Archive dans mars 2021

Cecilia Garcia-Peñalosa : « La réintégration des femmes sur le marché du travail doit être un aspect fondamental des plans de relance »

Tribune. Au cours du XXsiècle, malgré leurs effets dévastateurs, les guerres et les récessions ont fait avancer l’égalité entre les femmes et les hommes dans les pays à haut revenu : le départ des hommes au front a généré un manque de main-d’œuvre, poussant entreprises et gouvernements à faire appel au travail des femmes en dépit des normes sociales en vigueur à l’époque. Ainsi, des femmes éduquées pour devenir mères et épouses se sont retrouvées livreuses de charbon, conductrices de camion, ouvrières industrielles, et cryptanalystes.

Au retour des hommes, la plupart d’entre elles sont retournées au foyer. Mais ces expériences ont montré que le travail féminin pouvait être aussi valable que celui des hommes. Elles ont laissé envisager aux pères et époux qu’il était possible d’avoir une activité en dehors de la maison en restant « respectable », et, par-dessus tout, elles ont transformé à jamais les aspirations des femmes.

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Si les guerres ont créé des occasions pour les femmes de travailler, les crises du XXe siècle ont engendré du besoin. Le concept de « travailleur supplémentaire », développé par le statisticien russe Wladimir Woytinsky (1885-1960), selon lequel la femme ne travaille que lorsque le ménage a besoin d’un revenu supplémentaire, explique l’augmentation de l’emploi des femmes mariées après la crise de 1929.

Jusqu’aux années 1920, les femmes qui travaillaient en dehors de la maison étaient jeunes et célibataires, et la norme sociale exigeait que, une fois mariées, elles quittent ces emplois pour se consacrer à leur famille. Le krach boursier de 1929 va questionner ces comportements.

Maintenir les revenus du foyer

L’effondrement du système financier secoue le secteur industriel, dont la production va chuter à tel point que le taux de chômage des hommes est multiplié par trois au moins selon les pays. Dans ce contexte, leurs épouses tentent de maintenir les revenus du foyer en cherchant un travail, et l’industrie va les accueillir à bras ouverts : une femme pouvait, à l’époque, être payée bien moins qu’un homme pour le même travail, ce qui a permis une réduction des coûts en temps de crise. Les femmes ont ainsi accédé à des métiers jusque-là inaccessibles pour elles.

Ce type de mécanisme, présent dans la plupart des récessions du XXe – car le chômage a toujours touché principalement les hommes, notamment les cols bleus –, a été particulièrement important lors de la « Grande Récession » : quand la crise mondiale frappe en 2008, la situation des femmes dans les pays à haut revenu est bien différente de celle de 1929. Elles sont aussi éduquées que les hommes et représentent autour de 45 % des emplois.

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« Il n’y a pas de leadership “au féminin”, le prétendre, c’est nourrir les stéréotypes sexistes »

Tribune. Je fais un pari facile : à l’approche de la Journée internationale du droit des femmes, lundi 8 mars, vont refleurir les propos lénifiants sur les dirigeantes d’entreprises et les habituelles rengaines sur le fait que les sociétés dirigées par des femmes délivreraient de meilleures performances, parce que managées sur la base des soft skills qu’on leur attribue généralement : fort quotient émotionnel, capacité d’écoute, intelligence du collectif, dépassement de l’ego…

Il faut en finir avec cette approche : c’est avec ce discours qu’on enferme encore davantage les femmes dans les stéréotypes que l’on prétend par ailleurs dénoncer. En insistant sur ces qualités, on les renvoie à leur statut de femme. Il en est de même pour la « féminisation » des instances de direction. On se donne bonne conscience en affirmant haut et fort avoir atteint son « quota », en oubliant de dire que beaucoup de ces postes confiés aux femmes sont également en rapport avec ces fameuses soft skills. Celles-ci seraient particulièrement adaptées aux fonctions de communication, de ressources humaines ou de développement durable qui sont des fonctions essentielles, mais auxquelles on ne confère pas le poids qui devrait leur revenir.

Les « bénéfices de la mixité »

Pendant ce temps-là, ceux que l’on considère comme des postes de « pouvoir » continuent d’être confiés majoritairement à des hommes. Combien de femmes sont à la tête de directions opérationnelles ? Combien sont chargées des fusions-acquisitions ? Il serait bien utile, par exemple en s’appuyant sur les capacités de l’intelligence artificielle, de développer un outil d’analyse et de mesure du poids des différentes fonctions de l’entreprise en matière de pouvoir réel. Ce serait la meilleure façon de créer un véritable indice de parité.

«  Plutôt que le terme de “diversité”, c’est celui d’“égalité” qu’il faudrait privilégier. Car c’est bien cela dont il est question : traiter à égalité les femmes et les hommes »

Parmi les arguments souvent avancés en faveur de « l’ouverture » de postes de direction ou d’administration aux femmes figure celui de la performance : une entreprise présentant un fort taux de féminisation de ses dirigeants aurait de meilleurs résultats. C’est une justification que l’on présente aux actionnaires mais que l’on relie non aux performances des femmes dirigeantes mais aux bénéfices de la mixité. En filigrane, on décèle l’idée que les femmes viendraient « compléter » un état-major, par leurs qualités propres. Outre qu’il est bien difficile de corréler scientifiquement le taux de féminisation d’une entreprise à ses performances, cette approche renvoie également aux stéréotypes féminins. Plutôt que le terme de « diversité », c’est celui d’« égalité » qu’il faudrait privilégier. Car c’est bien cela dont il est question : traiter à égalité les femmes et les hommes. Les entreprises qui réussissent sont celles qui placent au même niveau les compétences des hommes et des femmes, qui représentent 50 % des talents.

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Covid-19 : transformer son entreprise, parfois radicalement, pour surmonter la crise

Philippe Mella parle à toute vitesse, et on ne sait pas si c’est parce qu’il est encore pris dans la tempête qui a dévasté l’événementiel en 2020, ou si c’est parce qu’il est débordé par l’euphorie de ses nouveaux projets. « Mon médecin m’a dit de me calmer, je n’ai jamais autant travaillé que cette année », déclare cet homme de 56 ans, jouant les guides à travers les entrepôts de sa société, Lomarec, installée dans une zone d’activité de Sevran (Seine-Saint-Denis).

Fondée par ses parents en 1969, elle était jusqu’ici spécialisée dans la location de matériel pour cocktails et réceptions. Sur les palettes s’érigeant sur plusieurs mètres, toutes sortes de modèles de couverts, tables, plateaux en inox et argenterie sont stockés, en attendant la demande. Mais, depuis un an, l’heure n’est plus à la fête. « En 2020, on a fait 95 % de chiffre d’affaires en moins par rapport à 2019. » Malgré un prêt garanti par l’Etat de 1,6 million d’euros, le recours au fonds de solidarité et au chômage partiel à hauteur de 85 %, il n’a pu éviter le licenciement économique de neuf de ses 64 salariés.

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Puisque l’activité ne va pas repartir de sitôt, Philippe Mella a entrepris de se diversifier, avec l’aide de consultants spécialisés (Suppleo) : quand l’e-commerce explose, disposer de 4 700 m2 d’entrepôts à 15 km de Paris est un atout. Alors, l’un de ses deux hangars géants va devenir une plate-forme logistique. « On vient de signer avec une grande marque de café », dit le chef d’entreprise. Il a également lancé Ecosystème évènementiel 93, une agence événementielle écoresponsable, qui regroupera des acteurs du département, lorsque l’activité redémarrera.

« Il a fallu faire le deuil du monde d’avant »

Un an après l’instauration du premier confinement, en mars 2020, nombre d’entreprises au sein des secteurs les plus pénalisés – notamment le tourisme, la culture, l’hôtellerie-restauration – sont toujours paralysées par les difficultés. « Beaucoup tiennent grâce aux aides et attendent que l’économie reprenne, ou bien consacrent toute leur énergie à la mise en place du télétravail et du chômage partiel », constate Michel Rességuier, président du cabinet Prospheres, spécialisé dans la transformation d’entreprises.

Mais d’autres ont opté pour une stratégie différente : pour occuper les longues semaines de confinement, pour garder le lien avec leurs clients ou parfois même pour survivre, elles ont entamé une mutation. « Malgré les difficultés, certains entrepreneurs ont réussi à faire évoluer leur modèle d’affaires face à la crise, en transformant leur mode de production, en diversifiant leur clientèle ou en pivotant vers une activité un peu différente », observe Denis Dauchy, professeur de stratégie d’entreprise à l’école de commerce Edhec. Ils ont en commun d’avoir traversé une douloureuse remise en question – que faire si la pandémie se prolonge ? –, aboutissant au même constat : la nécessité de changer.

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Danone : « Les marchés considèrent que le PDG a mis l’accent sur la RSE au détriment de la création de valeur pour les actionnaires »

Tribune. Depuis plusieurs semaines, Emmanuel Faber, le PDG de Danone, est sur la sellette. Plusieurs fonds d’investissement ont demandé son départ. Pour le moment, M. Faber est parvenu à conserver la présidence du géant agroalimentaire français. En revanche, il a dû, lundi 1er mars, abandonner la fonction de directeur général.

Quels facteurs conditionnent la longévité des dirigeants des entreprises cotées ? Comme l’ont montré de nombreuses recherches en management, la performance financière est le principal critère utilisé par les marchés pour évaluer les dirigeants d’entreprise. Plus la performance financière d’une entreprise est mauvaise, plus son PDG est susceptible d’être poussé vers la sortie.

Les déboires actuels de M. Faber s’expliquent donc en partie par les mauvais résultats de Danone. En 2020, le chiffre d’affaires de l’entreprise a baissé de 6,6 %, sa marge opérationnelle et son cours de Bourse ont aussi diminué. Même si la crise du Covid-19 explique en partie les résultats décevants de Danone, ils restent moins bons que ceux de ses concurrents.

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Mais M. Faber n’est pas un dirigeant comme les autres. En juin 2020, il a été le premier PDG d’une entreprise du CAC 40 à faire approuver à ses actionnaires le statut d’entreprise à mission. Certains y ont vu l’aboutissement du double projet économique et social qu’Antoine Riboud avait développé dès les années 1970.

Un investissement valorisé

Dans quelle mesure l’importance que M. Faber accorde à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a-t-elle contribué à ses déboires ?

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Les résultats d’une étude récente – menée sur plusieurs centaines d’entreprises américaines – permettent de répondre à cette question (Hubbard, T.D., Christensen, D.M. et Graffin, S.D., 2017. « Higher highs and lower lows : The role of corporate social responsibility in CEO dismissal », Strategic Management Journal, vol. 38, n° 11).

Ils montrent que les investissements dans la RSE n’ont aucun effet direct sur la longévité des dirigeants.

En revanche, ils exacerbent l’impact de la performance financière sur le sort que les actionnaires leur réservent.

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Lorsque la performance financière d’une entreprise est bonne, le fait d’investir dans la RSE est fortement valorisé par les marchés. Ils en déduisent que le PDG est à la fois capable de créer de la valeur pour les actionnaires et d’agir de manière responsable. Un PDG qui a de bons résultats financiers et qui investit beaucoup dans la RSE a deux fois moins de chances (53 %) de perdre son poste qu’un PDG qui a de bons résultats financiers mais qui investit peu dans la RSE.

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Covid-19 : le BTP et les commerciaux soutiennent l’hôtellerie économique

Ils sont la première ligne au soutien des hôtels de France : ouvriers du bâtiment et des réseaux d’eau ou d’électricité, techniciens de la fibre, commerciaux de petites et moyennes entreprises, employés du secteur logistique… Ceux dont l’activité a repris, en dépit du reconfinement ou des couvre-feux, depuis septembre 2020 et qui portent l’activité de l’hôtellerie dite « économique » et « super-économique ». L’hôtellerie des bords d’autoroute ou de zone industrielle, qui s’implante ces dernières années près des gares d’Ile-de-France et dans les petits centres-villes.

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Depuis la rentrée de septembre, la différence de performance est nette entre ces deux segments et le haut de gamme, plus glamour et dans lequel les grandes chaînes internationales ont beaucoup investi ces dernières années. Au quatrième trimestre 2020, selon les chiffres de l’Insee, le taux d’occupation dans les hôtels deux étoiles ou moins baisse de 55 % par rapport à 2019. La baisse est de 63 % pour les trois-étoiles et de 75 % pour les quatre-étoiles et cinq-étoiles.

Le cabinet MKG observe la même tendance en ce début d’année. En février, selon ses données, le taux d’occupation du segment super-économique est repassé au-dessus de 40 %. L’écart est de 17 points avec la gamme moyenne, de 23 points avec le haut de gamme. Les prix sont également restés presque stables en super-économique et économique, alors qu’ils ont davantage baissé dans les catégories supérieures. Le même phénomène est observé aux Etats-Unis, où la chaîne Choice Hotels, spécialisée dans les motels et tenue à l’écart des centres urbains, a présenté des résultats 2020 bien meilleurs que ceux de ses concurrents.

« L’hôtellerie économique va seulement moins mal »

Pour la profession, il n’y a pas matière à se réjouir pour autant. « L’hôtellerie économique va seulement moins mal que le reste », rappelle Philippe Doizelet, du cabinet de consultant Horwath. Plusieurs facteurs concourent, selon lui, à cette différence de performance. « Quand bien même vous coupez le tourisme et les flux internationaux, cette hôtellerie garde ses fondamentaux : les flux d’affaires non délocalisables comme les chantiers, les flux de passage techniciens, VRP et la demande privée. Ce sont les gens qui se déplacent pour se faire soigner, rendre visite à un proche malade, aller à un enterrement, ainsi que le placement de personnes en difficulté sociale. »

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L’hôtellerie économique – qui représente 60 % de l’offre en France – est également épargnée par l’absence de séminaires d’entreprises, qui nourrissent les hôtels Mercure ou Novotel. Si elle n’est pas celle sur laquelle les chaînes communiquent le plus, elle reste extrêmement rentable. Goldman Sachs a déboursé 1,9 milliard d’euros en 2019 pour s’offrir la chaîne bretonne B & B Hotels, valeur montante de l’hôtellerie économique en France.

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Malakoff Humanis condamné pour discrimination syndicale et sexiste

Côté pile, Malakoff Humanis semble avoir tout bon en matière de lutte contre les discriminations : le groupe de protection sociale est titulaire du label « Alliance » de l’Association française de normalisation (Afnor), composé des labels « Diversité » et « Egalité professionnelle » (entre les femmes et les hommes). Employeur de près de 11 000 salariés, dont 70 % de femmes, le mutualiste dispose aussi de référents harcèlement et agissements sexistes, d’accords sur l’égalité entre les femmes et les hommes, dotés chaque année d’une enveloppe de 0,4 % de la masse salariale, d’accords sur les parcours professionnels des syndicalistes, etc.

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Côté face, le mutualiste est moins reluisant. Il vient d’être condamné par la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 28 janvier, pour discrimination syndicale et en raison du sexe d’une salariée, Mme M., toujours employée par l’Association de moyens assurance de personnes (AMAP), la branche assurance du groupe.

Embauchée en 1982 comme rédactrice, elle stagne dans la catégorie « employée », étant arrivée au dernier échelon, le 3 C, par le biais de progressions automatiques conventionnelles. Elle n’a presque jamais eu d’entretien d’évaluation ni de carrière. Quant à son salaire, en 2016, année où elle a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, il n’avait augmenté en moyenne que de 31,29 euros par an en trente-quatre ans.

« Laissée dans les limbes »

A partir de 1989, elle exerce des responsabilités syndicales et de représentation du personnel. En 2008, son service déménage de Clichy (Hauts-de-Seine) à Paris. Elle décide de ne pas le suivre, pour continuer à mener à bien ses fonctions syndicales dans son établissement, ce qui est son droit. Dès lors, plus aucune mission ne lui sera confiée. Elle va alors s’impliquer de plus en plus au sein du comité d’entreprise (CE), qui manque de bras pour les tâches administratives, explique-t-elle. Très investie dans ces activités et ses mandats, elle refusera des postes qui lui seront proposés, demandant que celui qu’elle occupe de fait au CE – gestionnaire des activités sociales, de niveau agent de maîtrise – soit reconnu. En vain.

Dans son arrêt, la cour d’appel retient, au vu des documents de la salariée, qu’à compter du déménagement de son service et jusqu’en 2013 l’employeur ne justifie pas de missions lui ayant été confiées, ce qui suffit à caractériser un harcèlement moral. Il ne justifie pas non plus l’absence d’entretien, ni pourquoi son salaire moyen hors ancienneté est inférieur à celui des femmes de sa catégorie, ce dernier étant par ailleurs inférieur à celui des hommes. « Elle a été laissée dans les limbes », dénonce son avocat, MXavier Sauvignet, du cabinet Boussard-Verrecchia & Associés-1948 Avocats.

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« Le mal-être au travail a été amplifié par la pandémie »

Tribune. Du fait de la pandémie de Covid-19, le télétravail a connu un essor sans précédent en 2020, pour atteindre 41 % des salariés en mai lors du premier confinement, selon le Baromètre annuel Télétravail 2021 de Malakoff Humanis. Couplé avec un contexte anxiogène, le télétravail a généré, selon cette étude, du surmenage, de la porosité entre vie personnelle et vie professionnelle, du stress, de la détresse psychologique et de la fatigue physique.

Ces conséquences négatives du télétravail forcé révèlent et accentuent le désengagement massif des salariés, qui ne date en effet pas d’aujourd’hui. Une étude menée en 2012 par le cabinet de conseil Towers Watson montrait déjà que 43 % des salariés interrogés se sentaient détachés de leur entreprise, et que 22 % ne se sentaient pas soutenus par leurs manageurs (Global Workforce Study 2012).

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Ce mal-être est pointé du doigt depuis des décennies par de nombreux chercheurs en sciences sociales, démontrant qu’il est le pendant d’un management fondé sur l’ajustement à la seule variable de la finance, sur la course à l’hyperproductivité ou encore sur l’imposition de process ou de pratiques décorrélés de toute réalité de terrain. Ce que Gary Hamel, professeur à la Harvard Business School, avait qualifié de « honte du management » dans son livre La Fin du management. Inventer les règles de demain (Vuibert, 2008).

Un terreau pour les risques psychosociaux

A la suite de l’individualisation du travail amorcée dans les années 1970, face au changement permanent de leur environnement et à l’impossibilité de mettre en place ce qui leur semble être le mieux pour être efficaces, bref face à l’absence de prise en compte de leur professionnalité, les salariés se retrouvent aujourd’hui seuls, démunis et désengagés.

Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail du CNAM, parle de « travail empêché » pour qualifier cette situation où les salariés, ne participant pas aux décisions impactant directement leur quotidien, ne peuvent ni agir sur leur environnement ni expérimenter leurs hypothèses (Le Travail à cœur, La Découverte, 2010).

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Ils se retrouvent enfermés dans des process, des méthodes, des pratiques définis par des personnes extérieures (manageur, consultant…) persuadées qu’il n’existe qu’une seule bonne manière de faire : la leur. Cet écart entre ce que les salariés souhaitent effectuer, ce que leur environnement leur permet de faire et ce que leur supérieur attend d’eux en termes de résultats est un terreau pour les risques psychosociaux.

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La crise du diesel décime l’usine Bosch de Rodez

L’usine Bosch d’Onet-le-Chateau, près de Rodez, le 24 janvier 2018.

Chacun s’y préparait. Pourtant, le choc est rude. L’annonce, vendredi 5 mars, de la suppression de presque deux tiers des emplois de l’usine Bosch d’Onet-le-Château (Aveyron) près de Rodez, qui passera de 1 250 postes aujourd’hui à 500 en 2025, a eu un effet dévastateur. « On s’attendait à des annonces en dessous de 800, mais pas 500, dit Yann, employé dans la fabrication de buses d’injecteurs diesel. Là, je ne donne pas cher du site de Rodez. C’est sa mort. Et c’est une catastrophe industrielle pour l’Aveyron. » « On a pris un gros coup sur la tête. Il va falloir se poser et analyser ces annonces », ajoute, abattu, Jérôme Pouget, délégué syndical SUD.

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C’est Heiko Carrie, le président de Bosch France et Benelux, qui, à la mi-journée, a annoncé la nouvelle aux salariés, la présentant comme « indispensable » à la survie du site. Dans un communiqué, la direction de Bosch a quand même tenté de rassurer les équipes en garantissant l’emploi des 500 restants jusqu’en 2027, et « en recourant au maximum aux dispositifs de préretraite et de plan de départs volontaires, afin d’éviter les départs contraints ».

L’industriel y détaille aussi ses raisons : un marché automobile mondial en baisse de plus de 20 % depuis 2017 ; et puis, évidemment, la part du diesel qui a « considérablement diminué », passant en France pour les véhicules particuliers de 73 % en 2012 à 25 % début 2021. « Ces évolutions obligent l’industrie automobile à mener des adaptations majeures, et Bosch ne fait pas exception, constate le communiqué. Le site Bosch de Rodez est directement impacté par ces défis, car il produit exclusivement des composants pour moteurs diesel. »

Diversification

Car c’est bien l’accompagnement d’un déclin historique – celui du diesel – qu’a vécu l’usine de Rodez depuis ses grandes heures, au début des années 2000. En 2003, l’usine faisait vivre 2 300 personnes, intérimaires compris, et arrosait le marché allemand de ses injecteurs. Depuis, l’emploi n’a fait que régresser. Avec cette annonce, Bosch fait en quelque sorte ses adieux à une époque : celle de la voiture diesel de masse.

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Chez l’équipementier, on se refuse toutefois à admettre la fin d’une technologie dont le géant allemand est le leader mondial. « Nous sommes profondément convaincus que le diesel a encore toute sa place, par exemple hors des villes ou pour les poids lourds, déclare au Monde Heiko Carrie. Certaines productions comme les buses d’injection, dont le site est centre d’excellence, resteront profitables. Nous avons certes pris pour Rodez des décisions difficiles, douloureuses pour nos salariés, mais qui ont aussi une dimension positive. La fermeture pure et simple était une des options très sérieuses sur la table. On a pu l’éviter. »

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« Il faut construire une société égalitaire, bien au-delà d’une législation exemplaire »

Tribune. En 1972, la loi pour l’égalité professionnelle dispose que tout employeur est tenu d’assurer « pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes ». Presque cinquante ans plus tard – deux générations ! – l’égalité salariale demeure encore un horizon lointain. Car oui, chaque matin en 2021, les femmes françaises se lèvent pour gagner environ 5,3 % de moins, à poste égal, que leurs collègues masculins de leur entreprise (source : Insee).

Les estimations les plus sévères font même état d’un écart de 9 %. Pourtant, depuis le 1er janvier 2019, les organisations publiques et privées qui ne respectent pas cette égalité sont sujettes à des sanctions financières qui équivalent à 1 % de leur chiffre d’affaires. Pas de doute, sur le plan du droit, nous sommes sur la bonne voie. Et pourtant…

Effroi

1994 : la loi française définit par l’article 222-13-6 du code pénal un délit spécifique pour les actes de violences commis par un conjoint ou un concubin. S’ensuivent de nombreuses lois jusqu’à celle du 30 juillet 2020, qui vise à renforcer la protection des victimes de violences conjugales. Sur le plan législatif, pas de doute : nous sommes armés.

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Pourtant, en ce début d’année 2021, la permanence des féminicides suscite toujours l’effroi et le relevé de situation en période pandémique est encore plus amer. Durant les confinements, les violences intrafamiliales envers les femmes ont pris des proportions ahurissantes : + 20 % selon les estimations les moins sévères ( « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles », ONU Femmes), voire + 40 % pour les études les plus alarmantes (« Informer sur les violences à l’égard des filles et des femmes », 2019, ONU Femmes).

2012 : la loi du 6 août fournit une définition précise du harcèlement sexuel, renforce sa prévention dans le monde professionnel et aggrave les peines maximales encourues par les agresseurs. Pourtant, en 2018, plus de 60 % des Européennes affirmaient avoir subi une forme de violence sexuelle ou sexiste au cours de leur carrière (selon l’Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail). Et, pourtant, l’arsenal législatif est là. Mais aucun texte de loi ne remportera définitivement ce grand combat culturel.

Dans le quotidien

2021 : nous attendons la prochaine loi sur l’autonomisation économique des femmes, qui pourrait imposer dans les comités de direction la parité, que la loi Copé-Zimmermann a commencé à instaurer à hauteur de 40 % dans les conseils d’administration des grandes entreprises.

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