédic pour signer un avenant sur l’indemnisation des seniors, en présence des syndicats signataires de la convention d’assurance-chômage de novembre (CFDT, FO et CFTC) et des trois organisations patronales est, elle, « reportée dans l’attente de la décision finale des différentes parties », selon le représentant du Medef. Cette signature devait ouvrir la voie à la validation de l’accord paritaire par le gouvernement.

Le premier ministre, Gabriel Attal, a d’ores et déjà annoncé sa volonté de durcir encore les conditions d’indemnisation des chômeurs pour, justifie-t-il, les inciter davantage à reprendre un emploi.

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Aussi les partenaires sociaux devraient-ils recevoir au printemps une nouvelle lettre de cadrage pour négocier une nouvelle convention, avec des économies à la clé pour l’assurance-chômage, alors que le gouvernement cherche à trouver des économies afin de réduire le déficit public.

Le Monde avec AFP

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Des entretiens d’embauche menés sans humain : le monde du recrutement se questionne sur les usages de l’IA

Très classiquement, elle a répondu à une petite annonce, en janvier. Puis, très classiquement encore, elle a reçu un mail préformaté lui indiquant qu’elle avait été retenue pour un entretien d’embauche. Dans ce même message, l’entreprise en question, la SNCF, lui avait indiqué que ce dernier se passerait en ligne sur une interface. Qu’en d’autres termes, personne ne serait derrière l’écran.

Le jour J, Anne Vulliez s’est malgré tout fait surprendre par la méthode, à savoir cliquer sur un lien, faire un bref test, puis répondre à l’oral à trois questions écrites, en une minute chacune, chrono sous les yeux, en actionnant sa webcam. « J’ai à peine eu le temps de dire bonjour, merci, que c’était déjà fini », raconte cette responsable en communication. Quelques semaines plus tard, la candidate reçoit un nouveau courriel lui signifiant, cette fois, qu’elle n’a pas été retenue. « Du début à la fin, il n’y a eu aucune interaction humaine », s’étonne-t-elle encore, pourtant ouverte aux nouvelles technologies. « Nombre d’entreprises veulent montrer qu’elles sont innovantes. Mais à l’heure où elles doivent remettre de l’humain dans leur stratégie, elles utilisent souvent l’intelligence artificielle [IA] à mauvais escient. »

Rédaction d’offres d’emploi, filtrage des CV, tests en ligne… L’IA générative, popularisée fin 2022 par ChatGPT, et qui consiste à créer du texte à partir d’instructions précises, est un outil supplémentaire qui s’invite désormais à tous les stades du recrutement. Dans la rédaction d’offres d’emploi, comme reconnaissent le faire L’Oréal ou le cabinet de conseil Ernst & Young (EY), mais aussi lors des entretiens. Mais cette robotisation n’a pas attendu l’IA générative.

« Certaines entreprises ont d’ores et déjà recours à des chatbots [robots conversationnels] qui posent des questions, enregistrent des réponses et prétendent savoir “décoder” les expressions du visage du candidat sous forme de “cartographie de ses émotions”, censée renseigner sur sa personnalité », confirme Gilles Gateau, le directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres.

Transparence

Menées au nom d’économies, ces pratiques sont aussi justifiées par leurs promoteurs par le fait qu’elles ne véhiculeraient pas plus de stéréotypes qu’un recruteur classique. Plusieurs affaires ont cependant révélé que ces algorithmes pouvaient être porteurs de biais. En 2018, Amazon a dû renoncer à l’utilisation d’un outil de tri automatique des candidatures. Ce dernier discriminait les femmes qui postulaient à des métiers techniques ou de développeuse Web.

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Corinne Gaudart, sociologue : « Les liens entre générations permettent d’acquérir les gestes protecteurs pour moins s’user au travail »

Les jeunes, et de manière générale les débutants, sont particulièrement exposés aux risques de blessures graves et mortelles sur leurs lieux de travail : telle était la conclusion du dernierplan national pour la prévention des accidents du travail, en 2022, qui en faisait une préoccupation prioritaire. Face à cet enjeu, Corinne Gaudart, directrice de recherche au CNRS, ergonome et coautrice de l’ouvrage Le Travail pressé (Les Petits Matins, 2023), met en avant l’importance de la transmission intergénérationnelle au sein des collectifs de travail.

Quels facteurs expliquent que les plus jeunes soient très exposés aux risques de douleurs ou d’accidents au travail ?

Leur manque d’expérience est un facteur crucial. Les plus jeunes sont moins aguerris concernant ce qu’on appelle les « savoir-faire de prudence », les gestuelles, positionnements ou appuis qui permettent d’éviter les blessures ou la mise en danger.

Prenons un jeune ouvrier du BTP, comme nous en rapportons le récit dans notre ouvrage. A ses débuts, avec tout un groupe d’ouvriers novices que l’entreprise n’a pas pris le temps de former, il est affecté à des tâches fatigantes, mais qui ne sont pas supposées demander de compétences particulières. Très souvent, on donne une pelle et il faut creuser des tranchées. Mais bien tenir une pelle demande aussi un savoir-faire, qui, lorsqu’il n’est pas transmis, fait que les jeunes ouvriers se font mal rapidement. Jusqu’à parfois générer des douleurs durables et gênantes dans le travail.

Vous avez justement étudié les bienfaits de la transmission des bons gestes ou des comportements de prudence entre générations. En quoi cette transmission est-elle essentielle dans les collectifs de travail ?

Ces fameux « savoir-faire de prudence » ne s’acquièrent pas tous dans des formations classiques. Souvent, ce sont des savoirs un peu invisibles, qui s’apprivoisent avec le temps et s’apprennent en côtoyant une équipe ou un tuteur sur son lieu de travail. Les liens entre générations, lorsqu’ils peuvent se déployer, permettent d’acquérir souvent de façon efficace les gestes protecteurs pour s’économiser, moins s’user au travail ou encore pour savoir faire face à la variabilité des situations professionnelles. C’est essentiel, pas seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan psychosocial, sur la façon dont on se projette et on vit son travail.

Cette transmission ne se fait pas que dans un sens. Au travail, il s’agit d’un échange réciproque, où les nouveaux arrivés peuvent aussi apprendre aux plus anciens. On pense souvent aux compétences numériques par exemple, mais pas uniquement : je me souviens d’une équipe d’aides-soignantes, dans un hôpital, où la transmission se jouait aussi d’une plus jeune à une plus ancienne sur la bientraitance des patients.

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Après la mort d’un jeune couvreur, les manquements de l’employeur pointés du doigt au tribunal de Tours

Un couvreur au travail dans le Nord de la France, en 2015.

« Face à la douleur d’une famille, à l’indignation devant le fait que l’on puisse mourir sur son lieu de travail, et aux discussions extrêmement techniques sur les causes de l’accident, il faut toujours privilégier les victimes, lance la procureure de la République, Catherine Sorita-Minard, en ouverture de son réquisitoire au tribunal correctionnel de Tours, mardi 9 avril. Benjamin était un jeune homme, inexpérimenté, qui aurait dû être accompagné et formé par son employeur. »

Benjamin Gadreau est mort le 28 février 2022 à 23 ans, des suites d’une chute de treize mètres, après avoir glissé sur une gouttière. Salarié depuis un an de l’entreprise de couverture Quinet, il travaillait sur le toit d’un bâtiment de logements collectifs, à Chinon (Indre-et-Loire). La société est poursuivie pour homicide involontaire, absence de protection collective conforme, et mise à disposition d’équipement de travail sans information ou formation.

Au tribunal, les proches de la victime sont entourés d’une dizaine de familles du collectif Stop à la mort au travail, que sa mère Caroline Dilly a cofondé fin 2022. Ces parents ou conjoints de victimes ont pris l’habitude de se rendre aux procès pour se soutenir mutuellement, accompagnés de banderoles et vêtements à l’effigie de la personne décédée.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Accidents du travail : les jeunes paient un lourd tribut

Le déroulement des faits est typique des risques que prennent régulièrement les couvreurs. Avec son chef d’équipe, Benjamin Gadreau a la journée pour changer une partie des gouttières situées à l’angle du bâtiment, et remplacer quelques ardoises sur le toit. Ils utilisent une plate-forme élévatrice mobile de personne, un équipement qui permet de travailler en sécurité « à condition que les tâches de travail s’effectuent depuis l’intérieur du panier nacelle », selon l’inspection du travail.

C’est là tout le souci : le chef d’équipe puis Benjamin sortent tous les deux de la nacelle, car le toit est en pente et ils ne peuvent réaliser leur travail depuis celle-ci. C’est en remontant dedans, que le jeune homme, sans protection, glisse et tombe.

Le directeur adjoint du travail en Indre-et-Loire Bruno Rousseau, qui s’exprime au nom de l’inspectrice du travail qui a suivi le dossier – désormais retraitée – est formel : « C’était “mission impossible” de travailler en sécurité à deux avec cette nacelle. L’employeur n’a pas évalué les risques et pris les mesures nécessaires pour assurer la santé de ses travailleurs. On n’a même pas trouvé de règlement intérieur. » Le couvreur décédé n’était pas formé au travail sur ce type d’engin.

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A moins de 30 ans, leur corps est déjà abîmé par le travail : « Ça a quelque chose de déprimant de se rendre compte qu’on est toute cassée si jeune »

Désormais, chaque matin, Léa Ruiz revêt tout un attirail. Positionner un masque FFP2 sur le visage, enfiler une paire de gants en latex. Sur son agenda personnel, toujours avoir un rendez-vous chez le kiné programmé à court ou moyen terme. A 32 ans, elle n’a pas le choix si elle veut alléger les troubles physiques qui pèsent sur elle après neuf années en tant que coiffeuse.

Les premières douleurs sont survenues très tôt, dès ses périodes de stage. Dans les salons de grandes chaînes où la jeune apprentie coiffeuse officiait – debout toute la journée et soumise à une « cadence effrénée » –, son dos a commencé à lui faire mal. Puis ses poignets et ses épaules, à force d’enchaîner les Brushing coudes relevés et sèche-cheveux à la main, et enfin ses jambes, en raison du piétinement continu. « Au début, ça s’en allait, avec du sport ou des séances de kiné. Et puis ça s’est installé, et c’est devenu des douleurs constantes », raconte Léa Ruiz. A l’orée de la trentaine, un eczéma envahit ses mains, abîmées par les shampooings, suivi de violents maux de tête, liés à l’inhalation quotidienne des produits de décoloration.

Depuis 2020, elle a quitté l’industrie des salons de coiffure « à la chaîne » et a monté une coopérative avec d’autres collègues, décidés à penser une organisation du travail plus respectueuse : Frange radicale, à Paris, où les coiffeurs essaient de prendre davantage leur temps pour chaque coupe. Mais la jeune femme traîne toujours ces séquelles physiques, qui s’aggravent d’année en année. « Je ne vois pas bien combien de temps je vais pouvoir encore tenir comme ça », confie-t-elle.

« Usure prématurée »

Dans de nombreux secteurs, en particulier peu qualifiés, des jeunes travailleurs et travailleuses subissent, avant même la trentaine, les impacts précoces de leur activité professionnelle. Des domaines comme la logistique, le BTP, la vente, la restauration, l’esthétique – souvent essentiellement soit féminins, soit masculins – sont marqués par un même turnover, symptomatique de milieux qui essorent les corps en un temps record.

Si les métiers en question sont caractérisés par une pénibilité intrinsèque, les jeunes entrants sont particulièrement exposés à ce que les chercheurs appellent une « usure prématurée » en raison de la nature des emplois qui leur sont attribués. Souvent en intérim ou en CDD, ils passent en coup de vent, découvrant à chaque contrat un nouvel environnement de travail, auquel ils ne peuvent s’adapter pleinement. Et où on leur confie souvent les tâches les plus harassantes, dont les manutentions les plus lourdes et contraignantes, comme le souligne un rapport du Centre d’études de l’emploi et du travail de 2023.

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Dans une entreprise de moins de cinquante salariés, un délégué syndical ne peut être représentant syndical

Droit social. Depuis leur naissance en 1936, l’élection des délégués du personnel d’abord, puis, après l’intermède des comités sociaux créés par le régime de Vichy, dont les membres étaient désignés par l’employeur, celle des membres du comité d’entreprise, créé en 1945 dans les entreprises de plus de cinquante salariés, ont donné lieu à un nombre incalculable de décisions de justice.

Bien que délégués du personnel et comités d’entreprise aient été fusionnés en un comité social et économique (CSE) par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 décembre 2017, dite « ordonnance Macron », les litiges sur la désignation des représentants syndicaux au CSE, troisième composante avec l’employeur et les élus de cette instance, n’ont pas cessé. Les règles de désignation de ces représentants des syndicats au CSE – mais qui n’y ont pas de voix délibérative – diffèrent en fonction de plusieurs seuils d’effectifs.

La situation est simple dans les entreprises d’au moins 300 salariés : chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise peut désigner un représentant syndical au CSE, à condition que cette personne soit éligible au CSE. Il en est de même dans les établissements entre 50 et 300 salariés : le délégué syndical de chaque organisation est, de droit, représentant syndical au CSE, il cumule ces mandats.

La situation est plus complexe en deçà de cinquante salariés, dans la mesure où il y peut y avoir imbrication de la fonction d’élu avec celle de délégué syndical. Aux termes de l’article L. 2143-6 du code du travail, dans ces établissements, les syndicats représentatifs peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un membre élu au CSE comme délégué syndical à condition qu’il ait recueilli à titre personnel et dans son collège électoral au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections dudit CSE. Ce salarié aura deux fonctions.

Le principe de non-cumul

En revanche, par un arrêt du 11 septembre 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation a édicté un principe de non-cumul entre la fonction d’élu du CSE (ayant voix délibérative) et celle de représentant syndical au CSE (sans voix délibérative mais porteur de la parole du syndicat). Il n’est donc pas possible de désigner le délégué syndical choisi parmi les élus du CSE en tant que représentant syndical à ce même CSE.

Cette impossibilité vient d’être confirmée alors même qu’une convention collective nationale – celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 – ouvre à tous les syndicats représentatifs, dans toute entreprise, la possibilité de désigner un délégué syndical quel que soit l’effectif de l’entreprise ou de l’établissement.

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