Archive dans avril 2022

Profession charpentier : le métier « le plus recherché de France » attire de nouveaux profils

L’atelier est saturé par le bruit des scies circulaires. Dotés de protections auditives professionnelles et d’une grande capacité de concentration, dix-huit apprentis charpentiers planchent sur la miniature d’un toit de maison. Penchés sur des panneaux posés à même le sol, ils dessinent avec précision les volumes de l’édifice, ainsi que les caractéristiques des pièces de bois qui le composent. Luc Mabire, formateur charpentier à la maison de l’apprentissage de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), sourit face à notre perplexité : « Les non-initiés ne peuvent pas comprendre. Les charpentiers ont leur propre langage. La tradition du tracé dans la charpente française est inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. Enseigner cet art, c’est magique. » Le pratiquer est loin d’être évident.

Rita Beillevaire, 30 ans, a quitté son travail d’urbaniste pour passer un CAP charpentier : « J’avais envie de renouer avec la matière. La formation est beaucoup plus complexe que ce que je croyais, c’est extrêmement technique. » Duncan Driffort, 25 ans, fraîchement diplômé en architecture, partage son constat : « Les charpentiers sont loin d’être des bourrins. Le métier demande de solides compétences en géométrie. Même après cinq ans d’architecture, je ne suis pas à l’aise avec le dessin technique pratiqué ici. »

« Du boulot par-dessus la tête »

A Gennevilliers, les profils des inscrits au CAP charpentier sont variés – les élèves ont entre 24 ans et 48 ans, ils étaient cuisinier, ingénieur ou encore journaliste avant de répondre à l’appel du bois. Tous affichent la même détermination lorsqu’ils évoquent leur reconversion dans la charpenterie. « La charpente, c’est du solide. Ce qu’on construit sera encore là dans cent ans. On travaille pour les générations futures. Il n’y a pas d’obsolescence dans une charpente », souligne Luc Mabire. Compagnon du devoir depuis près de trente ans, le formateur voit affluer de plus en plus d’aspirants charpentiers : « En trois ans, on a triplé les effectifs à la maison de l’apprentissage. J’ai 90 élèves cette année, il y a un vrai engouement pour des métiers manuels, une volonté de retour au concret. »

Parmi les élèves, Pierre Boulanger, comédien et réalisateur de 34 ans, s’est ainsi tourné vers la charpenterie, « dans une démarche de revalorisation de l’artisanat français et pour avoir la possibilité de trouver du travail rapidement sans dépendre du désir des autres, comme dans le cinéma ». Il ne croit pas si bien dire : malgré l’afflux de candidats, la profession reste particulièrement en tension. En 2021, plus de 83 % des entreprises du secteur peinent à recruter. Pôle emploi classe le métier de charpentier bois en première position de sa liste.

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L’argot de bureau : la « disruption », pas si révolutionnaire

Depuis une petite dizaine d’années, l’un des mots d’ordre des dirigeants (économiques, et certains, politiques) est de « disrupter », pour ne pas se faire « disrupter ».

« Chez Work’ Innoveo, nous avons eu une vision pour demain » : il a suffi d’une phrase du directeur de l’innovation de ce cabinet de conseil en management imaginaire pour conquérir son audience. Arrivé sur scène équipé d’un casque de réalité virtuelle, il poursuit : « Pourquoi vouloir ménager ses équipes, respecter ses collaborateurs, pourquoi ne peut-on jamais exprimer toute la frustration que l’on ressent au bureau ? »

« Renversons la table avec ce petit casque : dans le métavers, ce champ virtuel de tous les possibles, vous pourrez agresser verbalement et physiquement tous les collègues que vous détestez, mettre le feu aux ordinateurs, sans aucune conséquence dans la vraie vie ! Le résultat ? Des équipes apaisées. Est-ce une simple nouveauté ? Non, simplement la clé d’un management qui déménage sans ménagement, une révolution disruptive ! »

Depuis une petite dizaine d’années, l’un des mots d’ordre des dirigeants (économiques… et certains, politiques) est de « disrupter », pour ne pas se faire « disrupter ». Cet anglicisme, acclamé ou moqué, désigne les nouveaux modes de fonctionnement des entreprises en croissance : grosso modo, c’est ce que l’on peut qualifier d’« innovation de rupture », en gestion.

Court-circuit

Pour comprendre cet esprit de rupture, il faut se tourner vers la physique : dans le champ lexical de l’électricité, une « force disruptive » est une décharge électrique soudaine, qui s’accompagne d’une étincelle. C’est un court-circuit.

Il suffira d’une étincelle pour allumer un secteur tout entier : une idée, donc, accompagnée d’un business model structuré, qui prend le contre-pied des conventions. Le publicitaire Jean-Marie Dru a défini le concept en 1992, mais le professeur américain Clayton Christensen l’a théorisé en 1997 en sciences de gestion. L’innovation incrémentale, qui permet d’améliorer les produits qui existent déjà de manière continue, est trop coûteuse.

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L’invention de nouveaux codes est donc au cœur du concept : dans chaque secteur, une entreprise choisit d’aborder le marché par le bas, de se servir des nouvelles technologies pour proposer des produits ou des services moins chers ou délaissés par les acteurs historiques.

Uber, Airbnb, Lydia, Doctolib

Ils démocratisent une pratique, et finissent par écraser les mastodontes passés pour rafler la mise. Les exemples sont bien connus : Uber a « disrupté » les taxis, Airbnb le marché de l’hôtellerie, et les jeunes pousses françaises savent qu’elles ont mis la main sur leur domaine quand « faire un Lydia » ou « prendre un rendez-vous sur Doctolib » deviennent des phrases du quotidien.

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Pâtissier, fromager, apiculteur, ébéniste… Se reconvertir dans un métier manuel, du fantasme à la réalité

Un élève en formation boulangerie, en France.

Ici le sourire photogénique d’un responsable marketing devenu pâtissier ; là une jeune ingénieure qui a « enfin trouvé du sens en plaquant tout » pour se transformer en apicultrice ; là-bas un ancien comptable penché sur son atelier flambant neuf de céramiste… Depuis une dizaine d’années, on ne compte plus, dans la presse, les médias et les présentoirs des libraires, les dizaines d’histoires « belles » et « inspirantes » de reconversion radicale réussie de jeunes « cadres sup » dans des métiers manuels et artisanaux. Mais ces récits de virage professionnel laissent souvent de côté les difficultés rencontrées et les parcours de reconversion plus tortueux.

« Les reconversions dans l’artisanat sont devenues sexy, ça a dû jouer dans mon envie de sauter le pas. Mais je crois que j’ai finalement eu un peu peur de suivre la mode », dit en souriant Fiona Cohen. Cette Parisienne de 29 ans s’était engagée dans un CAP ébénisterie au lendemain du premier confinement de 2020. En cause l’envie de changer d’air, d’ajouter à son quotidien un « supplément d’âme ». Et puis le télétravail « avait accentué les côtés négatifs » de son poste de directrice de production dans le cinéma d’animation. Passionnée de couture et de bricolage, elle est partie la fleur au fusil. « Je me disais que je pouvais en faire mon métier, pour construire des tiny houses par exemple… »

« Mieux affirmer ses envies »

Quelques stages plus tard, Fiona Cohen a dû se rendre à l’évidence : les ébénistes passionnés rencontrés « travaillaient souvent énormément, avec des horaires bien plus contraignants que les miens, pour gagner deux fois moins ». « Et je ne crois pas que je souhaite travailler plus qu’aujourd’hui. J’ai envie d’avoir des enfants un jour, de leur consacrer du temps… », explique-t-elle. Aujourd’hui de retour dans son secteur initial, mais à temps partiel pour continuer de travailler le bois pour son plaisir, pas une seconde elle ne jugerait négativement cette expérience qui lui a permis « de recentrer [sa] place dans son travail, et d’apprendre maintenant à mieux affirmer [ses] envies dans les missions qui [lui] sont confiées » et dans lesquelles elle retrouve du plaisir.

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Dans ses pérégrinations vocationnelles, Fiona a été accompagnée par l’organisme de formation Primaveras, spécialisé dans les reconversions professionnelles. Son cofondateur et professeur à Centrale Supélec, Laurent Polet, rappelle que « les métiers de l’artisanat, vers lesquels 15 % à 20 % de nos élèves souhaitent se diriger, véhiculent une forte symbolique et des fantasmes ». Notamment auprès des plus diplômés, dont les emplois « peuvent être plus marqués qu’avant par une dimension très abstraite, ou intellectuelle, déconnectée du réel. Ce qui est susceptible de faire surgir chez eux des envies de concret… »

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Justice : un chômeur en formation professionnelle n’est pas un consommateur

Le droit de la consommation est bâti sur l’idée que le consommateur se trouve en situation d’infériorité par rapport au professionnel avec lequel il contracte. Il contient donc des dispositions plus favorables à cette « partie faible » que le droit commun des contrats ou d’autres droits spéciaux. Reste à savoir qui peut en bénéficier : un demandeur d’emploi souscrivant un contrat de formation professionnelle est-il un consommateur ? Telle est la question que pose l’affaire suivante.

Le 10 septembre 2016, Odile X, préparatrice en pharmacie, dont le contrat touche à sa fin, décide de se reconvertir à la naturopathie. Elle signe un contrat de formation avec la société Lomberget, qui exerce sous l’enseigne Ecole de naturopathie appliquée et de médecine non conventionnelle, afin de suivre ses cours pendant deux ans, un week-end sur deux. Le coût total s’élève à 7 700 euros (soit, arithmétiquement, 148 euros par week-end), pris en charge à hauteur de 800 euros par Pôle emploi.

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Las, Odile X ne suit que dix cours, car le lieu de la formation est « plus éloigné que prévu, non chauffé, sale », et son contenu « inadapté ». Arithmétiquement, elle ne doit que 1 480 euros. Mais lorsque, le 1er février 2017, elle résilie son contrat, la société lui réclame 3 500 euros, somme qui comprend une clause de dédommagement, du fait qu’elle a annulé sans « raison de force majeure », telle qu’un accident grave.

Cadre professionnel

Dans le détail, la société réclame : 2 310 euros d’acompte ; plus 944 euros pour les dix cours (soit un sous-total de 3 254 euros) ; plus 1 333 euros, somme correspondant à 30 % du « montant restant dû » (4 446 euros) pour atteindre le coût total de 7 700 euros. Mme X refuse de payer.

Le 7 mars 2019, elle est assignée devant le tribunal d’instance de Dôle (Jura). Son avocat soutient qu’au regard du code de la consommation, l’action de Lomberget est prescrite et la clause de dédommagement abusive, donc interdite. Il assure que le délai pour saisir la justice était de deux ans à partir de la résiliation. L’article L218-2 dit en effet que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ». Et que le contrat aurait dû permettre une annulation pour « motif légitime et impérieux », sans pénalité, comme l’a déjà jugé la Cour de cassation (11-27.766 et 15-25.468).

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Le tribunal lui donne tort, le 5 septembre 2019 : il juge que le contrat n’est pas soumis au code de la consommation. En effet, comme le précise ce dernier dans son article liminaire, un consommateur est une personne physique qui n’agit pas à des fins professionnelles. Or, Mme X « a agi dans un cadre professionnel ». La prescription est donc celle, quinquennale, du droit commun, et le régime des clauses abusives ne s’applique pas.

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Chez Just Eat Takeaway, un premier plan social en vue

Un livreur de Just Eat Takeaway, à Nice, en février 2021.

C’est la douche froide pour les livreurs salariés de la filiale française de Just Eat Takeaway. En janvier 2021, la société avait annoncé en fanfare l’embauche de 4 500 livreurs salariés, en vantant un « modèle de livraison plus responsable », quand ses concurrents recourent, eux, à des autoentrepreneurs. Quinze mois plus tard, alors que l’effectif n’est plus que de 800 salariés, Just Eat a, jeudi 21 avril, précisé son projet de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) au cours de la première réunion du comité social et économique (CSE) de cette procédure.

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La suppression de 269 postes de livreurs et d’une trentaine d’emplois dans les fonctions support est envisagée. Contactée, la direction justifie ce PSE par « le contexte ultraconcurrentiel [de son marché] et la recherche d’un équilibre financier, afin de garantir une croissance responsable et durable ». Dans sept villes (Paris, Lyon, Marseille, etc.), des salariés continueront à travailler. Dans les vingt autres, « des solutions alternatives » seront mises en place, non précisées par la direction, mais que les syndicats imaginent parfaitement, puisqu’elles coexistent déjà : les propres coursiers des restaurants et ceux de Stuart, la filiale de La Poste, qui recourt à des autoentrepreneurs. Les syndicats, qui avaient déjà dénoncé « les mauvaises conditions de travail et les bas salaires » des livreurs, qui entraînent un fort turnover, ne décolèrent pas.

« Mauvaise qualité de service » à tous les niveaux

Just Eat, qui s’est lancé, en France, fin 2020, aurait perdu « 350 millions d’euros en 2021 », selon Jérémy Graça, délégué syndical FO, première organisation devant la CGT. « Mi-2021, [elle a procédé à] une série de licenciements individuels» Pour M. Graça, « Just Eat perdait beaucoup de clients à cause d’une mauvaise qualité de service » à tous les niveaux : algorithme non performant, retards dans les livraisons par manque de coursiers, etc.

De plus, pour M. Graça, Just Eat n’a pas pris en compte le caractère saisonnier de la livraison et la réouverture des restaurants en juin 2021. Et a voulu « aller trop vite en ouvrant en deux ou trois mois dans 27 villes ». « C’est une erreur stratégique », conclut-il.

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Ludovic Rioux, délégué syndical CGT, estime qu’il « est facile d’afficher des pertes quand il y a eu des investissements énormes ». « Cela ne veut pas dire qu’on est au bord du gouffre. Le groupe a fait un chiffre d’affaires de 5,3 milliards d’euros en 2021, en hausse de 33 % ! On nous présente des pertes en France, mais on ne veut pas nous dire combien la filiale française a perçu du groupe, quelle somme elle a fait remonter au groupe, quelle est la rémunération des actionnaires… C’est se moquer des salariés. »

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L’intérim en hausse de 13,2 % sur un an, mais en recul de 2,4 % sur un mois

Ce matin, comme tous les autres, Gilles Cavallari a écouté attentivement les dernières informations à la radio. Entre la guerre en Ukraine et les rebondissements de la pandémie, le président de Samsic Emploi tente de prédire de quoi sera fait l’avenir des quelque 20 000 salariés employés chaque jour par sa société de travail temporaire. « L’intérim est la première variable d’ajustement des variations de l’activité », rappelle le dirigeant.

Indicateur avancé du marché de l’emploi, l’intérim semblait sorti de la crise en ce début d’année. Les entreprises de travail temporaire ont enregistré un pic de 14 % de recrutements supplémentaires en janvier et de 13,2 % en février, par rapport aux mois équivalents en 2021, indique le baromètre Prism’emploi publié le 14 avril, la fédération des professionnels du secteur. Soit 89 130 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sur un an, pour un total de 762 500 intérimaires.

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En raison de la normalisation de la situation sanitaire, le commerce (+ 20,9 %) et les services (+ 16,8 %) ont été les secteurs qui ont connu la reprise la plus vigoureuse, suivis par l’industrie (+ 16,3 %). Après des mois de quasi-stagnation, due au coût des matériaux et aux difficultés d’approvisionnement, le BTP a connu une hausse timide (+ 4,4 %).

Attentisme

Encourageante, l’évolution de ces derniers mois « ne saurait toutefois présager des tendances à venir, compte tenu des incertitudes géopolitiques et économiques actuelles », prévient Prism’emploi. Les statistiques du ministère du travail en comparaison d’un mois sur l’autre indiquent un léger tassement également en février, mais par rapport à janvier : après six mois consécutifs de hausse, le nombre d’intérimaires a baissé pour la première fois de 2,4 %. « La tendance reste haussière, mais on observe un tassement », constate Gilles Cavallari. De l’avis de ce spécialiste de l’intérim, la guerre en Ukraine et la menace nucléaire ont incité les entreprises à se réfugier dans l’attentisme, « même si la situation semble se normaliser ».

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D’autres facteurs ont pu vider les carnets de commandes : « Le coût des matériaux et la flambée du Covid-19 en Chine, qui a un impact sur toute la chaîne d’approvisionnement ; sans oublier la grippe aviaire », énumère le président de Samsic Emploi. Dans les Deux-Sèvres, 200 intérimaires se sont retrouvés sur le carreau en avril du fait de la réduction drastique des approvisionnements vers les abattoirs, nous apprend Ouest-France.

« Il suffit qu’un sous-traitant soit touché pour que toute la chaîne d’approvisionnement en pâtisse », confirme Alexandre Pham. Le président de la société d’intérim Mistertemp’constate aussi que les répercussions de la guerre en Ukraine se font sentir sur l’activité, mais « de façon très ciblée » : le secteur automobile, qui souffrait déjà de la pénurie de composants en provenance d’Asie, « est quasiment à l’arrêt », dit-il.

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Sous pression occidentale, la Chine renonce officiellement au travail forcé

Les bonnes nouvelles en matière de droits de l’homme en provenance de Chine ne sont pas légion. Aussi faut-il relever que, le mercredi 20 avril, Pékin a annoncé approuver la ratification des deux conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) interdisant le recours au travail forcé. Il y a en tout huit conventions fondamentales de l’OIT. Le pays de Xi Jinping avait déjà ratifié les deux textes sur le travail des enfants et les deux sur la discrimination. Reste la ratification de deux conventions sur la liberté syndicale qui, elle, n’est malheureusement pas à l’ordre du jour.

« En approuvant ces ratifications, la Chine renforce son engagement à éliminer toutes les formes de travail forcé dans sa juridiction, à appliquer la liberté de travail pour son 1,4 milliard d’habitants et à respecter les principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT », explique l’organisation. La première convention (no 29) interdit l’utilisation du travail forcé sous toutes ses formes et exige que ces pratiques deviennent des infractions pénales. La seconde (no 105) demande spécifiquement l’abolition immédiate du travail forcé ou obligatoire dans cinq circonstances spécifiques.

Ces conventions entreront en vigueur un an après le dépôt de leurs instruments de ratification auprès de l’OIT. « Cette démarche démontre le soutien ferme de la Chine aux valeurs de l’OIT et reflète son engagement à protéger tout travailleur, homme ou femme, contre le piège des pratiques de travail forcé, qui n’ont ni place ni justification dans le monde d’aujourd’hui », s’est félicité dans un communiqué l’ancien responsable syndical britannique Guy Ryder, actuel directeur général de l’OIT.

Préalable explicite

Etonnamment, cette ratification s’est presque faite en catimini. Les médias chinois l’évoquent à peine. « Depuis plus de dix ans, la Chine travaille dur pour améliorer ses propres lois destinées à protéger le droit du travail. Par exemple, elle a maintenant une loi sur le travail, une loi sur le contrat de travail et une loi sur la médiation et l’arbitrage de contentieux liés au travail », explique Cao Yan, un juriste, dans le Global Times du 21 avril. Pour ce journal chinois, cette ratification a « peu » à voir avec d’éventuelles pressions occidentales.

Pourtant, le calendrier semble indiquer le contraire. La ratification des conventions de l’OIT constitue un préalable explicite à la mise en œuvre par l’Union européenne (UE) de l’accord global sur les investissements conclu entre la Chine et l’UE fin décembre 2020, mais jamais entré en vigueur. « Nous ne pouvons que nous féliciter de cette ratification. Elle était nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. Entre-temps, l’imposition de sanctions chinoises à l’encontre de parlementaires européens rend impossible la ratification de l’accord par le Parlement », note un diplomate européen à Pékin.

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Scopelec, le sous-traitant d’Orange, prépare le licenciement économique de 800 salariés

Des employés de Scopelec manifestent à Paris, le 7 avril 2022.

En difficulté depuis la perte d’un gros contrat avec l’opérateur historique de télécoms, le sous-traitant d’Orange, Scopelec, prépare un plan social qui pourrait conduire au licenciement économique de 800 personnes, a fait savoir l’entreprise jeudi 21 avril, confirmant une information du Figaro.

« La direction a fait part du projet de réunir les partenaires sociaux dans les prochains jours pour préparer la mise en place d’un PSE [plan de sauvegarde de l’emploi] qui concernerait 800 emplois » sur 3 600, a déclaré un porte-parole de l’entreprise – la première coopérative de France en nombre de salariés. Une manifestation de salariés de Scopelec doit se tenir jeudi place de la Bastille, à Paris.

L’entreprise assurait pour Orange la pose de la fibre optique et l’entretien du réseau cuivre, dans le cadre d’un contrat arrivé à son terme à la fin de mars, et qui représentait 40 % de son chiffre d’affaires estimé à 475 millions d’euros en 2021.

Le sous-traitant, qui a été notifié à la mi-novembre de la perte de ce contrat, estime n’avoir eu aucun signe avant-coureur d’Orange sur la perte du volume d’affaires, et ne pas avoir eu le temps de s’y préparer.

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Eviter « un des plus lourds plans sociaux »

Depuis novembre où 1 800 emplois menacés étaient évoqués, « 700 personnes ont soit été reclassées en interne, soit sont parties dans d’autres entreprises qui ont gagné les marchés, soit ont quitté le domaine même des télécoms », a poursuivi le porte-parole de Scopelec.

Les salariés associés de l’entreprise ont publié jeudi dans plusieurs journaux une lettre ouverte aux candidats à la présidence, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ainsi qu’aux candidats aux élections législatives, les appelant à agir pour éviter « un des plus lourds plans sociaux qu’ait connus la France depuis des mois ».

L’entreprise, en procédure de sauvegarde depuis un mois, demande qu’Orange l’« accompagne réellement dans [sa] restructuration sociale » et finance une partie du PSE, et que l’Etat actionnaire « joue le rôle d’arbitre impartial ».

Elle compte faire appel de la décision rendue vendredi 15 avril par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, qui l’avait déboutée de sa demande de prolongation du contrat avec Orange, et « va également assigner Orange sur le fond car la rupture des contrats commerciaux ne nous paraît pas avoir respecté les règles du droit commercial », a-t-elle expliqué.

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Le Monde avec AFP

« Le Deuxième Corps », de Karen Messing : les femmes au travail, des souffrances en silence

Livre. Karen Messing l’a remarqué à force d’entretiens. Lorsque des femmes sont interrogées sur leurs conditions de travail et les difficultés qu’elles rencontrent au quotidien, ce n’est souvent qu’à l’issue de la troisième heure d’échanges que la parole se libère réellement. Et que sont évoqués, progressivement, le matériel professionnel inadapté à la morphologie féminine, les attaques verbales de certains collègues ou les discriminations.

Pourquoi une telle difficulté à décrire ces situations qui les entravent ? Il est question de « honte », aux yeux de la généticienne et ergonome, professeure émérite à l’université du Québec, à Montréal (Canada). C’est d’ailleurs l’un des points-clés de son ouvrage, Le Deuxième Corps (Ecosociété) : de nombreuses femmes auraient, en elles, une « honte qui est rattachée à [leur] corps et [ses] “différences” ». « Honte d’être physiquement plus faibles, d’avoir leurs règles, de devoir quitter le travail en vitesse pour se rendre à la garderie avant la fermeture, d’avoir des bouffées de chaleur », explique Mme Messing, avant de conclure : « J’ai réalisé que nous devions prendre conscience du prix de notre silence et chercher ensemble des solutions. »

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Son essai propose une plongée aux côtés de ces travailleuses que des ergonomes ont suivies durant plusieurs décennies, principalement au Canada. Au plus près du terrain, on découvre des problématiques souvent éludées ou minimisées. Au fil des rencontres, les difficultés liées aux différences biologiques et sociales entre les femmes et les hommes apparaissent criantes.

Les équipements (ceintures à outils…) qui sont confiés aux salariées peuvent par exemple entraîner des gênes importantes. Et pour cause : ils n’ont souvent été conçus que pour les hommes. L’exposition au froid peut, par ailleurs, amplifier les crampes menstruelles. Le récit du quotidien des agents d’entretien permet de comprendre que les femmes héritent fréquemment de tâches qui provoquent douleurs au cou et aux épaules. Et puis, face à l’imprévisibilité des horaires de certains postes, la garde des enfants, qui incombe fréquemment aux mères, peut tourner au casse-tête. La liste est longue.

Mener le « combat » avec subtilité

Quelles réponses apporter à ces problématiques ? L’autrice souligne la nécessité d’une « lutte pour un milieu de travail mieux adapté à notre corps et à notre vie ». On comprend, au fil des pages, combien l’équation est complexe. Elle évoque des cas où des évolutions ont été possibles à la suite d’une analyse ergonomique (obtention de sièges pour des caissières qui étaient toujours debout…).

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Scopelec fait monter la pression judiciaire contre Orange

Les employés de la société Scopelec manifestent à Paris, le 7 avril 2022, à la veille la décision attendue du tribunal de commerce de Paris sur un différend entre la coopérative française et Orange.

Ce jeudi 21 avril, place de la Bastille, à Paris, des salariés de Scopelec, réunis à l’appel de leur intersyndicale, vont une nouvelle fois tenter de faire entendre leur voix et celle de leur entreprise, menacée par la perte, qui a pris effet le 1er avril, d’un important contrat auprès d’Orange. L’opérateur est le premier client de l’entreprise spécialisée dans le déploiement des réseaux de télécoms. Les contrats perdus représentent environ 150 millions d’euros par an, soit 40 % du chiffre d’affaires annuel de la plus vieille coopérative française. Depuis l’annonce en décembre 2021 de la perte de ce contrat, des solutions de reclassement interne ou externe ont été trouvées pour environ 700 salariés.

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Mais 800 techniciens touchés par l’arrêt de l’activité pour Orange restent sous la menace d’un licenciement, principalement en Normandie, Charente, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. Scopelec emploie 3 800 personnes au total. Malgré des semaines de discussions avec Orange, sous l’égide du Comité interministériel de restructuration industrielle, et en dépit de l’intervention sur la fin de la ministre déléguée chargée de l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, l’opérateur et son sous-traitant n’arrivent pas à s’entendre sur les mesures qui permettraient à Scopelec de faire face aux conséquences financières de la perte de ce contrat.

Orange a proposé une enveloppe de 43 millions d’euros de chiffre d’affaires sur 2022 et 2023, en plus des contrats maintenus. Mais les contours de ce surplus d’activité ne convainquent pas Scopelec. « Une dizaine de millions d’euros porte sur des marchés déjà en cours », explique Thomas Foppiani, le président du directoire de Scopelec. Frédéric Abitbol, le mandataire judiciaire nommé dans le cadre de la procédure de sauvegarde engagée par Scopelec le 17 mars, estime à 90 millions d’euros sur deux ans le besoin en chiffre d’affaires de la coopérative. « Nous ne faisons pas l’aumône. Nous souhaitons simplement un accompagnement progressif pour nous aider à financer notre restructuration », poursuit le dirigeant, selon lequel, sans la trésorerie dont elle disposait, « Scopelec serait déjà morte ».

Arme à double tranchant

Thomas Foppiani chiffre à une cinquantaine de millions d’euros le coût d’un plan social pour 800 personnes. Si Orange augmentait son surplus d’activité avec la coopérative, le coût social et financier serait moindre, assure le dirigeant. M. Foppiani a récemment eu l’occasion de présenter la situation à Christel Heydemann, la nouvelle directrice générale de l’opérateur, qui a hérité du dossier au moment de sa prise de fonctions, le 4 avril. Orange dit « rester à l’écoute pour accompagner Scopelec dans cette phase de transition ». Mais, en privé, l’opérateur s’étonne de l’intransigeance de son sous-traitant.

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