Archive dans 2021

Confrontés à une « crise de vocations », les magasins d’habillement peinent à recruter

Un magasin Zara, à Paris, en mai 2020.

Un coup d’œil sur le moteur de recherche Indeed suffit à saisir l’ampleur de la crise. Des dizaines d’offres d’emploi sont proposées en ligne pour des postes de vendeurs en Ile-de-France. Louis Vuitton, Petit Bateau, Primark, Maje, Fleux, Nike et autres Etam cherchent à pourvoir des contrats de vendeurs en magasins prêts à « veiller à la bonne tenue de la boutique », à « écouter la clientèle » et à « assurer un renfort pour Noël ». Ce sera à temps partiel ou à temps complet, en contrat à durée déterminée ou indéterminée.

La crise ouverte par le Covid-19 en 2020 avait « fait craindre des pertes massives d’emplois dans le commerce », reconnaît Sylvain Lecomte, DRH au sein de Beaumanoir, maison mère des enseignes La Halle, Caroll, Cache Cache et Morgan. Mais, à l’en croire, c’est une « crise de vocations » à laquelle fait face le secteur du commerce de l’habillement depuis l’été. Les candidats manquent à l’appel.

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Bien avant le début de la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement pour juguler sa propagation, la tension se ressentait sur les métiers de « l’informatique ou de la logistique », rappelle Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, fédération de commerçants de l’habillement.

Depuis des années, le basculement du secteur vers la vente en ligne oblige les entreprises à embaucher des profils d’ingénieurs, de spécialistes du Net et d’experts en stockage, transport et service après-vente, très recherchés partout en France. La crise, qui a renforcé l’essor de l’e-commerce, a tendu un peu plus ce bassin d’emplois techniques et a débouché sur une « guerre de talents », comme le formule M. Lecomte. Mais elle a aussi bousculé le recrutement pour des postes dans les sièges sociaux des enseignes au sein de leurs services finances et comptabilité, estime ce dernier. Et, dans les magasins, les populations de candidats sont plus « volatiles », selon ce dernier. Les aspirations des actifs ont changé.

Critères stricts

Les uns et les autres choisissent désormais leur employeur avec des critères stricts. Par exemple, rapporte M. Lecomte, travailler « le samedi jusqu’à 20 heures » en magasin est une contrainte que certains candidats peinent à accepter. Dans les fonctions d’encadrement, la possibilité de travailler à distance est devenue un critère décisif lors de la signature d’un contrat de travail. « En entretien, un candidat m’a demandé la possibilité de télétravailler à 100 % », s’étonne Jean-Jacques Salaün, directeur général d’Inditex en France, qui emploie 10 000 personnes dans l’Hexagone, au sein des magasins Zara, Bershka, Massimo Dutti, Stradivarius, Oysho et Pull & Bear.

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La voiture électrique, meilleure pour le climat, moins bonne pour l’emploi

Le couperet est tombé vendredi 26 novembre sur les 350 salariés de la SAM à Viviez (Aveyron) : le tribunal de commerce a ordonné la liquidation et la disparition du paysage industriel français de la fonderie, qui avait pour unique client Renault. Le drame de la SAM n’est que le dernier avatar de la grande dégringolade de l’emploi automobile qui décime les PME en difficulté du secteur : fonderies, mais aussi entreprises du décolletage ou usines produisant des injecteurs, comme celle de Bosch à Rodez, et plus largement tout ce qui fabrique des pièces pour les moteurs à explosion des véhicules.

Le consensus des spécialistes estime qu’en France, en 2030, environ 70 % des nouveaux véhicules vendus devraient être électrifiés à 100 % ou hybrides. C’est donc bien à un déclin des véhicules dits thermiques et à leur remplacement progressif par des voitures électriques, que l’on assiste.

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Ce bouleversement, ordonné par les régulateurs – européens, nationaux, locaux –, constitue un défi majeur pour l’industrie française. Emetteur de zéro gaz à effet de serre lorsqu’il fonctionne, un moteur électrique contient cinq fois moins de pièces (et donc cinq fois moins de production) qu’un bloc-moteur thermique, sans même compter les systèmes de transmission et d’échappement. Pour le dire en peu de mots, le véhicule à batterie serait bon pour le climat mais mauvais pour l’emploi.

Ainsi, la Plateforme automobile (PFA), l’entité publique qui fédère tous les acteurs de l’automobile dans l’Hexagone, estime que la transition énergétique menace 65 000 jobs dans la production d’ici à 2035. Et ce dans le meilleur des cas. Si l’industrie française ne parvient pas à s’adapter au grand mouvement d’électrification en cours, ce sont plutôt 100 000 emplois industriels qui pourraient disparaître, sur environ 280 000 employés de l’automobile au sens large – constructeurs, équipementiers, pneumaticiens, métallurgistes –, selon un comptage de Nicolas Meilhan, spécialiste de l’économie de la voiture électrique et conseiller scientifique de France Stratégie.

Et il n’est question ici que de la filière amont. Selon le Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), l’organisation patronale qui fédère les entreprises des services autour de la voiture (commerce, garages, location, stations-service, etc.), soit l’aval de la filière, l’électrification du parc menace 50 000 emplois supplémentaires. Les activités à risque sont la réparation (moins de pièces, donc moins de maintenance), le contrôle technique ou la distribution d’énergie, le tout représentant 10 % des jobs du secteur des services automobiles, qui en compte au total 500 000 en France. Des emplois non délocalisables, souligne le CNPA.

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Absences des enseignants : les deux-tiers « proviennent du fonctionnement même de l’éducation nationale », selon la Cour des comptes

Comment améliorer le remplacement des enseignants absents ? Comment garantir aux élèves et à leurs familles la « continuité pédagogique » mise à mal par bientôt deux années de crise sanitaire ? Alors que l’institution scolaire s’organise comme elle peut face à l’arrivée d’une cinquième vague de Covid-19, en faisant le pari de maintenir les classes ouvertes, la Cour des comptes apporte sa pierre au débat public.

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Dans un rapport divulgué jeudi 2 décembre, l’institution de la rue Cambon souffle aux candidats et aux aspirants candidats à l’investiture présidentielle de quoi étoffer des programmes encore à l’ébauche. En posant sa loupe là où on ne l’attendait pas : non pas sur la dispersion du « vivier de remplaçants » ou sur la « crise aiguë du recrutement » – ces dimensions-là, déjà documentées, seront traitées dans un rapport à venir, à l’été 2022 –, mais sur des absences dites « institutionnelles », parce que liées au fonctionnement de l’institution.

Ces absences laissent des « trous » dans les emplois du temps, chaque fois qu’un professeur est appelé par sa hiérarchie à des tâches pédagogiques autres que la présence dans sa classe : participer à un jury d’examen, accompagner une sortie ou un voyage scolaire, prendre part à un stage de formation ou à des réunions pédagogiques…

Un épiphénomène ?

« Absences institutionnelles » : l’expression a l’avantage de couper court au « procès en absentéisme » parfois fait aux enseignants, mais elle ne les satisfait pas pour autant. Ils n’ont de cesse que de rappeler que, dans le métier, tout ne se joue pas dans le face-à-face avec les élèves. Côté parents, c’est autre chose. « Absence au travail » et « absence face aux élèves » sont souvent assimilées, rappelle la Cour, parce que leurs effets sont sensiblement les mêmes pour les enfants : ils voient s’évaporer les heures – voire des jours – de cours.

Un épiphénomène, comparé aux absences stricto sensu – celles justifiées par les enseignants pour raison de santé principalement ? Pas si l’on s’en tient aux chiffres égrenés dans le rapport : en se fondant sur l’année scolaire 2018-2019 et sur les absences de courtes durées non remplacées, la Cour des comptes estime qu’un tiers des heures perdues dans le second degré (2,5 millions d’heures d’absences au total, dont 500 000 seulement de remplacées), s’explique pour des raisons individuelles (justifiées par les enseignants). Les deux tiers restant « proviennent du fonctionnement même de l’éducation nationale », écrit-elle.

Le diagnostic posé sur le « système du remplacement », au fil des pages, est alarmant à plus d’un titre – aussi parce qu’il reprend des constats dressés dans des rapports antérieurs, en 2013 et 2017, comme si rien (ou très peu de choses) n’avait changé depuis. L’antienne est connue : si, dans le premier degré, un remplacement est assuré dans près de 80 % des cas, la situation est plus complexe à gérer dans les collèges et lycées. Là, alors que les absences de plus de quinze jours sont remplacées à 96 %, le ratio plonge pour les plus courtes. Près de 10 % des heures de cours y ont été « perdues », au cours de l’année 2018-2019, principalement du fait d’absences de moins de quinze jours non remplacées. Une tendance à la hausse (+ 24 % par rapport à l’année précédente), souligne la Cour.

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« Sodexo la gloutonne » : le cynisme du capitalisme français

« Sodexo la gloutonne », de Jean Songe (Seuil, 296 pages, 19 euros)

Livre. En 1966, à Marseille, Pierre Bellon débute ses activités dans un hangar à anchois. Pendant une année, au volant de sa camionnette, il sillonne la Canebière et livre des repas sans beaucoup de succès. En 1964, il remporte l’appel d’offres du Commissariat à l’énergie atomique de Pierrelatte (Drôme) pour servir 2 000 repas quotidiens. Ce qui lui garantit la signature d’autres contrats dans la région de Marseille, puis la possibilité de s’étendre ailleurs avant de toucher le jackpot en Guyane où le Centre national d’études spatiales installe une base de lancement de fusées.

Dans Sodexo la gloutonne (Seuil), Jean Songe retrace l’ascension vorace et vertigineuse de cette petite entreprise familiale devenue en cinquante ans le dix-huitième employeur mondial en restauration collective.

La multinationale déployée dans plus de 80 pays gère plus de 17 000 restaurants d’entreprises, mais aussi 5 600 cantines dans les écoles et universités, 4 000 dans les hôpitaux, 3 000 dans les maisons de retraite, sans oublier 1 700 sites miniers et pétroliers, 1 100 bases militaires et 130 prisons. Dans un futur proche, cet empire industriel discret compte bien s’occuper de tous les aspects de la vie d’un milliard de personnes de tous âges.

A travers cette success story, Jean Songe souligne le cynisme du capitalisme français. De la cuisine de 780 mètres carrés où on prépare plus de 7 500 repas quotidiens et la journée de boulot commence à 4 heures du matin au Centre national du football Clairefontaine, villégiature dorée de l’équipe de France, où Sodexo propose une offre unique et modulable ; du site de la plus grande mine de graphite à ciel ouvert du monde au Mozambique, où Sodexo assure la restauration, au personnel et invités VIP du Tour de France, nourris par Sodexo, le lecteur découvre que la conquête se construit grâce à des techniques violentes de management, et sur le dos de travailleurs surexploités.

« Impossible de cuisiner »

Journaliste et auteur de plusieurs romans noirs, Jean Songe évoque également les scandales sanitaires qui ont terni l’image du groupe. En septembre 2012, plus de 10 000 enfants ont souffert de gastro-entérite après avoir contracté un virus niché dans des fraises surgelées importées de Chine. Après avoir nié sa responsabilité, Sodexo a fini par présenter ses excuses aux enfants et à leurs familles puis s’est acquittée de 550 000 euros en bons d’indemnisation.

En 2018, des parents parisiens, alertés par les plaintes de leurs enfants, se plongent sur la fiche technique des plats servis dans les établissements scolaires du 15arrondissement, où la restauration est tenue par une filiale de Sodexo. Ils sont effarés : les allumettes végétales bénéficiant d’un label bio et végétarien sont composées essentiellement d’eau et de sucre que complètent de l’huile, de l’amidon, de la poudre de blanc d’œuf, du concentré de tomate, en tout dix-huit ingrédients issus de poudres.

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« La question du travail du samedi devient un souci » : la grande distribution confrontée à une pénurie de personnel

« Il nous manque cinquante postes d’encadrement et 130 employés, ce qui est colossal, et, lors des entretiens, les gens commencent par parler de RTT, de leur volonté d’avoir leur samedi. C’est ubuesque. » Le constat de ce directeur régional d’un réseau de supermarchés est loin d’être isolé. Depuis la pandémie de Covid-19, de nombreux patrons de la grande distribution peinent à embaucher, tant dans les magasins que dans les services des achats, dans le numérique…

Ainsi, 79 % des dirigeants interrogés par la Fédération du commerce coopératif et associé font état de difficultés de recrutement de nouveaux collaborateurs depuis la crise sanitaire, leur premier critère d’inquiétude devant les délais d’approvisionnements (71 %) et la hausse des matières premières (68 %).

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Dominique Schelcher, le patron de Système U, a déploré que, pour la première fois cet été, l’un de ses hypermarchés de l’ouest de la France a dû fermer son rayon boucherie pendant quinze jours par manque de personnel. « Historiquement, nous avions des tensions sur les métiers de bouche, mais les difficultés de recrutement concernent désormais tous les emplois, constate Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales, de l’emploi et de la formation de la Fédération du commerce et de la distribution. La question du travail du samedi devient, par exemple, un souci que nous n’avions pas avant le Covid. »

« Le télétravail a créé une perception d’injustice car, dans nos métiers, le présentiel est obligatoire. » Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos

Cette problématique de l’emploi dans le commerce et de l’attrait des métiers face à une automatisation croissante est l’un des sujets des Assises du commerce, qui ont commencé mercredi 1er décembre au ministère de l’économie et des finances. Le secteur représente le premier employeur de France, devant l’industrie, avec, selon l’Insee, 3,2 millions de salariés à la fin de 2019, dont plus de la moitié dans le commerce de détail.

« On est un facteur d’insertion très important pour les jeunes, et il ne faudrait pas qu’ils se détournent », a estimé Laurence Paganini, présidente de la fédération pour la promotion du commerce spécialisé Procos et directrice générale de l’entreprise de prêt-à-porter Kaporal, le 26 octobre. « Ce qui a changé, surtout, c’est le développement du télétravail, qui a créé une perception d’injustice, car, dans nos métiers, le présentiel est obligatoire. Et cette problématique dépasse celle du salaire », ajoutait Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos.

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« Tout le monde n’aura pas sa charentaise sous le sapin » : la production française ralentie par des problèmes d’approvisionnement

Christian Coculet, salarié de L’Atelier Charentaises, à La Rochefoucauld (Charente), le 30 novembre 2021.

Christian Coculet assure l’ultime étape de fabrication de charentaises. Celui que ses collègues surnomment « Kiki » est juché sur une chèvre, un outil doté de deux pieds métalliques en forme de cornes, qui lui permet de retourner les chaussons cousus à l’envers. Le geste est sec, réalisé des deux mains.

Dans L’Atelier Charentaises à La Rochefoucauld (Charente), Kiki est l’un des treize salariés qu’Olivier Rondinaud et Michel Violleau ont promis d’embaucher en 2019, lors de la relance de la marque Rondinaud, fondée en 1907. Il dit avoir accepté ce défi à « une condition », celle de pouvoir « en porter une paire » sur son lieu de travail. « Parce qu’en charentaises, on est bien », raconte cet ouvrier de 55 ans.

Depuis, ses pantoufles à motif écossais sont toujours maculées de poussières, de moumoutes de laine et de fils. Car, au sein de cette PME installée dans un ancien garage agricole, les cadences s’accélèrent. La société – elle est déjà rentable – emploie désormais dix-huit personnes et fabrique cinq cents à six cents paires par jour. Le fabricant bénéficie de l’envolée des ventes partout en France, dans les magasins et sur Internet. Les commandes affluent. Celles du Slip français ou du site La Pantoufle à Pépère. Son chiffre d’affaires devrait atteindre 1,5 million d’euros en 2021.

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En France, « après un recul sur ces dernières années », le marché de la savate, de ladite « schloppa », en Alsace, ou de la babouche « s’est réveillé », avec la crise liée au Covid-19, explique Dorval Ligonnière, directeur des études au sein de la Fédération française de la chaussure (FFC). Il a atteint « son plus haut niveau depuis dix ans », selon Hélène Janicaud, responsable des études sur le marché de la mode au sein de Kantar. Les ventes ont progressé de 11 % en 2020, pour atteindre 392 millions d’euros, selon le panéliste. En 2021, elles ont même accéléré. Entre mars et août, elles ont bondi de 25 %, selon la FFC.

« Le retour de la pantoufle, c’est celui du confort »

N’en déplaisent à ceux qui se moquent de ce retour, le phénomène est mondial. Partout, les consommateurs ont acheté des chaussons pour rester à la maison, lors des périodes de confinement de 2020 et de 2021, et glisser leurs pieds au chaud devant leur écran d’ordinateur pour travailler à distance toute la journée.

Aux Etats-Unis, le marché a bondi de 22 % en 2020, puis de 40 % entre janvier et août, selon la société d’études de marché NPD Group.

Les ventes ont progressé de 11 % en 2020. Entre mars et août, elles ont bondi de 25 %, selon la Fédération française de la chaussure

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Accident mortel dans un silo : Cristal Union et son sous-traitant condamnés en appel pour homicides et blessures involontaires

Arthur Bertelli avait 23 ans. Vincent Dequin, 33. Cordistes intérimaires, ils sont morts asphyxiés dans un silo à sucre du groupe coopératif Cristal Union à Bazancourt (Marne), le 13 mars 2012. La cour d’appel de Reims a confirmé, mercredi 24 novembre, le jugement qui, en première instance, avait reconnu l’entreprise, en tant que personne morale, son directeur, Michel Mangion, et son sous-traitant Carrard Services, coupables d’homicides et blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence. Elle l’infirme pour le chef d’établissement de Carrard Services, dont il n’est pas clairement établi qu’il avait reçu une délégation de pouvoir de son directeur régional.

Dans son arrêt, dont Le Monde a pris connaissance, la cour d’appel estime ainsi qu’il y a un « lien de causalité certain entre les manquements aux dispositions légales et réglementaires et le décès des deux victimes et les blessures de la troisième [Frédéric Soulier] ».

Plan d’urgence « gravement lacunaire »

Ce 13 mars 2012, une équipe de six cordistes employés par Carrard Services, dont trois intérimaires (les deux victimes, et le blessé), doit procéder au nettoyage du silo n4, le plus grand de la sucrerie de Bazancourt : une contenance de 25 000 tonnes, 24 mètres de circonférence, 53 mètres de haut.

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Le code du travail prévoit qu’avant toute opération de ce type, les chefs des deux entreprises, celle qui demande l’intervention, et celle qui intervient, procèdent « en commun » à une analyse des risques, et décident du plan pour les prévenir. D’où leur condamnation commune alors qu’elles se renvoyaient la responsabilité à l’audience.

Ce plan de prévention a bien été élaboré. Mais il était, note la cour, « gravement lacunaire ». D’abord parce qu’il l’a été sur la base d’une situation qui ne correspondait pas à celle que les cordistes ont découvert ce matin-là. Et qu’il n’a pas été modifié en conséquence.

Quand ils arrivent, le niveau de sucre dans le silo est plus élevé que prévu. Il dépasse une porte latérale, à 7 mètres de haut, qui devait être ouverte par sécurité. Alors que tous s’étaient préparés à une opération d’écrêtage et de grattage du sucre resté collé sur les parois, avec des cordistes en suspension, la mission qui leur est confiée d’emblée est de dégager cette porte. Pour cela, ils descendent depuis le haut du silo, et travaillent en appui sur le sucre. Tandis que le plan de prévention a pris en compte un risque de chute, les cordistes courent alors principalement un risque d’ensevelissement.

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Assurance-chômage : le dernier volet de la réforme controversée entre en vigueur

La modification du calcul de l’allocation est la mesure-phare de la réforme de l’assurance-chômage, et la plus contestée par les syndicats.

Contestée, reportée, amendée, la réforme controversée de l’assurance-chômage a connu un parcours des plus chaotiques. Presque deux ans après le début de sa mise en œuvre, elle franchit une étape supplémentaire, mercredi 1er décembre, avec l’entrée en vigueur de son dernier volet, durcissant l’accès à l’indemnisation.

La durée minimale de travail pour être indemnisé va passer de quatre à six mois sur les vingt-quatre derniers mois (trente-six mois pour les plus de 53 ans). Cela s’appliquera « aux travailleurs privés d’emploi dont la fin de contrat de travail intervient à compter de cette date », selon l’arrêté publié au Journal officiel. Ce nouveau mode de calcul – qui ne concerne pas les demandeurs d’emploi déjà en cours d’indemnisation – va pénaliser les demandeurs d’emploi alternant chômage et activité, « les permittents ».

Cette mesure, déjà appliquée de novembre 2019 à juillet 2020, avant d’être suspendue par la crise, était soumise à une clause de « retour à meilleure fortune » : une baisse de 130 000 chômeurs sur six mois et 2,7 millions d’embauches de plus d’un mois en cumul sur quatre mois. Ces conditions ont été largement remplies au 1er octobre, avec 239 000 demandeurs d’emplois en moins et 3,28 millions d’embauches, selon le ministère du travail.

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D’après l’étude d’impact de l’Unédic réalisée en avril, ce passage de quatre à six mois conduira au cours de la première année d’application à retarder l’ouverture de droits à 475 000 personnes, notamment des jeunes ou des saisonniers qui multiplient les contrats courts (CDD ou missions d’intérim), souvent avec le même employeur.

Mais pour la ministre du travail, Elisabeth Borne, « le recours aux contrats courts est un phénomène largement indépendant de la conjoncture » et est dû à des « habitudes des acteurs », qu’on peut modifier en jouant sur les paramètres de l’assurance-chômage. « La durée minimale d’emploi ouvrant droit à l’assurance-chômage influence directement la durée des contrats proposés par les employeurs », avait affirmé Mme Borne lors d’une audition en juin au Sénat, ce que ne croient guère les syndicats.

D’après une étude comparative de l’Unédic, la France était, avec quatre mois, l’un des pays les plus généreux en Europe, mais l’organisme paritaire appelle à « la précaution » quant à la comparaison, qui ne doit pas s’effectuer sur un seul paramètre d’indemnisation.

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Dégressivité des allocations durcie

Conformément à la même clause de « retour à meilleure fortune », la dégressivité des allocations est durcie pour les salariés de moins de 57 ans qui avaient un revenu du travail supérieur à 4 500 euros brut par mois (soit environ 3 500 euros net). Depuis le 1er juillet, cette dégressivité de 30 % s’appliquait à partir du neuvième mois (soit mars 2022 en pratique). Elle le sera désormais au bout du septième mois.

Cette mesure, qui concernera moins de monde (60 000 personnes en 2022, selon l’Unédic) est jugée « démagogique » et « inefficace » par le syndicat des cadres CFE-CGC, en pointe sur le dossier. « La France est un des seuls pays à être aussi généreux pour les hauts salaires en matière d’indemnisation », répond Elisabeth Borne.

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Le Conseil d’Etat n’avait, dès novembre 2020, rien trouvé à redire, ni sur la dégressivité ni sur l’ouverture des droits, jugeant légitime pour l’Etat de fixer des seuils, au grand dam des syndicats. Ceux-ci attendent encore, mais sans grand espoir, la décision sur le fond, lors des prochains jours, de la plus haute juridiction administrative quant à la réforme du calcul de l’allocation-chômage. Mais, étant donné que la rapporteuse publique a rejeté les arguments syndicaux lors de l’audience publique, Denis Gravouil (CGT) reconnaît que « c’est mal barré ».

Deux mois après l’entrée en vigueur de cette mesure, Pôle emploi n’a pas communiqué de chiffres concernant les demandeurs d’emploi concernés par celle-ci, dont les effets ne vont se faire sentir que très progressivement. « Pour l’instant, on n’a pas de retour au niveau des usagers. On en aura peut-être en décembre/janvier. En interne, ça coince un peu pour notre système informatique et les conseillers indemnisation, qui doivent jongler avec plusieurs règles de calcul », explique David Vallaperta, représentant CFDT au CSE central de Pôle emploi.

Selon l’Unédic, la réforme globale de l’assurance-chômage devrait engendrer des moindres dépenses, d’environ 1,9 milliard en 2022, puis 2,2 milliards en 2023.

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Le Monde avec AFP

En montagne, les saisonniers se font désirer

Des skieurs lors du week-end d’ouverture de la station de Porté-Puymorens (Pyrénées-Orientales), le 20 novembre 2021.

Réceptionniste, serveur, chef de cuisine, vendeur de produits régionaux ou d’articles de sport, pharmacien, agent technique, skiman, chauffeur, concierge, employé de ménage, conseiller en séjour, animateur jeunesse, plongeur, glacier pour la piste de bobsleigh, magasinier, valet de chambre, animateur sportif, boulanger, esthéticienne, praticienne spa, pizzaïolo, veilleur de nuit, agent d’aide au stationnement, manageur de chalet, sommelier.

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Il faut de tout pour faire une station et, à quelques jours de l’ouverture, elles manquent de tout. A Courchevel, où le plus grand domaine skiable du monde, Les Trois-Vallées, ouvre ce samedi 4 décembre, le site de recrutement de la mairie recensait, quatre jours plus tôt, pas moins de 229 annonces.

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Employeurs et municipalités évaluent de 5 à 10 % la part de postes encore non pourvus. « Ça a été très laborieux, très compliqué, explique Jean-Luc Boch, maire (LR) de La Plagne et président de France Montagnes, qui regroupe les acteurs de l’industrie des sports d’hiver. Le passe sanitaire et l’incertitude sur l’ouverture des remontées mécaniques sont entrés dans l’équation. Et l’effet psychologique de la crise aura des conséquences durables. »

« Difficultés sans précédent »

Les stations de sports d’hiver n’échappent pas à la pénurie de main-d’œuvre qui gagne de nombreux secteurs. Cette économie saisonnière propose en quasi-totalité des contrats courts et mal rémunérés et des journées bien remplies, contre la promesse d’une vie extraprofessionnelle riche en rencontres et sensations fortes.

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Environ la moitié des postes sont dans l’hôtellerie-restauration, où les difficultés de recrutement sont structurelles. Nicolas Chatillon, directeur du groupe d’hôtels et chalets haut de gamme Les Etincelles, note des « difficultés sans précédent à attirer des saisonniers dotés d’une expertise et d’expérience », avec la fuite de certains habitués vers d’autres destinations où la saison touristique semblait initialement moins compromise. « Mais, depuis deux semaines, la demande revient », nuance-t-il.

Après une saison sans remontées mécaniques et un monde du travail chamboulé par le Covid-19, les difficultés se sont étendues à d’autres secteurs. La commune de La Plagne, par exemple, a eu des difficultés à recruter pour sa police municipale, sa régie de transports ou ses crèches.

La quasi-totalité des contrats proposés sont logés et les postulants sont désormais en mesure de poser quelques exigences

Sur les groupes Facebook de saisonniers, les candidats ne restent pas longtemps sans réponse. Les propositions pleuvent, du petit restaurant à la chaîne de sport en passant par les grands groupes comme Village Vacances France (VVF) ou le Club Med, dont les comptes officiels se glissent dans les commentaires Facebook. La quasi-totalité des postes proposés sont logés − pas forcément sur place − et les postulants sont désormais en mesure de poser quelques exigences.

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Les logiciels recruteurs écartent des millions de candidats à l’emploi aux Etats-Unis

Vingt-sept millions de travailleurs oubliés : de personnes sous-employées, ou tout simplement au chômage. C’est le nombre « de travailleurs cachés » aux Etats-Unis que met en lumière, une récente étude réalisée par le professeur Joseph Fuller, de la Harvard Business School, avec les experts consultants du groupe Accenture. En ces temps de reprise économique d’après-Covid et de montée en puissance des offres d’emploi non satisfaites, l’énormité du chiffre choque.

Surtout que le phénomène ne se limite pas aux frontières de l’Amérique. L’enquête s’appuie sur un sondage auprès de 8 000 « travailleurs oubliés » et de 2 250 dirigeants américains, anglais et allemands. Quand les employeurs multiplient les marques de bonne volonté, bonus et flexibilité de l’offre à l’appui, il est étonnant qu’un tel volume de personnes qualifiées échappe à leurs radars. Et pourtant, c’est bien le cas : 88 % des employeurs reconnaissent que des tas de candidats tout à fait valables sont éliminés par leurs services de recrutement.

Pourquoi cette déperdition massive ? Une partie de la réponse se trouve dans le recours aux logiciels ! Ceux qu’on appelle ARS (Automated Recruiting System) et RMS (Recruiting Management and Marketing System). Ces logiciels sont censés faciliter la migration des offres d’emploi sur Internet. Les petites annonces en ligne doivent permettre de toucher un public plus vaste et de diversifier les réponses. De fait, souligne l’étude du professeur Fuller, une offre attirait en moyenne 120 candidatures au début de la décennie 2010, quand aujourd’hui 250 amateurs se précipitent.

Critères « irréalistes »

Les logiciels dernier cri, équipés d’intelligence artificielle et de machine learning, accompagnent le processus sur toute la longueur, de la description du poste à la sélection des postulants… Et c’est là que les « talents inexploités » disparaissent, car, explique le professeur, « ce ne sont pas des candidats parfaits ».

Lorsque les recruteurs incorporent dans l’offre d’emploi les qualifications essentielles nécessaires, ils incluent trop souvent des critères « pas fous, mais irréalistes », souligne M. Fuller. Le candidat ayant un trou de plus de six mois dans son CV passe automatiquement à la trappe. Celui qui n’a pas de diplôme universitaire le suit de près, tout comme le repris de justice. Ces filtres éliminent automatiquement des candidats qualifiés pour un poste ne nécessitant pas d’études supérieures.

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Le logiciel se débarrasse également de la jeune mère ayant pris quelques mois pour s’occuper de son bébé, ou du salarié expérimenté qui a soigné un parent malade. Puis « certains recruteurs ont des demandes extrêmes, poursuit-il. L’infirmière, par exemple, doit être capable d’inscrire les informations du patient dans l’ordinateur. On veut alors qu’elle sache programmer. Il y a aussi le cas de l’installateur de télé câblée, Internet et téléphone. Son employeur aimerait qu’il vende des services complémentaires… on exige un diplôme en marketing. »

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