Archive dans mars 2022

« Les infiltrés », enquête sur l’emprise des cabinets de conseil sur un Etat consentant

Livre. Depuis près de trois décennies, les cabinets de consultants et leur méthode de management ont pénétré tous les rouages de l’administration française. Dans l’enquête que Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, grands reporters à L’Obs, consacrent à cette révolution largement passée sous silence jusqu’à présent, un tour de force est manifeste : pas un ministère ni un secteur couvert par l’Etat n’ont échappé à la convoitise des consultants. De la santé à la défense, en passant par l’éducation nationale, la justice, l’intérieur, les affaires étrangères, mais aussi l’économie – dont les agents ont longtemps résisté –, et jusqu’aux services du premier ministre, tous sont passés sous les fourches Caudines de ces cabinets de conseil. Les plus connus étant Accenture, BCG (Boston Consulting Group), EY (ex-Ernst & Young), PwC (PricewaterhouseCoopers), etc.

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L’emprise de ces grands cabinets de conseil sur le fonctionnement de l’Etat est liée à une révolution parallèle qui a percuté toutes les administrations : la vaste numérisation, et dématérialisation, des actes de la vie quotidienne qui s’est amplifiée dans les années 2000, avec la montée en puissance d’Internet. Dans un pays de droit écrit, où la culture du papier est dominante, la vitesse d’exécution démultipliée des tâches administratives a provoqué un engorgement, l’absence de moyens financiers mis à la disposition des serviteurs de l’Etat a fait le reste.

Un Etat consentant

Le plus stupéfiant est peut-être que cette mutation s’est opérée avec un Etat consentant, voire soumis. Plusieurs clés d’explication sont données par les auteurs, d’abord ce qu’ils appellent l’« endogamie de la classe dirigeante » et « l’hybridation des élites ». A la tête de la haute administration et de ces cabinets de conseil, on retrouve les mêmes profils, issus des mêmes grandes écoles (ENA, HEC, Essec, etc.). Les allers-retours des uns aux autres sont fréquents.

Dans le même temps, les ministres appartenant aux gouvernements de droite ou de gauche ont perdu confiance dans leur administration jugée trop lourde et vieillotte. Les cabinets de conseil sont donc venus au chevet d’administrations qu’il fallait moderniser. Ils ont importé la culture du « lean management » (gestion de la production fondée sur la rentabilité), avec une réduction systématique du nombre de postes à rendement égal, ce que les hôpitaux ont pu expérimenter, avant et pendant la crise du Covid-19.

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Plus grave, à la culture de la défiance s’est ajoutée une volonté de se protéger. Quand l’Etat externalise des tâches qui lui incombent, il n’est plus responsable des défaillances, ce qui permet d’échapper à la pression des citoyens de plus en plus prompts à saisir la justice.

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« C’est le moment de nous récompenser », chez Thales, à Toulouse, le mouvement de protestation ne faiblit pas

Pas de pancarte écrite ni de slogan chanté et de tract distribué. Ce jeudi, peu avant 11 heures, à l’appel d’une intersyndicale CGT/CFDT/CFE-CGC/CFTC/SUPPer une centaine de salariés s’est rassemblée devant les grilles du groupe de défense Thales, avenue du Général-Eisenhower, dans le quartier Basso Cambo, aux portes de Toulouse. Malgré leur discrétion, même si certains, vêtus de chasubles, arborent le drapeau de leur syndicat, le feu couve.

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Ces ingénieurs, pour la plupart, dénoncent une augmentation salariale annuelle de 3,5 % payée en avril et sans rétroactivité au 1er janvier. « Cette hausse peut paraître confortable mais par rapport à l’inflation, elle n’est pas suffisante. Nous réclamons 4 % » , fait savoir Oanh Le, secrétaire CFTC du comité social et économique (CSE).

Manifestations chaque jeudi

Badge autour du cou, Julien témoigne de ses difficultés à boucler les fins de mois : « J’ai mangé toute ma trésorerie personnelle et je suis en train de regarder comment réaliser des économies », affirme cet ingénieur qui gagne 2 400 euros nets par mois. « En janvier, je me suis séparé de ma femme de ménage et je me dis que je devrais faire du vélo plus souvent, qu’il pleuve ou qu’il fasse froid»

C’est une note de cadrage du groupe, distribuée aux organisations syndicales en janvier à l’occasion des négociations annuelles obligatoires (NAO), qui a mis le feu aux poudres, déclenchant des manifestations chaque jeudi depuis cinq semaines. Les résultats du groupe, publiés jeudi 3 mars, montrant un Thales en grande forme, ont cristallisé cette grogne. Son bénéfice net a atteint 1,09 milliard d’euros en 2021, contre 483 millions en 2020 et ses prises de commandes sont en hausse de 18 %. La profitabilité est telle que le groupe opère un rachat d’actions.

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« Ces chiffres sont difficilement entendables », s’exaspère Arnaud Beaugeois, ingénieur développement et délégué syndical adjoint CFDT. « Dans l’avionique [activité de la filiale Thales AVS], 20 % des effectifs ont été supprimés pour faire à la crise du Covid-19. Or, malgré la pression, on a continué à satisfaire les clients en production, en exploitation et en recherche et développement. C’est le moment de nous récompenser avec un juste partage des richesses puisque tout le monde a contribué à la bonne santé de l’entreprise. »

« Notre mouvement est interfiliale, intersyndical et s’inscrit dans la durée. C’est notre seul moyen de faire revenir la direction à la table des négociations », Oanh Le, secrétaire du CSE (CFTC)

Emilie, entrée dans l’entreprise il y a trois ans, est venue gonfler les rangs des manifestants, avant de rentrer à son domicile pour télétravailler. « S’il n’y a pas suffisamment de monde aux manifestations, la direction ne nous écoutera pas », souligne la jeune femme.

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Le marché du travail profondément remanié d’ici 2030

Serveur, comptable, infirmier… Affiché sur le site de Pôle Emploi, le palmarès des métiers qui recrutent le plus a connu quelques bouleversements depuis le début de la crise du Covid-19. Dans les années à venir, ce classement risque de connaître d’autres remaniements, à en croire un rapport du service des statistiques du ministère du travail (Dares) et de France Stratégie publié le 10 mars.

Jetant un éclairage inédit sur les évolutions des besoins en recrutement à l’horizon 2030, le rapport met en parallèle les métiers qui devraient compter les plus fortes créations d’emploi avec l’évolution du nombre d’entrants et de sortants. Estimés à 800 000 embauches sur la période 2019-2022 dans le scénario de référence de la Dares, les besoins de recrutement devraient rester stables par rapport à la période 2015-2022. Mais « on est dans un contexte où la population active ralentit fortement » du fait des départs en retraite, souligne Michel Houdebine, directeur de la Dares.

Si les volumes de recrutement restent les mêmes, la crise liée au Covid-19 risque de modifier durablement les profils recherchés. Depuis deux ans, de nouvelles habitudes ont été prises par les ménages : les Français sortent moins et ont réduit les activités de loisir à l’extérieur. Ces nouveaux comportements pénalisent « les activités fondées sur les interactions sociales » comme l’hôtellerie, la restauration, le commerce et les spectacles, « qui créeraient moins d’emplois que par le passé », note le rapport conjoint de la Dares et de France Stratégie.

La vente, profession la plus touchée

Cette dynamique présente l’avantage de diminuer les difficultés de recrutement que connaissent certains secteurs, comme l’hôtellerie-restauration. Mais elle accélère aussi la disparition des emplois liés au commerce physique, qui souffraient déjà de l’explosion de la vente en ligne. Dans les années à venir, les vendeurs sont susceptibles de devenir la profession la plus touchée par le chômage. Alors que les créations d’emplois risquent d’être négatives sur la période et que 167 000 d’entre eux devraient partir à la retraite, les débutants continueraient d’arriver en masse (347 000) dans la vente, selon la projection prise pour référence par la Dares.

A contrario, la crise sanitaire a accéléré l’augmentation des besoins dans la santé et l’informatique. Dans un contexte post-Covid, les « services à distance » sont davantage sollicités. « L’ensemble des professions du soin et de l’aide aux personnes fragiles » devrait également bénéficier « d’une forte dynamique de l’emploi » du fait du vieillissement de la population, avance le rapport.

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Smart France : la coopérative de travailleurs indépendants vacille

« C’est un énorme gâchis. » Responsable de la section syndicale CGT Smart Coop, Aurélien Alphon-Layre résume ainsi l’aventure de Smart France, un modèle de l’économie sociale et solidaire dont l’objet était la protection économique et sociale des entrepreneurs à travers leur salarisation. Pour les artistes, journalistes, formateurs, artisans, webmasters, coursiers, consultants, agriculteurs urbains, etc., Smart se présente comme « la solution idéale permettant de se concentrer sur son travail et de se libérer des contraintes administratives en offrant un cadre juridique, économique, social, humain et sécurisé pour développer son activité ». Tout cela en échange d’une contribution de 8,5 % du prix de vente hors taxes des prestations facturées aux clients. Mais, désormais, le destin de ce groupe coopératif et mutualiste est entre les mains du tribunal de commerce de Lille.

Placée en redressement judiciaire depuis le 22 février, la branche française de cette coopérative européenne de travailleurs indépendants née en Belgique en 1998 n’a pas encore dit son dernier mot. « Il y a un plan social sur la table, explique Emily Lecourtois, directrice générale de Smart France – Grands Ensemble depuis novembre 2021. La procédure de redressement va nous permettre de geler les dettes (1,8 million d’euros) et de les étaler pour laisser un volant de trésorerie et augmenter notre capacité à rebondir. »

Moins optimistes, les soixante-dix salariés de Smart France s’interrogent sur le futur plan de sauvegarde de l’emploi qui pourrait toucher la moitié de l’équipe et sur le montant des indemnités de départ. « On ne sait pas qui va être lourdé ni dans quelles conditions, dénonce Aurélien Alphon-Layre. On nous avait annoncé 4 000 à 6 000 euros d’indemnités supra-légales car Smart France est déficitaire, mais selon les critères d’évaluation de la Dreets [direction du travail] les moyens du PSE doivent s’appuyer sur les moyens du groupe européen, en bien meilleure santé, et dont le chiffre d’affaires est de plus 200 millions d’euros. »

La chute a démarré à l’automne 2020

Les conseils d’administration de Smart Coop et de la Fondation Smart, en Belgique, « déplorent les épreuves de Smart sur le territoire français », mais « la gouvernance des structures a toujours été séparée ». En clair : pas question de mutualiser les moyens financiers du groupe dans cette période difficile. Il faut dire que cette structure considérée comme la plus grosse coopérative d’entrepreneurs salariés d’Europe continue de prospérer dans sept autres pays. « L’esprit coopérative marche très bien en Espagne et en Italie par exemple, note Emily Lecourtois. Mais chez nous, c’est un modèle encore compliqué à faire comprendre. » Et compliqué à adapter aux lois françaises.

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Emmanuel Macron propose de reporter l’âge de la retraite à 65 ans s’il est réélu

Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, lors de sa première réunion de campagne, à Poissy (Yvelines), le 7 mars 2022.

C’est désormais officiel : Emmanuel Macron veut faire passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 65 ans, s’il remporte le scrutin présidentiel. Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, l’a déclaré, jeudi 10 mars, sur RTL, confirmant une information livrée la veille par le quotidien Les Echos. Il s’agit d’« une réforme de responsabilité » et « de justice », a plaidé M. Attal, en insistant sur le « choix de société » qui sera proposé aux électeurs : « Est-ce qu’on veut encore pouvoir financer une protection pour les Français et investir pour les Français ? Nous, on dit oui, a-t-il lancé. Est-ce qu’on pense qu’il faut le faire en augmentant les impôts ? Nous, on dit non. Et donc, il faut travailler plus. »

Le fait de dévoiler une telle mesure ne constitue pas une surprise, le chef de l’Etat ayant déjà exprimé cette intention pendant son allocution télévisée du 9 novembre 2021. De même, lors de sa déclaration de candidature, le 3 mars, dans sa lettre aux Français, le locataire de l’Elysée avait déjà écrit : « Il nous faudra travailler plus et poursuivre la baisse des impôts pesant sur le travail et la production. » Une manière de manifester sa détermination à relancer un chantier qu’il avait suspendu, en mars 2020, du fait de la crise sanitaire, avant d’annoncer son abandon un an et demi après.

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Mais la démarche de M. Macron, aujourd’hui, est différente du projet qu’il avait défendu durant la première moitié de son mandat. A l’époque, l’objectif était de faire converger la quarantaine de régimes existants dans un système universel, sans remettre en cause la règle des 62 ans, mais en instaurant un âge pivot, à partir duquel les assurés auraient droit à une pension à taux plein.

Le schéma qui se dessine désormais est, à la fois, plus simple et plus radical. A terme, il faudra attendre son 65e anniversaire pour faire valoir ses droits à la retraite. Le relèvement sera graduel, à raison de quatre mois par année de naissance (62 ans et quatre mois pour la première génération touchée, 62 ans et huit mois pour la deuxième, etc.). Au total, le processus devrait s’étaler jusqu’en 2033. Des dérogations seront maintenues dans plusieurs situations : personnes ayant commencé à travailler tôt, invalidité, inaptitude, etc. Pour ces catégories, l’âge d’ouverture des droits devrait être de 62 ans, contre 60 ans à l’heure actuelle.

Financer les mesures à caractère social

Le but affiché est double. M. Macron veut tout d’abord assurer la soutenabilité financière du système de retraite, dont le déficit a atteint 13 milliards d’euros en 2020, le retour à l’équilibre n’étant pas prévu avant la première moitié des années 2030, d’après les dernières projections du Conseil d’orientation des retraites. En passant l’âge d’ouverture des droits à 65 ans, le « président candidat » escompte dégager des économies sur les dépenses de pension, à hauteur de 15 milliards d’euros d’ici à 2030. Cette manne servirait à consolider les régimes, à financer les mesures à caractère social et à apporter un petit bol d’air budgétaire dans d’autres secteurs de l’Etat-providence. M. Macron entend, par ailleurs, rapprocher la France des standards européens : dans plusieurs pays, comme l’Italie, le Royaume-Uni ou l’Allemagne, l’âge de départ à la retraite est compris entre 65 ans et 67 ans.

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« La Mobilité internationale des salariés » : un délicat exercice de ressources humaines

Le livre. Dans certains pays, la signature d’un contrat de travail local est obligatoire avant de pouvoir prétendre à une autorisation et à un visa de travail. Dans d’autres, les traditions imposent que seul un autochtone puisse diriger les équipes nationales. Lorsque l’expatriation d’un collaborateur est prévue, l’entreprise comme le salarié doivent évoluer dans les méandres souvent opaques des réglementations et des pratiques culturelles du pays d’accueil.

Dans La Mobilité internationale des salariés (Gereso), Isabelle Desmidt fait le point sur les multiples réflexes à avoir pour organiser les départs comme les retours des collaborateurs. « La mobilité commence bien avant le déménagement ou la rédaction de l’avenant [de mobilité] », résume l’autrice, responsable mobilité internationale chez RATP Dev. Cotisations sociales, obligations fiscales, mode de calcul des rémunérations de mobilité, adaptation à la variation des taux de change, modalités pratiques du transfert du salarié, mais aussi de sa famille… Les points d’attention sont nombreux.

Son guide pratique propose, au fil des pages, une démarche décomposée en dix étapes-clés : de la définition initiale de la mission jusqu’à la réalisation de son bilan au retour du salarié, en passant par la sélection du candidat ou l’organisation opérationnelle du transfert. Isabelle Desmidt présente, pour chacune d’elles, des exemples de documents types (grille des primes de mobilité, charte de déménagement…), sur lesquels les organisations peuvent s’appuyer.

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En leitmotiv, l’ouvrage martèle qu’afin que la mission à l’étranger se déroule sans accroc les entreprises doivent faire preuve d’anticipation, tant pour réaliser les formalités administratives que pour mener leurs process internes.

Un suivi attentif de la phase de réintégration

Soulignant que « les délais d’obtention des autorisations de travail et de séjour sont souvent très longs », Mme Desmidt appelle, par exemple, à les demander très rapidement après la signature du contrat. De même, elle invite à organiser la réintégration professionnelle du salarié « très en amont de la date prévue de retour » (six mois avant la fin de la mission).

L’autrice explique en quoi la gestion d’un transfert est un délicat exercice de ressources humaines. Une expatriation réussie implique de choisir le bon profil pour le bon poste. La maîtrise des « soft skills » (compétences non techniques) apparaît, de ce point de vue, déterminante : capacité d’adaptation à de nouveaux modes de raisonnement, connaissance de soi, volonté permanente d’apprendre, etc.

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Election présidentielle 2022 : les premières pistes du programme économique du candidat Macron

« Bien vivre de son travail », « inventer un nouveau modèle de croissance », « investir pour transformer », « une Europe protectrice »… il s’agit bien de slogans de campagne d’Emmanuel Macron, mais il n’était alors pas président de la République. Déclinés en une douzaine de chapitres, ils figuraient dans le livret de trente pages distribué lors de la conférence de presse au cours de laquelle le candidat d’En marche ! avait dévoilé son programme pour un premier mandat. C’était le 2 mars 2017.

Que reste-t-il aujourd’hui du Macron d’il y a cinq ans, qui avait choisi de dérouler son projet sous l’en-tête « Retrouver notre esprit de conquête pour bâtir une France nouvelle » ? Après un quinquennat marqué par la crise des « gilets jaunes », la pandémie de Covid-19 et désormais la guerre en Ukraine, le chef de l’Etat se voit contraint de faire évoluer son discours et son style. Il s’agit de rassurer les Français, tout en continuant à insuffler le volontarisme dont il a fait sa marque de fabrique.

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Si le slogan « Libérer, protéger » se voulait le résumé de son programme économique et social en 2017, le candidat de 2022 insiste d’abord sur la protection, en particulier du pouvoir d’achat. Autres évolutions : l’accent mis sur la souveraineté du pays et la nécessité de recréer sa puissance industrielle. Le tout, en mettant en scène son souhait d’associer davantage ses compatriotes et les corps intermédiaires à son projet. « Je veux pouvoir faire différemment, car cette période nous a tous changés », assure-t-il dans une vidéo mise en ligne vendredi 4 mars par son équipe de campagne.

« Copie globale autour du 20 mars »

A un mois du scrutin, Emmanuel Macron n’a toujours pas dévoilé de projet détaillé. Son équipe a pourtant finalisé un livret du même type que celui de 2017, qui devrait être distribué dans des boîtes aux lettres des Français d’ici à une dizaine de jours. « Pour le moment, nous privilégions les annonces perlées », euphémise l’entourage du président candidat, qui a enchaîné depuis une semaine une lettre dans la presse quotidienne régionale, une vidéo de campagne et une séance très encadrée de questions-réponses avec des Français à Poissy (Yvelines), lundi 7 mars. Son équipe promet une « copie globale autour du 20 mars ».

Sans surprise, le volet économique y tiendra une place de choix. Selon nos informations, le programme comprendra plusieurs mesures estampillées pouvoir d’achat, qui passeront par de nouvelles baisses de fiscalité : une mesure sur les droits de succession – « Il faut plutôt accompagner les gens pour les aider à transmettre les patrimoines modestes », avait affirmé M. Macron au Parisien en janvier –, des baisses d’impôts de production et de cotisations sur les hauts salaires – proches de celles préconisées par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, en début d’année. Il y aura aussi un objectif de plein-emploi – sans toutefois de chiffre précis – afin de « mieux vivre de son travail », et des mesures pour articuler vie professionnelle et vie personnelle, comme la possibilité de décider ce que l’on veut faire de ses RTT. De quoi rappeler la proposition de la candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse, de monétiser ses RTT.

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Le « savoir-être » des ex-salariés de l’hôtellerie-restauration séduit les autres secteurs

« J’ai pas mal roulé ma bosse », reconnaît Antoine Biewesch, 29 ans, qui a été tour à tour barman, maître d’hôtel et groom dans des établissements de prestige à Paris et en Suisse. Aujourd’hui, il est conseiller immobilier au sein d’une agence du réseau Orpi à Nogent-sur-Marne, dans le Val-de-Marne. A l’instar d’Antoine, de nombreux salariés ont abandonné l’hôtellerie-restauration.

C’est une véritable hémorragie qu’a connue le secteur, déjà confronté à une pénurie chronique de main-d’œuvre avant la pandémie. « Avant la crise sanitaire, de 130 000 à 150 000 emplois demeuraient vacants, explique Vincent Sitz, président de la commission emploi-formation du Groupement national des indépendants hôtellerie-restauration (GNI), et entre les deux confinements, quelque 110 000 personnes ont quitté le secteur. »

La raison de cette désertion est connue : le secteur est peu attractif. Une étude de la direction de la recherche du ministère du travail (Dares) datant de 2018 le confirme : l’hôtellerie-restauration figure en tête des métiers les moins favorables au bien-être psychologique. Les horaires à rallonge, les coupures entre les services, le travail les week-ends et les jours fériés, les heures supplémentaires non payées, un style de management très pyramidal, voire quasi militaire… ont fait fuir nombre de salariés. Il faut dire que ceux-ci ont eu le temps de se remettre en question durant les confinements.

Enquête : Article réservé à nos abonnés « Il va falloir se rendre compte que les gens ne sont plus corvéables à merci » : dans l’hôtellerie-restauration, les départs de salariés se multiplient

Ils aspirent désormais à une « vie normale ». « Je n’ai pratiquement jamais accompagné mes enfants à l’école », regrette ainsi Morgane Rouanet, aujourd’hui en pleine reconversion professionnelle. Si, au départ, il y a une vingtaine d’années, elle a choisi l’hôtellerie-restauration « par vocation », elle souligne les carences du secteur : « Il y a une grande différence entre le rêve et la réalité. C’est vraiment très mal payé et il n’y a ni reconnaissance, ni promotion interne. » Ce que confirme Antoine Biewesch : « Même en mouillant sa chemise, il n’y a pas de reconnaissance », regrette le jeune homme.

« Compétences comportementales »

Certains secteurs, eux-mêmes en quête de main-d’œuvre, ouvrent leurs portes à ces reconvertis : c’est le cas, notamment, des services à la personne, de la grande distribution, de la logistique, de l’immobilier, des domaines où les conditions de travail sont jugées meilleures.

« Je suis persuadé que la main-d’œuvre venant du secteur est bien accueillie dans d’autres domaines, car leurs compétences comportementales sont appréciées », affirme Pierre Courbebaisse, président de l’AFEC, organisme de formation. Il est vrai que la liste de leurs atouts est longue : sens du service client, habitude de travailler dans l’urgence, faculté d’être à la fois au four et au moulin, dynamisme, grande adaptabilité… Autant de soft skills (« compétences comportementales ») aisément transférables dans d’autres secteurs.

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Du mieux pour les lanceurs d’alerte

Carnet de bureau. Irène Frachon (Mediator), Edward Snowden (écoutes illégales), mais aussi Marine Martin, Denis Breteau, et tant d’autres : les lanceurs d’alerte sont de plus en plus nombreux à oser dénoncer les crimes, délits ou simples menaces portés contre l’intérêt général par les entreprises. C’est au rythme d’une quinzaine par mois qu’ils se présentent désormais à la Maison des lanceurs d’alerte. Depuis sa création en 2018, cette association en a accueilli 316, dont 185 rien qu’en 2021, en particulier issus d’entreprises des secteurs de la santé, de l’environnement et de la finance.

Adoptée début février par l’Assemblée nationale, la proposition de loi du député Sylvain Waserman (MoDem) relative à la protection des lanceurs d’alerte vient de donner à ces salariés ou ex-salariés l’espoir que leur signalement aboutisse moins difficilement.

Quelques obstacles ont en effet été levés. « Ils ne doivent désormais plus passer par leur hiérarchie pour faire un signalement ; ils peuvent aussi faire appel à une organisation ou à un syndicat, et ils sont protégés par l’irresponsabilité civile ou pénale », explique Glen Millot, le délégué général de la Maison des lanceurs d’alerte, qui salue « des avancées significatives ». La proposition de loi Waserman apporte aussi une aide financière aux lanceurs d’alerte, protège les « facilitateurs », à savoir les organisations qui les accompagnent, et leur permet de saisir directement une autorité indépendante.

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Mais la situation va rester compliquée. « Ce que je regrette surtout, c’est l’absence de soutien psychologique. Face aux pressions des laboratoires, aux questions des médias, pendant des années de combat, on se sent très seul », souligne Marine Martin, lanceuse d’alerte sur les risques de la Dépakine prescrite aux femmes enceintes jusqu’en 2017, un antiépileptique responsable de troubles physiques et autistiques de milliers d’enfants.

Spirale

Malgré l’obligation européenne depuis 2019 d’établir des canaux de signalement dans toutes les entreprises privées d’au moins 50 salariés, en France, « seule une entreprise sur deux a mis en place un circuit de signalement », indique Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale de la CFDT cadres et rapporteuse au Comité économique et social européen d’un avis sur la protection des lanceurs d’alerte en Europe. Un cadre pourtant vital à la résolution des affaires.

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Au départ, quand un cadre alerte son entreprise en interne, il ne se reconnaît pas comme lanceur d’alerte, le plus souvent, il veut juste régler un problème, qu’il s’agisse de fraude financière, d’atteintes à l’environnement, voire de risques sanitaires. Puis il est emporté dans une spirale, où il perd souvent son travail, et pas seulement. « Le cadre juridique de la loi Sapin II [de 2016] était très protecteur, mais ça ne m’a pas empêché d’être licencié », témoigne Denis Breteau, lanceur d’alerte et ex-cadre à la direction des achats de la SNCF. « Financièrement, c’est très lourd. La perte d’un salaire fait qu’on ne peut plus poursuivre la procédure judiciaire. Chaque expertise coûte très cher », renchérit Marine Martin.

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Au procès Deliveroo, le droit du travail et l’ubérisation en question

Ceux qui s’attristent d’un débat politique éclipsé par la guerre en Ukraine devraient venir assister à l’audience qui s’est ouverte, mardi 8 mars, devant la 31e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Au banc des prévenus, trois ex-dirigeants de la plateforme Deliveroo, et la société elle-même en qualité de personne morale, auxquels il est reproché de recourir à des « travailleurs indépendants » – les coursiers – qui, d’indépendants, n’auraient que le nom mais présenteraient l’immense avantage, pour l’entreprise, d’éluder les charges sociales.

Face à eux, plus d’une centaine de coursiers ou anciens coursiers qui se sont constitués parties civiles pour demander à la justice de reconnaître le « lien de subordination » qui les lie à la plateforme et leur imposerait les mêmes devoirs mais aucun des droits reconnus aux salariés. Le Code pénal qualifie ce délit de « travail dissimulé ». On est là au cœur du débat sur l’« ubérisation » de l’emploi, dont l’enjeu n’échappe à aucune des parties. Et c’est la première fois qu’il est porté devant une juridiction pénale.

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Au commencement sont des plaintes déposées par des coursiers, complétées par les enquêtes de plusieurs directions régionales du travail et de l’emploi et de l’office central de lutte contre le travail illégal ainsi que par des rapports de l’inspection du travail, pour les années 2015 et 2017. Les dates sont importantes, elles portent sur la période qui a vu l’avènement de ces plateformes – Deliveroo-France est née en 2015 – et plusieurs ajustements réglementaires sont intervenus depuis. Pour cette période, l’Urssaf a évalué à 6,4 millions d’euros le montant des cotisations sociales éludées.

Deux questions

Deux questions sont posées au tribunal correctionnel : de 2015 à 2017, cette société n’a-t-elle été qu’une plateforme de « mise en relation » entre clients et restaurateurs, ou a-t-elle organisé un véritable service de livraison de repas à domicile ? Le contrat qui la liait aux coursiers était-il une prestation de services ou constituait-il un détournement du droit du travail ?

Au premier jour du procès – il est prévu jusqu’au 16 mars – des témoins ont esquissé la complexité du débat. Le premier, Arnaud Mias, cité par l’accusation, enseigne la sociologie à l’université Paris-Dauphine et a participé à des travaux de recherche sur le fonctionnement de ces plateformes, dont Deliveroo. A partir des entretiens conduits auprès des livreurs, il distingue parmi eux trois catégories : ceux qui voient dans cette activité « ludique et sportive, sans la contrainte d’un patron, les atouts d’un job étudiant » leur offrant de quoi financer sorties et loisirs ; des « passionnés de la livraison à vélo », parmi lesquels s’expriment les plus fortes critiques à l’égard des plateformes ; et une troisième population, « en situation sociale et économique très dégradée », venue à cette expérience de coursier parce qu’elle est « la seule à être accessible facilement et sans formation » et qui exprime la satisfaction d’avoir « au moins un travail ».

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