Archive dans juin 2020

L’expert et le politique face à l’inconnu

« La responsabilité du dirigeant est d’informer le public de l’état des connaissances et des moyens (...). La responsabilité des experts est complémentaire : Il leur incombe de s’expliquer sur les recherches à conduire et d’organiser un processus d’innovation collective. » (Emmanuel Macron et le directeur de la santé, Jérôme Salomon (R) à la Pitié-Salpêtrière, le 27 février).

Entreprises. En se dotant d’un conseil scientifique face à l’épidémie, l’Etat a fait un choix incontestable. Sans doute n’a-t-il pas anticipé les polémiques suscitées par cette démarche tant la question du savant et du politique est ancienne et le recours à l’expertise banal. Mais pourquoi l’épidémie a-t-elle mis à si rude épreuve les principes d’un gouvernement éclairé par la science ? Cela tient notamment à ce que ces principes ont été pensés pour les situations d’incertitude, alors qu’experts et décideurs ont été confrontés à l’inconnu.

Des recherches récentes ont en effet montré que, face à l’inconnu, la responsabilité de l’expertise est moins de guider les choix que d’organiser l’innovation et la progression des connaissances utiles (« Inconnu et dynamiques de l’expertise », dirigé par Pascal Le Masson et Benoît Weil, Entreprises et histoire, 2020/1, n° 98). Sans cette révision des rôles, les relations entre experts et décideurs ne peuvent qu’alimenter le trouble dans l’opinion.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Gestion des risques : « La solidarité doit précéder la crise »

La langue nous rappelle qu’un visage inconnu n’est pas un visage incertain. La construction rigoureuse de cette distinction s’est imposée pour l’étude des processus d’innovation et de création, car elle éclaire leurs logiques d’action. Cependant, elle reste absente des doctrines économiques et politiques classiques.

Le temps qu’il fera demain est incertain et la tâche du météorologue n’est pas d’expliquer ce qu’est la pluie ou le beau temps, mais d’évaluer les chances de chacune de ces possibilités et leurs conséquences.

Responsabilités complémentaires

Face à l’inconnu, la situation est profondément différente : l’expert connaît mal les alternatives et leurs effets. Ainsi, devant une nouvelle épidémie, un spécialiste peut dire qu’un virus a des chances de muter ou que la découverte d’un traitement est probable, mais il ne peut décrire ni cette mutation ni ce traitement.

Pour le décideur, les alternatives ne sont plus ni claires ni stables, et sont souvent peu évaluables. En outre, ses choix deviennent dépendants des évolutions imprévisibles de la connaissance ou des situations, ce qui nourrit – souvent à tort – le sentiment d’un pouvoir arbitraire et d’experts démunis.

Une telle dérive ne peut être évitée qu’en amendant la conception traditionnelle héritée du sociologue Max Weber (1864-1920). En effet, devant l’inconnu, Il n’y a plus, face à face, la responsabilité du dirigeant et la conviction du savant. Il y a deux responsabilités différentes et chacune doit démontrer la pertinence de ses actions. La responsabilité du dirigeant est d’informer le public de l’état des connaissances et des moyens, sans cacher les controverses parmi les experts. Car les lacunes de l’expertise peuvent expliquer les choix retenus.

Il vous reste 21.64% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Palmarès Universum : la fin de la « start-up-mania » ?

Le palmarès Universum 2020 va-t-il tourner la page de la « start-up-mania » ? Le classement des entreprises qui font rêver les jeunes diplômés, que le Monde publie en exclusivité, a perdu de vue les Blablacar, Parrot et autres Michel et Augustin qui, depuis 2016, avaient fait des entrées remarquées auprès des symboles de l’attractivité des entreprises que sont LVMH, L’Oréal, Airbus, Google ou Thales.

Société suédoise spécialisée dans la marque employeur, Universum interroge chaque année, depuis 1999, quelque 40 000 étudiants des grandes écoles de commerce et des écoles d’ingénieurs sur l’employeur qui les fait rêver. Ce sont 49 642 jeunes qui ont ainsi été invités d’octobre 2019 au 3 mars 2020 à se prononcer sur une liste de 130 noms d’entreprise, à proposer un ou deux noms de leur choix et à s’exprimer sur leurs aspirations professionnelles. Un baromètre précieux pour les grandes entreprises soucieuses de leur image auprès des futures recrues.

Le sondage ayant été réalisé avant le confinement, « l’impact du Covid ne pourra se mesurer qu’en 2021. La seule trace qu’il aura laissée en 2020, c’est un pic de votes en faveur des entreprises pharmaceutiques de façon assez inhabituelle dans les deux dernières semaines de l’enquête », précise Aurélie Robertet, la directrice d’Universum France et Benelux.

Le top 5 du classement est quasi immuable, avec LVMH, L’Oréal, Google, Chanel et Apple pour les entreprises favorites des étudiants en écoles de commerce et de management, et Airbus, Google, Thales, Safran et Dassault Aviation pour les élèves ingénieurs.

En revanche, la phase start-up des dernières années semble passée de mode. Leur baisse dans le classement se poursuit. Blablacar, Michel et Augustin, Parrot, Blizzard Entertainment perdent des places pour la troisième année consécutive, à des degrés divers : moins une place en école de commerce et moins 5 en école d’ingénieur pour la firme de l’autopartage, moins 11 places en école de commerce pour les biscuits de Michel et Augustin, moins 18 chez les ingénieurs et moins 15 en école d’informatique pour les drones de Parrot, et enfin 13 niveaux de moins en école de commerce pour les jeux vidéo.

A la question « Que comptez-vous faire une fois votre diplôme en poche ? », la part des jeunes étudiants, toutes formations confondues, qui envisagent de travailler en start-up a été quasiment divisée par deux en trois ans. Dans les écoles de commerce et de management le pourcentage est passé de 5 % à 4 %, dans les écoles d’ingénieurs de 8 % à 5 %. C’est chez les étudiants en informatique et nouvelles technologies (IT) que l’écart le plus important, avec un pourcentage en faveur des start-up tombé de 14 % en 2017 à 8 %.

Il vous reste 35.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Moins rodés, moins formés : pour les jeunes actifs, les pièges du télétravail

Quand s’éternise la quatrième réunion virtuelle de la journée, il arrive souvent à Louis de couper sa caméra, prétextant « un bug ». Il se carapate sur son balcon et laisse l’ordinateur tourner dans le salon. « Quand tout le monde est dans la même salle, il est plus facile de faire comprendre, par des gestes ou une attitude, qu’on s’impatiente. Mais, en visio, on ne se rend pas compte : ce serait brutal de dire “on s’emmerde !” », remarque ce garçon de 28 ans à la langue bien pendue, développeur mobile dans une start-up à Nantes.

En télétravail depuis le premier jour du confinement, Louis a installé son bureau dans sa colocation – sa motivation n’a cessé de dégringoler depuis. Et cela risque de durer. « La situation financière de mon entreprise n’étant pas exceptionnelle, ils envisagent de se séparer de nos locaux et de faire durer le télétravail, explique-t-il. Je n’ai pas du tout signé pour ça. Si jamais c’était imposé, ça serait pour moi un motif de démission. »

Contrairement aux idées reçues, plusieurs enquêtes montrent que les jeunes diplômés, derniers insérés dans le monde professionnel, sont ceux qui souffrent le plus de cette période de télétravail prolongée. Selon une étude menée par ChooseMyCompany auprès de 200 entreprises pendant le confinement, réunissant plus de 10 000 participants, les personnes qui ont moins de cinq ans d’expérience présentent un score de satisfaction d’environ 62 %, alors que celles qui ont plus de trente années de métier frôlent les 85 %.

Sans cadre ni hiérarchie

« Un sujet d’équité intergénérationnelle est posé ici, fait valoir Fanny Lederlin, doctorante en philosophie politique et autrice de l’ouvrage Les Dépossédés de l’open space (PUF, 225 p., 19,90 euros). Le télétravail est une modalité qui convient très bien auxparvenus, au sens d’être arrivé à un certain statut social : gagner un bon salaire, fonder une famille, etc. » La plupart des jeunes n’ont pas encore construit leur carrière, sont moins payés, vivent dans de petits logements ou toujours chez leurs parents. Ils ne télétravaillent pas dans les mêmes conditions matérielles que les travailleurs plus âgés et pâtissent davantage de la solitude.

Pour Safia (le prénom a été modifié), 25 ans, juriste dans une association à Paris, il s’agit de jongler avec la mauvaise connexion Internet et les cours de danse de sa colocataire, étudiante dans une école de comédie musicale : « Ma chambre est petite. Je n’y vais que si j’ai un appel ou une visio, pour m’isoler des bruits du salon où travaille aussi ma coloc. » Embauchée en CDI en janvier, cette double diplômée de l’Institut d’études politiques de Saint-Germain-en-Laye et de l’université Paris-Saclay fait ses premiers pas dans le monde du travail depuis chez elle, sans équipe à proximité. « C’était stressant au début, mais ça m’a poussée à être plus autonome. Je ne vais pas déranger quelqu’un dès que j’ai un doute, alors je deale avec moi-même. »

Il vous reste 73.28% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Le commerce de rue pourrait servir de remède à l’augmentation du chômage »

«  Au cours des dernières semaines, plusieurs municipalités chinoises ont assoupli leurs règles. Fruits, chaussettes et raviolis sont réapparus sur les trottoirs » (Vendeur de rue à Pékin, le 5 juin).

Chronique. Après les avoir chassés des grandes villes, la Chine fait la promotion des vendeurs de rue. Fin mai, le premier ministre chinois Li Keqiang les a qualifiés de « force vitale pour l’économie chinoise », ajoutant qu’ils étaient aussi importants que les boutiques de luxe.

Il a donné l’exemple d’une ville de l’ouest du pays, sans donner son nom, qui aurait créé en quelques jours 100 000 emplois en autorisant l’activité de 36 000 vendeurs de rue. Au cours des dernières semaines, plusieurs municipalités chinoises ont assoupli leurs règles. Fruits, chaussettes et raviolis sont réapparus sur les trottoirs.

En ces temps de crise, les autorités prennent conscience que le commerce à la sauvette, accusé de tous les maux il y a encore quelques années, pourrait servir de remède à la hausse du chômage. Celui-ci augmente dangereusement en Chine, et aurait même atteint, selon certains économistes, 20 % de la population active. Les chômeurs – surtout les migrants – qui ne trouvent pas de travail et ne peuvent pas compter sur l’aide de l’Etat ont au moins la possibilité de gagner de quoi vivre en devenant autoentrepreneurs de rue.

Pas besoin de diplôme

Cela s’est déjà vu pendant la crise financière asiatique, en 1997. Pour vendre des pacotilles, pas besoin de diplôme, encore moins d’un grand capital, il suffit d’investir un bout de trottoir avec quelques marchandises. Pendant le confinement en Inde, les propriétaires des magasins fermés se sont ainsi mis à vendre des fruits et légumes sur le bitume. D’autres faisaient le tour des quartiers avec des paquets de cigarettes cachés sous le siège de leurs scooters. Le commerce de rue est l’assurance-chômage des pauvres.

Lire aussi En Tunisie, l’économie informelle mise à mal par le coronavirus

Sans ces vendeurs à la sauvette, une bonne partie des populations pauvres des grandes villes ne pourrait pas survivre. Car ce qu’ils vendent sur leurs étals de fortune coûte moins cher que ce que l’on trouve dans les magasins climatisés ou les restaurants. A Bangkok, par exemple, ils sont les seuls à offrir des petites rations à ceux qui n’ont ni l’argent ni les réfrigérateurs pour conserver les aliments plusieurs jours. Ils garantissent donc la sécurité alimentaire des plus vulnérables.

« Pendant le confinement, les autorités de certains pays se sont rendu compte que les vendeurs de rue étaient indispensables, explique Caroline Skinner, responsable des études urbaines chez Wiego, une ONG de défense des travailleurs du secteur informel basée en Afrique du Sud, mais aucun pays n’a encore soutenu explicitement les vendeurs de rue comme la Chine vient de le faire. »

Il vous reste 39.73% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Face à la crise durable qui s’annonce, acceptons de payer nos salariés tous les quinze jours »

Tribune. Beaucoup d’entreprises ont souffert pendant la pandémie. Leur écosystème de fournisseurs, de partenaires et de clients était à l’arrêt forcé. Les consommateurs n’allaient plus dans les magasins et, malgré ses performances, l’e-commerce n’a compensé qu’une partie de ce manque à vendre. Pour toute l’économie, il est indispensable que la consommation reparte et, si possible, bien sûr, la consommation de produits français au service de l’emploi en France.

Les entreprises auront un rôle majeur à jouer et elles ont l’opportunité de faire des gestes pour soutenir la consommation. Peuvent-elles augmenter les salaires ? Pour la plupart d’entre elles, la réponse est malheureusement évidente. C’est non. La crise qui commence va mettre les entreprises sous une terrible pression financière et l’explosion attendue du chômage va au contraire tirer les salaires à la baisse.

Et pourtant, les entreprises peuvent faire un geste simple. Comment ? En consolidant dans le temps le pouvoir d’achat de leurs salariés. Aujourd’hui, en France, tous les salariés consentent une avance de trésorerie à leur entreprise. Le salarié, qui est payé uniquement à la fin du mois de travail, fait crédit d’une partie de son salaire pendant quatre semaines à son entreprise. Il travaille pendant un mois et n’est payé qu’à la fin du mois. Alors que, dans toute une partie de l’économie, les travailleurs, les artisans par exemple, sont payés à chaque fois qu’ils travaillent.

Coupons la poire en deux. Face à la crise durable qui s’annonce, soyons des dirigeants activistes, acceptons, dans les entreprises qui peuvent se le permettre, de payer nos salariés tous les quinze jours. Et, pour commencer, concentrons cette initiative sur tous les salaires inférieurs à trois fois le smic brut, car c’est dans cette catégorie de revenus que les salaires sont les plus « consommés ». La pression se relâchera sur les trésoreries individuelles. Les frais ponctionnés par les banques – environ 4 milliards d’euros par an – serviront à autre chose et pourront aussi être réinjectés dans la consommation.

Fragilité chronique

N’oublions pas que le salarié modeste, celui dont la rémunération est proche du smic, vit une fragilité chronique qui peut basculer à tout moment dans la précarité. Etre payé plus souvent, c’est être mieux en mesure de limiter la ponction bancaire liée aux découverts bancaires. Environ 20 % des familles françaises ont chaque mois des comptes courants dans le rouge avec, à la clé, des découverts dont les intérêts dépassent parfois 15 %. Il existe là d’immenses réserves de pouvoir d’achat.

Il vous reste 32.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Jeunes diplômés : en temps de crise, vaut-il mieux poursuivre ses études ?

« En plus d’allonger la durée d’accès au premier emploi, une mauvaise conjoncture réduit la chance d’avoir un CDI et baisse le niveau du salaire d’embauche. »

Un taux de chômage qui atteint des records, des offres d’emploi à destination des bac +5 en net recul… Les prochains mois risquent de laisser sur le carreau nombre de nouveaux arrivants sur le marché du travail. De quoi hésiter à quitter le monde des études pour se lancer dans celui de la vie active.

« On a été inondés de coups de téléphones de jeunes inquiets », constate Valérie Delflandre, conseillère d’orientation au sein du Centre d’information et de documentation jeunesse (CIDJ). Selon un sondage mené par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) du 6 au 14 mai auprès d’un échantillon de 250 lycéens et 752 étudiants, 43 % déclarent ne pas être sereins quant à leur avenir professionnel. D’autant que les fins de cursus ont été chaotiques pour nombre d’étudiants, qui ont vu leur séjour à l’étranger ou leur stage de fin d’année ajournés pour cause de crise du Covid-19.

Ces expériences représentent pourtant un premier pas décisif dans le monde professionnel. « On a eu par exemple le cas d’une jeune diplômée d’école d’ingénieur, qui avait dû finir son stage de fin année en télétravail, se souvient Valérie Delflandre. Cette jeune femme ne se sentait pas suffisamment à l’aise au niveau du management pour se lancer dès maintenant dans la vie active. Elle s’est donc mise à la recherche d’une formation complémentaire ».

Pour ne pas lâcher des jeunes insuffisamment formés dans la nature, certains établissements ont pris les devants, en assouplissant les possibilités de redoublement en première année de master ou en offrant la possibilité d’effectuer la deuxième année en deux ans. Mais ce n’est pas le cas de tous.

Un retard impossible à rattraper

Pourtant, de l’avis de Frédéric Di Loreto, directeur adjoint de la Mission locale de Chambéry, enchaîner sur une formation complémentaire non prévue au départ s’avère judicieux dans le contexte économique actuel : « En juin, tous les jeunes qui auront obtenu leur diplôme vont se retrouver sur le marché du travail sans perspectives réelles, alerte-t-il. Pour ceux qui en ont les moyens, j’aurais fortement tendance à leur conseiller de réinvestir le champ du cursus scolaire au moins une année supplémentaire, afin de monter en qualification ».

Une étude de l’Insee alerte d’ailleurs sur les conséquences durables de l’arrivée sur le marché du travail en période de crise : en plus d’allonger la durée d’accès au premier emploi, une mauvaise conjoncture réduit la chance d’avoir un CDI et baisse le niveau du salaire d’embauche.

Il vous reste 61.3% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A la faveur de la crise, la réforme de la santé au travail relancée

A l’étude depuis un peu plus de deux ans et demi mais sans cesse différée, la réforme de la santé au travail entre, peut-être, dans une phase décisive. Lundi 15 juin, les partenaires sociaux ouvrent sur cette thématique une négociation, qui est suivie de près par l’exécutif et par sa majorité parlementaire. Si les syndicats et le patronat parviennent à conclure un accord, il pourrait être repris dans une proposition de loi, que les députés La République en marche (LRM) veulent examiner en première lecture d’ici à la fin de l’année.

Dans ce dossier, les organisations d’employeurs et de salariés ont leur mot à dire, notamment parce qu’elles pilotent les services de santé au travail interentreprises (SSTI) – un acteur-clé dans le dispositif avec près de 4 500 médecins chargés du suivi de quelque 16 millions de personnes employées dans le privé. Le gouvernement, de son côté, entend améliorer un système qu’il juge peu lisible, insuffisamment tourné vers la prévention et difficile d’accès pour les sociétés de petite taille. Dans cette optique, Matignon avait demandé, en janvier 2018, à trois personnalités – parmi lesquelles la députée macroniste Charlotte Lecocq (Nord) – de formuler des propositions, qui furent rendues publiques fin août 2018.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Santé au travail : les partenaires sociaux échouent à s’entendre

Depuis, le chantier n’a guère avancé, car la méfiance règne parmi les parties en présence. Les partenaires sociaux ont reproché, à maintes reprises, au pouvoir en place de vouloir légiférer sans vraiment tenir compte de leur avis. Mais eux-mêmes ont toutes les peines du monde à parler d’une même voix : en juillet 2019, ils avaient mis fin à un cycle de réunions étalées sur quatre mois, sous l’égide de l’Etat, sans dégager de texte commun – les syndicats accusant le patronat de se montrer inflexible sur « la question du financement des [SSTI] ». Une critique qui renvoie à la mainmise exercée sur ces services par les organisations d’employeurs – le Medef, pour l’essentiel.

Services au ralenti pendant la crise

Malgré leurs désaccords, les protagonistes ont convenu qu’il fallait négocier. Le lancement des tractations, lundi, intervient un mois après la publication dans Le Journal du dimanche d’une tribune en faveur d’une « grande réforme de la santé au travail », signée par 158 députés LRM et apparentés – dont Mme Lecocq, plus que jamais en première ligne sur le dossier. La démarche des parlementaires macronistes « n’est sans doute pas étrangère au fait que le Medef ait relancé les discussions », commente Catherine Pinchaut (CFDT) : « Il voit avec horreur l’idée que le gouvernement et sa majorité soient seuls à la manœuvre. »

Il vous reste 38.31% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les soignants mettent la pression sur le gouvernement

Des membres du personnel hospitalier manifestent devant l’hôpital Robert-Debré, à Paris, le 4 juin.

Les personnels hospitaliers sont de retour dans la rue. Salués comme des « héros en blouse blanche » par le chef de l’Etat pendant la crise du Covid, applaudis tous les soirs à 20 heures par une partie de la population pendant le confinement, les soignants entendent rappeler au gouvernement la promesse d’un « plan massif » en faveur de l’hôpital public, annoncé le 25 mars, à Mulhouse (Haut-Rhin), par Emmanuel Macron.

Organisée à l’appel de plusieurs syndicats et collectifs de soignants, dont la CGT, FO, SUD et l’UNSA, cette nouvelle journée de mobilisation doit prendre la forme d’un rassemblement « avec masques et distanciation », mardi 16 juin, à 13 heures, avenue de Ségur à Paris, à proximité du ministère de la santé. Des actions sont également prévues devant des hôpitaux, des agences régionales de santé (ARS) et des mairies dans tout le pays. Les Français sont invités à apporter leur soutien au mouvement en se mettant à leurs fenêtres à 20 heures.

« Soignants désabusés »

Si la date du 16 juin avait été fixée avant l’organisation par le gouvernement du « Ségur de la santé » visant à « refonder » en sept semaines le système de soins, la journée vise désormais à exercer une « forte pression » avant la conclusion de cette concertation. L’annonce des décisions issues de ce Ségur sont attendues au cours de la première quinzaine de juillet, avant la cérémonie du 14-Juillet au cours de laquelle Emmanuel Macron souhaite rendre un « hommage » aux personnels soignants place de la Concorde.

Le président de la République a de nouveau promis, dans son discours du 14 juin, « une relance par la santé », avec un Ségur « qui non seulement revalorisera les personnels soignants mais permettra de transformer l’hôpital comme la médecine de ville, par des investissements nouveaux et une organisation plus efficace et préventive ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Ségur de la santé » : sept semaines pour « refonder » le système de soins français

Echaudés par les différents plans « santé » présentés depuis le début du quinquennat, médecins et paramédicaux se montrent globalement méfiants sur l’issue des discussions. « A l’hôpital, ce qu’on entend actuellement, ce sont des soignants désabusés, décrit Agnès Hartemann, diabétologue à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et membre du Collectif inter-hôpitaux (CIH). Ils ont beaucoup donné pendant la crise, ils sont fatigués, cela fait plus d’un an qu’ils se mobilisent… Les soignants sont en perte de confiance, ils n’y croient plus beaucoup. » Pour la professeure de médecine, cette journée est d’autant plus nécessaire :

Il vous reste 56.45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Aide à domicile : « les caractéristiques de ces emplois font qu’ils ne sont pas à temps partiel mais plutôt payés à temps partiel »

Tribune. Les aides à domicile appartiennent à la profession la plus dynamique de ce début de siècle, voyant ses effectifs quasiment doubler entre 2003 et 2018 : elles sont passées de moins de 350 000 à près de 600 000. La crise sanitaire a souligné leur rôle majeur dans l’accompagnement des personnes vulnérables, mais aussi la fragilité des conditions d’emplois qui caractérisent encore et toujours nombre d’entre elles.

Le manque de reconnaissance qu’elles continuent de subir est particulièrement visible lorsque le gouvernement invite les collectivités locales à verser à ces travailleuses et à ces travailleurs, dont on peine curieusement encore à reconnaître leur appartenance au monde du soin ou, au minimum du « prendre soin », une prime de 1 000 euros sans pour autant en prévoir le financement.

Appels inopérants

Malgré un effort constant et soutenu en termes de production de rapports, les pouvoirs publics continuent de promouvoir, par les modalités de solvabilisation des besoins d’accompagnement des personnes âgées, la fixation de salaires pour les aides à domicile à un niveau très faible.

En effet, la politique de lutte contre la perte d’autonomie repose essentiellement sur le versement d’une allocation aux personnes âgées (APA ou allocation personnalisée d’autonomie) calculée en fonction de leur degré d’autonomie et variable selon leur revenu.

Cette allocation consiste à attribuer une somme permettant « d’acheter » un certain nombre d’heures. La valorisation d’une heure obéit à des règles complexes et variables selon les départements mais, le dispositif aboutit de fait à un « tarif APA » par département, qui constitue en quelque sorte la référence au prix d’une heure d’aide à domicile.

La proposition d’un « tarif socle national » à la suite du rapport Libault confirme cette vision. Or les montants actuellement en vigueur dans la plupart des départements (tout comme le tarif national envisagé) dépassent rarement 21 euros alors même que toutes les études de coûts l’évaluent autour d’un minimum de 26 euros… dans des conditions restrictives ! L’écart est alors souvent payé par les aides à domicile elles-mêmes. A ce niveau les appels à une montée en qualification ou une amélioration des conditions d’emplois des salariés sont inopérants.

Epuisement

Car quel est le nœud du problème ? La profession d’aide à domicile est portée par des emplois dont la durée moyenne est de 25 heures par semaine… mais où le travail commence bien souvent à 7 heures – ou plus tôt – et ne s’arrête qu’à 19 heures, 20 heures, voire au-delà ; où l’emprise du travail sur la semaine dépasse nettement les 35 heures, et où les inaptitudes, les accidents du travail, sont à un niveau plus élevé que la plupart des autres professions. La prévalence des situations d’épuisement des salariés montre combien la dite « ressource humaine » est consommée « à taux plein ».

Il vous reste 51.24% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La région parisienne menacée d’une nouvelle désindustrialisation

Des ouvriers de Renault manifestent contre la fermeture du site du constructeur automobile, le 29 mai à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne).

Est-ce le début d’une nouvelle vague ? La question tourmente les syndicalistes, les élus, les chefs d’entreprise d’Ile-de-France depuis que Renault a confirmé, le 29 mai, son intention de fermer son usine de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne), et d’arrêter l’assemblage de voitures sur son site historique de Flins (Yvelines), où travaillent encore 4 000 personnes.

Lire aussi Manifestation contre la fermeture du site de Choisy-le-Roi : « Notre match, c’est tous les salariés contre les patrons de Renault »

Après des décennies de déclin, la région parisienne avait enfin stoppé depuis deux ans la chute de l’emploi industriel. Or la crise économique actuelle ne peut qu’enrayer cette amélioration. Pire, au-delà d’un trou d’air ponctuel, elle pourrait annoncer une nouvelle désindustrialisation de la première région économique française. Exactement l’inverse de la relocalisation des productions prônée par beaucoup depuis l’épidémie de Covid-19.

« Une situation de dépendance »

« Oui, le risque est là, les entreprises utilisant l’alibi de la crise sanitaire », s’alarme Didier Guillaume, le maire communiste de Choisy-le-Roi. « Avec des annonces comme celles de Renault, on peut assister à une désindustrialisation progressive du bassin d’emploi », s’inquiète également Jean François Mbaye, député (La République en marche) du Val-de-Marne.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Le plus dur est devant nous » : l’Ile-de-France en première ligne face à la crise liée au coronavirus

Au même moment que le plan d’économie de Renault, un autre dossier a avivé les craintes, celui de Sanofi. Le groupe pharmaceutique avait annoncé, en juillet 2019, sa volonté d’abandonner son centre de recherche d’Alfortville (Val-de-Marne). Ces dernières semaines, plusieurs élus ont tenté de remettre en cause la décision, en tirant les leçons de la crise sanitaire. La multiplication de ce type de mesures « met la France dans une situation de dépendance vis-à-vis des autres pays », a plaidé la sénatrice communiste du Val-de-Marne Laurence Cohen.

Aux yeux des responsables politiques, l’urgence consiste au contraire à « réarmer » la filière de la santé, en ouvrant des sites comme l’usine de masques chirurgicaux montée en quelques semaines par un homme d’affaires chinois au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). Un discours sans effet. Sanofi l’a confirmé : d’ici la fin de l’année, Alfortville aura fermé ses portes.

Autre sujet d’interrogation, l’aéronautique, une des principales industries d’Ile-de-France. Frappé de plein fouet par l’arrêt brutal du trafic aérien, le secteur doit bénéficier d’une aide massive de l’Etat. Cela suffira-t-il à empêcher licenciements et restructurations ?

Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’Etat débloque 15 milliards d’euros pour soutenir la filière aéronautique

Globalement, « la crise sanitaire va probablement alourdir les pertes d’emplois » en Ile-de-France, « alors que le secteur était à peine entré dans une phase plus favorable depuis mi-2018 », anticipent les experts de la chambre de commerce et d’industrie.

Il vous reste 69.12% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.