Archive dans mars 2022

En Espagne, les employées de maison devraient avoir droit au chômage

Une employée de maison bolivienne, à Madrid, en mars 2019.

C’est une avancée manifeste, attendue de longue date. L’Espagne va enfin donner aux employés de maison l’accès aux prestations de chômage. Le secrétaire d’Etat au travail, Joaquin Perez Rey, a assuré, mercredi 2 mars, que les démarches seraient « accélérées » pour que la mesure soit approuvée « avant la fin de l’année [2022] ». Une réponse à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendu le 24 février, selon lequel « la législation espagnole, qui exclut les employés de maison des prestations de chômage, alors qu’il s’agit presque exclusivement de femmes, est contraire au droit de l’Union ». Pour la CJUE, cette exclusion constitue, en effet, « une discrimination indirecte fondée sur le sexe ».

Dans le royaume, près de 400 000 personnes, à 95 % des femmes, sont affiliées au régime spécial des employés de maison. Créé en 2011, il avait, à l’époque, deux objectifs : lutter contre la fraude et encourager les embauches – puisque les femmes de ménage à domicile étaient essentiellement employées au noir –, grâce à des cotisations sociales réduites. Celles-ci ouvrent des droits à la retraite et à des congés maladie pour les employées de maison, mais pas des droits au chômage et, partant, aux aides liées à l’extinction des droits de chômage. Par ailleurs, ce régime permet aux employeurs de les licencier sans motif.

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« L’Etat a eu de nombreuses occasions d’encourager la protection de ces travailleuses, notamment lors des différentes réformes de la loi de sécurité sociale », a rappelé l’avocat de l’employée à domicile à l’origine de la plainte devant la CJUE. Affiliée depuis 2011 à ce régime spécial, cette femme avait demandé, en 2019, à la caisse de sécurité sociale de cotiser pour la protection chômage, ce qui lui avait été refusé, malgré la prédisposition de son employeur à augmenter le montant de ses cotisations. « Ce n’est pas anodin qu’il s’agisse d’un collectif composé majoritairement par des femmes, souvent étrangères et avec peu de ressources », a ajouté son avocat.

Anomalie criante

De son côté, le gouvernement s’est défendu, en évoquant l’objectif de la norme de lutte contre le travail illégal, les risques de fraude et le fait que les employeurs n’étaient pas des chefs d’entreprise professionnels, mais des chefs de famille. Des arguments qui n’ont pas convaincu la CJUE. La Cour de justice a rappelé que les employés de maison étaient les seuls, parmi ceux soumis au régime général de la sécurité sociale espagnol, à ne pas avoir droit aux prestations de chômage, bien que d’autres emplois rassemblent des conditions similaires.

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La « lente » décrue des inégalités entre les femmes et les hommes

Les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes se résorbent, mais à un rythme très lent. En 2019, le « revenu salarial moyen » des premières était inférieur de 22,3 % à celui des seconds, soit une baisse de seulement 5,1 points en un quart de siècle, d’après une étude publiée, jeudi 3 mars, par l’Insee. La tendance à la diminution s’est un peu accélérée « sur les années récentes », sans parvenir à combler le fossé qui sépare les deux moitiés de la population.

Une partie de la différence tient au fait que les femmes travaillent un peu moins que les hommes : elles sont « trois fois plus souvent » qu’eux à temps partiel et « effectuent (…) moins d’heures supplémentaires ». Une situation très largement imputable au poids de la vie familiale, qui repose sur leurs épaules : elles s’investissent davantage dans les tâches domestiques et l’éducation des enfants, « même si, entre le milieu des années 1980 et 2010 », les disparités de ce type se sont réduites grâce au changement de comportement des conjoints.

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L’enquête de l’Insee remet en exergue un facteur qui a une forte incidence dans les carrières féminines : la naissance d’un enfant. Cinq ans après un tel événement, les mères employées dans le privé ont des revenus salariaux « inférieurs d’environ 25 % par rapport à ce qui se serait produit sans cette arrivée » : le décrochage résulte d’« arbitrages », tels qu’une interruption d’activité ou un passage à temps partiel, pour s’adapter à de nouvelles contraintes. Les pères, eux, « ne sont pas affectés ».

Mais ces paramètres n’expliquent pas, à eux seuls, le traitement préférentiel dont les hommes bénéficient sur leur bulletin de paie. Si l’on raisonne avec des volumes horaires équivalents pour les deux catégories, il subsiste un écart légèrement supérieur à 16 %.

Répercussions sur la retraite

La cause première du phénomène se trouve dans les « inégalités d’accès » aux postes les mieux rétribués. Les femmes représentaient 70 % des employés et 57 % des professions intermédiaires en 2019. Cette concentration saute aux yeux dans les « métiers de services » (aides à domicile, assistantes maternelles, agentes d’entretien) « et du soin » (aides-soignantes, infirmières, sages-femmes) – deux champs de l’économie où la fiche de paie ne vole pas haut.

Parallèlement, les fonctions de cadre, elles, sont occupées, dans près de six cas sur dix, par des hommes. Plus encore, enchaîne l’Insee, « accéder aux 5 % des emplois les mieux rémunérés est deux fois moins probable » pour les femmes que pour leurs collègues masculins. Une illustration du plafond de verre auquel elles se heurtent pour accéder aux responsabilités les plus élevées dans une entreprise ou dans une administration.

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Mais, même en tenant compte de ces données, « il reste une partie non expliquée » dans l’écart observé, « qui peut être le reflet d’une ségrégation professionnelle », relate l’Insee. Ainsi, en 2017, il y avait une différence de 5,3 % en moyenne entre les femmes et les hommes exerçant un métier dans des conditions « comparables », au sein du secteur privé.

Ces dissemblances dans les carrières ont des répercussions sur la retraite. Si l’on s’intéresse à la génération née en 1950, il s’avère que les femmes ont demandé le versement de leur pension à 60,8 ans en moyenne, soit un an de plus que les hommes. Cela tient notamment au fait que leur parcours dans le monde du travail a été plus haché, les obligeant à se maintenir en activité jusqu’à un âge avancé afin d’éviter une décote sur le montant attribué par l’assurance-vieillesse.

Le sort des femmes est également moins enviable s’agissant des sommes perçues pendant leurs vieux jours. En 2019, leur retraite s’élevait en moyenne à 1 272 euros, en incluant la pension de réversion, soit 24 % de moins que les hommes.

L’activité partielle de longue durée est toujours d’actualité

Politique de l’emploi

[La politique de l’emploi s’appuie sur des dispositifs créés au fil des besoins, qui restent parfois méconnus longtemps après leur création. Quelle est leur efficacité contre le chômage ? Elle n’est pas toujours évaluée. Le Monde publie une série d’articles sur les aides à l’emploi pour tenter d’estimer ce que l’on en sait – leur objectif initial, leurs résultats.]

L’objectif du dispositif

Le robinet de l’aide exceptionnelle au chômage partiel a été fermé pour les établissements des secteurs dits « protégés » (tourisme, hôtellerie…). Seules les entreprises faisant l’objet d’une fermeture administrative ou situées dans des territoires d’outre-mer et subissant une baisse d’au moins 60 % de chiffre d’affaires bénéficient encore de la prise en charge à 100 % de l’indemnité versée à leurs salariés mis au chômage partiel. A moins d’un nouveau rebondissement de la crise sanitaire, cette aide s’arrête au 31 mars.

Face à cet arrêt, les entreprises qui continuent à subir les conséquences de la crise sanitaire ont tout intérêt à se tourner vers l’activité partielle de longue durée (APLD). Ce dispositif peut encore s’appliquer aux accords validés jusqu’au 30 juin 2022. Mise en place en juillet 2021, l’APLD a pour but d’organiser le chômage partiel sur la durée.

Le fonctionnement

Elle permet aux entreprises confrontées à une réduction durable de leur activité de mettre leurs salariés au chômage partiel sur vingt-quatre mois maximum, à condition de passer par un accord collectif. « Il est possible pour une entreprise qui a déjà bénéficié du recours au chômage partiel renforcé de faire par la suite une demande d’APLD », indique Me Nicolas Léger, associé du département de droit social du cabinet Proskauer Avocats.

Dans le cadre de l’APLD, le reste à charge pour l’employeur n’est pas nul, mais faible : l’entreprise reçoit de l’Etat une allocation équivalente à 60 % de la rémunération horaire brute du salarié, tandis qu’elle lui verse une indemnité correspondant à 70 % de son salaire brut par heure chômée (soit 84 % du salaire net), avec un plancher correspondant au smic horaire et dans la limite de 4,5 fois le smic.

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Toutes les entreprises et les associations sont éligibles à l’APLD, à partir du moment où elles peuvent justifier d’une baisse d’activité. Dans le cadre d’un accord d’APLD, l’employeur peut réduire jusqu’à 40 % le temps de travail de ses salariés, voire 50 % s’il justifie d’une dégradation significative de son activité.

L’employeur a la possibilité d’alterner des périodes de faible et de forte réduction, voire de suppression totale de travail : par exemple, fermer totalement l’entreprise pendant huit mois, sur une période d’APLD de vingt mois. Les vingt-quatre mois maximum d’APLD peuvent également être répartis sur une durée de trente-six mois.

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« L’Insee met à disposition de tous un tableau le plus riche possible du marché du travail en France »

Tribune. Dans une tribune publiée sur le site du Monde vendredi 18 février, consacrée aux statistiques conjoncturelles de l’emploi, l’économiste Florence Jany-Catrice met en cause l’indépendance de l’Insee. Selon elle, l’institut ne met pas à disposition toute l’information dont il a connaissance sur les créations d’emplois, notamment sur la durée du travail : « Le fait que l’Insee ne communique pas sur ce point pose problème à quelques mois de l’élection présidentielle et interroge l’indépendance dont l’institut se réclame tant. »

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Or l’autrice de cette tribune pose son diagnostic sur des bases erronées. Elle commente en effet l’« estimation flash » de l’emploi salarié au quatrième trimestre 2021, parue le 4 février, pour déplorer qu’il y manque deux informations : le type de contrat de travail et le temps de travail des salariés. Elle en tire la conclusion générale que l’on ne pourrait rien savoir sur les « vraies » créations d’emploi salarié privé en 2021, qui pourraient être tout aussi bien nulles que de 650 000. C’est heureusement tout à fait erroné.

« Chaque trimestre, des dizaines de milliers de personnes répondent aux centaines d’enquêteurs de l’Insee »

S’il est vrai que la qualité de l’emploi et la durée du travail ne sont pas disponibles au moment des estimations « flash » (et ne l’ont jamais été pour des questions de concept et de source d’information mobilisés), l’autrice ne peut ignorer que toutes ces informations souhaitées sont bien mesurées par l’Insee avec une autre source, « l’enquête emploi ».

Avec cette enquête emploi, chaque trimestre, des informations sur l’emploi, le chômage, la durée du travail, etc., sont collectées grâce aux dizaines de milliers de personnes qui répondent aux centaines d’enquêteurs de l’Insee. Ainsi, les résultats de l’enquête emploi au quatrième trimestre 2021, diffusés vendredi 18 février, brossent le tableau du marché du travail en commentant, outre les évolutions du chômage, toutes les informations souhaitées sur la nature des emplois créés depuis l’avant-crise : la part du temps partiel dans l’emploi, celle du sous-emploi (c’est-à-dire des personnes en emploi qui souhaiteraient travailler davantage), le nombre d’heures travaillées par salarié, le taux d’emploi en contrat à durée limitée (CDD et intérim)…

Un « défi pour la démocratie »

Tout lecteur, économiste ou non, peut ainsi constater que la proportion d’emplois à temps partiel a baissé entre fin 2019 et fin 2021, passant de 18,8 % à 17,6 %, contrairement à ce que Mme Jany-Catrice suppose. Ou que, malgré cette baisse, la durée du travail est moindre au quatrième trimestre 2021 qu’avant la crise, d’environ une heure par semaine en moyenne, pour des raisons bien compréhensibles : la pandémie a multiplié les congés maladie (y compris garde d’enfant, isolement, etc.) ; le chômage partiel a persisté ; les vacances scolaires de Noël ont été plus plus précoces [de trois jours] en 2021 qu’en 2019. Tout cela est cohérent avec l’évolution du nombre d’heures rémunérées, issu de l’exploitation de la toute récente déclaration sociale nominative (DSN), qui fait également l’objet d’analyses régulières dans les publications de l’Insee.

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« La Méthode Michelin » : itinéraire d’un burn-out

Le livre. De ses dix ans passés chez Michelin, Eric Collenne a tiré une haine inextinguible contre le géant du pneumatique, et contre le monde de l’entreprise en général. Il raconte sa longue descente aux enfers dans La Méthode Michelin. Comment rendre les salariés inaptes au travail. Quand il débarque à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) au siège du groupe, il a 35 ans et une expérience déjà longue de consultant en informatique auprès de grandes entreprises industrielles.

Les premiers temps sont idylliques. Les procédures de recrutement sont sérieuses et les cadres choyés tout au long de leur parcours d’intégration, notamment grâce au plan individuel de formation – le PIF, dans le langage maison. Seul bémol, un jeu de rôle qui met mal à l’aise le nouveau venu. Son thème : « Comment annoncer la fermeture d’un site à une équipe ? »

A la page 80 du récit, l’évidence est là : Eric Collenne est en train de faire un burn-out. Affecté à l’informatisation de la chaîne logistique du groupe – un service de deux cents personnes –, il doit participer à la construction de solutions pour planifier la production des milliers de références de pneumatiques fabriqués dans les cent dix-sept usines du groupe, réparties dans vingt-six pays.

La tâche est immense, et il s’y noie : à l’arrivée, un arrêt de travail de longue durée, suivi d’un mi-temps thérapeutique pour finir par un constat d’inaptitude au travail établi par la médecine du travail. « Je dégringole. Je m’écroule. Je me fragmente. »

Une perte de sens du travail

Le témoignage de l’ancien salarié est une illustration parfaite des causes du syndrome d’épuisement professionnel, décrite notamment par un rapport de la direction générale du travail (DGT). Tout part de l’intensité du travail, avec des délais et des objectifs irréalistes. « Il faut avancer, la pression est là, permanente, écrit-il. Cette façon de faire est usante (…). Le management veut juste maintenir des objectifs. Alors il faut boucler. Rapidement. On termine tard. »

Le manque d’autonomie et son corollaire une mauvaise utilisation des compétences sont un autre reproche adressé par Eric Collenne à Michelin. « Je suis emprisonné dans un système qui me contraint à produire des solutions coupées de toute réalité (…) en opposition avec toute l’expérience que j’ai acquise. » Apparaît aussi au fil des pages la perte du sens de son travail. Il se plaint amèrement de « cette culture du secret qui restreint la vision d’ensemble, qui limite la perception des salariés, ampute le sens des missions qui leur sont confiées. Qui nous infantilise ».

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Industrie : dans le Gard, les anciens salariés de Crouzet saisissent les prud’hommes

Devant l’usine Crouzet d’Alès (Gard), le 9 mars 2021.

C’était il y a un an. A Alès, dans le Gard, les salariés de l’entreprise Crouzet, l’un des leaders mondiaux spécialisés dans la fabrication de moteurs et de capteurs électriques, signaient, dans la douleur, un plan de sauvegarde de l’emploi, le 5 mars 2021. L’industriel, dont l’une des unités d’étude et de production est installée aux pieds des Cévennes depuis 1971, invoquait la pandémie de Covid-19 pour justifier cette décision, engageant la délocalisation de l’activité et de 14 salariés à Valence, dans la Drôme, au siège de l’entreprise, mais entraînant aussi la suppression de 40 postes et la fermeture définitive du site alésien.

« Même si nous l’avons accepté, ce plan s’est fait contre l’avis des salariés. Nous l’avons signé de guerre lasse, et nous avons toujours contesté l’argument économique de l’entreprise, puisque Crouzet se portait, au contraire, très bien », affirme Damien Tranier, l’un des représentants du personnel. Finalement, 61 salariés ont été licenciés, selon les chiffres rapportés par les représentants du personnel, et trois ont rejoint le site drômois.

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L’affaire prend aujourd’hui une nouvelle tournure. Le 14 janvier, l’inspection du travail de la Drôme a fait savoir qu’elle invalidait le motif de « licenciement économique » de six représentants du personnel. C’est ce même argument qu’une majorité de salariés, désormais regroupée dans l’Amicale Crouzet Alès (ACA), a décidé de reprendre. Les anciens Crouzet viennent de déposer 40 dossiers au conseil des prud’hommes d’Alès. Avec une question primordiale : la crise sanitaire, invoquée par l’entreprise dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi, justifiait-elle la fermeture du site alésien et les suppressions de postes ?

« Nous avons eu un meilleur résultat en 2021 qu’en 2019 »

Christian Chalamet, 58 ans, dont trente-six passés chez Crouzet, travaillait au bureau d’études. Il espère obtenir réparation : « Lorsque le Covid est apparu, nous avons été inquiets pour nos collègues de Valence qui travaillaient pour l’aéronautique, et nous n’avons pas vu que cela allait nous tomber dessus. Notre activité, les moteurs, fonctionnait très bien. Nous avons eu un meilleur résultat en 2021 qu’en 2019. Nous estimons que Crouzet nous a menti et pas qu’à nous… Toutes les aides dont l’entreprise a bénéficié durant la crise sanitaire, ce sont avec nos impôts ! »

« Crouzet va avoir du mal à justifier l’existence d’une menace économique avec un carnet de commandes rempli », Alain Ottan, l’avocat qui défend les anciens salariés

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En entreprise, les discriminations persistent pour les femmes seniors

L’histoire de Corinne est tristement banale, de la banalité d’une vie qui s’effondre à la suite d’un licenciement économique. Après dix-sept ans dans la même entreprise, cette assistante de direction (qui a souhaité garder l’anonymat) se retrouve au chômage à 47 ans. Une fois le choc passé, elle pense rebondir rapidement : « Tout le monde me disait : “Avec ton expérience et tes compétences, tu retrouveras facilement du travail.” Ça a été la désillusion complète. »

Les mois passent, puis les années. Malgré un CV bien rempli et des formations pour se remettre à niveau, Corinne ne retrouve pas d’emploi : « En entretien, on me disait que je correspondais au poste, mais on ne me rappelait jamais. Je me suis dit qu’il devait y avoir un problème quelque part. »

La candidate est la première à justifier le comportement des recruteurs : selon ses mots, ils préféreraient des profils « plus frais », « qui sortent de l’école » et « qu’ils peuvent former eux-mêmes ». Corinne joue le jeu, tente de souligner les « avantages » à être une femme presque quinquagénaire : « En entretien, je faisais valoir que je n’avais plus d’enfants malades à garder. »

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Elle finit par retrouver du travail en 2019, par l’intermédiaire de Géa’Tion, un groupement d’employeurs à temps partagé. Des profils comme Corinne, Audrey Lefebvre, administratrice de Géa’Tion, en voit passer beaucoup : « Aux deux tiers, les seniors qui viennent nous voir ou qui sont orientés vers nous sont des femmes. »

Le taux des hommes et des femmes âgés de 55 à 64 ans officiellement inscrits au chômage était équivalent en 2020 (5,8 %), selon le service des statistiques du ministère du travail, mais à cet âge, les femmes arrivées sur le marché du travail dans les années 1980 se volatilisent. Leur taux d’emploi (51,8 %) demeure largement inférieur à celui de leurs homologues masculins (56 %). « Les femmes finissent par retrouver et/ou accepter un petit boulot, plus souvent que les hommes, ou bien basculent vers l’inactivité », avançait un rapport du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) sur les femmes seniors dans l’emploi, publié en 2019.

Le risque de la placardisation

Les femmes en fin de carrière se prennent en pleine figure l’effet « boule de neige » des inégalités, qui débutent dès le début de leur parcours professionnel. Selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes cadres s’élève à 4 %, à profil équivalent, en début de carrière, pour atteindre 12 % chez les cadres de 55 ans et plus. S’ajoutent, pour les femmes, des parcours plus accidentés et une surreprésentation sur des postes à temps partiel ou moins bien payés. A la clé, des pensions de droit direct inférieures de 42 % en moyenne à celles des hommes, note le rapport du CSEP.

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« Les statistiques actuelles sous-estiment largement les tensions sur le marché du travail »

Chronique. Après une forte contraction de l’emploi au plus fort de la pandémie, le taux de chômage aux Etats Unis a retrouvé son niveau (4 %) d’avant le Covid-19. En France, le taux de chômage est redescendu au troisième trimestre 2021 à 7,4 %, pratiquement du jamais-vu depuis 2008.

Au moment où les tensions inflationnistes s’accumulent du fait des problèmes sur la chaîne de production globale et des effets possibles de l’invasion russe en Ukraine sur les prix de l’énergie et de l’alimentation, la tension du marché du travail pourrait laisser craindre une descente dans une spirale inflationniste. Celle-ci se forme quand les travailleurs sont en mesure d’obtenir des hausses de salaires pour compenser la hausse des prix, qui entraînent à leur tour une hausse des prix, etc.

Notre capacité à absorber les tensions inflationnistes dépendra donc beaucoup des tensions sur le marché du travail. Le taux de 7,4 % de chômeurs semble laisser une grande marge. Mais elle est sans doute largement surestimée.

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Aux Etats-Unis, on observe, depuis quelques mois déjà, le phénomène dit  « de la grande démission ». Rien qu’en novembre 2021, quatre millions et demi de personnes ont démissionné aux Etats-Unis. Beaucoup de ces personnes ne quittent cependant pas la vie active, mais changent d’emploi pour profiter de meilleures conditions de salaire et de travail dans des secteurs qui repartent après la pandémie, comme la restauration. Si ces démissions se soldent par une réembauche, l’impact global sur le marché du travail sera neutre. La baisse relativement modeste de la participation au marché du travail (– 2,3 % entre 2020 et 2021) semble indiquer que cela serait le cas.

Cependant, une étude récente suggère que les statistiques officielles sous-estiment largement les tensions sur le marché du travail et que l’offre de travail a bel et bien chuté par rapport à la période prépandémie (« Has the Willingness to Work Fallen During the Covid Pandemic ? », Faberman, Mueller & Sahin, National Bureau of Economic Research).

Changement structurel

L’enquête menée par les trois économistes américains est formelle : les gens veulent désormais moins travailler aux Etats-Unis. En moyenne, les heures de travail désirées ont chuté de 4,6 %, soit deux fois plus que la baisse de la participation au marché du travail. Cela est tout à fait unique dans le cadre d’une récession économique. Généralement, les récessions sont caractérisées par le fait que les travailleurs travaillent moins qu’ils ne le désirent. La récession due au Covid-19 a engendré un phénomène inverse.

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Camille Peugny : « La jeunesse est face à une marée montante de la précarité »

Camille Peugny.

Depuis le début de la crise sanitaire, l’idée d’une jeunesse « sacrifiée » est revenue sur le devant de la scène, sur fond de reportages montrant des étudiants faisant la queue dans les lieux de distribution alimentaire et de débats sur les efforts demandés aux jeunes au nom de la solidarité entre générations. La campagne présidentielle ne semble pourtant pas avoir – encore – fait de cette jeunesse une thématique prioritaire.

Alors qu’on parle souvent à sa place, qu’on multiplie les dispositifs la concernant, qu’elle sert régulièrement de caution pour justifier telle ou telle réforme douloureuse, le sociologue Camille Peugny en dresse le profil et estime dans Pour une politique de la jeunesse (Seuil, janvier 2022, 11,80 euros), que la France n’a, pour l’instant, « aucune politique en direction de la jeunesse ». Il met en avant dans cet ouvrage les inégalités la fracturant et des pistes pour en faire une priorité nationale.

Les jeunes de 2022 sont régulièrement présentés comme plus sensibilisés aux questions de société que leurs aînés. Est-ce vrai ?

Camille Peugny : On dit, en effet, depuis quelques années que cette génération serait porteuse de « nouvelles » valeurs, qu’elle est plus ouverte et tolérante que les précédentes, particulièrement préoccupée par les questions d’environnement, d’égalité entre les sexes, d’ouverture à l’Europe et au monde, etc. Mais l’analyse de la répartition des valeurs par âge ne va pas vraiment dans le sens d’une spécificité des valeurs de la jeunesse. D’abord parce que cette classe d’âge n’est pas homogène. Mais surtout parce qu’on s’aperçoit que la sensibilité aux questions de société est, en fait, relativement semblable parmi les… 18-59 ans.

« La préoccupation pour les questions de société progresse avec le niveau de diplôme »

Le vrai clivage se fait, en réalité, entre cette large classe d’âge et celle des plus de 65 ans, moins préoccupés par ces sujets, voire parfois crispés. Cela n’enlève en rien le possible effet d’entraînement que joue sur la société la petite minorité de la jeunesse, souvent plus diplômée, particulièrement mobilisée sur la question environnementale. La préoccupation pour les questions de société progresse avec le niveau de diplôme, donc pas de manière uniforme dans la jeunesse.

Parler de « la » jeunesse a-t-il encore un sens dans ce contexte ?

Clairement non. Comme les autres classes d’âge, la jeunesse est diverse en termes de statuts, d’origine, de trajectoire sociale et territoriale. Elle est traversée de nombreux clivages liés à des expériences de vie différenciées et des inégalités sociales. Les attitudes et valeurs, l’intérêt porté à la question climatique ou la tolérance à l’égard de l’immigration par exemple, varient selon qu’on est un étudiant, un « décrocheur », un jeune ouvrier, un jeune cadre ou sans emploi, etc.

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