Archive dans décembre 2018

« Une hausse du smic pourrait admettre de corriger un peu les déséquilibres »

 

Le gouvernement Français a confirmé qu’il n’était pas question d’augmenter le smic au-delà de sa hausse légale (du moins jusqu’à nouvel ordre). Pourtant, on remarque, depuis plusieurs décennies à une captation des fruits de la croissance économique par les plus riches. Les mesures récentes prises par l’exécutif ne risquent pas d’améliorer les choses. L’Institut des politiques publiques a chiffré en octobre l’impact des mesures budgétaires pour l’année 2018-2019 : les 20 % les plus pauvres enregistreront une perte de revenu disponible pouvant atteindre 1 %, tandis que les 1 % les plus riches gagneront jusqu’à 6 % de pouvoir d’achat.

Une hausse du revenu minimum pourrait permettre de corriger un peu cette aliénation. Le premier ministre a pourtant balayé cette option d’un revers de main, avec un argument parfaitement nébuleux. Selon lui, « notre politique, ce n’est pas de faire des coups de pouce au smic, notre politique c’est de faire en sorte que le travail paie ». Evidemment, si l’on augmente le smic, le travail paiera davantage. Mais le premier ministre s’appuie semble-t-il sur l’argument, développé par certains économistes, qu’une augmentation du smic entraînerait une diminution de l’emploi ou des heures travaillées, et par conséquent une diminution des revenus.

Pourtant, un grand nombre de travaux, dans la lignée de l’ouvrage célèbre de David Card et Alan Krueger (Myth and Measurement : The New Economics of the Minimum Wage, Princeton University Press, 1995), ont affirmé que cette thèse libérale en vogue dans les années 1980 était fausse. Non seulement une augmentation du salaire minimum ne nuit pas à l’emploi, mais elle peut même l’améliorer. Une étude d’Arindrajit Dube (Université du Massachusetts à Amherst) et de ses collègues (« The Effect Of  Minimum Wages on Low-Wage Jobs »  Centre for Economic Performance, Discussion Paper, n° 1531, février 2018) analyse l’impact de 138 hausses significatives (10 % en moyenne) du salaire minimum aux Etats-Unis entre 1979 et 2016. Lorsque le salaire minimum augmente, on observe que la disparition des emplois rémunérés au-dessous du nouveau salaire minimum est plus que compensée par l’augmentation du nombre d’emplois (y compris en équivalents temps plein) rémunérés jusqu’à 5 dollars au-dessus du nouveau salaire minimum.

Egalité salariale : « une prise de conscience de la nécessité d’engager des actions de correction des écarts de rémunération »

« L’obligation de publier le résultat de l’index sur le site Internet de l’entreprise entraîne un risque d’image significatif pour les entreprises qui afficheraient un score médiocre. D’autre part, le risque d’une sanction financière est pris très au sérieux »

« L’obligation de publier le résultat de l’index sur le site Internet de l’entreprise entraîne un risque d’image significatif pour les entreprises qui afficheraient un score médiocre. D’autre part, le risque d’une sanction financière est pris très au sérieux » John Holcroft/Ikon Images / Photononstop

Le nouveau mécanisme pour mesurer et contrôler les écarts du salaire entre hommes et femmes en entreprise, introduit par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, a été présenté le 22 novembre par la ministre du travail, Muriel Pénicaud. D’ici à cinq ans, les entreprises devront se mesurer et se corriger d’après cinq critères : l’écart de rémunération (base, variable et primes), la répartition des augmentations individuelles, la distribution des promotions, les augmentations au retour de congé maternité et le nombre de femmes faisant partie des plus hauts salaires. Leur index de l’égalité salariale devra être publié chaque année.

Le décret sur les classifications de calcul pour chaque critère reste à venir. Interrogé sur la mise en application de cet index de l’égalité salariale, Denis Lesigne, directeur capital humain chez Deloitte, déclare qu’il peut donner lieu à une vraie prise de conscience.

Les entreprises sont-elles bien préparées ?

Denis Lesigne – Les entreprises ne connaissent pas encore précisément les modalités de calcul de l’index d’égalité salariale puisque le décret n’est pas paru. Elles ne se sont donc pas encore préparées. Néanmoins, pour les plus importantes, elles disposent d’un système d’information et des ressources qui leur permettront de tenir les délais prévus.

Seules les entreprises de plus de 1 000 salariés devront publier l’index d’égalité salariale au 1er mars 2019. Pour celles de 250 à 1 000 salariés, le délai de publication pour la première année a été repoussé au 1er septembre 2019. Quant aux entreprises comptant de 50 à 250 salariés, l’obligation de publication n’entrera en vigueur qu’au 1er mars 2020. A cette date, les systèmes de paie auront probablement été mis à jour pour intégrer le calcul de cet index.

Quel est l’indication qui risque de poser le plus de difficultés ?

Parmi les cinq indicateurs qui composent l’index, l’indicateur relatif au nombre de femmes dans les dix plus hautes salaires posera probablement des difficultés à beaucoup d’entreprises. Pour autant, cet indicateur ne pèse que 10 % du score final.

L’indicateur relatif aux promotions sera également un indicateur complexe. La promotion étant qualifiée comme un changement de coefficient conventionnel, selon les branches, elle peut être un phénomène rare dans une carrière. Dès lors, la comparaison du pourcentage de femmes et d’hommes promus pourrait maintenir quelques surprises.

 

Lorsqu’Edouard Philippe exagère extrêmement la hausse du smic

En parlant aux « Français qui ont enfilé un gilet jaune », le premier ministre, Edouard Philippe, a indiqué mardi 4 décembre une hausse de 3 % du revenu minimum, « une des plus importantes de ces vingt-cinq dernières années ».

Avec la prime d’activité et la hausse du SMIC au 1er janvier, nous aurons une augmentation de plus de 3% du SMIC net… https://t.co/C5tBSCSKiL

— EPhilippePM (@Edouard Philippe)

Beaucoup d’éléments sont ajoutés dans ce calcul, permettant de gonfler l’augmentation  prévue, qui sera en réalité de 1,8 %. Une exagération relevée par les syndicats :

« Le gouvernement ne semble pas bouger sur le smic. La hausse indiquée de 3 % correspond en effet au 1,8 % attendu du seul fait de l’inflation et de l’effet du basculement des cotisations sociales sur la CSG. » (Force ouvrière)

« Des annonces qui sont aujourd’hui un tour de bonneteau (…) comme sur le smic. On n’est pas sur un coup de pouce, c’est l’évolution normale de moins de 2 % plus la prime d’activité. » (Fabrice Angei, secrétaire national de la CGT)

Réellement, le smic a été amélioré, en plus de son augmentation légale, de la suppression des cotisations salariales vers la CSG et de la hausse de la « prime d’activité ». Ce qui donne dans le détail les évolutions suivantes :

  • La disparition de la fiche de paie des cotisations salariales, rebasculées sur la CSG, permet pour une personne touchant le smic actuel (1 498,50 euros brut, soit 1 184 euros net mensuels, pour un temps plein) de voir son salaire augmenter de près de 22 euros depuis octobre.
  • Depuis le même mois, la hausse de la « prime d’activité » donne droit à 12 euros brut supplémentaires pour un temps plein de smic, selon le ministère des affaires sociales.
  • Le smic lui-même est revalorisé de façon automatique chaque année à partie de deux indicateurs, l’inflation des moins aisés et le pouvoir d’achat des ouvriers et des employés.

Il peut bénéficier d’un « coup de pouce » supplémentaire. Mais, en novembre, le premier ministre avait déclaré : « Notre politique, ce n’est pas de faire des coups de pouce au smic, notre politique, c’est de faire en sorte que le travail paie », oubliant au passage que le smic rétribue un travail. Sa décision de cette semaine est à l’opposé de sa position d’alors.

Au final, si l’on compare le smic 2018 avec le smic revalorisé de son minimum légal (environ 1,8 % aux conditions actuelles) et que l’on ajoute les améliorations déjà mises en œuvre depuis octobre, un temps plein verra en effet son brut augmenter de plus de 3 %… sauf que ces réformes sont déjà entérinées et répercutées sur les fiches de paie. Le calcul du gouvernement peut donc être qualifié à tout le moins de trompe-l’œil. Dans les faits, le salaire minimum n’augmentera que d’environ 1,8 % au 1er janvier.

SNCF Réseau: pour la Cour des comptes, la révision ferroviaire de 2018 n’est pas avantageuse

La Cour des comptes invite l’Etat à un effort d’investissement.
La Cour des comptes invite l’Etat à un effort d’investissement. PASCAL PAVANI / AFP
C’est l’une des craintes de la Cour des comptes. SNCF Réseau a fait l’objet, mardi 4 décembre, d’un nouveau rapport de la haute instance financière, qui s’était déjà penchée sur l’établissement gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire (voies, rails, aiguillages, quais…) en 2012 et 2013. Mais, cette fois-ci, les magistrats de la rue Cambon arrivent à un moment charnière. La révision ferroviaire transformant le groupe public (et spécifiquement SNCF Réseau) en société anonyme et mettant fin au recrutement des cheminots au statut a été promulguée cet été. Et la conclusion de la Cour sur ce point peut tenir en une courte phrase : ce qui a été décidé était nécessaire mais n’est pas suffisant.

L’objectif fondamental de la Cour était d’évaluer les effets de la réforme de 2014, et de jauger de l’efficacité et de la sincérité du contrat de performance 2017-2026, effectué entre l’Etat et SNCF Réseau il y a deux ans. Mais, bousculés par le calendrier, les magistrats financiers ont fait preuve de souplesse en intégrant à leur travail les effets supposés de la réforme de 2018, ce « pacte ferroviaire » voulu par Emmanuel Macron et Edouard Philippe.

Leur constat est préoccupant. Malgré plus de dix ans de prise de conscience, malgré la réorganisation de 2014 qui a abouti, entre autres, à la création de SNCF Réseau, malgré les 46 milliards d’euros d’investissements inscrits dans le contrat de performance, le réseau ferré de France n’est pas tiré d’affaire. Certes, la spirale du vieillissement a été stoppée par les efforts de remise en état entrepris lors du quinquennat Hollande (30,5 ans d’âge moyen de la voie en 2016 contre 32,4 ans en 2013) mais, pour reprendre une formule du rapport, « le modèle financier est en échec ».

Gros besoins d’investissements

Au premier lieu des accusés : l’Etat-investisseur qui ne l’est pas suffisamment, selon la Cour. L’exemple le plus frappant concerne toujours ce fameux contrat de performance 2017-2026, présenté lors de sa publication comme l’outil clé de réparation d’un système ferroviaire malade. Ce dernier prévoyait, rappellent les magistrats, « de porter les investissements annuels de renouvellement à 3 milliards d’euros en 2020 pour ensuite se stabiliser. La Cour constate toutefois que, retraité en euros constants, ce choix revient de fait à réduire les efforts d’investissement dès 2020 et à atteindre à partir de 2022 un niveau inférieur à 2017. »

Mais il y a pis. Les mesures financières majeures introduites lors des débats sur la réforme ferroviaire semblent insuffisantes. L’annonce d’une augmentation des investissements de 200 millions d’euros supplémentaires par an à compter de 2022 ? « Cet effort supplémentaire ne répondra pas à tous les besoins de rénovation et de modernisation du réseau », dit le rapport. La reprise de dette de 35 milliards d’euros par l’Etat entre 2020 et 2022 ? « Cette mesure n’est pas suffisante, répondent les magistrats. Les besoins d’investissements sont tels dans les années à venir que SNCF Réseau ne peut les couvrir par son seul autofinancement, même avec d’importants efforts de performance. La couverture (…) de ces investissements par l’Etat est une nécessité au risque de voir la dette du gestionnaire d’infrastructure se reconstituer. »

Conclusion : reprenant à son compte le chiffre avancé par SNCF Réseau de la nécessité de disposer de 3,5 milliards d’euros d’investissement chaque année (soit 500 millions de plus que la programmation), la Cour des comptes invite l’Etat à investir au-delà des efforts annoncés.

Problèmes de modernisation

Mais le gouvernement n’est pas le seul à être interpellé. SNCF Réseau est aussi critiqué pour ses difficultés à se moderniser : projets en retard et en surcoût (en particulier, le programme de commande centralisée des aiguillages décidé en 2006 et dessiné seulement en 2013), gains de rendement peu consistants lorsqu’on les mesure en nombre de personnes employées par métier. Les magistrats accordent tout de même quelques satisfécits à la direction actuelle, en particulier sur sa capacité à recourir à du matériel technique puissant et efficace comme les trains usines pour renouveler la voie ou les mégagrues ferroviaires pour poser des aiguillages monumentaux.

Alors que faire ? Dans ses recommandations, l’institution insiste sur l’importance du futur contrat de performance qui liera l’Etat à SNCF Réseau : sur sa précision, sa sincérité, sa crédibilité. Il sera la façon de transformer l’essai de la réforme. La Cour exhorte aussi les protagonistes (SNCF Réseau, Etat, personnel) à profiter du moment – la mise en place concrète de la nouvelle réforme – pour discuter des accords sociaux qui n’entravent pas l’entreprise. Et elle suggère de regarder en face le devenir des petites lignes ferroviaires peu utilisées. Un sujet politiquement compliqué, qui devrait faire l’objet d’un autre rapport de la Cour des comptes en 2019.

 

Quelle protection pour les travailleurs des plates-formes ?

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« Si le contrat a été rompu à la suite de l’assignation, il faudra prévoir une requalification en licenciement, avec indemnités de préavis et de licenciement, plus indemnisation pour défaut de cause réelle et sérieuse. »
« Si le contrat a été rompu à la suite de l’assignation, il faudra prévoir une requalification en licenciement, avec indemnités de préavis et de licenciement, plus indemnisation pour défaut de cause réelle et sérieuse. » Christophe Lehenaff / Photononstop

Après quelques années de tâtonnements judiciaires, le modèle écono­mique de certaines plates-formes de livraison reposant sur l’évitement du droit du travail et des cotisations sociales a été remis en cause par l’« arrêt Take Eat Easy » rendu par la Cour de cassation le 28 novembre, qui a requalifié en salarié un livreur à vélo déclaré comme travailleur indépendant.

L’enjeu est de protéger les coursiers de cette plate-forme numérique, ces « tâcherons » 3.0 corvéables à merci. Mais aussi d’éviter une concurrence déloyale, avec le risque d’une contagion générale à la baisse pesant sur les conditions de travail : car, ici comme ailleurs,« la mauvaise monnaie chasse la bonne ». A quoi bon payer les cotisations ­sociales et l’assurance-chômage liées au salariat, respecter des horaires et des rémunérations légales et conventionnelles contrôlés par l’inspection du travail si le concurrent employant des microentrepreneurs peut les faire travailler sur commande douze heures par jour, la nuit ou le dimanche, pour une rémunération inférieure au smic ?

Modèle militaro-industriel

Mais l’opposition entre heureux salarié et travailleur indépendant honteusement exploité est un peu courte. Restée sur le modèle vertical militaro-industriel des « trente glorieuses » avec prévisions à deux ans, cette approche est mal adaptée à la « révolution de l’immatériel ». Y compris en termes de lutte contre le chômage : en cas de dépôt de bilan de plates-formes, que deviendront les dizaines de milliers de cyclistes Deliveroo et autres chauffeurs Uber souvent discriminés à l’embauche, et pour lesquels il est plus facile de trouver des clients qu’un employeur ? Ces travailleurs cherchent moins un patron avec des ordres et des horaires que le très protecteur régime général de la Sécurité sociale (les accidents sont fréquents) lié à l’existence d’un contrat de travail.

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Si le droit du travail ne s’adapte pas au rythme des entreprises d’aujourd’hui, et aux travail­leurs au niveau scolaire et à l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle différents, son évitement est prévisible. D’une part, la requalification des indépendants en salariés s’appuie sur leur géolocalisation par l’employeur, et, d’autre part, ne peuvent être requalifiés que ceux qui en font la demande. Si la plate-forme ne modifie pas son organisation, en particulier son mode de géolocalisation (un SMS n’est pas une géolocalisation permanente) pour se mettre à l’abri de la requalification en salariat, si la cour de renvoi plie, si beaucoup d’autres coursiers vont au contentieux, ces conséquences – d’abord rétroactives – pourraient être cataclysmiques.

Revitaliser le territoire : à Saint-Omer, les vertus d’un pôle numérique

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« Cette collectivité a délibérément choisi d’appuyer le développement de son tiers-lieu sur une « gouvernance partagée » avec les entreprises et industriels locaux. »
« Cette collectivité a délibérément choisi d’appuyer le développement de son tiers-lieu sur une « gouvernance partagée » avec les entreprises et industriels locaux. » Nick Lowndes/Ikon Images / Photononstop

A l’été 2018, la PME familiale centenaire Cathelain, à Bavinchove (Nord), spécialisée depuis une dizaine d’années dans la visserie-boulonnerie très haut de gamme high tech, dévoilait sa toute dernière innovation : le boulon connecté ou C-Bolt. Une pépite d’innovation pas encore commercialisée, qui va permettre de détecter à distance le moindre desserrage intempestif pouvant mettre en danger une installation.

Mais pas question pour le PDG, Christophe Cathelain, de « s’endormir sur cette avancée ». L’entreprise doit rester en éveil, à l’affût de nouvelles idées. Et pour cela, il compte sur La Station, le tiers-lieu ouvert, il y a deux ans, à moins d’une vingtaine de kilomètres, à Saint-Omer (Pas-de-Calais), dans un espace provisoire en attendant son installation définitive en 2019 dans la gare rénovée.

Devant sa gare bientôt réhabilitée, la Communauté d’agglomération du Pays de Saint-Omer (Capso) a ainsi installé en juin 2016 un pôle éconumérique de 140 m2. Celui-ci comprend un espace de cotravail, un FabLab (avec découpe laser, imprimante 3D, brodeuse numérique…), un espace de prototypage et d’initiation aux outils numériques. En deux ans, ce lieu éphémère a enregistré près de 20 000 visites de particuliers, élèves, étudiants, indépendants, entrepreneurs, salariés, venus selon, travailler, tenir une réunion, suivre un des ateliers organisés ou tout simplement se faire la main aux outils numériques.

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« Ce véritable laboratoire, lieu de brassage de cultures, permet à nos salariés, en allant de temps à autre y travailler, de voir ce qui se fait dans la connectique, l’informatique, le numérique. C’est aussi un lieu où ils peuvent se familiariser avec des outils auxquels ils sont encore réticents, comme une imprimante 3D, dont on finira par s’équiper pour faire des prototypes », relève Christophe Cathelain. Et celui-ci d’insister : « C’est en partageant les expériences, en confrontant les idées, que l’on ose ! »

Salariés stimulés

Une conviction pleinement partagée par Henry Bréban, un entrepreneur local qui a créé la société Wizpaper pour reprendre, en septembre, le site papetier d’ArjoWiggins fermé depuis 2015. M. Bréban, qui a relancé l’usine dans l’emballage, voit dans La Station un tiers-lieu pour stimuler ses futurs salariés, ainsi qu’un « lieu de ressources où puiser ponctuellement des compétences complémentaires pour développer tel ou tel projet ».

Les mécanismes pour récupérer une entreprise en SCOP

Adieux au patronat. Lutte et gestion ouvrières dans une usine reprise en coopérative. de Maxime Quijoux, aux Editions du Croquant, 318 pages, 20 euros.
Adieux au patronat. Lutte et gestion ouvrières dans une usine reprise en coopérative. de Maxime Quijoux, aux Editions du Croquant, 318 pages, 20 euros.

Le Livre : Devant la financiarisation de l’économie, le salut du monde ouvrier passerait-il par la conquête du pouvoir dans l’entreprise ? Les sociétés coopératives et participatives (SCOP) montrent « des effets de résilience singuliers face aux variations du capitalisme contemporain », affirme Maxime Quijoux dans Adieux au patronat.

Voilà un modèle qui connaît un épanouissement quasi continue : selon la Confédération générale des SCOP de France, le nombre de coopératives a été multiplié par près de six en vingt ans, passant de 494 unités à 2 991, entre 1996 et 2016. Caractérisées par une gouvernance particulière, où les dirigeants sont élus et les bénéfices redistribués vers les salariés et les investissements, les SCOP représentent aujourd’hui plus de 53 000 salariés. Elles sont aussi plus pérennes que les entreprises conventionnelles : près des deux tiers des coopératives créées de 2005 à 2009 existent encore, alors qu’elles ne sont que la moitié pour l’ensemble des sociétés françaises.

Dans son essai Adieux au patronat, le sociologue, chercheur au CNRS et membre du laboratoire Printemps (professions, institutions, temporalités) à l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines tente de saisir les origines d’un mouvement de reprise d’une entreprise et les conditions de la mise en place d’une SCOP.

L’ouvrage s’appuie sur une enquête menée au sein d’Hélio Corbeil, une imprimerie d’une centaine de salariés située à Corbeil-Essonnes et confrontée à des restructurations successives sur fond de financiarisation de l’économie. Lors de son redressement judiciaire en 2011, l’entreprise en est à sa quatrième restructuration en dix ans. Sur la même période, le nombre est divisé par quatre et atteignent 80 salariés. La liquidation de l’entreprise semble inéluctable, du moins jusqu’à la réalisation d’un projet de reprise en société coopérative et participative.

Dans la première partie de l’ouvrage, le membre associé du Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (LISE) au Conservatoire national des arts et métiers revient sur les conditions sociales qui ont conduit ce groupe d’ouvriers à reprendre leur imprimerie en SCOP.

L’auteur ne partage pas le même présupposé sur lequel se fondent les principales études sur les SCOP en France, à savoir que les salariés seraient par nature enclins à participer à la gérance de l’entreprise. Il s’agit moins de faire une histoire de l’entreprise que d’examiner « la manière dont le répertoire d’action collective d’un syndicat et les représentations qui en sont solidaires se sont progressivement transformés dans un contexte socio-économique particulier ».

La paye variable mise à l’index

« La sophistication des calculs contenus dans les PRV rend leur compréhension parfois malaisée et la décision claire de la cour de Versailles illustre bien les problématiques relatives à la détermination de la rémunération variable. »

« La complexité excessive  des calculs contenus dans les PRV rend leur compréhension parfois difficile et la décision claire de la cour de Versailles illustre bien les problématiques relatives à la détermination de la rémunération variable. » Donald Iain Smith/Blend Images / Photononstop

Question de droit social. Les critères déterminant la valeur de la rémunération variable peuvent sembler obscurs pour de nombreux salariés. Les règles du jeu doivent pourtant être clairement exposées en début d’exercice, comme l’a récemment rappelé la cour d’appel de Versailles. Si le salarié peut démontrer que les objectifs n’ont pas été clairement formulés, la Cour de cassation estime même qu’il est en droit de réclamer le paiement de sa part variable comme si ces derniers avaient été atteints.

Alors que deux tiers des salariés d’une entreprise étaient payés avec une partie fixe et une partie variable, les organisations syndicales ont constaté que le plan de rémunération variable (PRV) contenait, d’une part des éléments de calcul laissés à la discrétion de l’employeur, et d’autre part, des règles non communiquées aux salariés en début d’exercice. A la demande d’un syndicat, la cour d’appel de Versailles, analysant le PRV, en a déclaré illicites plusieurs dispositions dans un arrêt du 26 juillet 2018 (affaire Symetal/SA Technicolor).

La complexité excessive des calculs contenus dans les PRV rend leur compréhension parfois malaisée et la décision claire de la cour de Versailles illustre bien les problématiques relatives à la détermination de la rémunération variable, certaines modalités du PRV analysé étant tout à fait topiques de ce qui se pratique couramment dans les entreprises.

Notation arbitraire

La grille de valorisation de la performance individuelle prévoyait des pourcentages de bénéfices différents selon quatre tranches : objectif partiellement atteint, objectif atteint, objectif dépassé et objectif très dépassé.

Or, le classement du salarié dans l’une de ces quatre tranches dépendait de la note donnée par son manageur, sans que l’on puisse savoir quels étaient les critères objectifs de notation. Estimant que ceci rendait possible une notation arbitraire, la grille de valorisation de la performance individuelle a été jugée illicite.

Tout comme le coefficient de souplesse applicable à chacun des pourcentages des performances du groupe, de la division et l’individuel, et compris entre 0 et 1,5. Là encore, la cour a relevé que les chiffres utilisés pour déterminer le coefficient de souplesse étant inconnus des salariés, ces derniers ne pouvaient pas avoir de vision sur le montant de leur part variable, ni au moment de la fixation des objectifs ni lors du calcul de leur prime.

Législation constante

Enfin, troisième point jugé illicite : un facteur de performance éventuellement applicable au gré du chef d’entreprise. La cour relève que ce facteur, amené à modifier la part variable finale de plus ou moins 20 %, ne peut être opposé aux salariés faute d’insertion de ce mécanisme dans le contrat de travail ou dans un avenant. « L’employeur est tenu de déterminer par avance de manière claire et précise le contenu de la rémunération du salarié et notamment les bases de calcul et les conditions éventuelles de la partie variable de cette rémunération », rappelle l’arrêt de la cour de Versailles.

Un rapport d’experts met en évidence les risques de rester longtemps au salaire minimum

A Lille, en 2015.
A Lille, en 2015. PHILIPPE HUGUEN / AFP

Voilà un rapport qui a tout pour retenir l’attention : élaboré par un groupe d’experts, il porte sur le smic et sur sa majoration. Une thématique au cœur de la crise actuelle, puisque le pouvoir d’achat des plus modestes en constitue la toile de fond. Mais ce document de quelque 213 pages, transmis lundi 3 décembre aux partenaires sociaux, a peu de chances d’être repris par le gouvernement, du moins pour l’instant : il va à rebours d’une de revendications portées par les « gilets jaunes » – la hausse du salaire minimum (pour le porter à 1 300 euros nets par mois pour un temps plein, contre un peu plus de 1 150 euros aujourd’hui).

Chaque fin d’année, le gouvernement doit décider à quelle hauteur il relève le smic, à partir du 1er janvier suivant. Pour éclairer ses choix, il dispose d’un comité de « sachants », présidé par l’économiste Gilbert Cette.

L’un des points important à supprimé est le suivant : faut-il accorder un coup de pouce au smic, en plus de l’augmentation automatique à laquelle il est soumis ? Les textes prévoient en effet que ce minimum salarial doit progresser, tous les douze mois, en fonction de deux paramètres : l’inflation (mesurée pour les 20 % de ménages situés en bas de l’échelle des revenus) et la moitié de la hausse annuelle du pouvoir d’achat du salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE). Outre cet accroissement, qui est de droit, le gouvernement a donc aussi la faculté d’octroyer un « bonus » – ce qui s’est produit, pour la dernière fois, au début du mondât de François Hollande.

Pas de coup de pouce en 2019

Dans son rapport annuel, le comité d’experts formule diverses consignes – dont l’une concerne, en temps ordinaire, la question du « coup de pouce » : en donner un ou pas ? Non, avait préconisé, ces dernières années, le groupe d’experts. Cette fois, il « ne juge pas utile » de prendre position, puisque Edouard Philippe a déjà statué, le 28 novembre : il n’y aura pas « petit cadeau » pour les smicards en 2019. Leur rémunération n’est rehaussée qu’en vertu de la formule de calcul automatique. Le premier ministre a justifié cette annonce en rappelant que les salaires se sont améliorés grâce aux baisses de cotisations. Une décision critiquée par plusieurs centrales syndicales.

Pour « réduire » les inégalités et la pauvreté, il vaut mieux augmenter la prime d’activité qu’augmenter le salaire minimum, selon le comité

Accord à Bruxelles sur les conditions de travail des chauffeurs routiers

Sur l’A1, à Templemars (Nord), fin 2017.
Sur l’A1, à Templemars (Nord), fin 2017. PHILIPPE HUGUEN / AFP

Le lundi 3 décembre, les 28 ministres des transports de l’Union européenne (UE) ont arrivé à un compromis sur un texte aussi abscons qu’important : le « volet social » du « paquet mobilité ». Il s’agissait de dépoussiérer les règles européennes encadrant les conditions de travail des chauffeurs routiers, notamment de mieux faire respecter le principe du détachement à ces travailleurs très mobiles, et à un secteur connu pour ses abus.

Huit pays, d’Europe de l’Est essentiellement, n’ont pas ont accepté d’endosser le compromis, qui a été adopté à la majorité des 28 : parmi eux, la Bulgarie, l’Irlande, la Hongrie, la Pologne, la Lituanie ou la Lettonie… La Roumanie a préféré s’abstenir, alors qu’elle s’apprête à prendre, pour six mois, la présidence tournante de l’UE, le 1er janvier 2019.

La France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et les Pays-Bas ont réussi à convaincre l’Espagne et le Portugal, aux intérêts pourtant très éloignés, de se désolidariser du « bloc » des « antis ». Après l’acceptation de la révision de la directive sur le travail détaché au début de 2018, c’est la deuxième fois, en quelques mois, que l’Ouest remporte une victoire – relative – face aux capitales de l’Est, au nom de la lutte contre le dumping social.

Huit pays, d’Europe de l’Est essentiellement, ont refusé d’endosser le compromis

La ministre française, Elisabeth Borne, était très déterminée en arrivant au Conseil, lundi matin, insistant sur les « lignes rouges françaises ». Un effet des « gilets jaunes » ? Il aurait été particulièrement délicat pour Paris d’admettre un compromis au rabais, pour une profession très affectée, en France, par la concurrence des transporteurs internationaux.

« Une avancée majeure »

« Au terme de dix-huit mois de négociations, cet accord constitue une avancée majeure pour harmoniser par le haut les droits sociaux des salariés du secteur, pour créer les conditions d’une concurrence plus équitable au sein du marché européen et pour s’assurer, enfin, du bon respect des règles, s’est félicitée Mme Borne, lundi soir. C’est la traduction concrète du combat porté par la France depuis de longs mois pour que le droit du détachement s’applique pleinement au transport routier. »

Cet accord satisfera-t-il pour autant la profession? Par définition, c’est un compromis, et la France – comme d’autres – a dû lâcher du lest. Parmi les principales avancées, Paris, Berlin et la Commission, qui est à l’origine de la proposition législative (en mai 2017), se félicitent d’avoir obtenu l’interdiction du temps de repos en cabine pour les conducteurs, pour leurs périodes de repos hebdomadaires : les transporteurs devront leur payer l’hôtel.

Les compagnies de transport devront aussi leur permettre de revenir dans leur famille et pays d’établissement toutes les quatre semaines, sauf à ce qu’ils prennent deux temps de repos hebdomadaires courts d’affilée : dans ce cas, les conducteurs pourront rentrer chez eux au bout de trois semaines.

Il reste à trouver un arrangement avec le Parlement européen

La France a obtenu l’application des conditions du détachement (même paie pour un même travail sur un même lieu de travail) pour toutes les opérations de cabotage (livraison d’un point à un autre au sein du même pays, pour une compagnie étrangère). Elle a aussi obtenu l’instauration de cinq jours de carence pour le cabotage (si un camion bulgare part de Berlin pour Madrid pour un aller-retour et effectue des opérations de cabotage en France sur sa route, il ne peut en effectuer d’autres dans l’Hexagone qu’au bout de cinq jours).

Enfin, les camions devront être équipés, d’ici à 2024, de tachygraphes de dernière génération (avec GPS et pouvant tracer les livraisons au plus près). Et non d’ici à 2034, comme initialement proposé par Bruxelles. En revanche, les pays de l’Est ont obtenu que les livraisons de type « bilatéral » (d’un pays à l’autre, et retour) soient exemptées du travail détaché, le chauffeur pouvant faire une opération de chargement-déchargement supplémentaire à l’aller et une autre au retour. Ou aucune à l’aller et deux au retour. Et ce, à condition que les camions soient dotés des tachygraphes dernier cri.

Il reste à trouver un arrangement avec le Parlement européen, ce qui n’a rien d’évident. Un compromis en commission Transport avait été élaboré, à la fin du printemps, à Strasbourg, qui allait davantage dans le sens des intérêts de l’Est. Mais il a été remis en question en plénière.