Archive dans novembre 2019

Charlotte de Vilmorin, une cheffe d’entreprise aux commandes malgré son fauteuil roulant

Charlotte de Vilmorin a fondé et dirigé le site de partage de véhicules aménagés Wheeliz.
Charlotte de Vilmorin a fondé et dirigé le site de partage de véhicules aménagés Wheeliz.

Jeune, femme, en situation de handicap… Au regard des statistiques, Charlotte de Vilmorin, 29 ans, avait peu de chances de devenir dirigeante d’entreprise. Pourtant, depuis 2015, cette battante est à la tête de Wheeliz, un site de location entre particuliers de voitures aménagées, lancé avec le développeur Rémi Janot. La structure, avec six salariés, gère un parc de 1 500 voitures et compte 10 000 utilisateurs. Le marché est prometteur : la France compte 400 000 personnes en fauteuil roulant et 1,2 million de seniors en perte d’autonomie. Wheeliz travaille au lancement d’une appli qui permettra de dématérialiser la signature du contrat et l’état des lieux.

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Wheeliz se développe au prix d’« un combat quotidien », concède, souriante, la jeune femme, chemise en jean et pull sombre à paillettes. « Ce n’est pas facile d’affronter le regard des autres quand on y lit le soupçon d’incompétence a priori. »

Dans sa phase de prospection, elle se souvient de cette personne qui l’a poliment écoutée, puis lui a envoyé un mail le lendemain : « Le business n’est pas compatible avec votre condition physique ! Vendez votre idée et contentez-vous de votre blog [Wheelcome, sur sa vie en fauteuil roulant ; elle a également été l’auteure d’un récit sur son expérience]. » Et que dire de ce banquier auquel elle demandait l’ouverture d’un compte professionnel : « Mais non, mademoiselle, vous voulez parler d’un compte personnel !”, m’a-t-il lancé, en me regardant comme si j’étais neuneu », se souvient Charlotte de Vilmorin.

« Sur mon CV, je n’indiquais pas que j’étais en fauteuil. J’ai vite déchanté car, souvent, je ne pouvais même pas accéder au bureau du recruteur en raison d’un escalier. » Charlotte de Vilmorin

Mais son plus gros obstacle, « c’est l’autocensure ». Heureusement, sa famille et ses amis sont d’un soutien sans faille. « Cela donne une grande force, ajoute la chef d’entreprise. Mes parents ont tout fait pour que je grandisse en milieu ordinaire, avec les camarades de mon âge, ça change tout. »

Diplômée du Celsa, après une prépa, Charlotte a démarré sa vie professionnelle dans une agence de publicité avant de se lancer à son compte. « A mes débuts, sur mon CV, je n’indiquais pas que j’étais en fauteuil, car je voulais être choisie pour mes compétences, se souvient la jeune femme. Mais j’ai vite déchanté car la plupart du temps, je ne pouvais même pas accéder au bureau du recruteur en raison d’un escalier ou d’un ascenseur trop étroit pour passer. »

Ces entreprises qui se veulent plus accueillantes envers les salariés handicapés

Dans l’usine allemande DencoHappel Production, en 2017.
Dans l’usine allemande DencoHappel Production, en 2017. DPA / Photononstop

Dorothée Pinotie respire à nouveau. Lorsqu’elle a appris que son employeur, le centre de relations clients d’ICF Habitat (le bailleur social de la SNCF) déménageait du 13e au 10e arrondissement de Paris, la conseillère clientèle a eu un coup de stress. Changer ses habitudes n’est évident pour aucun salarié, mais lorsque l’on est non voyant, les questions d’accessibilité dans un nouveau quartier prennent une importance cruciale.

Heureusement, pour l’aider à se repérer, sa hiérarchie lui a proposé des « ateliers de locomotion » avec une association spécialisée. « J’ai mémorisé différents chemins pour me rendre sur mon lieu de travail. C’est à ce genre d’attention que l’on mesure la volonté d’une société d’accueillir des personnes handicapées », estime Dorothée Pinotie, quelques semaines plus tard. Ce centre de relations clients fait figure d’exemple : il accueille 20 % de salariés souffrant de handicaps divers. Une politique volontariste portée depuis sa création en 2006 par son responsable Olivier Sicard. Sensibilisé par « un ami brusquement atteint de cécité », celui-ci a eu « une véritable prise de conscience ». Le dirigeant espère maintenant convaincre d’autres services autour de lui. Des petits-déjeuners dans le noir sont, par exemple, déjà prévus.

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Le taux de chômage des personnes en situation de handicap atteint 18 %, et plus de la moitié d’entre elles recherchent un poste depuis plus d’un an. La loi fixe à toutes les entreprises de plus de 20 salariés une obligation d’emploi de 6 % de travailleurs handicapés. Mais seules 34 % en recrutent directement au sein de l’entreprise, sans sous-traiter à des établissements spécialisés. Une kyrielle de dispositifs a pourtant été mise en place pour aider les employeurs dans le recrutement. « On fait face à une action publique composée d’une sédimentation de dispositifs aux orientations parfois contradictoires, avec une multiplicité d’acteurs. On est bien en peine, aujourd’hui, d’identifier ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas », analyse Anne Revillard, professeure associée à Sciences Po et auteure de Handicap et travail (Presses de Sciences Po – mai 2019). Les réformes en cours ont pour ambition de faire bouger les lignes.

Dans la durée

Sensibilisation des équipes, recrutement, aménagements de postes, maintien dans l’emploi et aide à la reconversion… Les sociétés les plus en pointe ont mis en œuvre des politiques volontaristes qui jouent sur plusieurs plans, le plus souvent dans la durée. Installée dans la Loire, France Découpe, spécialisée dans la transformation de papiers peints intissés, fait partie de ces bons élèves depuis peu. La PME de 65 salariés (groupe Addev Materials) a démarré une politique en la matière, il y a tout juste un an. Son taux d’emploi au sein de l’entreprise a bondi de 1,5 % à 8,83 %.

Monoprix à nouveau condamné pour l’emploi de ses salariés la nuit

Le logo du supermarché Monoprix, à l’entrée d’une de ses boutiques, à Paris, France, le 21 novembre 2019.
Le logo du supermarché Monoprix, à l’entrée d’une de ses boutiques, à Paris, France, le 21 novembre 2019. GONZALO FUENTES / REUTERS

Déjà condamné par le passé pour travail de nuit, Monoprix a une nouvelle fois été condamné. Le tribunal de grande instance de Nanterre a interdit au magasin « d’employer des salariés après 21 heures », sous astreinte de 30 000 euros par infraction constatée pendant six mois, selon le jugement obtenu vendredi 29 novembre par l’Agence France-Presse.

Le jugement, reporté à plusieurs reprises, donne raison à la Confédération générale du travail (CGT). Le syndicat contestait les accords conclus les 8 et 11 octobre 2018 par l’entreprise avec deux autres organisations syndicales – la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) –, sur le travail de nuit, en zone touristique internationale (ZTI) et en dehors.

La législation encadre aujourd’hui le travail de nuit dans le commerce alimentaire de détail dans les ZTI (Champs-Elysées, etc.) à des conditions précises : rémunération double, compensation en heures de repos équivalente au temps travaillé, aide à la garde d’enfants et prise en charge du retour du salarié à son domicile.

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Une centaine de magasins concernés

C’est sur ce dernier point que le tribunal a jugé insuffisantes les dispositions de l’accord d’entreprise qui accordait une prise en charge du transport « le plus économique » et faute de transport en commun lors du travail de nuit.

Le code du travail prévoit pourtant « la mise à disposition d’un moyen de transport pris en charge par l’employeur qui permet aux salariés de regagner leur lieu de résidence ». Depuis, Monoprix a souscrit un contrat avec une société de VTC, mais en l’absence d’avenant à l’accord, le tribunal « fait droit à la demande d’annulation » de la CGT.

Pour le travail de nuit hors zone touristique, qui concerne déjà plus d’une centaine de Monoprix en zone urbaine, le tribunal rappelle que le travail de nuit doit être « exceptionnel » selon le code du travail.

Le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre a jugé que le recours au travail de nuit tel que prévu dans l’accord d’entreprise n’était « pas exceptionnel » et « annule l’accord relatif au travail de nuit du 11 octobre 2018 ». Toutefois, le TGI a autorisé l’ouverture tôt le matin, à partir de 5 heures, pour approvisionner les magasins.

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10 % de chiffre d’affaires après 20 heures

Monoprix « va étudier le jugement et réserve sa position », a fait savoir l’avocat de l’enseigne, Me Philippe Bouchez-El Ghozi lors d’une conférence de presse téléphonique. Marie-Christine Aribart de la CGT s’est félicitée du jugement, « qui va permettre aux salariés de rentrer plus tôt chez eux », mais juge « probable que Monoprix propose un nouvel accord » à la signature des syndicats.

La distribution met en avant les changements d’habitude de consommation des Français et la concurrence du commerce sur Internet pour justifier les ouvertures en soirée. Parallèlement, elle accélère la mise en place de caisses automatiques ; ce qui lui permet de contourner la loi qui encadre très strictement l’emploi de salariés la nuit.

Monoprix ouvre déjà 129 magasins (sur 289 Monoprix) après 21 heures, dont 15 en zone touristique internationale, et avance que 10 % de son chiffre d’affaires est réalisé après 20 heures à Paris. Ainsi 12,7 % de ses effectifs travaillent déjà après 21 heures.

L’enseigne avait déjà été condamnée en appel en septembre 2018 à cesser d’employer des salariés dans ses établissements parisiens entre 21 heures et 6 heures, également sous astreinte de 30 000 euros par infraction, mais avait immédiatement conclu de nouveaux accords, échappant ainsi aux sanctions.

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Les agents du Louvre obtiennent une prime exceptionnelle de 500 euros

File d’attente pour l’exposition « Léonard de Vinci », au musée du Louvre, à Paris, le 24 octobre.
File d’attente pour l’exposition « Léonard de Vinci », au musée du Louvre, à Paris, le 24 octobre. – / AFP

Une prime exceptionnelle de 500 euros promise à certains agents du ministère de la culture, le 14 novembre, par Franck Riester, a mis le feu aux poudres. Cette somme était censée remercier les agents de l’administration centrale, les agents des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et ceux des services à compétence nationale pour les efforts consentis au titre de l’adaptation au plan de transformation du ministère.

Quelque 6 000 agents, sur 24 000 (hors spectacle vivant), selon Vincent Krier, secrétaire national de la CGT-Culture, sont concernés. « Les agents des musées comme le Louvre, Orsay, Picasso, Rodin, mais aussi les écoles d’art en étaient exclus, alors qu’ils auraient dû en être », estime-t-il.

Selon la direction du Louvre, un accord de principe pour allouer cette prime de 500 euros a été trouvé, jeudi 28 novembre au soir, avec les syndicats. Cependant, réunis en assemblée générale, quelque 500 salariés voulaient son versement intégral dès la fin décembre et refusaient le calendrier et les modalités de l’offre de la direction.

Le pavillon Mollien envahi dans la matinée

Certains agents de la CGT ont envahi le pavillon Mollien dans la matinée – retardant l’ouverture du musée, sauf l’accès à l’exposition « Léonard De Vinci ». La direction a finalement imposé son calendrier avec un premier versement de 170 euros, fin décembre, et le solde (330 euros), fin mars 2020. La CGT a obtenu que tous les salariés – près de 2 000 agents ou contractuels, qu’ils soient à plein temps ou à temps partiel – l’obtiennent. Même ceux qui partiront à la retraite entre le 1er janvier 2020 et la fin mars 2020 toucheront 330 euros. Cette bonification s’ajoute d’ailleurs à la prime de fin d’année du Louvre, de 330 euros, déjà accordés à tous les salariés.

« Nous avons obtenu satisfaction, se félicite Christian Galani, secrétaire adjoint de la section CGT du musée du Louvre. La mobilisation reste forte, si au Centre des monuments nationaux, au château de Versailles et au musée d’Orsay, les agents ont obtenu 500 euros en chèques-cadeaux, d’autres établissements n’ont toujours pas signé, comme le château de Fontainebleau, le musée Guimet ou le musée Picasso. »

Handicap et emploi : briser les plafonds de verre

Salarié handicapé dans un bureau, à Berlin, le 24 novembre 2016.
Salarié handicapé dans un bureau, à Berlin, le 24 novembre 2016. Robert Schlesinger/DPA / Photononstop

En France, emploi et handicap vont rarement de pair. Et la litanie des mauvais chiffres n’incite pas à l’optimisme. Seulement 3,5 % des personnes en situation de handicap sont salariées dans le secteur privé et 515 000 sont inscrites à Pôle emploi. Leur taux de chômage est le double de la moyenne nationale. Elles sont aussi plus âgées et sans activité depuis plus longtemps.

La loi du 10 juillet 1987 a pourtant imposé aux sociétés de plus de 20 salariés de recruter au moins 6 % de travailleurs en situation de handicap. Mais au cours des trois dernières décennies, nombre de patrons ont préféré s’acquitter d’une contribution financière compensatrice à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Agefiph) et/ou passer des contrats de sous-traitance avec le milieu dit « protégé » des établissements et services d’aide par le travail (ESAT) et celui des entreprises adaptées.

Discriminations et préjugés

Si les dirigeants rechignent trop souvent à embaucher des personnes en situation de handicap, c’est, plaident-ils, en raison de leur faible niveau de qualification. D’autres évoquent la trop grande complexité administrative liée aux démarches de recrutement. Certains écueils s’avèrent moins avouables : discriminations et préjugés jonchent la route vers l’emploi.

« On surestime leurs incapacités et on sous-estime leurs compétences, regrette Alain Rochon, président de l’association APF-France Handicap. Et au-delà, c’est toute la chaîne de l’accessibilité vers l’emploi qui reste à bâtir dans le pays. Au quotidien, des millions de personnes ne peuvent pas accéder aisément aux moyens de transport, aux locaux de travail, aux commerces, aux cabinets médicaux, aux services publics, aux établissements scolaires ou d’enseignement supérieur. »

La France travaille désormais à flécher et à fluidifier les parcours des personnes handicapées vers le milieu dit « ordinaire », c’est-à-dire l’environnement de l’ensemble de la population. Depuis un an et demi, une palette d’outils est déployée. Exemple ? La réforme du système de l’obligation d’emploi qui sera mise en œuvre au 1er janvier 2020 vise à en simplifier les procédures de déclaration, de réponse et de calcul. Le nombre de « CDD tremplin » (permettant de travailler quelque temps dans une entreprise adaptée avant d’intégrer une structure « classique ») devrait passer de 700 à 2 000 l’année prochaine.

Compte personnel de formation : attention aux conditions d’utilisation

« Avis d’expert. Droit social ». La refonte, très médiatisée, de la plate-forme Internet du compte personnel de formation (CPF) interroge non seulement sur le fonctionnement du dispositif, déjà trois fois amendé depuis la loi fondatrice de 2014 – et qui de l’avis même des responsables ministériels n’est pas suffisamment utilisé –, mais plus fondamentalement sur les sources du droit à l’œuvre.

Pour mémoire, selon l’article L. 6111-1 du code du travail, « chaque personne dispose, dès son entrée sur le marché du travail, indépendamment de son statut, d’un CPF qui contribue à l’acquisition d’un premier niveau de qualification ou au développement de ses compétences et de ses qualifications en lui permettant, à son initiative, de bénéficier de formations ».

Les différents rôles de la CDC

Tout salarié, tout fonctionnaire, tout indépendant, tout demandeur d’emploi ou toute personne accueillie dans un établissement et service d’aide par le travail, âgée d’au moins 16 ans, se voit attribué individuellement et annuellement un « crédit » utilisable pour suivre une formation certifiante et qualifiante. La formation peut être effectuée durant son temps de travail (avec l’accord préalable de l’employeur pour le salarié ou le fonctionnaire), ou en dehors.

Dès la connexion à l’application MonCompteFormation, lancée par le ministère le 21 novembre, apparaissent des conditions générales d’utilisation (CGU) qu’il faut approuver d’un clic avant de pouvoir continuer à naviguer sur les pages du site www.moncompteformation.gouv.fr. L’usager s’attend, comme pour tout site Internet, à ce que ces CGU définissent les engagements réciproques entre le titulaire du compte et l’opérateur de la plate-forme, en l’occurrence la Caisse des dépôts et consignation (CDC).

Mais elles contiennent bien plus que cela ! Ces CGU désignent « les engagements souscrits au titre des présentes conditions générales et des conditions particulières propres aux organismes de formation et aux titulaires de compte ». Elles encadrent de façon très précise les futures relations contractuelles entre celui qui veut exercer son droit à la formation, l’activité de l’organisme de formation et même les fonctions de la CDC dont on découvre au fur et à mesure les différents rôles (gestionnaire, contrôleur, médiateur). Le législateur a autorisé cette façon de faire et cette nouvelle source de droit à l’article L6323-9 du code du travail.

Or, le clic d’acceptation des CGU doit être donné avant consultation du compte et donc à un moment où, par définition, ni le crédit disponible, ni la formation à retenir, ou encore l’organisme de formation susceptible de convenir ne sont (du moins précisément) connus.

Formation professionnelle : une appli bienvenue mais perfectible

Une appli permettant d’avoir facilement accès à la formation professionnelle ? « C’est pas mal », réagit Catherine Lenglet, prof de design. Depuis le 21 novembre, « Mon Compte formation » est téléchargeable sur n’importe quel smartphone. Notée 3,5/5 sur l’AppStore, introuvable sur PlayStore. En quelques clics, à condition de disposer de son numéro de Sécurité sociale, tout actif peut ainsi ouvrir son compte personnel de formation (CPF), comme il pouvait le faire sur son ordinateur depuis le 1er janvier 2015. Une possibilité méconnue : sur 29 millions d’actifs, seuls 8,3 millions avaient activé leur compte, et à peine 2 millions l’avaient utilisé, indique le ministère du travail.

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Au vu des réactions, l’existence même du CPF était passée complètement inaperçue. Dès l’annonce du lancement de l’application, les tweets tombaient en cascade. « J’avais 1 000 euros, ? Mais pourquoi j’ai payé mon permis cet été », dit l’un, « Je découvre que depuis des années j’ai des sous qui s’accumulent et vont payer les 2/3 de mon permis », répond Marie.

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Les 500 euros versés (800 pour les moins qualifiés) par an sur le CPF individuel sont un droit à formation. La Caisse des dépôts qui gère le compte paye directement l’organisme de formation. Les actifs disposent en moyenne de 1 040 euros sur leur compte. Les indépendants y auront accès à partir d’avril 2020.

L’appli ne change pas les règles

Mais « il faudra toujours l’accord de sa direction pour partir en formation pendant les heures de travail », réagissait la CGT, le 17 novembre. En effet, l’appli ne change pas les règles : le financement de la formation en toute indépendance n’est possible que si elle est faite en dehors du temps de travail.

L’avantage de cette appli est sa simplicité d’utilisation : plus besoin de connaître la convention collective dont on dépend. Le compte est ouvert en donnant ses coordonnées et en validant les conditions générales d’utilisation, qu’aucune des personnes interrogées pour cet article n’avait lues. Elles ont eu tort : les manquements aux obligations du titulaire du compte sont sévèrement sanctionnés. Les importants changements d’usage (déclarer la fin de sa formation et la certification obtenue) auraient mérité une mise en garde très visible. Si le formulaire n’est pas rempli dans les temps, il faut recommencer : « La durée de vie du contrôle de sécurité est dépassée, veuillez renouveler le contrôle de sécurité ».

Nouvelles plaintes dans l’affaire qui éclabousse le régime de garantie des salaires

Nouveau rebondissement dans l’affaire qui ébranle l’Assurance de garantie des salaires (AGS). Une plainte supplémentaire vient d’être adressée au parquet de Paris pour dénoncer de possibles malversations dont aurait été victime cette structure contrôlée par le patronat. La démarche auprès du procureur de la République émane de l’Unédic, l’association paritaire gérant l’assurance-chômage à laquelle est rattachée l’AGS. Les faits incriminés mettent notamment en cause des mandataires judiciaires, ces professionnels du droit et de l’économie chargés de représenter les créanciers d’une entreprise mise en redressement ou en liquidation judiciaire.

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La plainte de l’Unédic s’ajoute à celle déposée en octobre par l’AGS et que Les Echos ont révélée récemment. Dans les deux cas, les soupçons d’infraction sont les mêmes. Ces saisines du ministère public pourraient mettre en lumière de graves dysfonctionnements dans un dispositif dont le rôle est crucial : assurer le paiement du salaire de personnes employées dans des sociétés qui battent de l’aile.

« Construction juridique bizarroïde »

Le régime de garantie des salaires constitue une singularité dans notre système de protection sociale : sa gouvernance est assurée par une association dans laquelle siègent exclusivement des administrateurs issus du monde patronal ; quant à la gestion proprement dite du dispositif, elle est confiée à une Délégation Unédic AGS (DUA), qui est distincte de l’Unédic tout en étant liée à celle-ci par une « convention de gestion ». Comme le reconnaît un responsable d’une organisation d’employeurs, il s’agit d’« une construction juridique bizarroïde » dont le fonctionnement n’est pas évident à appréhender et qui fait rarement parler d’elle.

Mais depuis quelques mois, cette structure est – un peu – sortie de l’ombre, à cause d’une affaire à laquelle s’intéresse la justice pénale. Tout est parti d’une plainte, rendue publique le 25 mars par le Medef, « à la suite de soupçons de malversations » : d’après le mouvement présidé par Geoffroy Roux de Bézieux, des détournements de fonds (« abus de confiance ») pourraient avoir été commis, sur fond de « corruption active ou passive ». Le doute avait surgi à la suite d’un audit réalisé à partir de la fin 2018 par le cabinet EY, au moment où s’installait une nouvelle équipe à la tête de l’AGS : à cette occasion, des « anomalies » avaient été découvertes, qui pourraient engager la responsabilité d’anciens cadres de la DUA.

Les inégalités françaises, un cas d’école

La revue des revues. Dans sa rubrique « Futurs d’antan », la revue Futuribles a eu l’excellente idée, dans son nouveau numéro, d’exhumer des extraits du roman Rule Britannia (1972), de Daphné du Maurier (1907-1989), qui sont d’une troublante actualité et d’une ironie très british. Ce récit prophétique, publié en France sous le titre Mad (Albin Michel, 1974) occupe une place à part dans l’œuvre de la romancière britannique. Dans un scénario de politique-fiction qu’elle situe en 2000, l’auteure de Rebecca raconte que l’Angleterre décide de quitter la Communauté européenne à la suite d’un référendum. Mais rien ne se passe comme prévu et la nouvelle alliance que le premier ministre anglais entend former avec les Etats-Unis, l’Australie et l’Afrique du Sud sombre dans un joyeux bain de sang. Espérons que le Brexit du monde réel sera moins tragique…

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Le Brexit a partie liée à la perception d’une plus grande insécurité économique par les classes moyennes et à la montée des inégalités sociales. Comme ces évolutions traversent tous les pays européens, la revue Futuribles a choisi de publier, dans ce même numéro, un article consacré aux inégalités en France. Laurence Boone, chef économiste de l’OCDE depuis 2018 et ancienne conseillère de François Hollande à l’Elysée, et Antoine Goujard, économiste principal à l’OCDE, analysent la faible mobilité sociale dans l’Hexagone. « Seule la Hongrie, parmi les pays de l’OCDE, montre plus de déterminisme social que la France », observent-ils.

Disparités géographiques

En France, l’inégalité des chances est perpétuée par le système éducatif. « L’école française continue à produire plus de personnes ne suivant ni études ni formation que la moyenne de l’OCDE : près de 21 % des 20-24 ans se trouvaient dans cette situation en 2017 », notent les auteurs. Cette tendance s’accompagne de fortes disparités géographiques, selon la commune ou le quartier. Ce constat est d’autant plus alarmant que la France a construit un des systèmes de redistribution efficaces mais qui ne sont pas vraiment favorables aux classes moyennes. Si la redistribution par les impôts et les transferts sociaux permet de réduire les inégalités de revenus, les deux économistes pointent donc « des inégalités d’opportunité » largement liées au système éducatif.

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Ancien conseiller social de Dominique de Villepin lorsqu’il occupait Matignon, Louis-Charles Viossat dresse, pour sa part, un état des lieux du travail sur les plates-formes numériques. Il constate un fort décalage entre leur poids économique et leurs effectifs salariés : Amazon emploie 650 000 personnes, Google 100 000 salariés, Facebook 35 000, Uber 20 000 – contre 2,2 millions pour Walmart… Selon le haut fonctionnaire, ces plates-formes doivent, à l’avenir, relever deux défis : mieux protéger les travailleurs et assurer de réelles conditions de concurrence. Dans les deux cas, écrit-il, c’est le recours au droit qui permettra de faire émerger des solutions.

Les mouvements des yeux peuvent-ils fonder la décision d’embauche?

« Une préoccupante évolution des techniques de recrutement est en train de se produire », alerte Jean-François Amadieu, le professeur de l’Université Paris 1, spécialiste des discriminations dans une étude publiée jeudi 28 novembre. En octobre, Easyrecrue vantait sa « solution phare d’entretien video différé avec présélection par l’intelligence artificielle ». Quelques mois auparavant, une étude du site de recherche d’emploi Indeed présentait « l’entretien d’embauche avec une intelligence artificielle, comme seule perspective d’emploi pour de nombreux Français ». Sans aller jusque-là, 70 % des entreprises du CAC40 seraient déjà clientes d’algorithmes de recrutement vidéo. L’engouement est tel qu’il devient urgent d’informer, précise Jean-François Amadieu. Son étude « Entretiens vidéo et intelligence artificielle – une nécessaire régulation » analyse les biais et la légalité de ces nouveaux modes de recrutement.

En effet, si les bénéfices des algorithmes – gain de temps, précision de l’analyse des CV – sont attractifs pour un employeur, les travers ne manquent pas. Les biais sont considérables puisque c’est la communication non verbale qui va influencer les recruteurs, explique M. Amadieu. « Ces algorithmes traitent, au gré des prestataires qui les ont conçus, la prosodie, les regards, les mouvements, les expressions faciales et parfois même la forme des visages ou le look. Ils entendent détecter les candidats compétents et les classer en fonction de ces critères. » C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, on a constaté que les jugements sur la communication non verbale destinés à évaluer l’extraversion et la stabilité émotionnelle, étaient défavorables aux noirs.

Les entretiens vidéo sont une réelle source de discrimination directe et indirecte. Sur les 25 motifs de discriminations existants, beaucoup ne sont visibles que si l’on voit la silhouette et les mouvements du candidat. Ce qui est le cas en entretien vidéo. « Priver les candidats de pouvoir poursuivre les étapes de sélection après avoir regardé une vidéo de quelques secondes est consternant », commente le sociologue. Le résultat obtenu est que les algorithmes recrutent des clones.

Par ailleurs, légalement, certaines des données analysées par les algorithmes sont inutilisables par le recruteur, car considérées comme source de discrimination, comme le critère « apparence physique » par exemple. En France, l’analyse faciale à des fins de recrutement est interdite à l’employeur, et « on l’autoriserait pour l’algorithme ! », interpelle le sociologue, qui invite le Défenseur des droits à se prononcer sur le sujet. « On se demande comment les « jeunes pousses » qui vendent ces algorithmes et les DRH qui les achètent peuvent méconnaître à ce point le contexte national », s’étonne Jean-François Amadieu.