Archive dans 2022

« La Main visible des marchés » : le marketing ou l’ambivalence du « consommateur roi »

Le livre. Le marketing ? « Le mal incarné », une « prison (…) qui engourdit l’intelligence autant que les sensibilités », une activité orchestrée par des marketeurs, « mercenaires sans scrupule [qui] manipulent les peurs et les désirs, déforment, uniformisent, trompent, mentent ».

Les premières lignes de l’essai de Thibault Le Texier, La Main visible des marchés (La Découverte), reprennent nombre de critiques régulièrement proférées à l’encontre du marketing. Mais le chercheur associé au Centre européen de sociologie et de science politique s’attache à défaire les idées reçues et apporter une nuance qui lui semble nécessaire dans le regard porté sur le marketing. Il montre aussi combien le dédain et le rejet dont il peut faire l’objet, dans les milieux intellectuels par exemple, ont pu freiner sa progression.

« La main visible des marchés. Une histoire critique du marketing », de Thibault Le Texier. La Découverte, 648 pages, 26 euros.

Dans cette « histoire critique du marketing », Thibault Le Texier explique comment le consommateur est progressivement devenu le centre de toutes les attentions. Alors qu’à ses prémices, au XIXe siècle, la discipline détaillait dans des manuels « l’art de faire ses courses », elle va, au fil du XXe siècle, se concentrer sur les acheteurs, leurs habitudes de consommation, leur personnalité, leurs goûts. Aux Etats-Unis, le secteur agricole fait en cela figure de pionnier et deviendra source d’inspiration. « Il faut plaire à l’œil », affirmait déjà, en 1891, un producteur de céleris.

L’histoire du marketing est celle d’une danse perpétuelle menée par les acheteurs et les vendeurs, où les uns et les autres tentent de se rapprocher et de faire coïncider leurs attentes respectives. Et dans cette chorégraphie, les promoteurs des produits n’ont pas toujours la main. M. Le Texier assure ainsi que le consommateur n’est pas cette marionnette manipulée qu’on imagine parfois. « [Il] est un roi sous influence (…), mais un roi tout de même », estime-t-il, soulignant que le marketing ne peut pas tout : « Plus un individu a le choix, plus il est difficile de faire pression sur lui. » De même, rappelle-t-il, Internet permet aux acheteurs d’avoir accès à de multiples sources d’information sur les produits, réduisant d’autant l’influence de la publicité.

« Victimes consentantes »

Cela n’empêche pas les professionnels du marketing de se démultiplier pour tenter de les séduire (et, surtout, de les fidéliser). Ils segmentent les marchés (femmes, enfants…), scrutent les comportements des clients, s’adaptent en conséquence. L’ouvrage est l’occasion de détailler nombre de ces stratégies. « Depuis les années 1980, des compagnies aériennes, des hôtels, des loueurs de voitures et des banques, distinguant leurs clients par des codes couleur ou des noms génériques, offrent aux plus profitables des services personnalisés, tandis que de nombreux commerçants attribuent à leurs clients des scores d’attractivité », détaille M. Le Texier.

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A l’ouverture du procès en appel de France Télécom, des prévenus en colère

L’ancien PDG de France Telecom Didier Lombard arrive à la cour d’appel de Paris, le 11 mai 2022.

Deux ans et demi ont passé depuis le jugement qui a fait d’eux les premiers condamnés pour « harcèlement moral institutionnel ». C’était le 20 décembre 2019, et le tribunal correctionnel de Paris faisait entrer dans la jurisprudence cette notion de harcèlement « systémique, managérial », accolée au nom de France Télécom – devenu Orange –, soit une stratégie d’entreprise « visant à déstabiliser les salariés, à créer un climat anxiogène et ayant eu pour objet et pour effet une dégradation des conditions de travail ».

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Une victoire historique pour les parties civiles, trente-neuf salariés reconnus victimes, parmi lesquels dix-neuf agents qui se sont suicidés entre 2007 et 2010, et les syndicats à l’origine de la plainte. Une brûlure pour l’ancien PDG Didier Lombard, pour l’ex-numéro deux, Louis-Pierre Wenès, et pour quatre autres cadres ou anciens cadres de l’entreprise, qui ont fait appel de leur condamnation à des peines de quatre à huit mois de prison avec sursis – le maximum encouru était d’un an d’emprisonnement – et à des amendes de 5 000 à 15 000 euros, ainsi qu’au paiement solidaire de près de 3 millions d’euros de dommages et intérêts.

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Mercredi 11 mai, leur colère a éclaté dès les premières minutes de l’audience devant la cour d’appel de Paris, quand la présidente, Pascaline Chamboncel-Saligue, a demandé à chacun sa position sur les faits qui leur sont reprochés.

« Contestez-vous votre culpabilité ?

– Absolument », a répondu d’une voix ferme Didier Lombard, premier à s’avancer à la barre.

L’ancien PDG, âgé de 80 ans, a déplié un petit papier. « Je considère que je n’ai pas été écouté et qu’il y a eu un refus manifeste d’essayer de comprendre la politique que nous avons menée. Nous avons été accusés d’avoir mis en place un complot à trois, destiné à harceler les salariés. Imaginer cela, c’est méconnaître le fonctionnement d’une société comme France Télécom. Une telle société fonctionne grâce à des instances de direction, un conseil d’administration où siègent des représentants de l’Etat et des syndicats, ainsi que des comités locaux où siègent les salariés. Aucun mouvement ne peut être décidé sans que ces instances locales ne soient consultées. »

Le ton est donné. C’est un homme « profondément blessé » par les attendus du jugement et un prévenu combatif qui fait face à ses juges d’appel. « France Télécom est ma maison. M’accuser d’avoir voulu ou fait quoi que ce soit pour dégrader les conditions de travail de mes collègues, c’est méconnaître l’attachement d’une vie entière passée au service de France Télécom. Au contraire, j’ai tout fait pour cette maison. (…) J’ai entendu les souffrances exprimées au cours de l’instruction et de l’audience et j’en resterai à jamais profondément désolé. Mais je continuerai de dire que ce n’est pas la politique que j’ai voulue. »

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Indemnités prud’homales : la Cour de cassation valide le « barème Macron »

La cour de Cassation à Paris, le 26 septembre 2018.

Epilogue judiciaire pour le « barème Macron » : la Cour de cassation a validé mercredi 11 mai cette mesure phare et très contestée du début du premier quinquennat du président de la République, qui a abouti à plafonner les indemnités pour licenciement abusif aux prud’hommes.

La Cour a estimé que le barème n’était « pas contraire » à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui prévoit qu’en cas de licenciement injustifié le juge puisse ordonner le versement d’une indemnité « adéquate » au salarié. Elle a en outre écarté la possibilité de déroger « même au cas par cas » à l’application du barème.

Le « barème Macron » est entré en vigueur en septembre 2017 par voie d’ordonnance, malgré la vive opposition des syndicats, et a été validé par le Conseil constitutionnel en 2018. Il a supprimé le plancher de six mois minimum d’indemnité pour les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté, et plafonné entre un et vingt mois de salaire brut, en fonction de l’ancienneté, les dommages et intérêts dus en cas de licenciement abusif (hors licenciement pour harcèlement ou discrimination).

L’assemblée plénière de la Cour de cassation avait déjà rendu en juillet 2019 un avis favorable au barème, mais cet avis ne la liait pas, ni l’ensemble des juges du fond, et plusieurs cours d’appel avaient décidé de s’en affranchir.

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« La loi doit être la même pour tous »

La chambre sociale de la Cour de cassation, siégeant en formation plénière le 31 mars, a examiné les pourvois formés dans quatre affaires. Dans l’une d’entre elles, la plus exemplaire, la cour d’appel de Paris avait écarté en mars 2021 l’application du barème, alors que la somme prévue par ce dernier « couvrait à peine la moitié du préjudice » subi par la salariée, dont l’ancienneté était inférieure à quatre ans.

A l’audience du 31 mars, la première avocate générale, Anne Berriat, a invité la Cour de cassation à valider le raisonnement de la cour d’appel. Sans remettre en cause le barème lui-même, elle a estimé que les juges étaient fondés à apprécier « in concreto » (de manière concrète au regard de chaque situation particulière) si l’indemnité perçue était « adéquate ».

Mais pour la Cour de cassation, ce contrôle « in concreto » créerait « pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable » et « porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi ».

Avocat de l’un des employeurs à l’origine des pourvois, Me François Pinatel s’est félicité de cette décision. « La loi doit être la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège. Le contrôle in concreto aurait été un poison pour l’ordre juridique », a-t-il estimé sur Twitter. Le président de la CPME François Asselin a aussi salué une position qui « va sécuriser les employeurs sur le champ potentiel du contentieux, sans rien enlever aux salariés ».

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés Indemnités prud’homales : « Discutable sur le fond, l’avis de la Cour de cassation qui conforte le barème Macron ne lie pas les juges »

Une décision « scandaleuse »

« Permettant un resserrement et une uniformisation des indemnisations pour des salariés se trouvant dans les mêmes situations, le barème (…) donne une plus grande prévisibilité dans la relation de travail et a permis de développer des alternatives au contentieux, ce qui in fine contribue à une augmentation continue des embauches en CDI », a pour sa part souligné le ministère du travail dans un communiqué.

La CGT a, a contrario, dénoncé une décision « scandaleuse », et promis de « poursuivre la lutte contre le barème et pour les droits des salariés ». FO, se fondant sur les conclusions d’un récent rapport approuvé par le conseil d’administration de l’OIT, a indiqué envisager de « demande (r) au gouvernement de revoir sa législation ».

Ce rapport avait été versé aux débats lors de l’audience fin mars. Validant le principe d’un barème, il invitait « le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation » de façon à s’assurer qu’il permette bien une « réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif ».

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Le Monde avec AFP

« On le savait, on le redoutait. On se demandait juste quand ça allait arriver » : dans le Lunévillois, la lente agonie des faïences de l’Est

Autrefois, la Lorraine était une terre d’élection pour les arts du feu. Faïenceries et cristalleries y brillaient depuis le XVIIIe siècle. Mais avec la disparition des faïenceries de Saint-Clément (Meurthe-et-Moselle), dans le Lunévillois, placées en liquidation judiciaire le 21 mars, une page de l’histoire se tourne. Le lendemain, les cinq derniers ouvriers faïenciers, qui continuaient, dans une manufacture en délitement, à décorer à la main des pièces du stock, ont été convoqués pour un entretien préalable à leur licenciement. « Les gars, ça faisait plusieurs mois qu’ils n’avaient plus de camelote pour bosser, maugrée un ancien de l’usine, aujourd’hui en retraite. Ils décoraient des vieux sujets, ils n’avaient rien que de la vieille terre pour bosser. »

Jean-Claude Kergoat, le gérant de l’entreprise, à la tête du groupe Les Jolies Céramiques, qui avait repris les faïenceries de Saint-Clément en 2012, est amer. « J’ai été lâché par tout le monde : les décideurs locaux, les politiques. J’étais dans le désert total. Seul un repreneur qui aurait beaucoup de courage, un peu de talent et l’envie de sauver ce patrimoine historique pourrait éviter la disparition de Saint-Clément et d’un savoir-faire précieux. Je l’attends. »

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Une accusation que réfute Bruno Minutiello, le président de la communauté de communes du territoire de Lunéville à Baccarat, qui connaît bien le dossier. « Il y a un an, nous avons vu M. Kergoat, car la situation était préoccupante. Il n’y avait plus dans la manufacture que deux ouvriers qui travaillaient la faïence. Le dirigeant nous faisait des demandes de subvention que nous ne pouvions honorer. On n’a pas pu ouvrir le débat pour parler d’une relance de la production. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est le savoir-faire que très peu de personnes, qui sont en outre d’un âge avancé, détiennent. On est en contact avec la DRAC [direction régionale des affaires culturelles] pour essayer de sauver les meubles et la marque Saint-Clément, qui est propriété de la communauté de communes. »

« Les gens vont chez Ikea s’acheter des assiettes »

« On le savait, on le redoutait. On se demandait juste quand ça allait arriver » : Catherine Calame, présidente de l’association Saint-Clément, ses fayences et son passé, est la mémoire de cet art qui remonte à 1758, lorsque la faïencerie fut créée pour rivaliser avec la porcelaine fine et décorer richement les tables de la cour lorraine, à Lunéville. Au fil du temps, des services de table ornés de fleurs ou de coqs, ou des sujets moulés, sont sortis de la manufacture, fort prisés par une clientèle lorraine.

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« Les déboires de l’usine Chapelle-Darblay racontent à la fois les difficultés de l’industrie française, de la presse papier et de l’économie circulaire »

Le directeur général de Veolia France, Jean-François Nogrette, reçoit les clés du site de la Chapelle-Darblay, à Grand-Couronne (Seine-Maritime), de la part du maire de Rouen et président de la Métropole Rouen-Normandie, Nicolas Mayer-Rossignol, le 10 mai 2022.

Nicolas Mayer-Rossignol, maire (Parti socialiste) de Rouen et président de la Métropole Rouen-Normandie, pouvait être fier, mardi 10 mai, quand il a tendu les clés de l’usine Chapelle-Darblay à son nouvel acquéreur, le groupe Veolia, associé au fabricant de pâte à papier Fibre Excellence. Le matin même, il avait officiellement acheté cette usine très symbolique au groupe papetier finlandais UPM. Symbolique, parce que les déboires à répétition de cette unité normande racontent à la fois le déclin de l’industrie française, celui de la presse papier, son principal client, et les difficultés de l’économie circulaire.

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Jusqu’en 2019, l’usine Chapelle-Darblay produisait près du quart du papier journal en France et recyclait pour cela 40 % du contenu papier des poubelles jaunes de l’Hexagone. Une industrie difficile, qui a vu au cours des décennies les entreprises françaises perdre pied progressivement au profit des grands spécialistes du nord de l’Europe. Le groupe Chapelle-Darblay dépose son bilan une première fois en 1980.

Devenue le nouveau symbole de la lutte ouvrière, la société, qui fournissait plus de 80 % du papier journal de France, est sauvée par les pouvoir publics (grâce notamment à un certain Laurent Fabius, élu local), puis vendue pour un franc symbolique, en 1987, à l’homme d’affaires François Pinault. Celui-ci cède trois ans plus tard, et après de nouvelles subventions, la société au suédois Stora et au finlandais Kymmene, avec une jolie plus-value. En 2019, ce dernier, devenu UPM, jette l’éponge devant l’effondrement du marché de la presse papier et annonce la fermeture du site et le licenciement de ses 230 employés.

Minces marges bénéficiaires

Cette fois encore, la collectivité vient au secours de ce site mythique. Mais cette fois, signe des temps, non plus au nom de la préservation de l’emploi, mais de l’écologie. La Métropole Rouen-Normandie s’oppose à un projet de vente qui prévoyait la reconversion des activités et la fin du recyclage, fait jouer son droit de préemption, achète le site et le revend le même jour à Veolia.

Ainsi sera maintenue en France une unité mixant à la fois la récupération du papier et son recyclage en carton ondulé, marché en croissance avec l’essor du commerce en ligne. Cela évitera l’expédition de nos déchets papier vers des contrées lointaines, puisqu’il n’y a pas d’autres unités de ce genre en France. L’économie circulaire le sera donc vraiment… à condition que l’économie fonctionne.

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Il y a déjà deux autres usines de carton en France. Il n’est pas sûr qu’il y ait de la place pour tout le monde et les marges bénéficiaires sont déjà minces, tandis que la conjoncture s’assombrit. Ce qui pose la question de l’insertion dans l’économie marchande de l’économie circulaire et de ses effets sur le reste de l’industrie. Encore un peu de travail en perspective pour l’édile de Rouen et un sujet de réflexion pour tous ceux qui rêvent de planifier la transition écologique.

Edgar Grospiron, Fabien Pelous… Les conférenciers sportifs, témoins des maux de l’entreprise

« Si les champions peuvent devenir entrepreneurs ou salariés après leur retraite sportive, certains capitalisent sur leur notoriété : depuis une dizaine d’années, les agences mettant en relation entreprises et sportifs prospèrent. »

« Depuis quelque temps, on sent que les collaborateurs ont besoin de se revoir en équipe après le Covid. Avec le télétravail, on se heurte à un gros écueil pour générer de la solidarité entre les personnes. » Fort de plusieurs centaines d’interventions dans des sociétés de tailles et de domaines multiples, Fabien Pelous, joueur le plus sélectionné en équipe de France de rugby (1995-2007), sait de quoi il parle. « On fait appel à moi pour mettre l’accent sur la performance collective. Le rugby, c’est associer toutes les fonctions et tous les gabarits pour aller vers un même objectif. »

Si les champions peuvent devenir entrepreneurs ou salariés après leur retraite sportive, certains capitalisent sur leur notoriété : depuis une dizaine d’années, les agences mettant en relation entreprises et sportifs prospèrent. Les demandeurs sont souvent des grandes entreprises, comme des constructeurs automobiles, des banques ou des cabinets de conseil, « mais aussi de plus en plus de PME et de start-up », selon Matthieu Aboudaram, PDG de WeChamp, agence née il y a cinq ans.

Archives : Article réservé à nos abonnés Management: les leçons du rugby aux décideurs du CAC 40

Motivation, courage, travail en équipe, dépassement de soi, rebond après un échec… Les enjeux des entreprises rejoignent en de nombreux points ceux du sport. Champion olympique de ski de bosses à Albertville en 1992, Edgar Grospiron est le plus aguerri des conférenciers : il effectue quatre-vingts interventions par an depuis quinze ans, à 8 500 euros pièce. « Quand j’étais athlète, des sponsors m’ont demandé de raconter ma vie devant leurs équipes. J’ai trouvé ça valorisant, mais je ne voyais pas en quoi cela pouvait être un métier. » Il s’est formé à partir de 2001 au management, et a appris les ressorts théoriques de la motivation au travail en étant formateur.

« Dans un univers qui fait rêver »

En règle générale, l’intérêt purement managérial d’une conférence paraît limité. « Je me suis formé sur le tas, raconte Fabien Pelous. Je ne fais que traduire en terminologie d’entreprise ce que j’ai vécu dans le sport. Attention, je ne peux pas répondre à toutes les problématiques : je ne vais pas inventer un propos sur le télétravail, je n’ai jamais fait de “télérugby”. Mon but, c’est juste d’ouvrir des cases dans le cerveau sur des façons de manager. »

En effet, l’essentiel est ailleurs : les intervenants, en personnalisant le management, peuvent transmettre des messages que les manageurs n’arrivent plus à faire passer. « L’objectif du chef d’entreprise qui fait appel à un sportif est de développer un discours qui est sensiblement le même que le sien, mais dans un univers qui fait rêver les gens : il y a des soucis de résistance au changement et il souhaite susciter un déclic », explique Julien Pierre, maître de conférences en sociologie et management du sport à l’université de Strasbourg.

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Femmes au travail : le genre « invisible »

Carnet de bureau. La discrimination se porte bien. Selon une enquête IFOP réalisée pour L’Autre Cercle (association contre les discriminations faites aux LGBT+ en entreprise) sur « la visibilité et l’inclusion des lesbiennes au travail en France », et publiée mardi 10 mai, ces salariées sont peu visibles en entreprise. Entre le 9 novembre 2021 et le 25 janvier 2022, l’institut de sondage a interrogé 1 402 femmes lesbiennes ou bisexuelles, de 18 ans ou plus, en activité professionnelle. Un tiers (33 %) d’entre elles seulement sont « visibles » en tant que telles par leurs supérieurs hiérarchiques, et 40 % par leurs collègues de même niveau hiérarchique.

Un constat qui serait anodin s’il était sans conséquences sur le travail, la santé et la carrière des salariées en question. Mais ce n’est pas le cas. « Ces salariées subissent les mêmes conséquences que toute victime de harcèlement : isolement, perte d’engagement, d’investissement. Au cours des trois dernières années, 26 % disent avoir eu des pensées suicidaires, et 21 % en sont venues à quitter leur entreprise. Par ailleurs, elles sont victimes d’inégalités pour tous les droits liés à leur foyer : leur conjointe, leurs enfants. Tant qu’elles ne se sont pas dévoilées, elles ne peuvent pas en profiter », explique Catherine Tripon, porte-parole nationale de L’Autre Cercle et coresponsable du projet Voilat (Visibilité ou invisibilité des lesbiennes au travail).

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En complément de l’enquête IFOP, 88 entretiens qualitatifs ont été réalisés par L’Autre Cercle pour comprendre les raisons de cette invisibilité. Est-elle volontaire ? Subie ? Systémique ? Un début de réponse réside dans la mesure de leur discrimination : 53 % des femmes interrogées déclarent avoir subi au moins une discrimination ou une agression au travail, et 31 % ont subi l’une et l’autre. Une majorité d’entre elles ont fait l’expérience d’une « lesbophobie d’ambiance » : elles ont été témoins ou cibles directes de propos particulièrement désobligeants, « peu propices à une visibilité sereine », précise l’enquête.

Peur des représailles

Le silence est souvent le premier réflexe des victimes de discriminations en tout genre. Selon le 13e baromètre annuel sur la perception des discriminations dans l’emploi, réalisé conjointement par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT), « parmi les personnes qui n’ont rien dit au moment des faits [de discriminations] (23,5 %), 68 % évoquent la peur des représailles de la part des auteurs, 60 % indiquent qu’elles ne savaient pas quoi faire, et 56 % pensent que cela n’aurait rien changé ».

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Sur le marché du travail, les jeunes diplômés fragilisés par la crise sanitaire

Une génération stoppée net dans sa lancée en mars 2020. La crise sanitaire liée au Covid-19 a représenté un « coup d’arrêt brutal » pour la jeunesse, alors que celle-ci commençait à peine à connaître une embellie sur le marché de l’emploi, souligne une vaste enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), publiée mardi 10 mai. Menée tous les six ans auprès de plus de 25 000 personnes, l’enquête « Génération » analyse l’entrée sur le marché du travail de l’ensemble des sortants du système éducatif. Cette nouvelle édition, retrace les parcours des jeunes qui ont terminé leur formation en 2017, et qui ont été interrogés à plusieurs reprises cinq ans après leur entrée dans la vie active. Elle est la première étude d’une telle ampleur à documenter les conséquences de la crise sanitaire sur l’insertion de toute une génération de jeunes, et de sa brutalité.

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Avant le premier confinement dû au Covid-19 et l’arrêt de l’économie qu’il a entraîné, les indicateurs étaient au vert. En février 2020, trois ans après l’entrée sur le marché du travail de cette génération, le taux de chômage au sein de cette dernière avait baissé de trois points par rapport à celui qu’avait connu la cohorte précédente, sortie du système éducatif en 2010. L’enquête souligne aussi un accès au contrat à durée indéterminée (CDI) « plus fréquent et rapide », avec 68 % de CDI chez les jeunes en emploi (en hausse de quatre points par rapport à la génération diplômée en 2010, à la même période). Cette génération profite à l’époque d’une « conjoncture économique plus favorable » sur l’ensemble du marché du travail, après les effets de la crise de 2008 qui avait fragilisé durablement les jeunes entrés dans la vie active au début des années 2010, observe Thomas Couppié, chargé d’études au Céreq, coauteur de l’enquête.

Arrêt massif des recrutements

Ces bons indicateurs témoignent aussi d’une évolution sociologique, reflet de la massification toujours plus forte de l’enseignement supérieur : la génération de 2017 est davantage diplômée que celle sortie en 2010. Dans cette cohorte, 78 % sont détenteurs au moins d’un baccalauréat, et près de la moitié (47 %) est diplômée du supérieur. Un « seuil symbolique » en passe d’être atteint, note l’étude, qui pointe toutefois de fortes inégalités, quand seulement 8 % des enfants d’ouvrier sortent avec un diplôme du supérieur. Au passage, l’enquête montre que le diplôme reste plus que jamais « protecteur vis-à-vis du chômage », souligne Elsa Personnaz, coautrice. La moitié des titulaires d’un diplôme bac + 5 ont ainsi accédé rapidement à un CDI, contre seulement 5 % des non-diplômés.

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Ces jeunes femmes qui choisissent, une fois diplômées, de rentrer dans les campagnes et les petites villes où elles ont grandi

La maison est postée au bord de la route principale, qui traverse quasiment toute la commune de Bouconville. Peu de passage sur cette départementale, tracée au milieu de vastes étendues agricoles : à part pour rendre visite à l’un des cinquante habitants de ce village des Ardennes, « il n’y a pas de raison de venir par ici », remarque Sophie Limousin, 28 ans, qui tend une tasse de thé à son amie assise à la table du salon. Copines depuis le lycée à Vouziers, vingt kilomètres plus loin, Laurine Piekarek et elle déjeunent régulièrement ensemble. Elles s’étaient un peu perdues de vue pendant leurs années d’études. L’une n’avait jamais envisagé qu’un départ temporaire, l’autre rêvait de quitter le coin pour de bon. Toutes deux se sont retrouvées ici, dans la campagne où elles ont grandi.

Leur trajectoire reflète celle de nombre de jeunes femmes ayant grandi à la campagne ou dans les petites villes. Davantage encouragées que leurs homologues masculins à faire des études, et donc à se rendre dans de grandes agglomérations, les jeunes femmes des villes petites ou moyennes ont également plus tendance à retourner s’installer dans leur territoire d’origine. C’est la conclusion d’une étude publiée dans la revue Travail, genre et sociétés (n° 46, La Découverte, 2021) , réalisée par les sociologues Elie Guéraut et Fanny Jedlicki, chercheurs associés à l’Institut national d’études démographiques (INED), à partir d’une série d’entretiens et des données du recensement de 2013 et de la plate-forme de répartition dans le supérieur Admission post bac de 2015.

« Les jeunes femmes obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons : plus souvent bachelières, elles vont ensuite chercher le diplôme là où il se trouve », explique Fanny Jedlicki. Localement, elles font face à une offre de formation plus restreinte, avec de rares filières dites « féminines », et tendent davantage à se rendre dans les pôles universitaires. Mais pour elles, le départ se pose bien souvent en d’autres termes que pour les jeunes hommes qui font aussi le pas vers la grande ville. « Elles sont confrontées à une double injonction, celle de quitter leur ville d’origine pour étudier et celle de continuer, malgré tout, à investir les liens de proximité », souligne Elie Guéraut.

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Une partie d’entre elles adaptent alors leur choix de formation à « l’espace des possibles local », observe la doctorante Perrine Agnoux, qui suit les parcours de jeunes femmes en Corrèze, et particulièrement de bachelières pro « aide à la personne », filière d’avenir d’un département vieillissant. « Le départ en ville, pour acquérir une autre qualification, est vécu par beaucoup comme un sacrifice provisoire avant le retour », souligne-t-elle.

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