Magasin Camaïeu définitivement fermé, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le 26 octobre 2022. MAGALI COHEN / HANS LUCAS VIA AFP
C’est l’un des plus gros plans sociaux qu’a connus la France. Au lendemainde la liquidation de l’enseigne Camaïeu, le 27 septembre, ses 2 089 salariés sous contrat à durée indéterminée ont reçu leur lettre de licenciement en début de semaine. « Nous sommes les premières à tomber », s’alarme une ancienne Camaïeu. L’Etat a mis en place un dispositif d’accompagnement renforcé des licenciés. La région Hauts-de-France dit être aussi mobilisée pour les accompagner dans la recherche d’un nouvel emploi.
Car cette région, où le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) des 863 salariés de l’ancienne usine Bridgestone de Béthune (Pas-de-Calais) en 2021 est encore dans toutes les mémoires, est la plus concernée. A Roubaix (Nord), Camaïeu employait près de 500 personnes, dans son siège social et son entrepôt mitoyen. Le reste du personnel, soit près de 1 600 employés, est disséminé partout en France, au gré des 511 magasins que l’enseigne exploitait dans les centres commerciaux et les centres-villes.
« Ce sont des femmes, surtout, souvent jeunes, parfois mères célibataires », souligne Justine Candat, avocate du comité social et économique (CSE) de Camaïeu. Tous auront jusqu’à la mi-novembre pour se déterminer sur le mode d’indemnisation de leur licenciement pour motif économique. Un contrat de sécurisation professionnelle, propre à favoriser leur reconversion, leur est accordé, avec un budget de 3 500 euros à 4 500 euros pour financer des mesures d’accompagnement.
Une prime de 6 000 euros leur sera versée « au titre du partage de la valeur ajoutée », en plus de l’indemnité de licenciement. L’ensemble est financé par les 25,2 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisés à la hâte, au lendemain de la liquidation, entre le 28 septembre et le 1er octobre. En dépit de cette somme inespérée, le montant de ce PSE est « insuffisant », déplore Me Candat. La déception des salariés est d’autant plus grande que l’ancien actionnaire de Camaïeu n’a aucunement contribué à le financer.
Un actionnaire aux abonnés absents
« C’est pourtant de coutume », déplore un ancien cadre. Depuis la liquidation de l’enseigne, la holding Financière immobilière bordelaise (FIB) de Michel Ohayon, qui avait repris l’enseigne à la barre du tribunal de commerce de Lille en août 2020, pour 1 euro, est aux abonnés absents. Le courrier que lui ont adressé, le 12 octobre, Olivier Dussopt, ministre du travail, et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie, est resté sans réponse.
Après y avoir relevé combien la demande de mise en redressement judiciaire, à l’été 2022, a été tardive, les deux ministres ont demandé à l’homme d’affaires d’assumer sa « responsabilité en tant qu’actionnaire » et lui suggèrent « une participation financière au PSE » et « des solutions de reclassement ». Interrogé par Le Monde à ce sujet, le porte-parole de Hermione People & Brands (HPB), pôle qui rassemble les actifs de l’homme d’affaires dans le secteur de la distribution, dont Go Sport, Gap et La Grande Récré, n’a pas répondu à nos questions.
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Comme redouté, les négociations qui réunissent depuis plusieurs semaines direction et syndicats d’hôtesses et de stewards d’Air France, pour trouver un successeur à l’accord collectif qui arrive à échéance lundi 31 octobre, ne seront pas terminées à temps. « Nous arrivons au bout du mois d’octobre et de l’accord collectif », dit en soupirant Christelle Auster, présidente du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC), selon laquelle « pour la première fois, il n’y aura pas d’accord » entre la direction et les syndicats.
Désormais, fait-elle savoir, Air France envisage un « passage en unilatéral ». En pratique, tant que les discussions n’auront pas abouti, c’est la direction qui prend la main sur l’organisation du travail des personnels navigants commerciaux (PNC). Elle ne devrait pas en abuser. Les syndicats auraient notamment « demandé que pendant les négociations, il n’y ait pas de modification de la composition des équipages », précise Mme Auster.
Justement, le nombre d’hôtesses et de stewards par vol est le principal point d’achoppement des discussions. Au nom de la rentabilité, la direction voudrait imposer un PNC pour 51 passagers contre un PNC pour 48 aujourd’hui, lors des vols long-courriers. Les syndicats souhaitent, au contraire, conserver la composition actuelle des équipages. Ils suivent ainsi l’avis des salariés, qui ont déjà rejeté à 72 % cette proposition, lors d’un vote organisé mi-novembre 2021 par les syndicats.
De nouvelles embauches
Sans doute consciente de ce rejet massif, la direction aurait fait un premier pas en abaissant ses prétentions, pour ne plus demander qu’un PNC pour 50 passagers. Début octobre, le Syndicat des navigants du groupe Air France (SNGAF), première organisation auprès des PNC, avait signalé que cette nouvelle composition réduite des équipages serait une menace « sur la sécurité des vols et sur l’emploi ». A l’en croire, ce sont de 800 à 1 200 PNC qui pourraient se trouver en sureffectif dès le 1er novembre. Une crainte qui ne semble pas partagée par la présidente du SNPNC. Selon elle, « seuls 80 PNC » seraient concernés. « Nous sommes loin des 1 200 équivalents temps plein » agités par le SNGAF, tempère Christelle Auster. La recomposition des équipages ne devrait affecter, dans un premier temps, que la dizaine de long-courriers Dreamliner 787 déjà dans la flotte d’Air France.
Mais quels que soient les chiffres, pas question pour les syndicats de voir le nombre de PNC diminuer. Au contraire, du côté du SNPNC, on milite pour de nouvelles embauches, « c’est notre cheval de bataille », souligne Mme Auster. Cette dernière rappelle « qu’il y a 500 PNC en attente d’être embauchés après qu’ils ont réussi leur sélection ». De plus, signale la syndicaliste, 70 à 80 hôtesses et stewards vont rejoindre Air France après des accords conclus avec sa filiale court-courrier Hop !. « Il va y avoir des embauches », est-elle persuadée. Pour le SNPNC, la grève n’est donc pas à l’ordre du jour, même si la santé d’Air France s’améliore.
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« On admet à titre confidentiel que ces situations existent, mais on les qualifie volontiers de pis-aller », soupire Franck Morel. Dans une note sur l’emploi des seniors publiée le 21 octobre par l’Institut Montaigne, un think thank d’inspiration libérale, cet avocat associé du cabinet Flichy Grangé Avocats, en outre ancien conseiller du premier ministre Edouard Philippe, revient sur un phénomène admis du bout des lèvres par les employeurs : la mise au placard de salariés, devenus inutiles au regard de l’entreprise.
A quoi reconnaît-on un « placardisé » ? A l’absence de sens et d’intérêt dans les tâches qui lui sont demandées, à sa mise à l’écart du collectif de travail, à la grande faiblesse de sa charge de travail et à l’absence de contact régulier avec la hiérarchie directe, décrit l’Institut Montaigne. La « placardisation » concernerait deux cent mille actifs, tous âges confondus, selon une autre enquête (à paraître) menée pour l’Institut Montaigne par l’institut de sondage Kantar.
Les « mises au placard » pèseraient au moins 10 milliards d’euros par an en coûts directs et indirects, selon l’Institut Montaigne. Le think thank a fait cette estimation à partir des dépenses salariales et d’assurance-maladie induites. Certes minoritaire sur l’effectif total, le phénomène « concerne plus les femmes et soulève des difficultés plus sérieuses pour les seniors ».
Cette situation toucherait aussi bien les administrations que les PME et les grands groupes
Une des explications est le célèbre principe de Peter, théorisé par Laurence J. Peter et Raymond Hull, selon lequel chaque employé tend à s’élever jusqu’à son niveau d’incompétence. « Pour une promotion, on se base sur les qualités du poste où vous êtes et pas où vous allez être », explique Franck Morel.
Au fil de leur carrière, les salariés se verraient mécaniquement affectés à des postes pour lesquels ils n’auraient pas les compétences nécessaires. Plus que le déclin des capacités physiques ou le décalage croissant vis-à-vis des évolutions de l’entreprise, ce serait d’abord ce phénomène qui conduirait les seniors à se voir, en bout de course, relégués au placard, avance M. Morel.
Contrairement aux idées reçues, cette situation toucherait aussi bien les administrations que les PME et les grands groupes. « A ma grande surprise, je pensais que c’était plus un sujet de cadres, reconnaît Franck Morel ; mais l’enquête Kantar nous montre que ces situations peuvent concerner tous les types d’emploi et tous les profils de salariés. » Le coût et « l’insécurité juridique » autour du licenciement d’un salarié senior, associés au risque en termes de réputation pour l’entreprise, inciteraient aussi les employeurs à privilégier le « placard ».
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Une formatrice donne des cours d’enseignement des mathématiques aux contractuels recrutés pour les écoles primaires de Seine-Saint-Denis, à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), le 25 août 2022. MAHKA ESLAMI POUR «LE MONDE»
« Une claque », « un tsunami », « une plongée vertigineuse dans le grand bain ». Les enseignants contractuels interrogés par Le Monde rivalisent de métaphores pour évoquer la difficulté de leurs premières semaines en tant que professeurs. Nous les avions croisés, pour la plupart, plutôt confiants, lors du job dating de l’académie de Versailles en juin, ou lors de leur formation de quatre jours dans l’académie de Créteil, fin août. Nous les retrouvons essorés au début des vacances d’automne. « Il était temps que ces congés arrivent. Mon corps commençait à lâcher face à la fatigue et au stress accumulés », avoue Rachel, affectée dans une école à Montreuil, en Seine-Saint-Denis.
Comme les autres témoins, tous en école primaire, elle souhaite rester anonyme « pour ne pas que les parents d’élèves ou la hiérarchie [la] reconnaissent ». « Je ne mens pas aux parents mais je ne leur dis pas mon statut pour ne pas susciter la défiance », abonde Antoine, qui travaille en école maternelle en Seine-Saint-Denis.
Rachel, Antoine et les autres professeurs interrogés font partie des 4 500 enseignants contractuels supplémentaires recrutés par l’éducation nationale à la rentrée pour faire face à la pénurie de professeurs. En tout, ils représentent 1 % des enseignants du premier degré et 8 % des enseignants du second degré.
« Choc de réalité »
Comment gérer la classe, organiser la journée, construire ses séquences ? Ces nouveaux recrutés se sont posé ces questions en boucle depuis septembre.
« Au début, c’était la panique. Je n’arrivais pas à trouver le sommeil, j’avais peur de mal faire. Je regardais les comptes Instagram ou les blogs d’enseignantes chevronnées. Ça a l’air tellement plus fluide pour elles », détaille Rachel, qui a encore du mal à se sentir « légitime ». Laure, nommée dans une école à Villepinte (Seine-Saint-Denis), s’est, elle aussi, sentie « un peu perdue » lors des premiers jours de classe. Elle découvre que « tous les élèves ne vont pas à la même vitesse » et qu’elle ne peut pas aider tous les enfants en même temps. Un sentiment qui la frustre grandement. Elle compense par un grand nombre d’heures de préparation : « Le dimanche, j’élabore les journées de lundi et mardi, et le mercredi celles de jeudi et vendredi », raconte-t-elle.
Les conditions d’exercice compliquent encore la donne. La plupart des contractuels interrogés ont été affectés en éducation prioritaire, certains ont une classe avec deux niveaux, d’autres sont dans des classes différentes selon les jours. « En tout, je fais cours à plus de quarante élèves par semaine », note Rachel. Antoine, lui, compte vingt-six élèves de petite et de moyenne sections dont une enfant porteuse de trisomie, pour laquelle il est épaulé par une accompagnante d’élèves en situation de handicap, et deux enfants qui ne parlent pas français. Pierre Périer, professeur en sciences de l’éducation à l’université Rennes-II, le remarque : « La majorité des contractuels sont affectés dans des académies déficitaires et-ou dans des contextes difficiles. Cela a une incidence non négligeable sur leur entrée dans le métier. » Pour le chercheur, « le choc de réalité » que connaissent tous les enseignants débutants est « d’autant plus rude ».
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Le patron de la CGT, Philippe Martinez, pendant la manifestation pour l’augmentation des salaires, à Paris, le 27 octobre 2022. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
La CGT savait qu’elle risquait de faire un flop. Le scénario est, sans surprise, devenu réalité. Selon le ministère de l’intérieur, un peu plus de 15 000 personnes ont battu le pavé, jeudi 27 octobre, sur l’ensemble du territoire à l’appel du syndicat dirigé par Philippe Martinez pour demander une « augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux ». La direction de la confédération, elle, ne donne pas de chiffres, parlant seulement de « mobilisation d’envergure ».
Dans la capitale, ils étaient 1 360, d’après le décompte officiel. A Marseille, la préfecture de police avance le chiffre de 540 manifestants. La participation s’avère donc faible et en très net recul par rapport aux deux journées nationales d’action interprofessionnelle, qui avaient eu lieu les 29 septembre et 18 octobre (aux alentours de 110 000 à 120 000 personnes dans la rue, pour toute la France, selon les services de l’Etat).
Tous les ingrédients étaient réunis pour que l’affluence s’avère très réduite, jeudi. En pleins congés scolaires, l’initiative était portée, pour l’essentiel, par la CGT, alors que trois autres organisations s’étaient associées à la précédente mobilisation (FO, FSU, Solidaires). Dans un texte diffusé mercredi, Frédéric Souillot, le numéro un de FO, avait exprimé de fortes réserves sur la stratégie de la CGT : « Nous ne croyons pas à la succession de journées de grève “saute-mouton”, synonymes d’inefficacité et de démobilisation », avait-il indiqué.
Interrogé, jeudi après-midi, par les journalistes alors qu’il se trouvait dans le carré de tête du cortège parisien, M. Martinez a reconnu que, dans tout mouvement social, il pouvait y avoir « des hauts et des bas ». « Notre souci est de maintenir la mobilisation », a-t-il justifié, pour exercer une pression sur les entreprises et le gouvernement. Sans ces passages à l’action au niveau national, les luttes en faveur des augmentations salariales – comme chez TotalEnergies – seraient moins efficaces ou n’auraient pas vu le jour, d’après M. Martinez.
Une nouvelle expression commune
Questionné sur les déclarations d’Emmanuel Macron, mercredi soir sur France 2, le secrétaire général de la CGT les a jugées « hors sol ». « On voit le décalage entre sa vie à lui et celle de la quasi-totalité des Français », a-t-il poursuivi, en insistant sur l’emballement des prix de l’énergie et des produits de première nécessité, qui met en difficulté des millions de ménages. M. Martinez a également commenté les propos du chef de l’Etat, mercredi soir, sur la réforme des retraites – avec cette nouvelle hypothèse d’un âge légal de départ fixé à 64 ans (au lieu de 65 ans) et d’une augmentation de la durée de cotisation pour avoir droit à une pension à taux plein. « C’est un marché de dupes », a dénoncé le responsable de la CGT, en se félicitant que les syndicats s’opposent unanimement au dessein du président de la République.
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La grève qui durait depuis plusieurs semaines dans les centrales nucléaires a pris fin. Un accord salarial a été « signé à l’unanimité » jeudi 27 octobre au terme des consultations au sein des quatre syndicats représentatifs, à savoir la CGT, FO, la CFDT et la CFE-CGC, a annoncé la direction d’EDF à l’Agence France-Presse.
En tenant compte de l’accord de branche sur des augmentations dans les industries électriques et gazières (IEG) signé le 17 octobre, les salariés bénéficieront en 2023 d’une revalorisation totale de 4,6 % (2,3 % au titre de l’accord de branche et 2,3 % au titre de l’accord EDF). Cette mesure va être complétée par des augmentations individuelles d’en moyenne 2,45 %, basées sur la performance individuelle, assorties d’une prime exceptionnelle d’un montant de 2 600 euros bruts.
L’accord salarial conclu vendredi dernier a permis de desserrer l’étau sur le mouvement social qui avait fait tache d’huile dans le parc nucléaire durant plusieurs semaines, et qui touchait encore, juste avant la fin des négociations, 12 centrales sur 18. La grève a causé des baisses de production d’électricité et entraîné des retards sur le calendrier de travaux du parc nucléaire, ravivant les inquiétudes sur d’éventuelles pénuries cet hiver, en pleine crise énergétique européenne. La dernière centrale encore en grève pour les salaires en début de semaine, celle de Dampierre (Loiret), a cessé le mouvement mercredi, selon la CGT.
Des salariés de Geodis manifestent, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), le 25 septembre 2022. HERMANN CLICK / HANS LUCAS / AFP
C’est un « nœud logistique » comme on dit. Coincée entre la Seine et l’Autoroute A86, au nord-est de Paris, la plate-forme Geodis de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) est un site stratégique pour ce secteur en pleine expansion. De jour comme de nuit, à flux constant, des camions y arrivent et en partent chargés de colis. Grâce à des hommes qui les déchargent et les rechargent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Au salaire minimum (1 329,05 euros net mensuel, 1 678,95 euros brut) ou une centaine d’euros de plus, après parfois plus de quinze ans à ces postes, 87 d’entre eux se sont mis en grève, lundi 17 octobre, pour demander des augmentations de salaire, soit, selon la CGT, 90 % des caristes et manutentionnaires.
On les retrouve devant le site, mardi 25 octobre au soir, vêtus d’un gilet fluo floqué du logo Geodis, leur tenue de travail. Sur la poitrine, un code-barres semblable à celui des colis qu’ils manipulent toute la journée. « C’est pour le pointage », explique Nasser, 55 ans (tous les prénoms ont été modifiés).
« Notre entreprise génère tellement de bénéfices »
Il se libère les mains pour mieux expliquer son travail. Fait mine de manœuvrer un transpalette. « Quand le camion est à quai, je rentre dedans pour le décharger.Ici, on reçoit de tout : des animaux vivants, des matières dangereuses… Quand je suis au tri, je place les colis à la main sur le tapis mécanique, détaille-t-il. Il faut toujours aller plus vite. On n’a pas le temps de respirer. »
Car la plate-forme est « express ».A partir du moment où le semi-remorque se positionne devant le quai, le colis doit être traité en une heure maximum, pour repartir dans un autre camion, car il ne doit pas se passer plus de douze heures entre la commande et la livraison, précise Mouloud Sahraoui, délégué syndical CGT. « C’est une activité avec beaucoup de pression, des accidents du travail, des troubles musculosquelettiques ajoute-t-il. Donc, aujourd’hui, on demande notre dû ! »
Les grévistes revendiquent 150 euros brut d’augmentation pour tous, 100 euros pour les plus bas salaires et une prime de 1 000 euros en décembre. « Notre entreprise génère tellement de bénéfices : on demande juste qu’ils partagent avec ceux qui font le sale boulot ! »
Filiale de la SNCF, Geodis est le champion français et l’un des leaders mondiaux du transport et de la logistique. Début 2022, l’entreprise a communiqué sur ses « performances record » en 2021, mettant en avant son chiffre d’affaires de 10,9 milliards d’euros, en hausse de 33 % par rapport à 2019, comme son ebitda (bénéfices avant intérêt, impôt, dépréciation ou amortissement), à 948 millions d’euros, ou sa « très forte génération de free cash-flow », c’est-à-dire de trésorerie disponible. En septembre, dans un entretien à LaTribune.fr, Marie-Christine Lombard, présidente du directoire du groupe, se félicitait encore de l’augmentation du chiffre d’affaires comme du résultat et se montrait confiante pour 2023.
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Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, dans les locaux du journal « Le Monde », le 26 octobre 2022. CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, revient sur le conflit chez TotalEnergies, dont il réfute l’utilité sociale, et plaide pour plus de dialogue pour répondre à l’inquiétude des salariés.
La grève des raffineries touche à sa fin, quel est votre sentiment sur le climat social en France ?
Il y a une forte tension, difficile à appréhender. Les mutations qui nous attendent ont été intégrées par les travailleurs, mais leurs conséquences restent floues, ce qui crée une profonde inquiétude. Les enquêtes d’opinion montrent une évolution dans la structuration des préoccupations des travailleurs : la répartition de la valeur créée, les conséquences du changement climatique et le rapport au travail ont dépassé la crainte du chômage de masse, voire le sujet des retraites.
On observe des préoccupations individuelles face à l’arrivée de l’hiver, aux bouleversements que va engendrer la transition écologique, à l’instabilité démocratique… La question salariale est également au cœur des discussions, avec des conflits au plus haut depuis le début de l’année. Le contexte d’inflation favorise aussi cette incertitude généralisée : ne sommes-nous qu’au début de l’épisode inflationniste ?
La CGT est apparue comme perdante, car elle n’a pas réussi à exporter la grève au-delà des raffineries, néanmoins, sa stratégie de grève préventive a permis de décrocher un accord généreux chez TotalEnergies. Dites-vous merci à la CGT ?
Non. Ce n’est pas le blocage des raffineries qui a donné lieu à l’accord. Les négociations annuelles obligatoires de 2023, qui étaient prévues pour le 15 novembre, au moment où s’est déclenchée la grève de la CGT, auraient permis d’obtenir le même résultat.
On a mis en lumière un mouvement de grève qui a réuni moins de 300 personnes sur les 14 000 salariés du raffinage-pétrochmie de TotalEnergies. Dans le même temps, on a passé sous silence les résultats que nous rencontrons dans d’autres branches, pourtant moins ouvertes sur les questions de répartition de la valeur créée, avec des négociations menées dans un climat de relations sociales normales. Si l’accord a vraiment été obtenu grâce à la CGT, qu’elle le signe ! D’autant qu’il s’agit d’un accord majoritaire.
La CGT n’a pas voulu reconnaître cet accord majoritaire. A l’instar de ce que l’on observe dans le mouvement politique, sentez-vous une remise en question de la représentativité dans le milieu syndical ?
Quand je vois 300 grévistes vouloir décider pour 14 000 salariés, je n’appelle pas cela de la démocratie. On a le droit de ne pas être d’accord, mais le fait majoritaire doit s’imposer.
Croyez-vous à un « ruissellement » des revendications, où ceux qui ont les moyens de faire des grèves spectaculaires œuvreraient pour les travailleurs de seconde ligne, ceux-là mêmes qui ont été mis en avant avec les « gilets jaunes », puis lors de la pandémie ?
Je n’y crois pas du tout. Les sous-traitants bénéficient rarement des avancées des salariés. Quant à ces métiers de l’ombre jugés indispensables pendant la pandémie, ils ont été rapidement oubliés.
Certaines branches sont particulièrement à la traîne au niveau des salaires, mais l’on observe aussi des progrès grâce à une démarche syndicale qui se fait au quotidien : il faut arrêter de penser que le syndicalisme ne se manifeste que lors de grands mouvements explosifs.
Il faut répondre par le dialogue social à l’inquiétude sourde qui se répand dans le pays, corrélée à la montée de l’extrême droite. Prenons l’exemple du secteur automobile : la part grandissante de la production de véhicules électriques va bousculer cette industrie. Les travailleurs le savent et s’interrogent sur les répercussions.
Vous avez remis sur le devant de la scène les questions fiscales et la taxation des plus riches. Pourquoi vous intéressez-vous à ces enjeux ?
Il est naturel que la CFDT s’intéresse à l’intérêt général, les travailleurs étant aussi des citoyens. La pandémie a mis en évidence la solidité de notre système de protection sociale et l’importance de nos services publics. Il est donc légitime de se poser la question de la participation de chacun à l’intérêt commun.
Après le grand débat, on a identifié à tort un ras-le-bol fiscal des Français, mais leur perception est en réalité celle d’une forte inégalité fiscale. On peut donc s’interroger sur la contribution des revenus du capital par rapport à celle des revenus du travail et débattre de la taxation du patrimoine, par exemple.
Quant aux superprofits, il faut avant tout regarder à quoi ils servent : à financer la transition énergétique ou à rémunérer les actionnaires ? Il faut établir des règles collectives et non étudier les entreprises au cas par cas.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, et Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, lors d’un débat sur les retraites, au journal « Le Monde », mercredi 26 octobre 2022. CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Pour Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, il faut d’abord s’intéresser au travail des seniors et à la pénibilité, avant de s’occuper de l’équilibre financier du système. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, plaide, lui, pour une réforme forte.
L’urgence d’une réforme
Bruno Retailleau : Trois raisons nous poussent à avancer sur cette réforme. D’abord, la démographie. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, quatre – au moins – voire cinq générations cohabitent. La France a détruit, depuis dix ans, la politique familiale, le quotient familial, les gardes d’enfants, etc. Cela se traduit par une baisse de la natalité. Nous sommes à 1 pensionné pour 1,7 personne active, demain, 1 pour 1,5 et, en 2070, 1 pensionné pour 1,3 travailleur.
Ensuite, nous avons un problème de justice et de pouvoir d’achat des retraités. Avec Emmanuel Macron, jamais les retraites n’ont autant été appauvries. En 2019, la CFDT a chiffré cet appauvrissement à 1 250 euros par personne et par an, soit un mois de smic. La contribution sociale généralisée[CSG] et les désindexations ont touché environ 8 millions de retraités pour 4,5 milliards d’euros de baisse des pensions. Nul ne souhaite augmenter les cotisations, étant donné que les cotisations sociales sont très fortes en France par rapport aux autres pays européens.
Laurent Berger : Le déséquilibre du système est proche de 10 milliards d’euros par an, sur 320 milliards de retraites versées chaque année, soit environ 3 %. Un citoyen n’est pas en interdit bancaire à 3 % de découvert à la fin du mois. Le déficit de 3 % doit être traité, mais il n’est pas surdominant. Les réformes de 1993, de 2003, de 2010 et de 2013 ont expurgé de nombreux problèmes liés au baby-boom d’après-guerre.
Il faut cesser de croire que les Français ne travaillent pas assez. Il n’y a jamais eu autant de personnes dans l’emploi au cours des trente dernières années. L’âge moyen de départ à la retraite est proche de 63 ans. Le Conseil d’orientation des retraites considère que cet âge sera proche de 64 ans avec l’allongement de la durée de cotisation.
Le chiffon rouge de l’âge de départ
L. B. : Pour nous, à la CFDT, la question de l’âge n’est pas le meilleur indicateur. Le sujet majeur est la durée de cotisation. Nous sommes beaucoup, ici, à penser que travailler jusqu’à 65 ans sera sans doute une réalité et un désir, mais ce n’est pas le cas de nombreux autres travailleurs qui sont dans d’autres situations. La durée de cotisation s’établit à quarante ans en Suède, alors que nous irons à quarante-trois ans en France.
Je suis agacé par le présupposé que les Français ne travailleraient pas assez, et pas assez longtemps. Nous avons augmenté la durée des carrières depuis vingt ans. La réforme Touraine continue de s’appliquer, avec l’augmentation de la durée de cotisation. Le dispositif de carrière longue est prévu si vous avez travaillé quatre ou cinq trimestres avant 20 ans. Les projections de départ à la retraite sont à 64 ans. Je rappelle que huit Français sur dix sont opposés au report de l’âge légal de départ à la retraite. Je n’ai jamais pensé que les sondages devaient guider l’action publique, mais il faut en tenir compte dans le contexte actuel de conflictualité.
Je crois au libre choix, à la solidarité entre les générations, au contrat de départ, travailler quarante-trois ans jusqu’à la retraite. L’âge, c’est faire payer un peu plus aux travailleurs les plus précaires. Je ne veux pas être de ceux qui acteront qu’il y a, dans ce pays, des salariés qui partiront en pleine forme à 65 ans et d’autres qu’on reléguera à des dispositifs de solidarité à partir de 60 ou 62 ans, parce qu’ils seront cassés.
B. R. : Au Sénat, nous proposons de faire les deux : repousser l’âge à 64 ans et accélérer la réforme Touraine. Il faut les deux pour équilibrer. La Caisse nationale d’assurance vieillesse a comparé deux hypothèses, celle d’un départ à 65 ans et une autre sans âge, mais avec quarante-cinq annuités. Dans ce dernier cas, les gens ont tendance à partir avant, sans avoir rempli toutes leurs annuités, et ils touchent donc une pension bien plus faible.
Les seniors au travail
L. B. : Un patron d’une grande entreprise de l’aéronautique m’a dit qu’en reculant l’âge de départ à la retraite, au lieu de faire partir les gens à 59 ans, on les fera partir à 60 ans. C’est une hypocrisie : gardez-les ! 40 % des personnes qui partent à la retraite ne sont déjà plus en emploi : ils sont en invalidité ou au chômage sans accompagnement d’un plan d’entreprise, aux minima sociaux, en l’absence d’autres droits, etc.
J’en ai assez des entreprises qui disent qu’il faut aller jusqu’à 65 ans et qui se séparent des gens avant en faisant porter l’indemnisation sur les régimes sociaux ou, pour d’autres, sur les fonds propres de l’entreprise. Il faut gérer la question des retraites autrement que comme un couperet. Aujourd’hui, on part à la retraite le vendredi soir, en travaillant à fond jusqu’à la dernière minute, on éteint la lumière et on s’en va. Ce devrait être plus progressif.
Il faut traiter le sujet du travail en amont. L’emploi des seniors est aussi une source de financement. Le taux de l’emploi des 55-64 ans s’établit à près de 77 % en Suède, contre 56 % en France, ce qui est problématique. Nous plaidons pour poser les sujets et que le gouvernement prenne ses responsabilités.
B.R. : On ne peut pas envisager une retraite totalement à la carte. Il faut des règles de durée de cotisation, des règles d’âge légal de départ. Ensuite, on traite. Il vaut mieux, à partir de règles collectives, traiter des questions de transition professionnelle, de carrières longues, de pénibilité, des cas où le travail devient pesant et où on ne peut pas faire durer des gens trop longtemps.
La méthode
L.B. : Dans un pays à peu près mature démocratiquement, on pourrait débattre de ce que serait le nouveau pacte social sur l’emploi, les retraites, le travail, la protection sociale, dans un texte qui engloberait le tout. Là, on a déjà commencé la vente à la découpe. Le sujet travail, on ne sait pas bien l’appréhender, donc on va le laisser. Il y a des propositions qui ne sont pas toutes législatives. Nous plaidons pour cela : discutons de l’emploi, du travail et des retraites dans un texte global, au début de 2023.
B. R. : Le gouvernement va utiliser le vecteur d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale [PLFRSS], car il peut utiliser autant de 49.3 qu’il souhaite sur le reste des textes budgétaires. Mais on ne peut y mettre que des sujets qui touchent les finances de la Sécurité sociale. Donc les mesures qui touchent le code du travail dont on parle actuellement feraient plutôt l’objet d’une loi ad hoc. Si le gouvernement utilise le [PLFRSS], ce n’est pas parce que c’est le meilleur vecteur pour une réforme globale des retraites, c’est à cause de la situation de l’Assemblée nationale et du fait qu’il n’a pas sa majorité.
Le risque social
B. R. : Le gouvernement Macron fait ce qu’ont fait tant de gouvernements en France : il réduit la politiqueà une simple question de coûts sociaux. On a désormais la dépensepublique la plus forte au monde. Est-on mieux éduqué pour autant ? Est-on mieux soigné, plus en sécurité ? Il faut le courage de réformer l’hôpital, la santé, l’école, d’avoir une nouvelle politique pénale, mais c’est ce courage que nous n’avons pas. Du coup, la tentation est grande de dire : « Mon butin, ce sera la réforme des retraites. »
L. B. : Ce qui peut se passer en janvier 2023, c’est une forme de révolte de ces fameux travailleurs de seconde ligne, si utiles durant la crise sanitaire, qui auront le sentiment qu’on va leur marcher dessus. Si le projet passe par deux textes différents, avec, d’un côté, des mesures paramétriques dures, notamment sur l’âge de départ et de l’autre des promesses sur la pénibilité, pas un adhérent CFDT ne croira à la loyauté de cet engagement. Je crains beaucoup de sécessions.
Les seconds mandats ne sont jamais faciles. Celui-ci est particulièrement périlleux. Six mois après sa réélection, Emmanuel Macron a dû se livrer, mercredi 26 octobre, sur France 2, à un long exercice de pédagogie pour tenter de faire comprendre aux Français où il voulait les emmener. Bousculé par une succession inédite de crises, le pays oscille entre inquiétude et colère, sans trouver dans le jeu politique de quoi le rassurer.
Depuis la rentrée parlementaire d’octobre, l’exécutif ne parvient pas à dégager de majorité sur ses textes financiers. La radicalité des oppositions qui contestent les fondements de sa politique économique a déjà obligé la première ministre, Elisabeth Borne, à engager par trois fois la responsabilité du gouvernement.
Lundi 24 octobre, à la surprise générale, Marine Le Pen a soutenu la motion de censure déposée par la Nupes sur le projet de loi de finances pour 2023 sans que les responsables de La France insoumise en éprouvent de gêne. L’hostilité à Emmanuel Macron est apparue plus forte que le rejet du Rassemblement national, qui faisait pourtant figure, il n’y a pas si longtemps, de parti infréquentable. De cette glissade, qui s’apparente à une faute, le chef de l’Etat a tiré parti autant qu’il a pu. Il a dénoncé « l’alliance du désordre et du cynisme » pour mieux relever l’absence de majorité alternative à sa politique.
L’épisode aura au moins clarifié la situation. C’est bien du côté de LR que lorgne Emmanuel Macron pour tenter d’élargir son assise parlementaire et sortir le gouvernement de l’inconfort dans lequel il se trouve. Loin de corriger le tir, son intervention télévisée a ressemblé à un rattrapage de sa campagne présidentielle bâclée. L’axe majeur de son projet est bien que les Français travaillent plus pour « fortifier » leur pays et financer leur modèle social sans impôt supplémentaire.
Crise présentée comme transitoire
Son point d’orgue est le report progressif de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ou 65 ans. La réforme, dénoncée comme injuste par tous les syndicats, risque de précipiter des dizaines de milliers de manifestants dans la rue. Il existe cependant une possibilité de la faire voter avec le concours de la droite républicaine. En promettant des mesures d’accompagnement sur les carrières longues, l’emploi des seniors, la pénibilité, Emmanuel Macron cherche le point de passage, dans l’espoir de s’imposer comme le président qui aura, en deux mandats, musclé l’offre et ramené le plein-emploi.
Le dessein est en germe depuis 2017. Il se concrétise, année après année, à travers la réforme du marché du travail, de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle, mais dans une ambiance qui a radicalement changé.
Le premier quinquennat était placé sous le signe de la croissance ; le second est plombé par le risque de récession mondiale et la réapparition de l’inflation, que le gouvernement tente de circonscrire à coups de dispositifs coûteux. Pour apaiser l’inquiétude, Emmanuel Macron a présenté cette crise comme transitoire, mais sans pouvoir en jurer : la guerre en Ukraine n’a pas fini de mettre l’Europe sens dessus dessous.
Un autre bouleversement s’impose : la lutte contre le réchauffement climatique, qui suppose de revoir, en un temps record, tout notre modèle de développement. Le président de la République ne la néglige pas, mais il la traite essentiellement sous l’angle de la reconquête industrielle et de la souveraineté européenne. Pédagogue pugnace et pointilleux sur les sujets qui lui sont familiers, il peine en revanche à définir un projet de société en phase avec ce bouleversement majeur. La démonstration à laquelle il s’est livré était loin d’être inutile, mais elle risque de n’avoir convaincu que ceux qui demandaient à l’être.