Archive dans juin 2021

Fuite massive des données de salariés chez Decathlon

« Mis au courant du problème le 12 avril, Decathlon a fait fermer la plate-forme de stockage le 14 avril et a entrepris une analyse d’impact. »

Après Facebook, LinkedIn et consorts, c’est au tour de l’enseigne de sport française Decathlon de rejoindre la longue liste des entreprises accusées d’avoir laissé fuiter des données. Sur son blog, la société de cybersécurité VpnMentor révèle que des informations personnelles d’employés de Decathlon insuffisamment protégées se sont retrouvées exposées sur le web.

Recueillies dans le cadre d’un projet d’intelligence collaborative impliquant 92 000 collaborateurs, clients et partenaires, ces données étaient conservées dans un espace de stockage géré par Bluenove, un prestataire de l’enseigne de sport. Dans le cadre d’un « piratage éthique » visant à détecter des données laissées en libre accès par leur propriétaire, ces informations ont pu être consultées sans difficulté par les équipes de VpnMentor. Selon leurs constatations, Bluenove n’avait pas suffisamment sécurisé l’accès au serveur contenant ces informations.

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Les fichiers récupérés par VpnMentor contenaient les réponses de 193 salariés au sondage. Mais aussi des informations personnelles de collaborateurs et de clients, sans lien apparent, tels que des noms, des numéros de téléphone et des mails. Autant d’informations dont des pirates auraient pu s’emparer à des fins de fraude ou d’attaque par le biais d’un virus, note VpnMentor. Au total, ce sont les données de pas moins de 7 883 personnes qui se sont retrouvées exposées. La société de cybersécurité estime que près de 10 % de l’effectif de Decathlon est concerné par cette faille.

Déjà en 2020

« En combinant les données personnelles, les informations tirées du sondage et d’autres détails exposés, des pirates auraient pu monter des campagnes d’hameçonnage par mail et par téléphone très efficaces, en se faisant passer pour Bluenove ou Decathlon », note l’équipe de VpnMentor dans son compte rendu. Des campagnes qui leur auraient permis de soutirer à leurs victimes d’autres données sensibles, telles que leurs informations bancaires.

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Ce n’est pas la première fois que Decathlon se voit pointé du doigt dans une histoire de ce genre : VpnMentor, qui s’est fait une spécialité de débusquer les potentielles fuites de données, avait déjà mis en lumière une affaire similaire, impliquant majoritairement des salariés espagnols de l’enseigne de sport, en février 2020. Numéro de Sécurité sociale, de téléphone portable, informations sur les contrats de travail des salariés… Suite à la faille d’un serveur, ces informations hautement sensibles s’étaient retrouvées à la portée de n’importe quel pirate.

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A la ferme XXL de la Motte de Talcy, « sans les saisonniers Bulgares, pas de bio »

La ferme de la Motte produit 30 000 tonnes par an de pommes de terre et de condiments pour la grande distribution. Ici, en juin 2013.

Salopette bleue et pommettes roses, Vasil s’avance, sa sarcleuse en main. Il observe l’horizon, puis sourit : « Il y a beaucoup de travail ! Nous sommes là trente jours. Après, nous allons à Sancerre [dans le Cher]. Puis en Grèce, en Italie ou au Portugal, on verra. » Avec une cinquantaine de camarades, hommes et femmes, oncles et cousines, il a fait le voyage de Bulgarie pour redonner de l’allure à un vaste champ d’oignons bio recouvert d’herbes folles après deux semaines de pluie.

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Ce champ fait partie des 1 300 hectares exploités par la ferme de la Motte, installée à Talcy (Loir-et-Cher), devenue une institution en Beauce ligérienne, aussi célèbre que ce château du XVIe siècle à deux pas. La raison de sa notoriété : la ferme et ses 30 000 tonnes de production annuelle alimentent toutes les grandes surfaces françaises de ses pommes de terre bio ou de ses condiments (oignon, ail, échalote) en culture conventionnelle ou biologique, sous les marques des différentes enseignes.

« Le bio, c’est à présent 60 % de notre chiffre d’affaires pour seulement 35 % de nos volumes, se félicite Bertrand Lemaire qui gère la ferme avec ses deux frères et deux de ses cousins. Il y a encore quatre ans, on ne faisait pas d’oignon rouge car il n’y avait pas de variété résistante à nos aléas météo. On achetait notre bio en Hollande, en Espagne, en Italie et on le revendait. Cette année, toutes nos gammes de produits poussent à 75 % en France, c’est quand même énorme ! »

Pas de main-d’œuvre locale

Plantation, désherbage, récolte, épluchage, nettoyage, séchage, conditionnement, vente, stockage ou chargement des camions rythment les journées de cette ferme-usine, aux 300 salariés, sans compter les saisonniers, des Bulgares donc, « hébergés ici, payés au smic, en salaire français », insiste M. Lemaire qui se désole de ne plus trouver de main-d’œuvre agricole locale. « Je suis aussi allé dans les ZUP d’Orléans et Châteaudun pour recruter. Mais personne ne veut travailler un samedi pour ramasser des échalotes, quelle que soit la paie. Dans le bio, il faut beaucoup plus de monde que dans le conventionnel et à des jours précis, sinon tu ne ramasses rien. Sans Bulgares, pas de bio. »

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Impressionné par une récente visite, François Bonneau, le président PS de la région Centre-Val de Loire et candidat à sa réélection, reconnaît une ferme « complémentaire des petites exploitations en circuit court et à l’effet levier : elle accélère la transition écologique, en incitant les agriculteurs beaucerons tout autour à s’y mettre ». Lesquels se voient offrir des contrats de trois ans, à volumes et prix fixes, pour alimenter les commandes en bio de la Ferme de la Motte. Soixante-dix ont déjà signé.

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Les salariés d’Office Depot redoutent la reprise par Alkor, décidée par le tribunal de commerce

La décision du tribunal de Lille, jeudi 3 juin, de choisir le groupe Alkor pour reprendre la marque et le réseau de magasins d’Office Depot, n’a pas apaisé les inquiétudes des salariés du spécialiste de matériel et de fournitures de bureau, placé sous sa protection depuis le mois de février. Pour Sébastien Fournier, secrétaire général UNSA, c’est même « un carnage social, 1 000 salariés licenciés malgré deux années de combats pour éviter cette catastrophe, provoquée par notre actionnaire allemand Aurelius. Et tout cela sous les yeux du gouvernement, malgré nos alertes répétées ».

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L’enseigne de distribution, qui emploie près de 1 500 salariés, avait initialement suscité quelque treize offres de reprise, dont celles de Monoprix-Franprix, Top Office, Lidl ou le discounter Maxxilot. La plupart ne souhaitant reprendre que quelques magasins. Si bien que, sur la ligne d’arrivée, il restait peu de véritables prétendants pour reprendre cette entreprise, qui exploite 60 magasins, des sites de commerce en ligne ainsi que trois entrepôts et 22 plates-formes de distribution.

Le projet soutenu par les syndicats était mené par l’actuel président d’Office Depot France, nommé en mars 2019 et spécialiste du redressement d’entreprise, Guillaume de Feydeau. Mais il péchait par la fragilité de son financement. L’affaire a donc été remportée par un spécialiste de la papeterie et des fournitures de bureau en France qui se décrit comme réalisant « 440 millions d’euros de chiffre d’affaires » et employant « 1 850 salariés qualifiés avec un réseau de distribution sur toute la France porté par les marques commerciales Majuscule, Burolike et Ioburo ».

Inquiétude depuis plusieurs années

L’entreprise, créée en 1958 et organisée sous forme de coopérative comprenant 157 associés, s’est engagée à reprendre 460 salariés d’Office Depot de la branche distribution, et à proposer « également des emplois à 370 collaborateurs » dans les fonctions commerciales, informatique et support « avec une priorité à l’embauche maintenue pendant deux ans. Au total, cela permet de sauver 830 emplois », a annoncé Alkor, jeudi, dans un communiqué. Précisant également qu’il financerait « à hauteur de 23,2 millions d’euros l’apurement du passif d’Office Depot ».

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Depuis plusieurs années, l’inquiétude grandissait au sein de l’entreprise. Depuis qu’en 2016, les activités européennes d’Office Depot (environ 6 500 personnes dans 14 pays) avaient été vendues par l’enseigne américaine, après l’échec de sa tentative de fusion avec son concurrent Staples. Leur nouvel actionnaire, Aurelius Group, avait déjà fait plusieurs victimes en France : la société de vente par correspondance La Source (ex-Quelle), le groupe de chimie pharmaceutique Isochem, la société Prisme, l’imprimeur du Loto…

Et lorsque des difficultés de trésorerie ont commencé à apparaître au sein de l’entité française d’Office Depot, les syndicats sont montés au créneau, soupçonnant le nouvel actionnaire de vouloir siphonner l’entreprise. Le dossier était même remonté jusqu’au Comité interministériel de restructuration industrielle pour tenter, fin 2020, d’aboutir à une solution avec Aurelius et la direction française.

Deux salariés d’un sous-traitant d’un hôtel Ibis des Hauts-de-Seine obtiennent leur intégration

Deux salariés d’un sous-traitant dans le nettoyage vont être internalisés au 1er août au sein de l’hôtel Ibis du centre de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), s’est félicité jeudi 3 juin le syndicat CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques).

La signature de l’accord prévoit notamment l’augmentation du temps de travail des deux employés, une femme de chambre et un valet de chambre. Celui-ci a même obtenu l’assurance de se voir proposer « un temps complet dès que le taux d’activité le permettra », précise le communiqué de la CGT-HPE.

Selon le syndicat, cette annonce survient au bout d’une seule journée de grève et met ainsi fin à la sous-traitance dans cet établissement de 53 chambres, rénové en 2017. Contactés par l’Agence France-Presse, ni le groupe ni la direction de l’hôtel n’ont donné suite.

A l’Ibis Batignolles, des améliorations mais pas d’internalisation

Le 25 mai, dans l’hôtel voisin Ibis Batignolles, 20 salariés en grève depuis juillet 2019 et également défendus par la CGT-HPE ont signé des accords visant à améliorer leurs salaires et leurs conditions de travail. Ils concernent pour l’essentiel des femmes de chambres travaillant pour un autre sous-traitant. Mais celles-ci n’ont en revanche pas obtenu comme elles le demandaient d’être internalisées au sein du groupe Accor, propriétaire de l’hôtel.

Ces dernières années, cet établissement parisien de plus de 700 chambres, le deuxième plus grand Ibis de France, est devenu par cette lutte l’emblème des conditions de travail dégradées des femmes de chambre du fait du recours massif à la sous-traitance.

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Le Monde avec AFP

Le Medef condamné aux prud’hommes pour « licenciement vexatoire »

Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, le 18 mai, à Paris.

On ne badine pas avec le droit du travail. Si le Medef semble l’avoir oublié à l’occasion d’un litige, le conseil de prud’hommes de Paris vient de le rappeler à ses obligations. Le 13 avril, l’organisation patronale a été condamnée à verser un peu plus de 65 000 euros à un ancien salarié, dont 10 000 euros pour « licenciement brutal et vexatoire », comme l’indique le jugement, révélé par Le Canard enchaîné du mercredi 2 juin et que Le Monde s’est procuré.

Pierre-Yves Lavallade est embauché en septembre 2016 par le Medef comme directeur du pôle des fédérations professionnelles. Un an après, il devient chef de cabinet « au sein de la présidence » du mouvement d’employeurs, alors dirigé par Pierre Gattaz. En juillet 2018, ce dernier cède son fauteuil à Geoffroy Roux de Bézieux.

Commence alors « la “descente aux enfers” pour [M.] Lavallade » : « Il se trouve isolé, exclu des prises de décisions importantes, à tel point qu’il n’est plus en mesure d’assurer ses fonctions », à en croire la plaidoirie de son avocate, résumée dans le jugement. Le 31 août 2018, il est convoqué à un entretien préalable à un licenciement, prévu pour le 12 septembre. Mais il prévient qu’il ne pourra pas s’y rendre, étant à cette date en arrêt-maladie « pour état anxieux important ». S’ensuit, peu après, une lettre recommandée de l’organisation patronale dans laquelle elle lui notifie la rupture de son contrat de travail pour « faute grave ». Une procédure justifiée par le fait que le chef de cabinet a « volontairement et brusquement cessé d’exercer ses missions », d’après l’argumentaire de l’avocat du Medef, développé à l’audience.

« Aucun élément probant » pour les juges

Les juges ont considéré que ces « reproches » n’étaient étayés par « aucun élément probant » : dès lors, il n’y a ni « faute grave » ni « cause réelle et sérieuse » à cette séparation. Ils ont également estimé qu’il fallait dédommager le préjudice spécifique, lié aux « circonstances » de la rupture : M. Lavallade a été flanqué à la porte alors qu’il se trouvait en arrêt-maladie et bien que son travail ait reçu les « félicitations » de M. Gattaz. En outre, le nom de son successeur avait été annoncé « publiquement et très largement le jour même du prononcé de son licenciement » alors que « lui-même n’en était pas informé », rapporte le conseil de prud’hommes, dans son jugement.

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« Le Nouveau contrat social » : l’entreprise, moteur d’un néocapitalisme

Livre. Avec la pandémie, les entreprises se sont retrouvées au premier rang dans la lutte contre le coronavirus. Les filières agroalimentaire et pharmaceutique, la distribution et les transports nous ont rappelé leur place stratégique. « Il y a là une novation historique de grande portée. C’est la première fois que le pouvoir de l’Etat est relayé, en temps de paix, par le pouvoir des entreprises », notent Christian Pierret et Philippe Latorre dans Le Nouveau Contrat social (Le Bord de l’eau).

« Le Nouveau contrat social. L’entreprise après la crise », de Christian Pierret et Philippe Latorre. Editions Le Bord de l’eau, 210 pages, 18 euros.

D’après les auteurs, cet ébranlement est fondateur d’un nouveau capitalisme, « tout aussi financier mais plus soutenable, tout aussi concurrentiel mais plus régulé, tout aussi tourné vers la croissance mais à moindre peine des hommes. » L’entreprise peut être le moteur de la transformation du capitalisme. L’ouvrage défriche cette voie originale.

Lorsqu’il a fallu rattraper en urgence le retard de l’Etat à trouver des masques de protection personnelle, ce sont les petites mains anonymes et volontaires de couturières et des PME de l’habillement qui ont fabriqué les dispositifs nécessaires.

Défauts et raideurs idéologiques

L’agilité remarquable de groupes d’hommes et femmes a réussi à combler en quelques semaines le vide industriel de la sixième puissance industrielle du monde, devenue un pays de pénurie d’appareils médicaux tels que les respirateurs. La PME française MakAir a ainsi réussi, en un mois, à regrouper partenaires publics et privés, de grands groupes industriels, des universités, deux régions pour concevoir, développer et produire en urgence les appareils pour sauver des vies.

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Il faut bien s’entendre sur l’interprétation de ces deux exemples, soulignent l’avocat et administrateur de jeunes entreprises innovantes et le cofondateur d’un fonds destiné aux PME françaises : il serait stupide de vouloir ignorer l’histoire républicaine et se passer de l’Etat, des entités publiques, des services publics qui, dans tout lendemain de crise, se révèlent indispensables au fonctionnement normal de notre pays.

Il ne s’agit pas non plus de porter aux nues l’entrepreneuriat privé qui n’est pas sans défauts ni raideurs idéologiques. « Pour nous, il est indispensable de considérer Etat et entreprises comme deux pôles complémentaires et non, comme la tradition française l’a établi, comme deux adversaires ou concurrents. Chaque entité doit bénéficier des fonctions opérationnelles de l’autre et leur coopération devrait être la règle. »

Partage du pouvoir et de capital

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« Je vais reprendre le travail la tête haute, j’ai eu mes droits » : Rachel Kéké et Sylvie Kimissa, salariées du nettoyage

Sylvie Kimissa, 50 ans, et Rachel Kéké, 47 ans, à Chevilly-Larue (Val-de-Marne), le 28 mai 2021.

Elles n’en reviennent toujours pas de cette nuée de journalistes, de micros et de caméras venue les accueillir à leur sortie de l’Hôtel Ibis Batignolles, à Paris, mardi 25 mai. Le genre de cohue qu’on réserve habituellement aux vedettes ou aux ministres, mais pas aux femmes de chambre… Voilà pourtant ces invisibles dans la lumière, célébrant, poing levé, leur victoire contre le groupe Accor et son sous-traitant du nettoyage STN, au terme de vingt-deux mois de conflit.

Quelques jours plus tard, Rachel Kéké, 47 ans, nous accueille dans son appartement d’un quartier populaire de Chevilly-Larue (Val-de-Marne) avec Sylvie Kimissa, 50 ans, sa collègue. C’est ensemble qu’elles ont mené cette lutte. « On est épuisées, mais c’est pour la bonne cause ! » Le compte WhatsApp de Rachel Kéké déborde de « Bravo ! » « Tu te dis : c’est vraiment nous qui avons fait ça ? En Afrique, si tu revendiques tes droits, on te licencie ou tu te fais chicoter [embêter] par la police ! La France m’a beaucoup appris. »

Des enfants au pays, des déménagements

Les deux femmes ont choisi de nous recevoir « en tenue traditionnelle ». Rachel Kéké, aujourd’hui Française, est née en Côte d’Ivoire. Elle est arrivée en France à 26 ans, en 2000, après le coup d’Etat militaire qui a renversé Henri Konan Bédié. « On était traumatisés. Et puis, là-bas, tu attends l’Europe, tu veux découvrir un pays développé» Coiffeuse, elle vient travailler dans le salon de son oncle qui l’héberge un temps à Paris.

Sylvie Kimissa, 50 ans, a une carte de résident de dix ans. Elle a quitté le Congo-Brazzaville, où elle était employée dans un taxiphone, en 2009. Son mari la fait venir en Italie. Mais le couple se sépare rapidement. Elle rejoint alors sa sœur à Beauvais, dans l’Oise.

« A la fin de ma première journée, j’ai failli abandonner… Et puis tu penses à l’avenir de tes enfants et tu reprends courage. » Rachel Kéké

Rachel Kéké et Sylvie Kimissa ne se connaissent pas encore, mais elles partagent le même cheminement erratique de vie. Elles ont laissé des enfants au pays, un fils pour Rachel, deux filles pour Sylvie. Leurs premières années en France sont précaires, rythmées par les déménagements chez des proches d’un bout à l’autre de l’Ile-de-France.

Elles sont nounous, caissières… « Mais, pour une maman, les horaires sont compliqués. Et tu n’as pas de quoi payer quelqu’un pour s’occuper de tes enfants », confie Rachel Kéké, qui en a eu quatre d’un deuxième mari, dont elle s’est séparée. Elle s’est remariée depuis. Sylvie Kimissa a aussi refait sa vie et s’est installée avec son compagnon et leur fils, 10 ans aujourd’hui, à Bondy (Seine-Saint-Denis).

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A Wall Street, la « génération pandémie » est à bout de souffle

C’est sur Twitter que l’alerte a été lancée au mois de mars. Treize jeunes banquiers de Goldman Sachs étaient au bord de la crise de nerfs. Depuis le début de l’année, ils travaillaient en moyenne 98 heures par semaine, dormaient 5 heures et ne se couchaient pas avant 3 heures du matin.

Les juniors ont imité une présentation à la Goldman Sachs, pleine de statistiques. Sur une échelle de 1 à 10, ils ont auto-évalué leur santé mentale à 2,8 ; leur bien-être physique à 2,3 ; et ont finalement estimé leur degré de satisfaction au travail à 2. « A un certain moment, je ne mangeais plus, je ne me douchais plus, je ne faisais rien d’autre que travailler », témoigne l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat. « J’ai connu l’orphelinat, dit un autre, c’est pire. » « C’est inhumain », ajoute un collègue, tandis que son camarade de souffrance avoue avoir des « idées sombres ».

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La complainte des débutants de Wall Street n’est pas nouvelle. Pour de nombreux observateurs des prestigieuses institutions financières de la place, elle rappelle le drame de 2013, lorsqu’un jeune stagiaire de Merrill Lynch à Londres, âgé de 21 ans, est mort d’épuisement.

« Finie la camaraderie »

Huit ans plus tard, rien n’aurait changé ? « Le Covid leur a donné encore plus de travail », affirme Daniel Beunza Ibanez, professeur de l’école de commerce de la City University of London. Cet expert en finances suit l’évolution du métier depuis plusieurs années. En pleine crise, les banques n’ont pas embauché et en demandent toujours plus aux débutants, censés préparer les dossiers de fusions-acquisitions ou d’introductions en Bourse… de leurs supérieurs.

Cette part du travail préliminaire n’a cessé d’augmenter. « Le banquier expérimenté s’est retrouvé à la maison. Plus de voyage, plus de bureau, raconte Karen Ho, anthropologue de l’université du Minnesota. Que faire de son temps libre ? Utiliser son [fichier rotatif] Rolodex, enchaîner les réunions sur Zoom et proposer de nouvelles affaires à ses clients. » Les petites mains qui interviennent en amont ont dû assurer depuis chez elles et réagir vite quand leur chef ou le client a réclamé des éclaircissements. D’où le supplément de travail, sans les à-côtés d’autrefois, qui rendaient la besogne plus acceptable. « Finies les soirées avec le patron quand un dossier se referme, les taxis gratuits, les sorties golf, la camaraderie entre jeunes banquiers », détaille M. Beunza Ibanez.

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« Depuis cinq ans, l’usine sidérurgique Ascoval survit au sort funeste qui lui est promis »

Dans l’usine de Saint-Saulve (Nord), en mai 2019.

Pertes et profits. Evêque d’Amiens à la fin du VIe siècle, saint Saulve a parcouru son diocèse en promettant la vie éternelle à des ouailles encore séduites par le paganisme. Le saint sauveur (Salve), saura-t-il arracher à la mort, la principale industrie de la ville du Nord qui porte désormais son nom ? Depuis cinq ans, et l’annonce de sa disparition, l’usine sidérurgique Ascoval survit au sort funeste qui lui est promis. Depuis la fin avril 2021, la banque Rothschild s’active pour lui trouver un nouveau repreneur après la déconfiture de son propriétaire actuel, le groupe britannique Liberty Steel. Le Financial Times cite ArcelorMittal, l’allemand Saarstahl et l’italien Bertrame comme candidats.

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En 2019, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait pourtant cru pouvoir refermer pour longtemps ce dossier qui le poursuivait depuis son arrivée au ministère. « C’est une jolie fin », avait-il lâché, soulagé, à l’occasion de la vente de l’usine. Trop heureux d’en finir avec ce casse-tête symbole, avec ses 280 ouvriers, de la désindustrialisation inéluctable de la France, il n’avait pas porté trop d’attention aux cassandres qui soulevaient la fragilité financière de ce nouvel acquéreur.

Insuffisamment compétitive

Pourtant les précédents ne plaidaient pas pour une issue sereine. Créé en 1975 par le fabricant de tubes Vallourec, celui-ci annonce sa fermeture dès 2016, car lui aussi cherche à sauver sa peau et se déleste des actifs les plus coûteux et les moins compétitifs. Il lâche une activité sidérurgique insuffisamment compétitive face aux géants comme ArcelorMittal ou ThyssenKrupp. Face au tollé et à la mobilisation de ses salariés, des repreneurs sont trouvés. Ils s’appelleront Ascometal (qui donnera le nom Ascoval), puis Altifort, et enfin British Steel. Tous feront faillite quelques mois après la reprise de l’usine. Finalement, Liberty Steel n’échappera pas à la malédiction. Pas encore en faillite, mais ruiné par l’effondrement de son financier Greensill, il met en vente ses nombreux actifs français, dont Ascoval et l’usine sidérurgique d’Hayange.

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Ces deux-là ont destin lié depuis que, pour sauver Ascoval, on a demandé à Hayange, fabricant de rails pour le ferroviaire, de passer commande de ses barres d’acier à l’entreprise de Saint-Saulve. Déjà en 2019, à l’occasion du choix de British Steel, l’Etat avait repoussé des candidats sérieux, dont Arcelor, car ils voulaient bien d’Hayange, mais pas d’Ascoval. De même, Liberty Steel a décroché le morceau un an plus tard en acceptant de reprendre les deux entreprises.

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