Archive dans novembre 2023

Retrouver le sourire avec l’intelligence artificielle ?

Carnet de bureau. L’intelligence artificielle (IA) qui donne le sourire permanent aux vendeurs, aux agents de la fonction publique et autres salariés en contact avec la clientèle, c’est déjà du présent. Depuis trois ans, plusieurs start-up (Sanas, Krisp, Alta Voce) développent et commercialisent des logiciels qui permettent de modifier la prosodie des interlocuteurs, en partant d’un principe reconnu : le sourire de celui qui parle s’entend dans sa voix. Le ton stressé voire comminatoire de l’opératrice qui vient de passer un très mauvais moment avec le client précédent est remplacé par quelques phrases claires qui transpirent l’empathie grâce à l’« assistance sourire ». De quoi susciter l’intérêt de l’industrie des centres d’appels qui a fourni les premiers clients aux éditeurs de ces logiciels.

L’IA transforme en effet la voix des salariés avec des applications diverses. Celle de la start-up Sanas, développée en 2021 pour l’industrie des centres d’appels, gomme l’accent local des opérateurs auquel certains consommateurs réagissaient avec agressivité. Il s’agit de « briser les barrières linguistiques » et de « rendre les communications plus inclusives », assure le directeur d’exploitation, Sharath Keshava Narayana.

La solution Alta Call, développée par des chercheurs et des ingénieurs du son de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), améliore l’intelligibilité d’un message et simule un sourire en temps réel. « Dans les centres de contact, on vous demande de sourire toute la journée. Les ingénieurs ayant constaté que la prosodie de la voix peut avoir un impact émotionnel, l’idée a été d’aider les salariés à désamorcer l’agressivité de certains usagers par un sourire artificiel », explique Sarah Boujendar, maîtresse de conférences en ressources humaines et comportement organisationnel à l’université Toulouse-Capitole, autrice d’une thèse sur les conséquences de l’agressivité verbale sur la performance des salariés.

Acceptabilité éthique

Dernier exemple, Krisp, comme les deux précédents logiciels, supprime les bruits de fond : ceux de la rue ou des enfants qui jouent dans la pièce du télétravailleur, jusqu’aux clics de la souris. L’espoir d’une meilleure productivité des réunions en hybride, ou d’une plus grande efficacité d’une communication en télémédecine ou avec le SAMU.

L’intérêt économique pourrait être significatif. Si lors d’un premier bilan, il y a un an, Sanas ne faisait état que d’une amélioration de la satisfaction client de 21 %, la start-up Alta Voce a mesuré une hausse des ventes de 8 % à 30 % à l’issue d’une expérimentation d’un mois de son logiciel Alta Call dans un centre d’appels de 1 300 salariés.

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L’ex-directrice du régime de garantie des salaires n’obtient pas le statut de lanceuse d’alerte

C’est un coup dur pour celle qui affirmait avoir révélé le scandale des entreprises en difficulté. Mardi 7 novembre, Houria Aouimeur, l’ancienne directrice nationale du régime de garantie des salaires AGS, a été déboutée de toutes ses demandes par le conseil de prud’hommes de Paris. Elle réclamait, en particulier, le statut de lanceuse d’alerte dans une affaire de détournement de fonds, mais les juges, saisis en référé, ont refusé de lui donner gain de cause.

Cette décision constitue un nouveau rebondissement dans un dossier à tiroirs particulièrement complexe. Tout commence à l’automne 2018, lorsque Mme Aouimeur prend les rênes du régime AGS, un organisme de protection sociale au fonctionnement très atypique. Il permet aux salariés de sociétés battant de l’aile ou liquidées de continuer à être payés. L’argent est mis à disposition de mandataires judiciaires qui le redistribuent ensuite aux travailleurs concernés. Le dispositif est gouverné par une association patronale, tout en étant rattaché à l’Unédic, l’association paritaire qui gère l’assurance-chômage.

Début 2019, un audit réalisé par le cabinet E & Y, à la demande de Mme Aouimeur, juste après son recrutement à l’AGS, révèle des anomalies susceptibles de mettre en cause le prédécesseur de la directrice nationale (favoritisme à l’égard d’une société d’avocats et de prestataires de services de communications, etc.). Des plaintes sont déposées en mars 2019, notamment par le Medef et par l’Unédic, pour « corruption active et passive, prise illégale d’intérêt »…

Au fil des mois, les soupçons s’élargissent à d’autres protagonistes – en particulier à des administrateurs et mandataires judiciaires qui auraient été impliqués dans des manœuvres frauduleuses avec l’ancienne équipe à la tête de l’AGS. Une deuxième série de plaintes est déposée, fin 2019, pour « abus de confiance, faux et usage de faux »… En parallèle, Mme Aouimeur confie un autre audit au cabinet Advolis, qui s’interroge sur l’emploi de plusieurs milliards d’euros ayant transité entre les mains de mandataires judiciaires entre 2013 et 2018.

Le dossier n’est pas clos

L’affaire prend une nouvelle dimension lorsque l’Unédic – l’employeur des personnels du régime AGS, donc de Mme Aouimeur – s’intéresse aux « frais de mission, de réception et de déplacement » de la directrice nationale et de ses proches collaborateurs. Une première « évaluation » met en évidence des dépenses très élevées : notes de restaurants, courses en taxis… Une autre expertise – du cabinet PwC – parvient à des constats similaires tout en pointant du doigt des contrats et marchés passés avec des prestataires dans des conditions irrégulières. Du fait de tous ces « manquements », l’Unédic – qui est le patron de Mme Aouimeur – décide de la licencier, en février, pour « faute lourde ».

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« Les plus fortes contraintes auxquelles sont soumises les entreprises ne sont pas leurs engagements volontaires mais les limites planétaires »

Depuis la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019, l’article 1833 du code civil stipule qu’une entreprise doit être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Pour faire face à cette nouvelle exigence de manière efficace, cette même loi Pacte propose une solution : la société à mission. Ce cadre innovant et engageant leur permet de sortir des logiques financières trop court-termistes et de se fixer des objectifs de création de valeur globale dans la durée.

A ce jour plus de 1 400 entreprises ont adopté la qualité de société à mission. Dans la plupart des secteurs, des entreprises leaders sont devenues société à mission : Enedis, Danone, les deux groupes de Crédit mutuel (Crédit mutuel Arkea, et Crédit mutuel Alliance fédérale), Korian, Doctolib, etc.

Elle protège sa réputation

De nombreux dirigeants considèrent néanmoins que leur liberté est déjà suffisamment entravée par les nombreuses normes auxquelles ils sont soumis, et qu’ils n’ont pas d’intérêt à « s’infliger des contraintes additionnelles », en adoptant la qualité de société à mission. Les plus fortes contraintes auxquelles sont soumises les entreprises, ce ne sont pourtant pas leurs engagements volontaires mais bien les limites planétaires (biodiversité, changement climatique…) et l’aspiration légitime de justice sociale des populations.

La loi Pacte a entériné le fait que les entreprises devaient apporter des réponses à la hauteur des enjeux, qu’elles portaient toutes cette responsabilité. De la même manière, la généralisation de la directive CSRD (« Corporate Sustainability Reporting Directive ») sur le reporting de durabilité des sociétés qui impose des normes de reporting extra-financier à toutes les entreprises de plus de 250 salariés, vise à empêcher ces dernières d’aggraver par leurs pratiques les risques auxquels elles sont soumises.

La société à mission permet, à travers la formulation statutaire d’une raison d’être et d’une mission de fixer un cap pour transformer l’entreprise et rendre son modèle d’affaires compatible avec les limites planétaires. En agissant ainsi, l’entreprise se prémunit contre plusieurs risques. Elle se met en conformité avec l’article 1833 du code civil cité ci-dessus, en démontrant la manière dont cette nouvelle responsabilité est concrètement exercée, et se prémunit contre des attaques sur cette base juridique. Elle protège aussi sa réputation.

Des vigies de plus en plus affûtées

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« Faut-il répondre au désir de consommer pas cher ou assurer, par des produits innovants, la transition vers une économie plus sobre ? »

Gouvernance. La poussée de l’inflation depuis 2022 a montré combien notre imaginaire politique reste bercé par deux grands récits économiques opposés : l’un affirme la valeur suprême du pouvoir d’achat, quand l’autre prône l’impératif de revoir fortement notre manière de consommer.

Depuis les « trente glorieuses », les syndicats, les entreprises comme les politiques ont associé le progrès social, la croissance économique à la hausse du pouvoir d’achat des ménages et donc de la consommation de biens matériels. La satisfaction des besoins répondant à toutes sortes de désirs s’est imposée autant comme le moteur de l’économie que comme une exigence morale.

Aussi, quand la compétition internationale a pesé sur les niveaux de salaires, la baisse des prix de production a pris le relais pour maintenir le niveau du pouvoir d’achat des ménages occidentaux : d’où l’industrialisation massive des produits et des services ; la délocalisation des industries dans des pays à faible coût de main-d’œuvre ; les aides publiques pour assurer le prix bas des productions non délocalisables, notamment agricoles. Compression des prix d’autant plus nécessaire que le coût des dépenses incompressibles, tel celui des logements, explosait.

La consommation épuise le désir qu’elle crée

La période fut donc tirée par un accroissement constant de la consommation même éphémère, du fait du relatif bon marché des produits et de leur facilité de mise en marché par la grande distribution puis par les sites Internet diffusant le « pas cher ».

Dès les années 1970 pourtant, un autre récit s’est fait entendre, affirmant que le rôle suréminent attribué au pouvoir d’achat était structurellement contre-productif : la consommation épuise le désir qu’elle crée, et qui n’est maintenu que par l’addiction ou par le renouvellement constant des objets désirables.

Conséquence, nous dépensons toujours plus d’énergie à recycler les déchets sous lesquels nous croulons ; nous payons des impôts pour soutenir une surconsommation alimentaire source de maladies, creusant les déficits sociaux pour lesquels il faut payer d’autres impôts ; nous courons après le temps compressé par l’usage intensif de technologies supposées nous faire gagner du temps ; nous nous évadons en rejoignant les cohortes de touristes qui font de même…

Qualité et sobriété

Depuis l’origine, ce récit s’est posé comme un contre-discours écologique. Non qu’il se limite à une simple inquiétude pour l’environnement : par définition, l’écologie s’intéresse aux écosystèmes que produit le vivant, et, en particulier l’humain, et donc aux effets, tant sur la nature que sur cet humain lui-même, de la promesse d’une croissance fondée sur le pouvoir infini de consommer.

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WeWork, le spécialiste des bureaux partagés, dépose le bilan en Amérique du Nord

Les bureaux de WeWork dans le quartier new-yorkais de Manhattan, le 9 août 2023.

Le spécialiste américain des bureaux partagés WeWork, en grande difficulté depuis plusieurs années, a annoncé, lundi 6 novembre, déposer le bilan afin de négocier une réduction « significative » de sa dette avec ses créanciers.

« WeWork et certaines de ses filiales ont engagé [aux Etats-Unis] une procédure de mise sous protection du “chapitre 11” [la loi sur les faillites] et ont l’intention de déposer une procédure de reconnaissance au Canada dans le cadre de la loi sur les accords entre entreprises et créanciers », a annoncé le groupe dans un communiqué. La procédure ne concerne pas ses filiales hors de ces deux pays, a ajouté le groupe, qui estime que ses « opérations mondiales vont se poursuivre, comme d’habitude ».

La procédure américaine sous chapitre 11 permet à une entreprise de renégocier sa dette avec ses créanciers ainsi que de présenter un plan de réorganisation de son activité tout en restant sous la protection de la loi, pour une période qui peut s’étendre sur plusieurs années. Le groupe espère notamment « mettre fin aux baux d’un certain nombre d’emplacements » qui ne lui rapportent pas suffisamment d’argent, précisant que les entreprises propriétaires « ont déjà reçu un préavis ».

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« Il est temps pour nous de nous tourner vers l’avenir en nous attaquant énergiquement à nos anciens baux et en améliorant considérablement notre bilan », a affirmé le directeur général du groupe, David Tolley, cité dans le communiqué, pour qui « ces mesures nous permettront de rester le leader mondial d’espace de travail flexible ».

Des milliards de dollars perdus au premier semestre

WeWork avait averti au début d’août le gendarme boursier américain (SEC) qu’il craignait pour sa survie : « Il existe un doute substantiel sur la capacité de l’entreprise à poursuivre ses activités », avait déclaré le groupe. En cause, selon lui : les pertes financières, les besoins en liquidités et la baisse du nombre de locataires. WeWork avait expliqué avoir perdu des milliards de dollars au cours des six premiers mois de 2023, à cause de la baisse de la demande liée aux mauvaises conditions économiques.

Le sort de l’entreprise, dont le siège est à New York, dépend de « l’exécution réussie du plan de la direction visant à améliorer les liquidités et la rentabilité », avait-elle expliqué dans un document déposé à la SEC.

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L’agence de notation S&P a annoncé, le 1er novembre, abaisser la note du groupe dans la catégorie « défaut partiel », après que WeWork a fait le point sur ses problèmes de paiement d’intérêts sur sa dette. « De notre point de vue, cela constitue un défaut partiel sur plusieurs tranches de sa structure de capital, parce que WeWork est aux abois, n’a pas assumé ses obligations contractuelles en payant des intérêts dans les temps et n’a pas compensé de manière adéquate tous les créanciers pour avoir temporairement renoncé à leurs droits », a expliqué S&P dans un communiqué.

Essor du télétravail

Autrefois star des start-up, WeWork avait levé des milliards de dollars auprès de SoftBank Group. Mais la gestion controversée de son fondateur, Adam Neumann, a inquiété les investisseurs, qui ont fini par l’évincer en 2019. Puis la pandémie de Covid-19 a vidé les bureaux et l’entreprise n’est pas parvenue à se redresser alors que la demande pour des locaux professionnels a chuté avec l’essor du télétravail.

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La chute de WeWork a également fortement déstabilisé le groupe japonais SoftBank Group et son fonds Vision Fund, qui y avaient fortement investi, obligeant même le groupe japonais à le sauver une première fois à grands frais, venant au passage écorner l’image de visionnaire de son patron, Masayoshi Son.

WeWork a été valorisé jusqu’à 47 milliards de dollars, mais son action ne valait plus que 80 cents (75 centimes d’euro), lundi soir, à la clôture de la Bourse de New York, pour une capitalisation boursière de 44,49 millions de dollars.

Le Monde avec AFP

Livreurs à vélo, VTC… les conditions de travail se dégradent

Un livreur Uber Eats sur la place Massena à Nice, le 26 janvier 2021.

« La semaine dernière, j’ai travaillé 63 heures pour 143 euros bruts, sur 25 courses ». Bastien, coursier à vélo pour Uber Eats dans la région d’Armentières (Nord), ne décolère pas. Pour Kylian, qui gagne mieux sa vie dans la région de Lens et Béthune, le constat est similaire. « La nuit, je gagnais entre 8 et 15 euros de l’heure. Avec les nouvelles règles, on est tombé entre 5 et 9. J’ai totalement changé mon rythme de travail pour limiter la casse, je me lève à 8 heures quand avant je me couchais à 5 heures. » Fabian Tosolini, délégué national d’Union-Indépendants (affilié à la CFDT), relaie lui aussi des chiffres « indécents » : « les tarifs baissent entre 10 et 40 % par rapport à 2019. Cela va jusqu’à des courses de trois kilomètres hier à 5,50 euros, et aujourd’hui à 3 euros ! »

A partir du 10 octobre, l’entreprise Uber Eats a progressivement mis en place un nouveau modèle de tarification pour ses 65 000 livreurs, qui s’applique désormais à tout le territoire. Le Nord étant un des premiers territoires concernés, il a vu certains livreurs se mobiliser spontanément après avoir constaté une chute de leur rémunération, comme à Armentières.

Face à cette situation, la CGT-livreurs a appelé à se « mobiliser » le week-end du 3 au 5 novembre. Son secrétaire, Ludovic Rioux, ne souhaitait pas uniquement appeler à faire grève : « C’est compliqué à structurer sur la durée, le niveau de précarité étant tellement élevé… Mais beaucoup de villes se sont mobilisées : Epinal, Bordeaux, Mâcon, une grosse grève à Montpellier dimanche… »

Six accords signés

La colère est palpable car cette mise à jour intervient en parallèle de l’émergence d’un dialogue social, censé améliorer les conditions de travail des travailleurs des plates-formes (livreurs à vélo et chauffeurs de VTC), ces autoentrepreneurs payés à la prestation, réglant eux-mêmes leurs charges, mais dépendants des décisions des plates-formes. Pour régler ces problèmes, l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (ARPE), un établissement public sur-mesure, est née en 2021.

Elle a accouché de six accords. En janvier 2023, pour les VTC, un revenu minimum par trajet a été fixé à 7,65 euros nets sur toutes les applications. Au printemps, l’Association des plates-formes d’indépendants (API), seule organisation patronale et la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), la plus importante des quatre organisations représentatives des livreurs à vélo, ont signé un accord promettant un salaire minimum horaire de 11,75 euros bruts pour les coursiers, en sachant qu’ils ne sont payés que sur le temps de commande. Cette garantie ne concerne pas le prix de chaque course, c’est une moyenne calculée à la fin du mois : si un livreur est en dessous, il a théoriquement le droit à un complément. « Ça fait 19 centimes la minute de prestation hors taxes, sans compter le temps entre deux commandes. C’est ridicule, car avant ça, on était souvent à une moyenne de 15-16 euros de l’heure », considère Leila Ouadah, livreuse Deliveroo à Mulhouse, qui siège pour Sud Solidaires à l’ARPE.

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« La grande livraison » : six livreurs font Paris-Bruxelles à vélo pour défendre leur droit au salariat

Départ des livreurs de « La Grande Livraison », à Paris le 5 novembre. Ils pédalent jusqu’à Bruxelles pour défendre leurs droits.

C’est avec un peu de retard que le petit peloton de livreurs à vélo arrive sur la place René Goblet d’Amiens, lundi 6 novembre, sous les acclamations d’un groupe comprenant notamment le député local François Ruffin (La France insoumise). « Ils ont fait 74 kilomètres au lieu de 62 depuis Beauvais, car il a fallu passer par des petites routes », justifie Brahim Ben Ali, secrétaire général du syndicat de chauffeurs VTC INV, qui les suit à la manière d’une voiture-balai.

Six livreurs à vélo de cinq nationalités différentes, 384 kilomètres entre Paris et Bruxelles et cinq villes-étapes : tel est le programme de « La grande livraison », qui se tient entre dimanche 5 et jeudi 9 novembre. Son but ? Visibiliser la dégradation des conditions de travail des coursiers à vélo auto-entrepreneurs, et défendre un projet de directive européenne qui prévoit de transformer les travailleurs des plates-formes (livreurs et chauffeurs VTC en tête) en salariés.

Cette place du centre-ville d’Amiens a été choisie car c’est là que se regroupent de nombreux livreurs, pour une majeure partie d’entre eux d’origine afghane. Ces derniers disent gagner pour l’un 209 euros bruts par semaine en travaillant sept jours sur sept, pour un autre jamais plus de mille euros par mois. Ils aimeraient tous arrêter pour trouver un véritable emploi.

A ces faibles rémunérations s’ajoutent l’absence de congés payés, d’arrêts-maladie, ou d’une véritable sécurité de l’emploi, inhérents à l’autoentrepreneuriat. « L’enjeu plus large, c’est la transformation du marché de l’emploi, et la diffusion du modèle de l’autoentrepreneur qui est dangereuse, et menace de plus en plus de métiers, avance François Ruffin. S’il y a un donneur d’ordre qui fixe les rémunérations et les conditions de travail, cela doit être du salariat comme le veut la directive, pas des bouts de boulots non reconnus et sans protection sociale. »

Fixer des règles identiques à l’échelle de l’Union

Ce projet de législation, lancé fin 2021 par des eurodéputés de gauche, souhaite fixer des règles identiques à l’échelle de l’Union, alors que les réglementations sont encore très disparates selon les pays. Elle sera discutée jeudi 9 novembre à Bruxelles en trilogue, soit avec des représentants du Parlement européen, de la Commission européenne et du conseil de l’Union européenne. La France est l’un des pays les plus opposés à cette présomption de salariat, qui existe déjà en Espagne.

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Les plates-formes sont les premières à désapprouver ce texte. « Nous saluons les efforts visant à apporter un cadre, plus de clarté et une protection renforcée aux travailleurs des plateformes, déclare un porte-parole d’Uber. Nous observons cependant que certaines des discussions actuelles risquent de n’apporter aucune amélioration, tout en allant à l’encontre de ce que la grande majorité des livreurs et chauffeurs nous dit valoriser le plus : la flexibilité offerte par le modèle indépendant. » Peut-être, mais pas à n’importe quel prix. « Il faudrait qu’on soit payé 22 euros brut de l’heure, donc au moins le double de ce qu’on touche actuellement, avec des congés pour que ce statut soit intéressant », répond Jérémy Wick, livreur Deliveroo et UberEats à Bordeaux.

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Tempêtes Ciaran et Domingos : 126 000 foyers toujours privés d’électricité

Quelque 126 000 foyers étaient toujours privés d’électricité sur la façade ouest de la France après le passage des tempêtes Ciaran et Domingos, a annoncé Enedis dans des communiqués, lundi 6 novembre au matin.

Le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité a décompté 93 000 foyers touchés par la tempête Ciaran dans la nuit de mercredi à jeudi et 33 000 par la tempête Domingos entre samedi et dimanche restaient « encore à réalimenter ».

Concernant la tempête Ciaran, la Bretagne est la région qui compte le plus grand nombre de foyers privés de courant depuis jeudi (81 000 foyers), suivie de la Normandie (11 000). La Charente-Maritime (16 000) et la Gironde (9 000) sont les deux départements les plus touchés par la tempête Domingos, selon Enedis.

A la suite du passage de la tempête Ciaran, 1,2 million de foyers sans électricité

Enedis précise avoir mobilisé 4 400 techniciens, prestataires et salariés « venus en renfort d’autres régions », afin de « réaliser dans les meilleurs délais les derniers chantiers de réparations lourdes menés dans des conditions difficiles ». L’un de ses salariés, âgé d’une quarantaine d’années, est mort, électrocuté dans la soirée de samedi lors d’une intervention dans le Finistère.

Le précédent point d’Enedis sur la tempête Ciaran, publié samedi soir, faisait état de 176 000 clients privés de courant. Dans un premier temps, 1,2 million de foyers avaient été plongés dans le noir après le passage de cette tempête. Concernant Domingos, 50 000 l’étaient encore dimanche soir.

Le Monde avec AFP

« Le travail dans la sous-traitance : plus pénible et plus dangereux »

[Pourquoi le travail est-il plus dangereux pour les sous-traitants ? Corinne Perraudin est économiste, maîtresse de conférences au Centre d’économie de la Sorbonne (CES) à l’université Paris-I. Ses travaux de recherche portent sur les pratiques d’établissements en matière d’organisation du travail et de gestion de l’emploi, ainsi que sur leurs conséquences sur les conditions de travail des salariés. Nadine Thèvenot est économiste, maîtresse de conférences au Centre d’économie de la Sorbonne (CES) à l’université Paris-I. Ses travaux de recherche portent sur les frontières du travail subordonné, l’éclatement des collectifs de travail et l’organisation du travail en sous-traitance. Elles sont les autrices, avec Sophie Dessein, d’un rapport d’études pour la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail sur les conditions de travail et la prévention des risques professionnels dans le travail en sous-traitance. Elles sont membres du conseil d’orientation du Groupe d’études sur le travail et la santé au travail (Gestes), dont les travaux s’inscrivent dans le champ du travail et de la santé au travail.]

La persistance des accidents du travail est révélatrice d’organisations du travail délétères alimentant la crise du travail. Les accidents du travail mortels racontés par Matthieu Lépine dans L’Hécatombe invisible (Seuil, 2023) en sont une illustration récente.

Divers travaux sectoriels, concernant le nucléaire (Annie Thébaud-Mony, 2008), le bâtiment (Nicolas Jounin, 2008) ou encore le nettoyage (François-Xavier Devetter et Julie Valentin, 2021), et des travaux de nature quantitative (Corinne Perraudin, Nadine Thèvenot, Sophie Dessein, 2022) montrent depuis une dizaine d’années comment les entreprises, en sous-traitant, externalisent l’emploi et par là même les risques associés au travail. Nous souhaitons ici rendre compte de la vulnérabilité particulière dont sont victimes les personnes relevant d’une organisation de travail en sous-traitance.

A partir des enquêtes « Conditions de travail et risques psychosociaux » (CT-RPS) et « Conditions de travail » (CT) de la Dares, il est possible de rendre compte de la pénibilité et des accidents du travail auxquels font face les travailleurs de la sous-traitance. Après avoir qualifié le travail en sous-traitance comme un travail d’exécution externalisé, et quantifié son ampleur dans l’économie française, nous rendons compte de sa pénibilité ainsi que des accidents du travail qu’il produit : l’exposition aux risques physiques ainsi que la fréquence des accidents du travail sont plus importantes dans les établissements sous-traitants.

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« Que sait-on du travail ? » : les effets délétères de la sous-traitance sur la santé des salariés

15,3 % : c’est la part de salariés victimes d’au moins un accident du travail en 2019, dans l’effectif des entreprises « preneuses d’ordre », dont la sous-traitance représente plus de la moitié du chiffre d’affaires, indique l’enquête « Conditions de travail et risques psychosociaux » du ministère du travail.

Cette proportion dépasse tout juste les 10 % chez l’ensemble des salariés français. A partir des données disponibles et de travaux publiés depuis une dizaine d’années, les économistes Corinne Perraudin et Nadine Thévenot mettent en évidence la pénibilité subie par les travailleurs de la sous-traitance, exerçant dans des secteurs déjà difficiles (industrie, construction, transports…).

Les chercheuses développent leurs principaux résultats dans une contribution au projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp), diffusé en collaboration avec les Presses de Sciences Po sur la chaîne Emploi du site Lemonde.fr.

Malheureusement, ces conditions de travail difficiles et les risques qui en découlent sont rarement assumés par les entreprises donneuses d’ordre : cela tient précisément à la définition de la sous-traitance, qui établit un lien de dépendance économique entre les entreprises, mais sans responsabilité de l’emploi en lui-même, et sans engagement sur le long terme.

Une société donneuse d’ordre confie simplement à une autre, preneuse d’ordre, le soin d’exécuter une partie des tâches de production. Elle est coresponsable des risques subis par les salariés du sous-traitant uniquement si ceux-ci travaillent sur un site qui lui appartient. Depuis 2017, les entreprises multinationales ont un devoir de vigilance sur les risques subis par les travailleurs de toute leur chaîne de production, dans leurs filiales en France et dans le monde, mais pour l’ensemble des entreprises, cette obligation de vigilance se résume à la lutte contre le travail dissimulé.

Renforcer la responsabilité des entreprises

En 2019, 28 % des établissements sont sous-traitants (et 7 % le sont pour plus de la moitié de leur activité). Certains sous-traitants sont eux-mêmes donneurs d’ordre. La sous-traitance n’est pas un statut d’emploi à proprement parler, puisque les travailleurs sont des salariés comme les autres. Il ressort des travaux des autrices que ces salariés sont moins bien rémunérés que les salariés des donneurs d’ordre, à qualification égale, et qu’ils exercent davantage des métiers « d’exécution ». Ainsi, ils sont plus souvent exposés au travail de nuit, à la manutention de charges lourdes ou encore au bruit.

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