Corinne Gaudart, sociologue : « Les liens entre générations permettent d’acquérir les gestes protecteurs pour moins s’user au travail »

Corinne Gaudart, sociologue : « Les liens entre générations permettent d’acquérir les gestes protecteurs pour moins s’user au travail »

Les jeunes, et de manière générale les débutants, sont particulièrement exposés aux risques de blessures graves et mortelles sur leurs lieux de travail : telle était la conclusion du dernierplan national pour la prévention des accidents du travail, en 2022, qui en faisait une préoccupation prioritaire. Face à cet enjeu, Corinne Gaudart, directrice de recherche au CNRS, ergonome et coautrice de l’ouvrage Le Travail pressé (Les Petits Matins, 2023), met en avant l’importance de la transmission intergénérationnelle au sein des collectifs de travail.

Quels facteurs expliquent que les plus jeunes soient très exposés aux risques de douleurs ou d’accidents au travail ?

Leur manque d’expérience est un facteur crucial. Les plus jeunes sont moins aguerris concernant ce qu’on appelle les « savoir-faire de prudence », les gestuelles, positionnements ou appuis qui permettent d’éviter les blessures ou la mise en danger.

Prenons un jeune ouvrier du BTP, comme nous en rapportons le récit dans notre ouvrage. A ses débuts, avec tout un groupe d’ouvriers novices que l’entreprise n’a pas pris le temps de former, il est affecté à des tâches fatigantes, mais qui ne sont pas supposées demander de compétences particulières. Très souvent, on donne une pelle et il faut creuser des tranchées. Mais bien tenir une pelle demande aussi un savoir-faire, qui, lorsqu’il n’est pas transmis, fait que les jeunes ouvriers se font mal rapidement. Jusqu’à parfois générer des douleurs durables et gênantes dans le travail.

Vous avez justement étudié les bienfaits de la transmission des bons gestes ou des comportements de prudence entre générations. En quoi cette transmission est-elle essentielle dans les collectifs de travail ?

Ces fameux « savoir-faire de prudence » ne s’acquièrent pas tous dans des formations classiques. Souvent, ce sont des savoirs un peu invisibles, qui s’apprivoisent avec le temps et s’apprennent en côtoyant une équipe ou un tuteur sur son lieu de travail. Les liens entre générations, lorsqu’ils peuvent se déployer, permettent d’acquérir souvent de façon efficace les gestes protecteurs pour s’économiser, moins s’user au travail ou encore pour savoir faire face à la variabilité des situations professionnelles. C’est essentiel, pas seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan psychosocial, sur la façon dont on se projette et on vit son travail.

Cette transmission ne se fait pas que dans un sens. Au travail, il s’agit d’un échange réciproque, où les nouveaux arrivés peuvent aussi apprendre aux plus anciens. On pense souvent aux compétences numériques par exemple, mais pas uniquement : je me souviens d’une équipe d’aides-soignantes, dans un hôpital, où la transmission se jouait aussi d’une plus jeune à une plus ancienne sur la bientraitance des patients.

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LJD

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