Archive dans 2022

Au procès Deliveroo, l’art de l’esquive de deux anciens dirigeants

Chaque jour, dans les grandes agglomérations, des norias de livreurs à vélo ou en scooter slaloment entre les voitures, s’accommodent de la couleur des feux, évitent de justesse les piétons, et improvisent leur propre code de la route. Face au tribunal correctionnel de Paris, deux anciens dirigeants de Deliveroo ont fait preuve de la même dextérité, lundi 14 mars, lors de leur interrogatoire. Zigzag entre les formules, contournement d’obstacles et esquive sur le code du travail qu’il leur est reproché de ne pas avoir respecté.

De quoi Deliveroo est-elle le nom ? Est-elle seulement, comme elle l’affirme, une « plate-forme de mise en relation » entre clients, restaurateurs et livreurs indépendants ou, comme le soutient l’accusation, une société de service de livraison de repas entretenant un « lien de subordination » avec les coursiers auxquels elle fait appel ? De la réponse à cette question dépend l’appréciation du délit de « travail dissimulé » qui vaut à ses anciens dirigeants et à l’entreprise elle-même, en qualité de personne morale, de comparaître devant les juges.

Lire aussi Deliveroo et trois de ses anciens dirigeants jugés au pénal pour « travail dissimulé »

Adrien Falcon, 42 ans, a été numéro 1 en France de Deliveroo de 2015 à 2016. Sa mission, explique-t-il, était de « dupliquer à l’identique » et de « déployer » en France le modèle né deux ans plus tôt au Royaume-Uni. De la société, il propose cette définition : « Une plate-forme technologique, avec trois interactions hyperconnectées qui s’autorégulent le plus souvent. » « Ça ne nous avance pas, souffle la présidente, Sylvie Daunis. Comment expliquez-vous ce nom, Deliveroo ? A priori, ça vient de “livrer” en anglais… » « Je ne me suis pas posé la question. C’est une marque », élude le prévenu. Son argumentaire est parfaitement rodé. La plate-forme gère des « flux complexes » dont le fonctionnement repose sur « la flexibilité et la liberté », deux raisons vitales de « recourir à des indépendants. »

« Pas de surveillance »

La présidente reprend un à un les éléments de l’enquête qui, selon les conclusions de l’inspection du travail reprises par l’accusation, écornent cette affirmation d’indépendance des coursiers, en établissant un « lien de subordination. » L’existence de formations organisées par la société ? « C’était des réunions d’information », nuance Adrien Falcon. L’usage d’un logiciel pour gérer le temps de travail des livreurs ? « Pas du tout. C’est un outil qui leur permettait de choisir leurs shifts. Il y a une liberté totale pour décider quand prester, où prester et de refuser la commande. » Les consignes de porter la tenue Deliveroo sous peine de sanctions, rapportées par les plaignants ? « Ce n’était qu’une proposition pour donner de la visibilité à la marque. Et un élément de sécurité car les vestes et les sacs sont équipés de bandes réfléchissantes. »

Il vous reste 57.88% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Emploi : des pistes pour atténuer les difficultés de recrutement

Lorsqu’ils veulent embaucher, les patrons se heurtent à des difficultés analogues à celles qui prévalaient avant la crise sanitaire. Pour les surmonter, l’une des solutions envisageables consisterait à épauler les entreprises dans leurs démarches de recrutement en faisant davantage appel à des prestataires privés. Cette piste figure dans une note diffusée, lundi 14 mars, par le Conseil d’analyse économique (CAE), un cercle de réflexion placé auprès du premier ministre. Elle est susceptible de déplaire à ceux qui considèrent que les services publics, comme Pôle emploi, sont mieux à même d’offrir une telle assistance.

Après le « choc sans précédent » de la récession liée à l’épidémie de Covid-19, le marché du travail a retrouvé « une situation très favorable (…) à partir de l’été 2021 », écrivent François Fontaine et Roland Rathelot, les deux auteurs de l’étude. Au quatrième trimestre de 2021, le taux de chômage a continué de baisser, se situant à 7,4 % – un ratio relativement élevé, mais inférieur à celui de la fin 2019 et qu’on n’avait pas connu depuis 2008. Parallèlement, le nombre de postes vacants est reparti à la hausse, si bien que « la tension semble (…) revenue, au troisième trimestre 2021, à un niveau proche ou un peu supérieur à ce qu’elle était en 2019 ».

Priorité aux PME

En réponse à ce problème, M. Fontaine et M. Rathelot suggèrent de développer des « interventions ciblées » sur les entreprises. Pôle emploi l’a fait, durant les dernières années, en déployant « ses services d’aides au recrutement » à l’intention des patrons. Une initiative qui a démontré son « efficacité », précise la note.

Lire aussi Pour recruter, l’urgence est d’adapter la formation

Aujourd’hui, il est possible d’aller plus loin, « en renforçant les moyens » accordés à l’opérateur public, mais aussi « en externalisant une partie » de son action à des sociétés privées. L’idée est de favoriser l’émergence d’un « marché de l’accompagnement des entreprises » qui serait organisé par le « service public de l’emploi » – ce vocable regroupant des administrations de l’Etat, les missions locales, Pôle emploi, etc.

Dans ce marché seraient mis en concurrence des prestataires – privés et, « éventuellement », publics – « pour lesquels des indicateurs de performances seraient affichés ». Un tel système aurait vocation à être instauré en priorité pour les PME, celles-ci étant moins bien outillées pour procéder à des embauches. Le CAE recommande par ailleurs au « service public de l’emploi » de prendre en charge un dispositif de « tests certifiés » afin d’évaluer les aptitudes des candidats à un poste, les résultats de ces examens étant ensuite communiqués aux entreprises.

Covid-19 : plus de masque en entreprise, plus de protocole, un quasi retour à la normale

« La fin du masque va faire du bien à tout le monde. L’ambiance est beaucoup plus détendue qu’il y a un an, on sentait venir la fin des protocoles. Mais on n’est pas sortis du Covid19 », confie Amélie (les personnes citées dont le nom n’apparaît pas ont souhaité garder l’anonymat), une salariée du service marketing d’Amazon, recrutée en 2020, en plein confinement. Dans les grands groupes, on se réjouit aussi de la fin du Plexiglas entre collègues dans les cantines. Dans les TPE-PME, « on va mettre fin aux équipes restreintes et aux horaires décalés », annonce Bernard Cohen-Hadad, le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises d’Ile-de-France.

« On va reprendre une vie normale en entreprise », affirmait, mardi 8 mars, la ministre du travail, Elisabeth Borne, en annonçant, pour lundi 14 mars, la fin des protocoles sanitaires et du port du masque obligatoire au bureau, remplacés par un « Guide des mesures de prévention des risques de contamination au Covid-19 hors situation épidémique ».

Lire aussi Article réservé à nos abonnés « A la recherche de nouveaux équilibres dans le management hybride »

Personne ne prévoit de festivités de sortie de crise sanitaire, car le virus est toujours là, et, avec la guerre en Ukraine, l’ambiance est lourde. Mais le soulagement est général. Le « retour à la normale » n’est toutefois pas l’avant-Covid. « L’hybride est devenu la norme dans nos entreprises », déclare Audrey Richard, la présidente de l’Association nationale des DRH (ANDRH). Les accords et chartes de télétravail continueront de s’appliquer. Quelque 1 980 accords ad hoc ont été signés rien qu’en 2020, alors que le ministère du travail n’a toujours pas communiqué de bilan pour 2021. Chez BNP Paribas, « l’accord entré en vigueur en novembre 2021 reste en place avec la possibilité de télétravailler jusqu’à 2,5 jours, sur la base du volontariat, indique une porte-parole de la direction. L’ambition est de continuer à faire évoluer les modes de travail ».

Economies

Alors qu’un salarié sur quatre travaillait à distance lors du premier confinement de 2020, ils n’étaient plus qu’un sur cinq lors du deuxième qui a pris fin en juin 2021, indique une étude de la direction du Trésor, publiée le 10 mars. Pour 2022, près d’une entreprise sur deux (45 %) interrogée, en février, par le Boston Consulting Group (BCG) et l’ANDRH a déclaré avoir révisé les fiches de poste pour élargir l’éligibilité au télétravail. « Avant la crise, on était à 15 000 télétravailleurs. Aujourd’hui, on en a 36 000 sur 56 000 postes éligibles ; 20 % ont signé un avenant pour trois jours, 60 % pour deux et 20 % pour un », détaille Gervais Pellissier, le DRH groupe Orange.

Il vous reste 41.86% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’argot de bureau : « VUCA », quand l’entreprise navigue à vue

« Une seule chose est certaine, c’est que rien n’est certain. » Cette maxime issue de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien peut être interprétée de manière assez radicale dans un sens ou dans l’autre : soit l’avenir est un nuage sombre et insondable, soit l’incertitude est pavée d’opportunités. Le dirigeant ou le salarié choisira le chemin qui lui sied le mieux, mais une chose est sûre, Pline dit vrai : avec près de deux millénaires d’avance, il vivait déjà dans le « VUCA ».

Un avenir VUCA, c’est un avenir délicat. Ce mot – ou cet adjectif, car on parle souvent d’un monde VUCA ou d’un travail en mode VUCA – est un acronyme issu de l’anglais, signifiant « volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté ». Il désigne l’atmosphère dans laquelle évoluent les entreprises, partout dans le monde, au XXIe siècle : le terme est si large qu’il est utilisé à l’envi par les amateurs de grands discours managériaux.

Petit retour historique : nous sommes en 1991, l’URSS s’est effondrée, le mastodonte américain jubile… Mais il voit s’inviter à la table diplomatique de nouveaux pays émergents. La grille de lecture binaire de la guerre froide laisse place au multilatéralisme, et il est difficile pour l’US Army War College de décrire ce nouveau monde… Ce dernier donne naissance à VUCA, un prisme pour analyser les plans stratégiques qui s’annoncent : il impose d’être toujours sur ses gardes.

Un concept économique

Au tournant de l’an 2000, l’économie s’est emparée de l’acronyme : la mondialisation et les progrès technologiques s’enchaînant à toute vitesse ont entraîné la volatilité des marchés et bouleversé la stratégie des multinationales. L’incertitude, quant à elle, reflète l’asymétrie d’information des différents acteurs, incapables de savoir comment les autres répondront, tandis que la complexité s’explique par la multiplication des parties prenantes. Enfin, toute information est ambiguë car elle peut être interprétée de différentes façons.

Le management, ou plutôt les consultants ad hoc, ont digéré le terme dans la foulée, même s’il est par exemple difficile de transposer à l’échelle humaine un concept aussi purement économique que la « volatilité des marchés ». Dans un monde VUCA, où tout va à vau-l’eau, le patron avance dans une purée de pois.

Si l’on navigue à vue, la solution est un cap, une vision claire : comme toujours, le collectif sera sauvé en réagissant avec souplesse, réactivité et agilité. La réponse du leadership passe, pour le professeur de management à Harvard Bill George, par un « VUCA 2.0 » : vision, compréhension (understanding), courage et adaptabilité. Dans une tribune sur le site de Forbes, on trouve « client » et « agile » pour les deux dernières initiales.

Il vous reste 23.42% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Les infiltrés », enquête sur l’emprise des cabinets de conseil sur un Etat consentant

Livre. Depuis près de trois décennies, les cabinets de consultants et leur méthode de management ont pénétré tous les rouages de l’administration française. Dans l’enquête que Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, grands reporters à L’Obs, consacrent à cette révolution largement passée sous silence jusqu’à présent, un tour de force est manifeste : pas un ministère ni un secteur couvert par l’Etat n’ont échappé à la convoitise des consultants. De la santé à la défense, en passant par l’éducation nationale, la justice, l’intérieur, les affaires étrangères, mais aussi l’économie – dont les agents ont longtemps résisté –, et jusqu’aux services du premier ministre, tous sont passés sous les fourches Caudines de ces cabinets de conseil. Les plus connus étant Accenture, BCG (Boston Consulting Group), EY (ex-Ernst & Young), PwC (PricewaterhouseCoopers), etc.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Le ministère de la santé épaulé par sept cabinets de conseil

L’emprise de ces grands cabinets de conseil sur le fonctionnement de l’Etat est liée à une révolution parallèle qui a percuté toutes les administrations : la vaste numérisation, et dématérialisation, des actes de la vie quotidienne qui s’est amplifiée dans les années 2000, avec la montée en puissance d’Internet. Dans un pays de droit écrit, où la culture du papier est dominante, la vitesse d’exécution démultipliée des tâches administratives a provoqué un engorgement, l’absence de moyens financiers mis à la disposition des serviteurs de l’Etat a fait le reste.

Un Etat consentant

Le plus stupéfiant est peut-être que cette mutation s’est opérée avec un Etat consentant, voire soumis. Plusieurs clés d’explication sont données par les auteurs, d’abord ce qu’ils appellent l’« endogamie de la classe dirigeante » et « l’hybridation des élites ». A la tête de la haute administration et de ces cabinets de conseil, on retrouve les mêmes profils, issus des mêmes grandes écoles (ENA, HEC, Essec, etc.). Les allers-retours des uns aux autres sont fréquents.

Dans le même temps, les ministres appartenant aux gouvernements de droite ou de gauche ont perdu confiance dans leur administration jugée trop lourde et vieillotte. Les cabinets de conseil sont donc venus au chevet d’administrations qu’il fallait moderniser. Ils ont importé la culture du « lean management » (gestion de la production fondée sur la rentabilité), avec une réduction systématique du nombre de postes à rendement égal, ce que les hôpitaux ont pu expérimenter, avant et pendant la crise du Covid-19.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés McKinsey, un cabinet dans les pas d’Emmanuel Macron

Plus grave, à la culture de la défiance s’est ajoutée une volonté de se protéger. Quand l’Etat externalise des tâches qui lui incombent, il n’est plus responsable des défaillances, ce qui permet d’échapper à la pression des citoyens de plus en plus prompts à saisir la justice.

Il vous reste 11.44% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« C’est le moment de nous récompenser », chez Thales, à Toulouse, le mouvement de protestation ne faiblit pas

Pas de pancarte écrite ni de slogan chanté et de tract distribué. Ce jeudi, peu avant 11 heures, à l’appel d’une intersyndicale CGT/CFDT/CFE-CGC/CFTC/SUPPer une centaine de salariés s’est rassemblée devant les grilles du groupe de défense Thales, avenue du Général-Eisenhower, dans le quartier Basso Cambo, aux portes de Toulouse. Malgré leur discrétion, même si certains, vêtus de chasubles, arborent le drapeau de leur syndicat, le feu couve.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Dans les entreprises, la tension monte sur les salaires

Ces ingénieurs, pour la plupart, dénoncent une augmentation salariale annuelle de 3,5 % payée en avril et sans rétroactivité au 1er janvier. « Cette hausse peut paraître confortable mais par rapport à l’inflation, elle n’est pas suffisante. Nous réclamons 4 % » , fait savoir Oanh Le, secrétaire CFTC du comité social et économique (CSE).

Manifestations chaque jeudi

Badge autour du cou, Julien témoigne de ses difficultés à boucler les fins de mois : « J’ai mangé toute ma trésorerie personnelle et je suis en train de regarder comment réaliser des économies », affirme cet ingénieur qui gagne 2 400 euros nets par mois. « En janvier, je me suis séparé de ma femme de ménage et je me dis que je devrais faire du vélo plus souvent, qu’il pleuve ou qu’il fasse froid»

C’est une note de cadrage du groupe, distribuée aux organisations syndicales en janvier à l’occasion des négociations annuelles obligatoires (NAO), qui a mis le feu aux poudres, déclenchant des manifestations chaque jeudi depuis cinq semaines. Les résultats du groupe, publiés jeudi 3 mars, montrant un Thales en grande forme, ont cristallisé cette grogne. Son bénéfice net a atteint 1,09 milliard d’euros en 2021, contre 483 millions en 2020 et ses prises de commandes sont en hausse de 18 %. La profitabilité est telle que le groupe opère un rachat d’actions.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Salaires : derrière les promesses d’augmentations, le risque de la déception

« Ces chiffres sont difficilement entendables », s’exaspère Arnaud Beaugeois, ingénieur développement et délégué syndical adjoint CFDT. « Dans l’avionique [activité de la filiale Thales AVS], 20 % des effectifs ont été supprimés pour faire à la crise du Covid-19. Or, malgré la pression, on a continué à satisfaire les clients en production, en exploitation et en recherche et développement. C’est le moment de nous récompenser avec un juste partage des richesses puisque tout le monde a contribué à la bonne santé de l’entreprise. »

« Notre mouvement est interfiliale, intersyndical et s’inscrit dans la durée. C’est notre seul moyen de faire revenir la direction à la table des négociations », Oanh Le, secrétaire du CSE (CFTC)

Emilie, entrée dans l’entreprise il y a trois ans, est venue gonfler les rangs des manifestants, avant de rentrer à son domicile pour télétravailler. « S’il n’y a pas suffisamment de monde aux manifestations, la direction ne nous écoutera pas », souligne la jeune femme.

Il vous reste 13.31% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Le marché du travail profondément remanié d’ici 2030

Serveur, comptable, infirmier… Affiché sur le site de Pôle Emploi, le palmarès des métiers qui recrutent le plus a connu quelques bouleversements depuis le début de la crise du Covid-19. Dans les années à venir, ce classement risque de connaître d’autres remaniements, à en croire un rapport du service des statistiques du ministère du travail (Dares) et de France Stratégie publié le 10 mars.

Jetant un éclairage inédit sur les évolutions des besoins en recrutement à l’horizon 2030, le rapport met en parallèle les métiers qui devraient compter les plus fortes créations d’emploi avec l’évolution du nombre d’entrants et de sortants. Estimés à 800 000 embauches sur la période 2019-2022 dans le scénario de référence de la Dares, les besoins de recrutement devraient rester stables par rapport à la période 2015-2022. Mais « on est dans un contexte où la population active ralentit fortement » du fait des départs en retraite, souligne Michel Houdebine, directeur de la Dares.

Si les volumes de recrutement restent les mêmes, la crise liée au Covid-19 risque de modifier durablement les profils recherchés. Depuis deux ans, de nouvelles habitudes ont été prises par les ménages : les Français sortent moins et ont réduit les activités de loisir à l’extérieur. Ces nouveaux comportements pénalisent « les activités fondées sur les interactions sociales » comme l’hôtellerie, la restauration, le commerce et les spectacles, « qui créeraient moins d’emplois que par le passé », note le rapport conjoint de la Dares et de France Stratégie.

La vente, profession la plus touchée

Cette dynamique présente l’avantage de diminuer les difficultés de recrutement que connaissent certains secteurs, comme l’hôtellerie-restauration. Mais elle accélère aussi la disparition des emplois liés au commerce physique, qui souffraient déjà de l’explosion de la vente en ligne. Dans les années à venir, les vendeurs sont susceptibles de devenir la profession la plus touchée par le chômage. Alors que les créations d’emplois risquent d’être négatives sur la période et que 167 000 d’entre eux devraient partir à la retraite, les débutants continueraient d’arriver en masse (347 000) dans la vente, selon la projection prise pour référence par la Dares.

A contrario, la crise sanitaire a accéléré l’augmentation des besoins dans la santé et l’informatique. Dans un contexte post-Covid, les « services à distance » sont davantage sollicités. « L’ensemble des professions du soin et de l’aide aux personnes fragiles » devrait également bénéficier « d’une forte dynamique de l’emploi » du fait du vieillissement de la population, avance le rapport.

Il vous reste 44.26% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Smart France : la coopérative de travailleurs indépendants vacille

« C’est un énorme gâchis. » Responsable de la section syndicale CGT Smart Coop, Aurélien Alphon-Layre résume ainsi l’aventure de Smart France, un modèle de l’économie sociale et solidaire dont l’objet était la protection économique et sociale des entrepreneurs à travers leur salarisation. Pour les artistes, journalistes, formateurs, artisans, webmasters, coursiers, consultants, agriculteurs urbains, etc., Smart se présente comme « la solution idéale permettant de se concentrer sur son travail et de se libérer des contraintes administratives en offrant un cadre juridique, économique, social, humain et sécurisé pour développer son activité ». Tout cela en échange d’une contribution de 8,5 % du prix de vente hors taxes des prestations facturées aux clients. Mais, désormais, le destin de ce groupe coopératif et mutualiste est entre les mains du tribunal de commerce de Lille.

Placée en redressement judiciaire depuis le 22 février, la branche française de cette coopérative européenne de travailleurs indépendants née en Belgique en 1998 n’a pas encore dit son dernier mot. « Il y a un plan social sur la table, explique Emily Lecourtois, directrice générale de Smart France – Grands Ensemble depuis novembre 2021. La procédure de redressement va nous permettre de geler les dettes (1,8 million d’euros) et de les étaler pour laisser un volant de trésorerie et augmenter notre capacité à rebondir. »

Moins optimistes, les soixante-dix salariés de Smart France s’interrogent sur le futur plan de sauvegarde de l’emploi qui pourrait toucher la moitié de l’équipe et sur le montant des indemnités de départ. « On ne sait pas qui va être lourdé ni dans quelles conditions, dénonce Aurélien Alphon-Layre. On nous avait annoncé 4 000 à 6 000 euros d’indemnités supra-légales car Smart France est déficitaire, mais selon les critères d’évaluation de la Dreets [direction du travail] les moyens du PSE doivent s’appuyer sur les moyens du groupe européen, en bien meilleure santé, et dont le chiffre d’affaires est de plus 200 millions d’euros. »

La chute a démarré à l’automne 2020

Les conseils d’administration de Smart Coop et de la Fondation Smart, en Belgique, « déplorent les épreuves de Smart sur le territoire français », mais « la gouvernance des structures a toujours été séparée ». En clair : pas question de mutualiser les moyens financiers du groupe dans cette période difficile. Il faut dire que cette structure considérée comme la plus grosse coopérative d’entrepreneurs salariés d’Europe continue de prospérer dans sept autres pays. « L’esprit coopérative marche très bien en Espagne et en Italie par exemple, note Emily Lecourtois. Mais chez nous, c’est un modèle encore compliqué à faire comprendre. » Et compliqué à adapter aux lois françaises.

Il vous reste 46.94% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Emmanuel Macron propose de reporter l’âge de la retraite à 65 ans s’il est réélu

Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, lors de sa première réunion de campagne, à Poissy (Yvelines), le 7 mars 2022.

C’est désormais officiel : Emmanuel Macron veut faire passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 65 ans, s’il remporte le scrutin présidentiel. Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, l’a déclaré, jeudi 10 mars, sur RTL, confirmant une information livrée la veille par le quotidien Les Echos. Il s’agit d’« une réforme de responsabilité » et « de justice », a plaidé M. Attal, en insistant sur le « choix de société » qui sera proposé aux électeurs : « Est-ce qu’on veut encore pouvoir financer une protection pour les Français et investir pour les Français ? Nous, on dit oui, a-t-il lancé. Est-ce qu’on pense qu’il faut le faire en augmentant les impôts ? Nous, on dit non. Et donc, il faut travailler plus. »

Le fait de dévoiler une telle mesure ne constitue pas une surprise, le chef de l’Etat ayant déjà exprimé cette intention pendant son allocution télévisée du 9 novembre 2021. De même, lors de sa déclaration de candidature, le 3 mars, dans sa lettre aux Français, le locataire de l’Elysée avait déjà écrit : « Il nous faudra travailler plus et poursuivre la baisse des impôts pesant sur le travail et la production. » Une manière de manifester sa détermination à relancer un chantier qu’il avait suspendu, en mars 2020, du fait de la crise sanitaire, avant d’annoncer son abandon un an et demi après.

Lire aussi Un débat agité entre Valérie Pécresse et Eric Zemmour, le retour de la réforme des retraites : retrouvez l’actualité polique du jeudi 10 mars

Mais la démarche de M. Macron, aujourd’hui, est différente du projet qu’il avait défendu durant la première moitié de son mandat. A l’époque, l’objectif était de faire converger la quarantaine de régimes existants dans un système universel, sans remettre en cause la règle des 62 ans, mais en instaurant un âge pivot, à partir duquel les assurés auraient droit à une pension à taux plein.

Le schéma qui se dessine désormais est, à la fois, plus simple et plus radical. A terme, il faudra attendre son 65e anniversaire pour faire valoir ses droits à la retraite. Le relèvement sera graduel, à raison de quatre mois par année de naissance (62 ans et quatre mois pour la première génération touchée, 62 ans et huit mois pour la deuxième, etc.). Au total, le processus devrait s’étaler jusqu’en 2033. Des dérogations seront maintenues dans plusieurs situations : personnes ayant commencé à travailler tôt, invalidité, inaptitude, etc. Pour ces catégories, l’âge d’ouverture des droits devrait être de 62 ans, contre 60 ans à l’heure actuelle.

Financer les mesures à caractère social

Le but affiché est double. M. Macron veut tout d’abord assurer la soutenabilité financière du système de retraite, dont le déficit a atteint 13 milliards d’euros en 2020, le retour à l’équilibre n’étant pas prévu avant la première moitié des années 2030, d’après les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites. En passant l’âge d’ouverture des droits à 65 ans, le « président candidat » escompte dégager des économies sur les dépenses de pension, à hauteur de 15 milliards d’euros d’ici à 2030. Cette manne servirait à consolider les régimes, à financer les mesures à caractère social et à apporter un petit bol d’air budgétaire dans d’autres secteurs de l’Etat-providence. M. Macron entend, par ailleurs, rapprocher la France des standards européens : dans plusieurs pays, comme l’Italie, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, l’âge de départ à la retraite est compris entre 65 ans et 67 ans.

Il vous reste 50.39% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.