Archive dans février 2020

« Au Japon, les jeunes n’arriveront pas à prendre la relève »

Karyn Nishimura-Poupée vit au Japon, où elle est journaliste et correspondante pour l’Agence France Presse depuis quinze ans. Elle a répondu aux questions de Courrier international sur l’avenir du travail dans l’Archipel.

Comment le Japon compte-t-il faire face à son déclin démographique ?

Il ne compte pas vraiment y faire face, en fait, si on veut répondre le plus simplement possible. Il se dit quasiment que c’est une fatalité, maintenant, que la population va décliner et passer au-dessous des 100 millions.

Actuellement, les seniors sont encore très nombreux sur le marché du travail. Pourquoi et quels sont les facteurs qui les y poussent ?

Il y a au Japon, depuis les années 1970, une politique qui consiste à repousser de plus en plus l’âge du départ du travail, de 60 à 65 ans aujourd’hui, sur une base plutôt volontaire, à la fois de la part des entreprises et des travailleurs. Par exemple, quand quelqu’un arrive à 60 ans, on lui propose de continuer jusqu’à 65 ans avec un nouveau contrat stipulant un salaire un peu moindre, mais des contraintes réduites. Et cette base volontaire se transforme peu à peu en obligation.

Cette politique a plutôt bien fonctionné. Elle a démarré lentement, mais toutes les entreprises ont fini par proposer cette solution à leurs salariés âgés.

Est-ce que les jeunes peuvent, et veulent, prendre la relève ?

Ils n’y arriveront pas. Les jeunes ne sont ni assez nombreux ni même capables de remplacer poste pour poste les vieux qui partent. Généralement, au Japon, la progression dans la hiérarchie de l’entreprise se fait encore en fonction de l’âge. C’est très bloquant, et même décourageant pour les jeunes quand ils arrivent dans une société. Les deux premières années, on leur confie des tâches qui sont vraiment des tâches de débutants.

Quand vous évoquez les jeunes, vous parlez des jeunes hommes ou aussi des jeunes femmes ?

C’est vrai qu’il faut différencier les deux. Au Japon, une femme qui devient mère va souvent rester en dehors du marché du travail, dans le meilleur des cas, pour une durée de un à trois ans et, dans le pire des cas, pendant dix ou quinze ans. Dans la période de pénurie actuelle, c’est un facteur très handicapant. Néanmoins, dans les jeunes générations, parce que le seul salaire des hommes ne suffit plus à subvenir aux besoins des familles complètes, les femmes ont intérêt à travailler.

Pour travailler demain sur qui peut-on compter ? Les migrants, les robots ?

Il va effectivement falloir trouver des solutions pour le déficit de main-d’œuvre dans certains secteurs. On a déjà une politique, qui est apparue l’année dernière. Il s’agit de l’instauration de visas pour accueillir des travailleurs peu qualifiés, pour l’agriculture, le BTP, le soin aux personnes.

« Qui travaillera demain ? » Les robots ou les humains ?

Un robot construit par Honda sert un thé à un visiteur dans un salon à Johannesbourg, en octobre 2011.
Un robot construit par Honda sert un thé à un visiteur dans un salon à Johannesbourg, en octobre 2011. Siphiwe Sibeko / REUTERS

Antonio Casilli

« L’avènement du dresseur d’intelligences artificielles »

Tribune. Face aux inquiétudes autour de l’effacement annoncé du travail humain par une vague d’automates intelligents, nos sociétés doivent encore apprendre à se poser les bonnes questions. Un réflexe sain consisterait à cesser d’ergoter sur le nombre exact d’emplois qui seront remplacés à l’avenir et demander plutôt combien sont d’ores et déjà en passe de se métamorphoser en digital labor. Cette expression désigne littéralement le « travail du doigt », qui clique et produit des données.

Depuis des décennies, la numérisation grandissante des professions manuelles et intellectuelles amplifie la composante de production de data au sein de tout métier. La tendance est liée à l’exigence des entreprises de fragmenter et d’uniformiser leurs processus productifs pour les articuler avec des écosystèmes de prestataires externes, de sous-traitants, et parfois de communautés de producteurs non professionnels.

Même le travail gratuit que chacun d’entre nous réalise en effectuant des « reCAPTCHA » pour Google enseigne aux véhicules autonomes à reconnaître des feux de circulation et des passages pour piétons

Ceci explique aussi la prolifération des plates-formes numériques, qui coordonnent ces acteurs en les transformant en main-d’œuvre docile et bon marché, disponible à flux tendu pour réaliser des tâches de plus en plus fragmentées. Partout sous nos yeux, ce travail de production de données tisse le quotidien des livreurs et des chauffeurs, qui gèrent leurs profils sur l’appli Uber et se géolocalisent sur leurs GPS.

Mais il est aussi l’occupation des modérateurs de YouTube et Facebook, qui filtrent à longueur de journée des contenus multimédias. Même le travail gratuit que chacun d’entre nous réalise en effectuant des « reCAPTCHA » (les fenêtres surgissantes qui nous enjoignent de démontrer que nous ne sommes pas un robot) pour Google enseigne aux véhicules autonomes du géant de Mountain View à reconnaître des feux de circulation et des passages pour piétons.

Se situant sur un continuum, entre activités sous-payées ou non rémunérées, ces tâches numériques contribuent à l’automatisation de nos métiers. Métier du futur : dresseur d’intelligences artificielles, accordeur des algorithmes qui permettent à nos robots de livrer, conduire, manœuvrer.

Alors même que ce travail du clic est l’ingrédient secret de notre automatisation, il n’est aujourd’hui qu’insuffisamment encadré par la protection sociale et encore en quête de reconnaissance politique. Ce travail humain est là pour durer, mais, si nos luttes n’aboutissent pas à de nouveaux conquis sociaux, il le sera dans des conditions d’exploitation et d’invisibilité généralisées.

« Qui travaillera demain ? », une conférence du « Monde », le 6 février, à Paris

Boris Séméniako

Qui travaillera demain ? Les robots ou les humains ? Les jeunes ou les seniors ? Les tenants d’une économie responsable fondée sur la coopération, ou les partisans d’une compétition libérale effrénée ? Au fil des ans, de nombreuses études tentent de dessiner, chiffres à l’appui, l’avenir du travail.

Parmi les plus récentes et robustes, celle de l’OCDE indique que, en raison des profondes mutations technologiques, 14 % des postes actuels vont disparaître dans les quinze à vingt prochaines années, et 32 % supplémentaires connaîtront de profondes transformations. Inquiétant, mais moins que les données avancées par deux chercheurs d’Oxford, en 2013, selon lesquelles 47 % des emplois américains allaient être décimés…

Une tendance lourde est en revanche indéniable : avec les progrès de l’automatisation, une forte polarisation est déjà à l’œuvre, qui creuse chaque jour davantage le fossé entre des emplois hautement qualifiés et bien rémunérés et des postes peu qualifiés, mal payés et précarisés. Autre certitude : le vieillissement de la population.

Dérégulation massive du cadre juridique

D’après les Nations unies, d’ici à 2050, une personne sur six dans le monde aura plus de 65 ans, contre une sur onze en 2019. Une situation d’autant plus inquiétante qu’en France, par exemple, « dès 45 ans, il est compliqué de rester en emploi. Et, après 50 ans, on n’a guère de chance de retrouver un job stable ou de continuer à se former », relève Serge Guérin, sociologue, spécialiste des questions liées au vieillissement.

L’avenir et les contours du travail dépendent de la façon dont les Etats vont aborder plusieurs grands enjeux. « Va-t-on réussir à réguler les entreprises transnationales qui ont constitué en trois décennies des chaînes de production mondiales ?, s’interroge notamment Isabelle Berrebi-Hoffmann, sociologue, chercheuse au CNRS.

Un petit nombre d’acteurs, les Gafam et certaines plates-formes numériques, se jouent des droits nationaux et sont à l’origine d’une dérégulation massive du cadre juridique occidental de l’emploi. Pour parer à cela, en 2015, est lancée la première plate-forme transnationale de défense des crowdworkers, les petites mains d’Internet. Mais ce n’est là que le début de l’histoire.

 « Une phase de tous les possibles »

Autre challenge majeur, la question écologique. « Allons-nous la considérer comme la priorité absolue et engager nos sociétés dans la bifurcation radicale qu’elle exige ? Si nous le faisons, les transformations sur le marché du travail pourraient être massives, explique Dominique Méda, sociologue, professeure à Paris-Dauphine et titulaire de la chaire « Reconversion écologique, travail, emploi » de la Fondation Maison des sciences de l’homme. Il faut changer nos modes de production et de consommation et substituer au fétichisme du PIB le fétichisme de l’empreinte carbone individuelle et collective. D’après les travaux dont on dispose, c’est créateur d’emplois. »

« Le futur du travail reste une idée assez décevante »

Tribune. Le futur du travail est un thème à la mode. Des séminaires professionnels aux cabinets de conseil en transformation en passant par les événements et médias qui lui sont consacrés, impossible d’échapper au phénomène « future of work ». Pourtant, le futur du travail est resté jusqu’ici une idée assez décevante. Il suffit pour s’en convaincre de penser aux nouvelles injonctions à la créativité, à la mode du « tout collaboratif » ou aux grands récits radicaux mais souvent inopérants du « tout automatisation » ou de la société du loisir et du revenu universel. Les rapports, analyses et travaux prospectifs sur le futur du travail se multiplient sans que l’on puisse y voir clair : serions-nous tous voués à devenir entrepreneurs, oisifs ou augmentés ?

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En réalité, évidemment, l’avenir reste résolument incertain. Néanmoins, l’impact sera majeur. De la mutation du monde professionnel (plates-formes, « slasheurs », « makers », « bore out », travailleurs non salariés…), aux tendances lourdes et globales (démographie, mondialisation, environnement), en passant par les nouvelles formes d’organisation et, bien sûr, la technologie et l’automatisation, c’est une révolution massive et profonde qui est en cours et qui mettra en jeu l’équilibre même de nos démocraties et le financement de l’Etat providence.

Une compétition anxiogène

Pour l’instant, ces mutations multiples ont surtout tendance à opposer les uns aux autres dans une compétition anxiogène. « Baby-boumeurs contre millennials », « salariés contre entrepreneurs », « fin du mois contre fin du monde », « hommes contre femmes », « robots contre humains »… Pourtant, l’Organisation internationale du travail le disait déjà il y a cent ans, dans le préambule de sa constitution, « une paix durable et universelle ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale ». L’urgence est donc de ne pas se résigner, ni de subir, mais d’agir, d’expérimenter et se donner les moyens de construire le monde du travail que nous voulons pour demain.

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A titre d’exemple, deux oppositions actuelles sont appréhendées comme des tensions dont les polarités sont à (ré) concilier.

L’opposition stérile entre l’individu et le collectif, d’une part. L’époque où l’on travaillait à des horaires homogènes, au sein d’un collectif de travail unique, sur un site de travail bien identifié est révolue. Entre l’éclatement des lieux de travail, l’individualisation des horaires ou encore les nouveaux modes d’organisation donnant plus de place à l’authenticité et la prise d’initiative individuelle, l’hétérogénéité est devenue la norme. En réalité, loin d’asseoir la primauté de l’individu, la personnalisation renforce la nécessité du collectif : il est plus que jamais indispensable de partager un projet commun, et avant cela, le définir, le partager, le faire vivre. Pour y parvenir, le chemin semble se trouver dans la recherche de systèmes de gouvernance (de parole, de régulation) renouvelés.

Connecter le travail et l’environnement pour s’inscrire dans le futur durable, d’autre part. Travail et environnement ne sont souvent pas liés. Sauf parfois quand il s’agit de mettre en avant la préservation des emplois face à certains choix écologiques. Des réfugiés climatiques, au manifeste des étudiants pour un réveil écologique en passant par les risques du stress thermique en termes de productivité, les questions environnementales affectent pourtant directement celles du travail.

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Il importe de ne pas se contenter d’intentions en termes d’externalités mais de se lancer dans la tâche – sans doute longue et besogneuse – visant à comprendre comment chaque geste, chaque action de travail doit et peut permettre de transformer réellement l’impact d’une organisation. Et ainsi faire entrer ces discussions dans l’entreprise, permettant également de voir émerger des pistes et solutions par les salariés eux-mêmes, tout en accordant enfin une place plus importante au sujet de la transition écologique dans le dialogue social.

Le futur est incertain mais il n’est pas figé. Alors qui travaillera demain ? Pour ne pas subir la réponse à cette question, il importe de créer dès aujourd’hui les méthodes, les projets et les formations qui permettront à chacun de développer une réelle capacité à se saisir et à agir sur son environnement, ses pratiques de travail en commun, pour inventer et décider de son futur du travail souhaitable.

Une conférence en trois temps

Le Monde et Courrier international organisent, en partenariat avec Thecamp, la conférence « Qui travaillera demain ? », le 6 février, de 17 heures à 20 h 30, à La Gaîté-Lyrique, Paris 3e.

Les mutations technologiques et sociétales du monde du travail en cours sont multiples, et elles ont tendance à opposer humains et robots, femmes et hommes, salariés et entrepreneurs, Nord et Sud. Pourtant, il est fondamental que chacun trouve sa place.

Lire l’éditorial du dossier : « Qui travaillera demain ? », une conférence du Monde, le 6 février, à Paris

La soirée s’articule notamment autour de trois thèmes, et des intervenants de l’événement se sont exprimés :

L’intelligence artificielle ou les humains ?

Lire les quatre tribunes : « Qui travaillera demain ? » Les robots ou les humains ?

Les jeunes ou les seniors ?

Lire l’entretien : « Au Japon, les jeunes n’arriveront pas à prendre la relève »
Lire les trois tribunes : « Qui travaillera demain ? » Les jeunes ou les seniors ?

Les coopérateurs ou les compétiteurs ?

Lire l’entretien : « L’économie de la confiance se développe »
Lire les trois tribunes : « Qui travaillera demain ? » Les coopérateurs ou les compétiteurs ?

Voir le programme et s’inscrire

Olivier Mathiot est président du campus pour l’innovation Thecamp

Ingrid Kandelman est responsable de l’exploration « Futur(s) du travail » de Thecamp

Cette tribune est réalisée dans le cadre d’un partenariat entre « Le Monde », Thecamp et « Courrier international » à l’occasion de la conférence « Qui travaillera demain ? » à la Gaîté-Lyrique, à Paris, le 6 février.

« Moi manager. Mes droits et mes devoirs »: maîtriser le droit pour éviter le procès

« Moi manager. Mes droits et mes devoirs en droit du travail », de Jean-Emmanuel Ray. Editions de la Revue Fiduciaire, 316 pages, 29 euros.
« Moi manager. Mes droits et mes devoirs en droit du travail », de Jean-Emmanuel Ray. Editions de la Revue Fiduciaire, 316 pages, 29 euros.

Livre. Lecteurs juristes, passez votre chemin. Si en revanche vous n’entretenez pas avec le droit des rapports d’affection, si le droit du travail tout particulièrement vous paraît complexe, entravant votre quotidien sans vraiment protéger vos collaborateurs, Jean-Emmanuel Ray, chroniqueur au Monde, vous propose une « modeste promenade juridique ». Dans Moi manager. Mes droits et mes devoirs en droit du travail (Revue fiduciaire), le professeur de droit du travail à Paris-I-Panthéon-Sorbonne répond simplement, en des termes les moins techniques possible et avec des exemples réels, aux questions que vous vous posez.

Un gros client appelle : ai-je le droit d’aller chercher les renseignements dans la boîte mail d’Hubert ? A quelles conditions puis-je muter Isabel à Vesoul ? Que faire si elle refuse ? L’ouvrage se penche sur des thèmes que les cadres ou les manageurs non-juristes abordent le plus souvent lors de journées de formation au droit du travail, dans un style vivant, sans aucune prétention à l’exhaustivité, et surtout sans langue de bois. « Car pas plus que le contentieux n’est le droit, le droit n’est pas la vie : ici des règles juridiques pas ou peu appliquées, là des règles non juridiques mais très importantes (ex. : votre réputation), d’autres enfin donnant lieu à des tactiques ; ainsi le licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, dont le plafonnement des dommages-intérêts en 2017 a conduit les salariés à modifier leurs demandes devant le conseil des prud’hommes pour obtenir une meilleure indemnisation. »

Bien sûr, s’agissant du contentieux, les spécialistes qui maîtrisent les 3 800 pages et 9 887 articles du code du travail – sans parler des conventions collectives – feront sans doute mieux que le manageur. « Mais le rare contentieux, ce “droit à l’état de guerre” voire forme pathologique du droit, n’est heureusement pas le “droit à l’état de paix” : les règles appliquées tous les jours en entreprise “sans autre forme de procès”. »

Expertise et exemplarité

Le directeur du Master 2 en apprentissage « Développement des RH et droit social » apprend aux profanes à ne pas se laisser exclure du marché du droit du travail, en pleine expansion, par le vocabulaire technique. « “Tu peux pas comprendre : il s’agit d’un contrat synallagmatique, à titre onéreux et à exécution instantanée !” Traduction : “Quand tu achètes une baguette, tu en paies le prix, la boulangère te remet la baguette, et c’est fini.” Moins impressionnant. »

Le sort d’Isabelle Kocher à la tête d’Engie sera décidé le 6 février

La directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, à Paris, en mai 2019.
La directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, à Paris, en mai 2019. ERIC PIERMONT / AFP

La crise de gouvernance la plus longue jamais advenue dans le CAC 40 est sur le point de s’achever. Selon nos informations, un conseil d’administration extraordinaire d’Engie a été convoqué, jeudi 6 février dans l’après-midi, par son président, Jean-Pierre Clamadieu. Son objet : le renouvellement ou non du mandat d’Isabelle Kocher, la directrice générale depuis mai 2016. Sauf coup de théâtre de dernière minute, le conseil devrait choisir de ne pas accorder de second mandat à la dirigeante de 53 ans.

Initialement, la décision devait être prise le 26 février, lors du conseil d’arrêté des comptes de l’année 2019. Mais ces derniers jours, les différends à la tête de l’énergéticien se sont étalés sur la place publique et M. Clamadieu a préféré anticiper pour couper court à tout déballage. Dans le Journal du dimanche du 2 février, Mme Kocher en a appelé à Emmanuel Macron pour arbitrer en sa faveur, soulignant qu’elle mettait en œuvre les engagements du président concernant la transition énergétique.

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Dans la foulée, le député européen écologiste Yannick Jadot a enjoint lundi à M. Macron de soutenir Mme Kocher. Une tribune parue dans Les Echos, signée par un collectif de personnalités comprenant Anne Hidalgo, la maire de Paris, ou encore Xavier Bertrand, le président du conseil régional des Hauts-de-France, a également volé au secours de la directrice générale d’Engie.

L’Etat, qui détient 23,64 % du capital de l’ancien GDF-Suez, a toujours fait valoir ces derniers mois qu’il laissait au conseil d’administration – lequel comprend deux membres nommés sur sa proposition et un représentant – le soin de choisir à qui il confiait les commandes du groupe.

Harcèlement moral : les salariés de Pôle emploi témoignent

A Pôle emploi, la souffrance est des deux côtés du guichet. Depuis le 15 juillet 2014, l’opérateur public est visé par une information judiciaire pour « harcèlement moral, mise en danger délibérée de la personne d’autrui, non-assistance à personne en danger, homicide involontaire et conditions de travail contraires à la dignité de la personne ».

L’information judiciaire fait suite à une plainte déposée par les parents d’Aurore Moësan. Cette conseillère, qui a travaillé dans plusieurs agences Pôle emploi de Saine-Saint-Denis, s’est pendue à son domicile le 27 octobre 2012, à 32 ans. Longue d’une vingtaine de pages, la plainte évoque plus de 17 suicides qui auraient une origine professionnelle entre 2009 et 2014. Dans Pôle emploi. La face cachée (Editions de l’Atelier, 2019), Margaux Duguet, Catherine Fournier et Valentine Pasquesoone, journalistes de Franceinfo.fr, lèvent le voile sur la situation des quelque 50 000 agents et cadres supérieurs de Pôle emploi.

Depuis la naissance de Pôle emploi, le portefeuille des agents chargés de l’accompagnement ne cesse de grossir. A la fin de l’année 2018, un conseiller aidait en moyenne trois cent quarante-neuf demandeurs d’emploi en « modalité suivi ». Un chiffre en hausse de près de 10 % en à peine deux ans. « On a normalisé la surcharge de travail. Quand tu fais beaucoup, tu dois faire encore plus », relate un conseiller. Ils sont quarante-cinq à s’exprimer sur leurs conditions de travail dans l’ouvrage.

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Ils évoquent tantôt le burn-out, conséquence de cette surcharge de travail, mais également dans le phénomène inverse, celui du bore-out, cet ennui profond qui se transforme en souffrance au travail. « Car si certains sont submergés, d’autres se sentent placardisés, mis à l’écart de Pôle emploi. Marc-Antoine, chargé de mission, raconte s’être vu conseiller par la médecine du travail d’amener “un bouquin ou du tricot” au bureau, tant il manque au quotidien de tâches à faire. »

Surveillance

Le livre décrit également les mécanismes de surveillance mis en place pour mesurer l’efficacité des agents. « Retenez que la politique du chiffre reste le leitmotiv de Pôle emploi ! Voilà l’essentiel de notre mission : obtenir de bons indicateurs à tout prix ! », confie une conseillère.

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Aux yeux de nombre d’interlocuteurs, la souffrance au travail a gagné les rangs du service public depuis la fusion de l’ANPE et de l’Assedic, en 2009. « Dix ans après la fusion, les tensions subsistent entre les cultures issues du public et du privé. La pression des résultats, de plus en plus prégnante, ainsi que les adaptations permanentes, des directives parfois contradictoires, laissent bon nombre d’agents sans repères », résument les auteurs, qui ont rencontré Claude Guéant, secrétaire général à l’Elysée à l’époque des faits, pour comprendre la volonté politique derrière cette réforme emblématique.

Malgré le plein-emploi, la discrimination par l’âge persiste aux Etats-Unis

Selon une étude portant sur l’évolution professionnelle de 20 000 personnes, âgées de 50 ans en 1992, 28 % ont été remerciées au moins une fois, 15 % ont vu leurs conditions de travail se détériorer et 13 % ont été poussées vers une retraite anticipée (Urban Institute et Propublica).
Selon une étude portant sur l’évolution professionnelle de 20 000 personnes, âgées de 50 ans en 1992, 28 % ont été remerciées au moins une fois, 15 % ont vu leurs conditions de travail se détériorer et 13 % ont été poussées vers une retraite anticipée (Urban Institute et Propublica). Jens Magnusson/Ikon Images / Photononstop

Depuis deux ans, Maurice Anscombe, 58 ans, survit grâce à de petits boulots. Cet habitant de Baltimore, dans l’Etat du Maryland, fait le chauffeur pour Uber. M. Anscombe n’a jamais retrouvé d’emploi stable après son licenciement du groupe de télécommunications Verizon. A la belle époque, il gagnait bien sa vie. Avec les heures supplémentaires, ce technicien empochait 90 000 dollars (81 547 euros) par an. Aujourd’hui beaucoup moins. Et pourtant, assure-t-il, « je suis très adaptable, j’apprends vite, j’arrive à l’heure et je reste jusqu’à ce que le travail soit fini ».

Mais les futurs employeurs ne se donnent même pas la peine de regarder son CV. En moyenne trois fois par semaine, M. Anscombe pose sa candidature pour un nouveau poste. En vain. Personne ne lui répond. Il est jugé trop vieux. Alors, sur les conseils de son syndicat CWA (Communications Workers of America), il a rejoint deux autres anciennes salariées des centres d’appel, elles aussi au chômage, et tous ensemble ils ont porté plainte contre Facebook, Cox Communications, Amazon, T Mobile… pour discrimination par l’âge.

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Une différenciation normalement interdite par la loi, tout comme la discrimination fondée sur la race, le sexe, l’appartenance à la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) ou encore le handicap. Ces grandes entreprises sont accusées d’avoir placé des petites annonces de recrutement sur Facebook, LinkedIn et autres plates-formes du Net, excluant d’office certaines tranches d’âge, les plus de 50 ans. Grâce aux algorithmes de Facebook, il est facile de cibler la génération du millénaire.

L’histoire de M. Anscombe n’est pas unique. Son avocat, Peter Romer-Friedman, du cabinet Outten & Golden, espère bien obtenir le statut de plainte collective pour cette affaire et rallier à la cause plusieurs millions d’anciens.

La loi protège mal

Les Etats-Unis ont beau connaître une situation de plein-emploi exceptionnelle – le taux de chômage, passé sous la barre des 4 %, continue de descendre –, les hommes de plus de 50 ans et les femmes quadragénaires ont dû mal à garder ou à retrouver de bons postes. Le laboratoire d’idées Urban Institute et l’ONG d’enquêtes journalistiques Propublica traquent depuis plusieurs années l’évolution professionnelle de 20 000 personnes, âgées de 50 ans en 1992. Résultat : 28 % ont été remerciées au moins une fois, 15 % ont vu leurs conditions de travail se détériorer et 13 % ont été poussées vers une retraite anticipée.

Prévention du suicide : « Solitude, qualité de travail “empêchée”, surengagement, surcharge mentale sont au nombre des facteurs de risques suicidaires »

« Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié. »
« Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié. » PhotoStock-Israel/Cultura / Photononstop

Carnet de bureau. La France compte entre 10 000 et 11 000 suicides par an depuis dix ans. Combien d’entre eux sont-ils liés au travail ? Le quatrième rapport de l’Observatoire national du suicide, à paraître prochainement, ne l’indique pas, « parce que c’est impossible, explique Christian Baudelot, sociologue et coauteur du rapport avec le psychiatre Michel Debout. Il y a un blocage énorme des entreprises pour en parler. Les directions se refusent toujours à comptabiliser et à communiquer sur les suicides. Alors même qu’elles sont soumises à des transformations radicales ».

Les drames des dix dernières années (Technocentre Renault, France Télécom, La Poste) n’ont pas suffi à briser le tabou. L’intérêt du rapport de l’Observatoire national du suicide est de parler et de faire parler de ce phénomène multifactoriel en réaffirmant son lien avec les conditions de travail. Solitude, qualité de travail « empêchée », surengagement, surcharge mentale, sont au nombre des facteurs de risques suicidaires. La politique de prévention est au nombre des solutions.

« France Télécom nous a beaucoup appris. Le concours des psychiatres, des psychologues et des syndicalistes a permis de mieux appréhender le sujet, estime M. Baudelot. Ce sont les travailleurs les plus impliqués et les plus attachés à l’éthique de leur travail qui se suicident. Et le suicide est d’autant plus fréquent, qu’il y a une perte des liens sociaux. Or, le management rend les salariés de plus en plus seuls, avec l’injonction de s’investir toujours davantage. Mais la situation n’est pas irrémédiable. La direction et le management de France Télécom ont changé et l’entreprise n’a pas coulé. »

De nombreux obstacles

La prévention des risques dits psychosociaux (RPS) est un problème. Les entreprises ne savent ni anticiper ni la suivre dans la durée, affirment Michel Debout et Jean-Claude Delgènes dans leur essai Suicide. Un cri silencieux. Mieux comprendre pour mieux prévenir (Le Cavalier bleu). Le psychiatre et le directeur général du cabinet Technologia spécialiste des RPS décodent un certain nombre d’idées reçues (Non ! Le suicide n’est pas héréditaire) et montrent en quoi le rôle du DRH est primordial. Le plus souvent, le changement d’organisation du travail n’est ni concerté ni participatif. Il est de la responsabilité du DRH de s’opposer aux décisions qui ne prennent pas suffisamment en compte l’être humain derrière le salarié.

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Les obstacles à la prévention sont nombreux : la difficulté à parler le même langage entre psychologue et manageur pour élaborer des sorties de crise, la méfiance des dirigeants à l’égard des sciences humaines, le respect du secret médical. C’est une fois la tragédie survenue, donc trop tard, que l’entreprise met en place des espaces d’écoute ou de médiation, pour traiter les risques suicidaires au cas par cas. « Au moment du drame, tous les acteurs se mobilisent, préoccupés par les conséquences juridiques et par l’image de l’entreprise. Des projets de prévention voient le jour. Mais avec le temps et le turnover des DRH et des leaders syndicaux, toute cette réflexion se perd », témoigne M. Delgènes.