Archive dans 2022

En 2022, les salaires augmenteront moins vite que l’inflation

Dans un café à Plouezoc'h (Finistère), le 25 mai 2022.

Face à l’inflation, qui a atteint 6,1 % fin juillet en France, et plus encore face aux difficultés de recrutement, les entreprises vont-elles lâcher du lest sur les salaires ? Selon le groupe WTW (Willis Towers Watson, ex-Gras Savoye), qui a réalisé sa traditionnelle enquête mondiale sur les rémunérations, les hausses de salaire accordées par les entreprises françaises devraient s’établir en moyenne à 3,1 % en 2022. Un chiffre nettement inférieur à celui de la hausse des prix, mais qui reste en progression significative par rapport à la tendance de ces dernières années. De 2010 à 2019, les augmentations moyennes n’ont pas dépassé 2,5 % par an, tandis que 2020, l’année du Covid-19, a même vu le chiffre tomber à 2 %.

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En 2023, les entreprises pourraient consentir des hausses de 3,3 % en moyenne, selon l’enquête. « Ce chiffre pourrait même être revu à la hausse à la rentrée, compte tenu des anticipations d’inflation, et atteindre 3,5 %, ce qui serait du jamais-vu depuis 1985 », souligne Khalil Ait-Mouloud, directeur de l’activité enquête de rémunération chez WTW.

Plus avares

La moyenne de 3,1 % pour cette année recouvre bien entendu des disparités en fonction des secteurs d’activité, des métiers et des niveaux de poste. Les salaires augmentent ainsi beaucoup plus vite pour les professionnels du numérique, de la data et de la cybersécurité. Pour le reste, le secteur de la finance, des nouvelles technologies (et particulièrement les activités touchant les semi-conducteurs) et les fintech se placent « en haut de la fourchette » en matière de générosité salariale.

Si les entreprises consentent à faire un effort, ce n’est pas seulement pour préserver le pouvoir d’achat de leurs collaborateurs, mais aussi pour parvenir à recruter

A l’inverse, la banque de détail, l’agroalimentaire, le tourisme et l’hébergement-restauration se sont montrés plus avares. En termes de types de poste, ce sont les manageurs et les cadres qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu, avec des coups de pouce de 3,1 % à 3,2 % sur leur fiche de paie, tandis que les ouvriers et les agents de maîtrise se contentent de 2,9 % à 3 %. A noter que les salariés français s’en sortent moins bien que leurs voisins européens, où les hausses anticipées de rémunération sont plus élevées : pour 2023, elles s’établissent à 4 % au Royaume-Uni, 3,8 % en Allemagne et 3,6 % en Espagne. Il est vrai que l’inflation y est bien plus forte. En juillet, la hausse des prix sur douze mois a atteint 9,4 % au Royaume-Uni, 8,5 % en Allemagne et 10,6 % en Espagne.

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Camaïeu, en cessation de paiement, placé en redressement judiciaire

En cessation de paiement deux ans après sa reprise par la Financière immobilière bordelaise (FIB), le géant du prêt-à-porter Camaïeu a été placé lundi 1er août en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lille, a annoncé sa direction à l’Agence France-Presse (AFP). « Nous prenons acte de la décision du tribunal qui prononce l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à la demande de Camaïeu », a fait savoir la direction, précisant travailler « dès à présent au plan de continuation », l’objectif de l’enseigne, qui emploie 2 571 salariés, « étant de préserver l’activité de l’entreprise et de la marque Camaïeu ».

« Cette décision doit permettre à Camaïeu, marque historique du textile français, de disposer d’une période d’observation puis de présenter un plan de continuation afin de poursuivre la transformation initiée par le groupe et assurer ainsi la pérennité de l’entreprise », dit un communiqué le groupe Hermione People and Brands (HPB), la division distribution de la FIB de l’homme d’affaires bordelais Michel Ohayon.

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Affaibli par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine

L’enseigne, qui compte 538 magasins en France, avait demandé l’ouverture de cette procédure lundi dernier, se déclarant en cessation de paiement, plombée notamment par des impayés de loyers. Cette demande a été faite « après une période de plusieurs mois marquée par une série de difficultés exogènes », a développé HPB. « Déjà très fragile au moment de sa reprise », en 2020, « Camaïeu a été confrontée à une vague de crises successives majeures et sans précédent due à la crise Covid, aux confinements répétés (…) et à la désorganisation du transport mondial », selon le communiqué.

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HPB cite aussi une « cyberattaque d’une ampleur exceptionnelle ainsi que les conséquences de la guerre en Ukraine et l’augmentation du prix des matières premières ». « Déjà largement fragilisée par cette succession de faits sans précédent, Camaïeu doit faire face, depuis le 30 juin, à l’arrêt de la Cour de cassation, refusant aux commerçants le droit de demander une baisse de leurs loyers de la période Covid », ajoute HPB. « Même si le tribunal valide un plan de continuité, on sait très bien qu’il y aura une réorganisation des effectifs, donc un plan social, donc de la casse sociale », a réagi Thierry Siwik, délégué CGT de Camaïeu. « Pour minimiser cette casse sociale, nous allons construire une action avec la CGT HPB », a-t-il ajouté.

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Le Monde avec AFP

« Attribuer un prix interne aux émissions de carbone a-t-il une utilité pour les entreprises ? »

Alors que la planification publique de la décarbonation est au cœur des débats économiques, les entreprises tentent d’anticiper. Bien qu’elles n’y soient pas formellement obligées, la plupart des firmes du CAC 40 considèrent par exemple aujourd’hui leurs émissions de gaz à effet de serre comme des coûts. Elles attribuent par conséquent un « prix interne », fictif, à tout ou partie des tonnes de carbone qu’elles émettent.

L’idée est que les émissions, ainsi transformées en données financières, les inciteront à favoriser les options d’investissement relativement moins carbonées. L’Etat utilise du reste un outil similaire pour se motiver à agir : le « jaune » budgétaire, intitulé « impact environnemental du budget », annexé aux projets de loi de finances. Cette tarification volontaire du carbone fait écho à l’obligation réglementaire qu’ont certaines entreprises de payer, cette fois pour de vrai, pour leurs émissions.

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En Europe mais aussi aux Etats-Unis ou en Chine, par exemple, de nombreuses firmes, appartenant à certains secteurs d’activité doivent s’acquitter de taxes ou acheter des quotas d’émissions. Historiquement, les prix du carbone internes aux entreprises ont souvent précédé cette tarification par les autorités publiques.

Pas d’effet sur le choix des investissements

Au-delà du fait qu’ils peuvent préparer les entreprises à devoir payer pour les pollutions causées, quelle est l’utilité de ces prix internes fictifs, de cet outillage comptable et financier fortement valorisé par les agences de notation extra-financière ? Une recherche menée en immersion dans une grande entreprise française du secteur de l’énergie (« Gouverner par le signal prix ? Sur la performativité des prix du carbone internes aux entreprises », thèse de doctorat en sciences de gestion, université Paris-Dauphine-PSL) montre que disposer de cet instrument ne signifie pas pour autant que l’on s’en serve pour diminuer les émissions.

Dans cette grande firme, le calcul du prix interne du carbone, utilisé depuis quinze ans, a certes sensibilisé progressivement les salariés au risque climat, mais il n’a eu qu’une seule fois un impact concret sur les choix d’investissement, et encore, le projet concerné comportait de nombreux défauts qui rendaient son approbation illusoire.

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Sur cette période, la relative décarbonation de l’entreprise a en fait découlé d’une planification, avec des prises de décision volontaristes comme la fin des investissements dans le charbon, la mise en place de normes internes, notamment des objectifs d’efficacité énergétique, ou des acquisitions de sociétés spécialisées dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.

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En Bretagne, des pulls marins symboles de la renaissance de l’industrie textile française

Depuis 7 heures, ce jeudi 21 juillet, les trente couturières du fabricant de prêt-à-porter Le Minor sont derrière leurs machines. La marque de pulls installée sur la commune du Guidel (Morbihan), au nord-ouest de Lorient, devait achever la production de milliers de pièces d’ici à la fin juillet pour les expédier au Japon, chez Beams et Ships, et en France, chez Monoprix.

Son carnet de commandes est plein. Les bacs débordent de cols roulés en point guilloché, de pulls marins en mérinos et de marinières en coton à assembler, repasser, contrôler et mettre en sachet. L’atelier de confection est flambant neuf, depuis ce printemps, après la rénovation partielle d’un bâtiment de 7 000 mètres carrés construit en 1977. Et les douze métiers automatiques à tricoter, dont six achetés d’occasion, tournent à plein régime.

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En septembre, le fabricant installera une table de coupe dite « intelligente », capable de tailler les pièces de jersey en fonction des rayures à raccorder : l’investissement de 240 000 euros est financé par une subvention. Ce sera la deuxième enveloppe des 400 000 euros alloués dans le cadre du plan France Relance, dont l’entreprise a été lauréate en novembre 2020, expliquent ses dirigeants et actionnaires, Sylvain Flet et Jerôme Permingeat.

Refus de délocaliser

En 2018, avec l’appui d’Alain Sourisseau, spécialiste de la relance de PME, ces deux trentenaires ont racheté l’entreprise bretonne détenue par les héritiers de Jean-Luc Grammatico, troisième propriétaire de la PME depuis sa création, en 1922.

La marque de chandails est surtout connue des Bretons, des professionnels de la mer et des officiers de la marine nationale dont, jusqu’en 2010, elle fabriquait « le jersey réglementaire ». Son usine a employé jusqu’à 250 personnes dans les années 1970. C’est-à-dire avant la crise, l’envolée des importations d’habillement et la délocalisation de la production française de vêtements en Europe de l’Est et au Maghreb.

Bien qu’encore adulée de ses clients, au Japon comme dans les coopératives maritimes de Bretagne, Le Minor est à la peine en 2018 ; Marie-Christine Grammatico, sa gérante et actionnaire, a toujours refusé de délocaliser sa production. Et tous les ans, elle renfloue l’entreprise. Cinq ans après la photo d’Arnaud Montebourg posant en marinière Armor Lux en « une » du Parisien Magazine, pour vanter l’industrie tricolore, le rival breton plafonne à 1,5 million d’euros de ventes. La PME guidéloise compte vingt-cinq salariés « et un seul ordinateur pour toute l’équipe d’encadrement », se rappelle sa modéliste, Claire Egault.

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Le droit à la déconnexion en vacances : pas pour tout le monde

« Le problème de la déconnexion ne date pas d’aujourd’hui, mais le télétravail l’a amplifié, en abolissant les frontières entre-temps de travail et temps de repos. » Comme l’exprime Fabienne Tatot, secrétaire nationale de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict)-CGT, les nouvelles habitudes générées par le travail à distance ne font pas toujours bon ménage avec l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, surtout lors des congés.

En effet, 36 % des salariés français se connectent à distance pour travailler en vacances, selon une étude publiée par le site d’évaluation des entreprises Glassdoor, menée le 14 juillet auprès d’un échantillon représentatif de mille d’entre eux âgés de plus de 18 ans et travaillant à temps plein.

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Dans une partie non négligeable des cas, cette surcharge hors du temps de travail provient d’une pression directe de l’employeur. Un sondé sur cinq télétravaille, car ce dernier lui adresse des demandes lors des congés, et 24 % des personnes interrogées se disent sommées de prendre leur ordinateur portable en vacances.

« Pression sociale »

Plus étonnant, cette habitude a souvent pour origine le travailleur lui-même. Ainsi, 35 % des répondants utilisent leurs outils professionnels « par peur de manquer des informations », et reconnaissent que le télétravail les incite à travailler plus dur, à faire leurs preuves. Par ailleurs, 20 % rapportent même que le télétravail augmente tellement le niveau d’exigence des employeurs et des clients qu’ils estiment normal que les projets en cours continuent d’être gérés pendant les heures de repos. Avocate spécialisée en droit du travail, Elise Fabing y voit une pression indirecte de l’entreprise : « Il y a une culture qui consiste à montrer qu’on travaille deux fois plus quand on est à la maison, qu’on est loyal… Les salariés se sentent responsabilisés et ont des objectifs sur le long terme. »

Un droit à la déconnexion figure bien dans le Code du travail depuis 2017, mais ses modalités ne sont pas précisées par la loi

Une observation partagée par Fabienne Tatot : « Les entreprises n’encadrent pas suffisamment le temps de travail. Elles ont tendance à se défausser sur les salariés pour que ceux-ci aient un devoir de déconnexion plutôt qu’un droit. Mais comme on n’est plus évalué par le temps de travail mais sur le travail fait et les objectifs, une pression sociale s’exerce sur chacun d’entre nous, et c’est donc très dur de se déconnecter. » De fait, 54 % des cadres déclarent travailler lors de leurs jours de repos, selon le baromètre Ugict-CGT/Secafi publié en novembre 2021. Ce chiffre monte à 73 % dans la fonction publique.

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En Bretagne, des travailleurs logés en urgence dans des internats pour sauver la saison

Il est arrivé ici la veille. Entre deux services au bar d’un hôtel-restaurant cossu de Saint-Briac-sur-mer (Ille-et-Vilaine), où il travaille, Jason Lerigoleur termine son emménagement, en ce mercredi matin de la mi-juillet. Dans cette chambre, dont les sanitaires collectifs sont situés sur le palier, le saisonnier de 21 ans a commencé par brancher sa console de jeux vidéo et son écran plat. Pas de connexion Wi-Fi disponible pour jouer en ligne. Déçu, le jeune homme a alors rangé sa manette pour trier ses affaires dans l’armoire qui trône face à trois sommiers relevés contre un mur de la pièce.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La pénurie de logements est devenue « le frein numéro un » au recrutement de saisonniers

Faute de logement disponible sur la côte bretonne, Jason Lerigoleur a réservé une chambre dans l’internat du lycée hôtelier de Dinard. « Ce n’est pas le grand luxe, mais ça défie toute concurrence », relativise le barman. Loyer mensuel : 300 euros. Il poursuit : « Ici, les saisonniers galèrent à se loger. On nous propose des studios à des prix exorbitants. Jusqu’à 900 euros la semaine. Nous ne sommes pas des touristes, mais des professionnels contribuant à l’activité économique locale. » Vingt autres travailleurs estivaux sont attendus dans cet internat appartenant à la région Bretagne. La collectivité a décidé d’ouvrir en urgence cet établissement ainsi que trois autres ailleurs dans la péninsule afin de loger des dizaines de travailleurs. Une expérimentation « de secours » imaginée alors que Pôle emploi annonce un manque de 50 000 saisonniers dans la région.

Les syndicats hôteliers misent sur ce dispositif pour pallier le manque de personnel qui contraint certains restaurateurs à fermer un ou deux jours par semaine

L’une des causes justifiant cette pénurie récurrente de main-d’œuvre est le manque de logements. « Certains travailleurs dorment dans leur voiture, alors que nous avons des locaux vides. Le bon sens veut qu’on les ouvre, insiste Loïg Chesnais-Girard, le président (divers gauche) de la région. Une telle opération permet aussi à la collectivité d’optimiser l’usage de ses bâtiments. » Nombre des 12 000 lits des internats gérés par la région pourraient, à l’avenir, densifier cette offre d’accueil.

Une partie de la chambre de Jason Lerigoleur, à Dinard, le 13 juillet 2022.

Sa mise en fonctionnement a démarré courant juillet à cause de « freins administratifs et juridiques » complexifiant le transfert de la gestion de ces bâtiments à d’autres collectivités, selon les édiles. A Dinard, la municipalité gère l’accueil des locataires, avec le soutien des représentants locaux de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Ces derniers misent sur ce dispositif pour pallier le manque de personnel qui contraint certains restaurateurs à fermer un ou deux jours par semaine, à réduire la durée des services ou à limiter le nombre de couverts.

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Le « gâchis » des obligations de quitter le territoire prises contre des jeunes apprentis

Le président Emmanuel Macron rencontre des apprentis lors d’une visite du campus de formation industrielle de la fondation Industreet (Total) à Stains (Seine-Saint-Denis), le 1er mars 2021.

Ils sont des futurs pâtissier, boulanger ou boucher, menuisier ou logisticien. Ils sont maliens, guinéens ou ivoiriens. Et sont menacés d’expulsion. Ces jeunes majeurs, élèves de la filière professionnelle et soutenus par leurs professeurs, leurs patrons ou des associations, estiment pourtant être pleinement engagés dans des démarches d’insertion. Au moment où de nombreux secteurs économiques font état de difficultés de recrutement, tels que l’hôtellerie-restauration et le bâtiment, ces situations interpellent.

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Moussa (il n’a pas souhaité donner son nom de famille) est titulaire d’un CAP de peintre et d’un CAP de couvreur, obtenus au lycée Jean-Monnet de Montrouge (Hauts-de-Seine). Ce Malien de 21 ans, en France depuis cinq ans et logé par une tante française, a demandé un titre de séjour, mais s’est vu délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) en janvier par la préfecture du département. « Je ne comprends pas, confie-t-il au Monde. J’ai fourni tous mes bulletins, avec à chaque fois les encouragements ou les félicitations. Un patron voulait m’embaucher mais [à cause de l’OQTF], il n’a pas pu. » Moussa a formé un recours et, dans l’attente, il s’est inscrit en CAP plâtrier pour la rentrée de septembre.

Toujours dans les Hauts-de-Seine, un autre Malien, également prénommé Moussa et titulaire d’un bac professionnel en électricité, est lui aussi sous le coup d’une obligation de quitter le territoire depuis mars. Pris en charge par l’aide sociale à l’enfance entre 2017 et 2021, Moussa, aujourd’hui âgé de 21 ans, est accompagné par un patron chez lequel il a déjà réalisé plusieurs contrats à durée déterminée. « Je ne comprends pas pourquoi j’ai une OQTF, j’en souffre énormément », dit-il.

« Situations ubuesques »

Dans ce département francilien, ces situations se multiplient, selon Armelle Gardien, du Réseau éducation sans frontières (RESF). « Cette problématique absorbe la quasi-totalité de nos efforts, témoigne-t-elle. Depuis 2021, on accompagne quatre-vingts jeunes qui ont des OQTF. Mais la problématique est générale. »

Ainsi, dans la Marne, Marie-Pierre Barrière, professeure de français et membre de RESF, dénombre près de trente jeunes menacés d’expulsion et accompagnés par l’association. Elle évoque le cas de Maurice Tolno, un Guinéen de 20 ans titulaire d’un CAP de cuisinier et expulsé le 3 juillet vers Conakry. « Il travaillait dans un restaurant à Amiens, le patron le trouvait excellent et voulait l’embaucher en CDI », souligne la militante, qui précise qu’une OQTF avait été prise à son encontre par la préfecture de l’Aisne, « sous prétexte d’incohérences dans son récit de vie lors de son évaluation de minorité auprès de l’aide sociale à l’enfance ».

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Enseignement professionnel : « Il nous faut réfléchir aux verrous budgétaires, réglementaires et d’orientation qui nous empêchent d’avancer »

Vincent Troger, maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation, historien de l’enseignement technique et professionnel, regrette que les filières professionnelles ne soient toujours pas perçues comme une voie de réussite.

« Réussir à ce que nos jeunes aillent plus vite vers le marché du travail et mieux » est l’un des objectifs assignés à la réforme du lycée professionnel par Emmanuel Macron. Y voyez-vous un « mauvais » objectif ?

Ce qui me frappe, surtout, c’est que cet objectif semble être en contradiction avec l’ambition affichée par le système depuis de nombreuses années : conduire plus de jeunes vers plus d’études supérieures. C’est la tendance de fond, en France comme ailleurs dans l’OCDE. On attend des jeunes polyvalents et diplômés au-delà du bac. Et c’est d’autant plus vrai que tous les indicateurs attestent que cette élévation du diplôme est la voie pour trouver du travail. Ou, en tout cas, c’est une protection contre le chômage. Va-t-on vers un changement de fond de la logique ? C’est ce qui doit être précisé.

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Cette réforme de la voie professionnelle doit se faire sur le modèle de l’apprentissage. L’apprentissage est-il à lui seul un gage de réussite ?

Le gouvernement insiste sur l’augmentation importante du nombre d’apprentis ; de fait, on a dépassé les 500 000 par an, avec une forte augmentation en 2021, contre 300 000 il y a une dizaine d’années. Mais on oublie de dire que cette hausse est portée par l’enseignement supérieur, avec de plus en plus d’apprentis en alternance en BTS ou dans des licences professionnelles (81 % des nouveaux contrats signés en 2021 concernent des formations du niveau bac ou postbac).

L’apprentissage fonctionne, oui, mais à un certain niveau de diplôme. Avant le bac, il peut mettre en difficulté beaucoup de jeunes qui ne trouvent pas de contrats ; il peut aussi mettre en difficulté leurs enseignants. On imagine mal, dans les cercles politiques, la complexité de l’accueil au sein d’un même établissement de publics aussi différents que des élèves sous statut scolaire et d’autres en apprentissage.

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Le sujet a été très présent dans cette campagne présidentielle, et pas seulement dans le programme Macron. Cela vous a-t-il surpris ?

Cela fait des années que le lycée professionnel est au centre des préoccupations politiques. Il n’a cessé d’être remis en chantier, quelle que soit la coloration des gouvernements, avec, toujours, l’objectif de « revaloriser » cette voie.

L’enseignement professionnel n’est pas né, à la fin des années 1930, d’un projet politique fortement structuré, mais d’un besoin de formation accélérée de la main-d’œuvre pour les industries de guerre. Un demi-siècle plus tard, c’est la gauche qui, en 1985, crée le baccalauréat professionnel ; c’est aussi un ministre de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui expérimente en 2001 le rapprochement entre le lycée professionnel et l’apprentissage en lançant le label des « lycées des métiers ». Mais c’est ensuite la droite qui généralise le cursus sur trois ans – contre quatre, auparavant – pour le bac professionnel et ouvre l’accès des BTS aux bacheliers. Vincent Peillon poursuit cette politique en créant, en 2013, les « campus des métiers », qui deviendront, avec Jean-Michel Blanquer, des « campus d’excellence ».

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Jean Rouaud : « On peut fixer une date de départ en retraite, mais sa date de fin relève de la loterie de la vie, qui est truquée »

Le spectacle est annoncé. On commence à agiter la muleta de la retraite, et déjà les toros de tous bords se préparent à foncer tête baissée sur le linge écarlate pour y laisser leur empreinte, l’étirer, le dépecer ou le rapetisser, selon ce qu’ils nomment un impératif social ou le sens des réalités, lesquels s’accompagnent de la formule définitive : « Il faut savoir raison garder », leitmotiv des pauvres en esprit à l’imaginaire carencé.

On présentera ce débat sur la retraite comme la manifestation éclatante du fonctionnement démocratique, on s’étripera, on se félicitera du résultat ou on criera au scandale, et tout ce brouhaha politico-médiatique – et c’est peut-être sa finalité inconsciente – reviendra à accréditer cette idée que le corps central de toute existence est le travail, borné, d’un côté, par des années de formation (qui préparent à rentrer dans le grand corps, pas question d’y apprendre le chant des oiseaux) et, de l’autre, si tout se passe bien, par une offre permettant à ce grand corps malade d’avoir de quoi souffler, éventuellement sous assistance respiratoire. De sorte que c’est l’existence en son entier qui s’organise autour du sacro-saint labeur. Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, de ta vie ? J’ai travaillé.

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Ce repos terminal, on voit bien de quoi il s’inspire, de ce septième jour que s’accorde le Créateur après six jours à retourner terre et ciel. Les révolutionnaires, dans leur acharnement voltairien à en finir avec « l’infâme » (l’Eglise catholique), supprimèrent la semaine de sept jours (l’héritage biblique) pour la remplacer par le décadi. Au lieu de 52 dimanches chômés, il n’en restait plus que 36. Du côté du patronat, on commence à se frotter les mains. D’autant que l’Ancien Régime ajoutait aux 52 dimanches 25 fêtes religieuses, également chômées. Voltaire, bien sûr, mais aussi Montesquieu, s’en étaient alarmés, qui dénoncèrent les « effets pervers » pour l’économie de ce pieux repos accordé aux travailleurs. Un bon Dieu est un Dieu mort.

Grande débandade

Le poète Racan [1589-1670] avait 29 ans quand il a publié ses Stances sur la retraite (« Tircis, il faut penser à faire la retraite »), et Montaigne 38 quand il s’est retiré dans sa tour pour écrire, étudier, mettre en pratique le carpe diem horacien. Mais ça, cette injonction, « cueillir le jour sans se soucier du lendemain », hormis pour les oiseaux du ciel et les nantis, c’est précisément ce qui constitue la pierre d’inquiétude de la majeure partie de l’humanité. On empilait autrefois les naissances pour qu’il se trouve un enfant survivant acceptant de prendre en charge ses vieux parents.

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« Il n’y a pas de lien démontré entre l’assurance-chômage et les difficultés de recrutement »

Chercheur associé à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Bruno Coquet considère que la politique de l’exécutif, qui consiste à durcir les règles d’indemnisation des chômeurs pour les pousser à reprendre un emploi, n’est pas fondée. Il regrette également une « carence » de l’Etat dans la gouvernance du régime d’assurance-chômage.

Que pensez-vous du nouveau projet de réforme de l’assurance-chômage annoncé par l’exécutif ?

A ce stade, le projet est imprécis. La volonté affichée est d’« aller plus loin ». Mais plus loin que quoi ? La précédente réforme, dont les dernières dispositions sont entrées en vigueur à l’automne 2021, n’a pas encore été évaluée. La démarche engagée aujourd’hui me paraît précipitée. Tout se passe comme si des solutions étaient avancées face à un problème qui n’est pas connu.

Le but affiché est de pousser les demandeurs d’emploi à reprendre un poste, à un moment où les tensions de recrutement sont fortes. Il s’agit d’un problème bien identifié, non ?

Depuis 2019, le nombre de chômeurs indemnisés baisse deux fois plus rapidement que le chômage total. Au-delà des anecdotes, il n’y a pas, en toute rigueur, de lien démontré entre l’assurance-chômage et les difficultés de recrutement. Rappelons que le régime piloté par l’Unédic n’indemnise que 40 % des demandeurs d’emploi. Et parmi ceux qui sont couverts par le dispositif, plus de la moitié sont loin d’être passifs, puisqu’ils exercent une « activité réduite ». En réalité, la question première est de comprendre pourquoi la majorité des demandeurs d’emploi, qui ne sont pas indemnisés par l’assurance, ne pourvoient pas aux postes proposés.

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La CPME met en avant les situations où des salariés refusent un CDI et retournent à l’assurance-chômage…

Ces exemples évoquent plutôt de la fraude que des règles désincitatives. Si un chômeur repousse à deux reprises une offre d’emploi raisonnable, il s’expose à une radiation et à une suspension du versement de son allocation. Or les pouvoirs et les moyens de contrôle de Pôle emploi ont été renforcés depuis 2019, et pour ce que l’on en sait, le taux de sanctions reste stable et concerne très majoritairement des chômeurs non indemnisés. Le problème ne venant pas des règles d’indemnisation, les réformer n’y changera rien.

Le ministre du travail a déclaré que le mode de calcul de l’allocation, entré en vigueur en octobre 2021, facilite les recrutements et les incitations à l’emploi. Partagez-vous son avis ?

Les mesures instaurées sous la précédente législature reposent sur l’idée que le travail doit payer plus que le chômage. Mais aucun cas-type ne montre que la reprise d’emploi est plus rémunératrice après leur entrée en application. Dès lors, les incitations alléguées ne sont pas au rendez-vous : l’effet dominant vient de la réduction des droits et du pouvoir d’achat qui met les chômeurs sous pression, alors que pour être optimale, une assurance doit viser à stabiliser leur consommation. Il s’agit, plus classiquement, d’une recherche d’économies budgétaires, par le biais d’une diminution des dépenses d’indemnisation.

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