Dialogue professionnel : « La place du manageur a toujours fait débat »

Droit social. Dans le vaste cimetière des lois inappliquées, surgissent parfois d’étonnantes transfigurations. Ainsi du « droit d’expression directe et collective » créé par la loi Auroux du 4 août 1982, visant « à définir dans l’unité de travail les actions à mettre en œuvre pour améliorer les conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production ».

Du fait d’une triple méfiance, cette petite démocratie directe a connu un succès très mitigé. Côté employeurs, des foyers potentiels de contestation ; côté manageurs, une éventuelle mise en cause (publique) ; enfin, côté syndicats, une collaboration de classe voulant les contourner. « Si c’était à refaire, j’imposerais des réunions d’expression avant les négociations annuelles obligatoires », disait l’ancien ministre du travail Jean Auroux début 2024 : car sa loi voulait aussi inciter des syndicats très idéologiques à revenir sur le terrain. Pas gagné, comme l’avait constaté, en janvier 2019, le secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT), Philippe Martinez, commentant la seconde place de son syndicat : « Nous sommes parfois trop idéologiques et pas assez concrets. Nous devons redevenir le syndicat de la feuille de paie et du carreau cassé. »

Au-delà de la banalisation de la « prise de parole », en particulier sur les réseaux sociaux (voir groupes de collègues sur Facebook ou sur WhatsApp), l’actualité récente montre le besoin d’écoute et de reconnaissance.

Le « besoin de partage »

Car, après quarante ans du monopole de « l’emploi » dans le débat public, le travail au quotidien enfin réapparaît. Et, avec lui, un frère jumeau du droit d’expression : le « dialogue professionnel », adopté par la Confédération française démocratique du travail, en juin 2022, « afin d’agir sur le contenu du travail et son organisation, dans un cadre collectif et négocié permettant une réelle prise en compte de l’expression des travailleurs ».

Bon. Mais si les mêmes causes produisent les mêmes effets… D’où l’intérêt des travaux de la Confédération française des travailleurs chrétiens, « L’expression directe et collective en entreprise : des chiffres aux pratiques » publiés en juin 2024.

Côté manageur, il y a deux constats et une surprise.

Premier constat, la place du manageur a toujours fait débat. Alors que la loi lui donne un rôle moteur, libérer la parole de ses subordonnés en sa présence… D’autant plus que, malgré le volontariat, une réunion convoquée sur le temps et le lieu de travail ressemble davantage à une réunion de service qu’à un lieu d’expression libre, même si le chef est alors invité à devenir « animateur ».

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Sur LinkedIn, les nouvelles pratiques des utilisatrices pour contrer le harcèlement : « Les femmes passent du temps à décrypter le message et le profil de la personne »

Lorsqu’elle ouvre sa messagerie LinkedIn en octobre 2023, Gaëlle Etienne est prise d’un haut-le-cœur. Elle découvre avec stupeur une dick pic (« photo de pénis ») sur l’écran de son ordinateur. « Je venais de la recevoir de la part d’un homme que j’avais accepté juste avant. Quelqu’un de très haut placé dans une grosse entreprise. Il me demandait si son pénis était beau », se souvient-elle. A 22 ans, cette sexologue spécialisée dans le sport a l’habitude de recevoir des messages déplacés à propos de sa profession sur Instagram et Facebook. « Mais pas LinkedIn. Je pensais être à l’abri de tout ça sur ce réseau. J’étais horrifiée et dégoûtée », déplore celle qui a rejoint le réseau en 2022 pour faire connaître son entreprise.

Avec plus de 30 millions d’utilisateurs en France, le réseau social professionnel LinkedIn est devenu un incontournable dans la recherche d’emploi. Ce CV digital permet de mettre en relation entreprises, salariés ou étudiants en recherche de stage, d’emploi ou d’alternance. Pour de nombreux utilisateurs, il est essentiel pour recruter, chercher des collaborations ou de nouveaux clients.

Or, d’après une enquête menée par Ipsos pour le collectif Féministes contre le cyberharcèlement en 2021, quatre Français sur dix ont déjà été victimes de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux. Parmi eux, 84 % sont des femmes. L’étude révèle que LinkedIn n’est pas en reste : près de 53 % des victimes affirment avoir expérimenté le cyberharcèlement sur le réseau social professionnel.

« Sur LinkedIn, la prédation, la surveillance, le harcèlement et les menaces sont des phénomènes banalisés », estime Johanna-Soraya Benamrouche, membre du collectif Féministes contre le cyberharcèlement. Les sollicitations non consenties à caractère sexuel et sexiste concernent une grande partie des utilisatrices ayant une messagerie privée ouverte, où tous les messages sont reçus et non filtrés. Or sur le réseau acquis par Microsoft en 2016, la grande majorité des utilisateurs laisse sa messagerie ouverte, à l’affût des opportunités professionnelles. Pour Johanna-Soraya Benamrouche, c’est une « brèche pour les harceleurs qui vont cibler des femmes en quête de nouvelles opportunités professionnelles ».

« Avances romantiques »

Interrogé, LinkedIn l’assure : « Les avances romantiques et le harcèlement sont une violation de nos politiques et n’ont pas leur place sur notre plate-forme. » La plate-forme certifie qu’elle développe des outils pour aider les utilisateurs à avoir une expérience sûre de recherche d’emploi. Par exemple, une fonctionnalité optionnelle de sécurité avancée qui, lorsqu’elle est activée, prévient lorsqu’un contenu qui s’apparente à du harcèlement est détecté dans la messagerie privée. LinkedIn rappelle également qu’une campagne de prévention avait été lancée en 2023 pour « aider nos membres à mieux comprendre nos politiques ».

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Après la dissolution, des « petits patrons » dans l’expectative : « Ce qui m’inquiète le plus, c’est une économie en attente »

Dans les locaux du groupe ALFI Technologies, spécialisé dans l’ingénierie et la fabrication de lignes de manutention, à Beaupréau-en-Mauges (Maine-et-Loire), en juin 2023.

Que pensent les chefs d’entreprise de la situation politique et des conséquences économiques qui pourraient résulter des mesures proposées par le Nouveau Front populaire, bloc arrivé en tête des élections législatives du 7 juillet ? Si Patrick Martin, président du Medef, a considéré, dans un entretien aux Echos paru mardi 9 juillet, que la mise en œuvre d’un programme de gauche serait « fatale pour l’économie française et précipiterait [son] déclin », sur le terrain, les positions des PME paraissent plus nuancées. Le Monde a rencontré plusieurs patrons de proximité en région Centre-Val de Loire, et leur inquiétude porte surtout sur l’atonie actuelle et le manque de perspective claire pour le pays.

Pierre Lambin, 44 ans, a fondé Les Vélos Verts, une entreprise de location de deux-roues le long de la Loire, sur huit étapes entre Blois et Nantes. Il dispose d’une flotte de 1 000 vélos, dont 200 électriques, et salarie une douzaine de personnes toute l’année, sans compter les saisonniers.

« La saison se passe mal, on ne va pas se mentir, constate-t-il. On a l’impression qu’à cause des Jeux olympiques [de Paris], les touristes étrangers sont allés visiter un autre pays. Alors si maintenant on me demandait d’instaurer le smic à 1 600 euros net, même si je suis pour, j’aurais du mal à suivre : le coût de ma masse salariale dépasserait mon résultat net de 2023. » « Et puis, une fois que le smic sera à ce montant, ça rendra la première marche beaucoup plus haute pour créer un emploi. Mais après tout, pourquoi pas ? A condition, de mon point de vue, de garantir de la sérénité, de faire en sorte que les touristes étrangers se disent que ce pays va bien », développe-t-il.

Quid de la situation politique ? « A titre personnel, je n’aurais pas aimé travailler sous un gouvernement RN [Rassemblement national] donc, à présent, je suis content. Mais en dehors de ça, à moins qu’il opère des changements radicaux en faveur du “slow tourism” [le tourisme de la lenteur], je n’attends rien du futur gouvernement. Tant que ma région, mon département et mon agglomération, au-delà de leurs étiquettes politiques, continuent d’être d’accord pour développer la Loire à vélo, ça me va. Eux ont compris qu’il ne suffisait pas d’une campagne de com’ pour attirer les visiteurs. »

Une proposition démagogique

Thomas (le prénom a été modifié à sa demande, car il souhaite rester anonyme), qui emploie 320 salariés dans un hypermarché, n’est pas non plus hostile à une hausse du smic. « Un salaire de base à 1 600 euros, je trouve ça plutôt bien d’autant que les gens qui sont au smic dépensent cet argent chez eux, dans leur territoire. Et puis si on gère bien sa boîte, si on fait attention, ça fonctionne, dans la mesure où le smic est le niveau de salaire le moins chargé en cotisations. »

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La « prime Macron » peut être versée sur un plan d’épargne salariale et être à nouveau exonérée d’impôt

En 2023, les salariés ont placé 2,4 milliards d’euros sur leurs plans d’épargne salariale, qu’il s’agisse de plans d’épargne d’entreprise (PEE) ou de plans d’épargne-retraite collectifs (les anciens Perco et les nouveaux Percol). Des sommes issues de l’intéressement ou de la participation versés par leur employeur, de leurs versements volontaires, etc. Un nouveau type de versement, autorisé sur ces plans d’épargne salariale depuis le 1er juillet, va toutefois désormais venir gonfler les montants collectés : les primes de partage de la valeur (PPV).

Ces primes surnommées « Macron » avaient vu le jour à la fin de l’année 2018. Face à la crise des « gilets jaunes », les entreprises avaient alors été exceptionnellement autorisées à verser à leurs salariés une « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat », la prime PEPA, sans cotisations sociales ni impôt sur le revenu – c’était généralement 1 000 euros maximum.

Depuis, le dispositif a été pérennisé, rebaptisé, et ses modalités ont été plusieurs fois revues. Un changement fiscal majeur est notamment intervenu début 2024. En effet, depuis le 1er janvier et jusqu’à fin 2026, la prime Macron n’est plus exonérée de l’impôt sur le revenu, sauf pour les salariés travaillant dans des entreprises de moins de cinquante salariés, dans la limite de 3 000 ou 6 000 euros (selon les cas), s’ils gagnent moins de trois fois le smic (cette dernière condition existait déjà avant 2024).

Au moins un fonds labellisé

Pour le contribuable imposable, la possibilité, nouvelle, de placer cette prime Macron sur un PEE ou un plan d’épargne-retraite collectif a donc surtout un intérêt fiscal, dans la mesure où elle rouvre la porte à l’exonération quasi supprimée début 2024. Car les sommes ainsi placées ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu, dans la limite, là encore, de 3 000 euros ou 6 000 euros. En 2023, la PPV a été reçue par près de 6 millions de salariés, avec un montant moyen de 885 euros (5,3 milliards d’euros en tout).

En pratique, les salariés ont quinze jours pour demander l’affectation de tout ou partie de leur prime sur un plan d’épargne salariale, à compter de la réception du document les informant de son montant. « Soyez vigilant, conseille Sophie Lebeau, secrétaire générale épargne salariale et retraite d’Amundi, si vous ne répondez pas, il n’y aura pas d’affectation par défaut sur un plan, contrairement à ce qui prévaut pour l’intéressement et la participation, la prime vous sera payée et risquera d’être imposée. »

Attention, les sommes versées sur les plans d’épargne salariale seront bloquées, cinq ans pour le PEE, jusqu’à la retraite pour un Perco ou un Percol. Mais certains événements de la vie (ils varient selon le type de plan) permettent de retirer son argent avant. « L’employeur a par ailleurs la possibilité d’abonder la prime [verser un montant supplémentaire] si elle est placée sur un plan », précise Mme Lebeau. Les salariés ayant perçu une PPV au premier semestre 2024 ne peuvent pas la placer sur un plan d’épargne salariale.

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A Marseille, cinquante jours de grève pour les femmes de chambre d’un hôtel de standing

Des femmes de chambre en grève, rassemblées devant l'hôtel Radisson Blu, à Marseille, le 3 juin 2024.

Ce matin-là, le concert de casseroles a commencé à 9 h 30. Sur le Vieux-Port, une dizaine de femmes de chambre employées à l’hôtel Radisson Blu viennent de déployer leur piquet de grève devant la porte à tambour. La terrasse où les clients de cet établissement quatre étoiles prenaient leur petit déjeuner s’est immédiatement vidée. Et les arrivants, traînant leurs valises à roulettes, contournent banderoles et sono pour aller s’enregistrer. Jeudi 11 juillet, les salariées de la société Acqua, filiale du groupe Accelis, spécialisée dans la propreté et sous-traitante du Radisson, auront cessé le travail depuis cinquante jours. « Ce n’est pas maintenant qu’on va lâcher », martèle Ansmina Houmadi, 31 ans, déléguée du personnel et femme de chambre dans l’établissement depuis cinq ans.

Le mouvement a commencé le 24 mai, à la veille d’un week-end très chargé. Le départ d’une gouvernante – salariée qui assure l’encadrement – appréciée par la vingtaine de femmes de chambre qui se relaient dans l’hôtel, a provoqué un déclic. « Depuis plusieurs mois, on était quelques-unes à vouloir faire grève. On s’est dit que c’était le moment de mettre toutes nos revendications sur la table », explique Christina, 34 ans, une des anciennes du site, qui, comme la plupart de ses collègues, ne souhaite pas donner son nom. Près de deux mois plus tard, elles sont quatorze sur vingt-trois à tenir le conflit.

Alors que le tourisme explose dans la ville, et que cet établissement quatre étoiles idéalement situé affiche complet avec des chambres dont le tarif oscille entre 270 et 600 euros, les salariées d’Acqua se disent « déconsidérées » et revendiquent un meilleur statut. « On a des contrats de cinq ou six heures par jour. On attaque à 9 heures, 9 h 30, le week-end. On doit nettoyer dix chambres, les salles de bains, les toilettes, remplir le minibar… On dépasse presque quotidiennement les horaires, ce qui fait qu’on ne peut pas chercher un autre job », détaille Ansmina Houmadi.

La peur « d’être licenciée, de perdre sa carte de séjour »

A leur employeur, qui gère le ménage dans plusieurs autres hôtels marseillais, les femmes de chambre du Radisson Blu ont fait parvenir, fin mai, leurs demandes. Un treizième mois, à l’image de ce que d’autres salariées de l’entreprise ont obtenu dans un conflit social antérieur à l’hôtel AC Marriott Vélodrome. Une prime de pénibilité estivale de 600 euros – « parce qu’en été, avec la présence de familles, les chambres sont plus longues à nettoyer », expliquent-elles. Un passage pour toutes au statut d’agente qualifiée de services 2 dans la grille de la convention collective de la propreté… Soit 11 centimes d’euro de mieux sur leur tarif horaire, à 12,41 euros brut. Enfin, la disparition de la clause de mobilité, qui permet à leur encadrement de les envoyer sans préavis dans un autre hôtel à court de personnel.

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Près de Bruxelles, Audi pourrait fermer son usine de SUV électriques

L’usine de production Audi, à Forest, près de Bruxelles, le 12 février 2019.

Pour les syndicats belges, c’est une « bombe », mais sa mèche avait été allumée il y a plusieurs mois : la direction du constructeur automobile allemand Audi, filiale du groupe Volkswagen (VW), a annoncé, mardi 9 juillet, sa volonté de « restructurer » son site de production de Forest, dans la banlieue de Bruxelles. Quelque 1 400 postes devraient être supprimés avant la fin de l’année, et la fermeture complète de l’unité belge, qui emploie près de 3 000 personnes, n’est pas exclue, a indiqué un communiqué.

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Un conseil d’entreprise extraordinaire d’Audi Brussels avait été convoqué en urgence, après une réunion de crise au siège allemand de la société, à Ingolstadt (Bavière). Le groupe Volkswagen (VW) prévoit une réduction de 2,6 milliards d’euros de son résultat d’exploitation pour 2024. La direction belge a enclenché, mardi, la « procédure Renault », qui l’oblige à informer et à consulter les représentants du personnel, conformément à loi adoptée en 1998, après la fermeture de l’usine Renault à Vilvorde, en Flandre. « Audi est en dialogue avec les partenaires sociaux pour discuter de solutions pour les collaborateurs et le site », a précisé la direction, qui a expliqué que « cela pourrait également inclure une cessation des activités si aucune alternative n’est trouvée ».

« Pour l’instant, il n’y a pas d’avenir après 2025 », selon Pascal Debrulle, du syndicat de tendance socialiste FGTB. « Il n’y a pas d’alternative en vue pour le moment », appuie Ronny Liedts, du syndicat chrétien flamand ACV-CSC. Redoutant apparemment le déclenchement d’un conflit dur, la direction aurait retiré des parkings des véhicules qui auraient pu servir de « butin de guerre ».

Coût de la main-d’œuvre et coûts logistiques

Le constructeur veut, en tout cas, anticiper la fin de la production en Belgique des gros SUV électriques Q8 e-tron et Q8 Sportback e-tron, dont 53 000 exemplaires sont sortis des chaînes de montage en 2023, le nombre annoncé ayant déjà été ramené à 20 000 ou à 25 000 exemplaires pour 2024, puis à 6 000 pour 2026. L’arrêt total de la production était prévu initialement pour le début de 2027.

Le ralentissement des ventes de voitures électriques en Europe et la fin des subventions octroyées en Allemagne et dans d’autres pays annonçaient des jours sombres pour l’usine bruxelloise, qui avait redémarré début avril, après une mise à l’arrêt de deux semaines et l’annonce du licenciement de 400 intérimaires.

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Les modèles fabriqués à Forest depuis cinq ans sont, en outre, concurrencés par la Q6, plus petite et dotée de batteries plus modernes. Autres handicaps pour le site bruxellois : le coût de la main-d’œuvre et la configuration de l’usine – elle se trouve dans un quartier d’habitations –, qui entraîne des coûts logistiques élevés.

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Le racisme au travail de plus en plus désinhibé

Une boulangerie d’Avignon où travaille un apprenti malien taguée de l’insulte « nègre » puis incendiée (France Bleu Vaucluse), une infirmière libérale franco-marocaine de l’Ariège qui se voit annuler une visite chez un patient après avoir répondu à une question sur l’origine de son nom de famille (RMC), un chauffeur de bus du Val-de-Marne traité de « sale bougnoule », des commerçants franco-algériens à Dijon (Le Bien public) et noirs de peau à Perpignan (Var-Matin) qui reçoivent des lettres racistes leur intimant de partir : « Je vous conseille de préparer votre départ pour l’Afrique », « Casse-toi et ne reviens pas »

Depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin, les actes racistes, dont la presse régionale se fait écho, se multiplient partout en France de façon vertigineuse. La montée en puissance du Rassemblement national a désinhibé la violence xénophobe, y compris au sein même des entreprises. « Ces dernières semaines, on a vu resurgir des comportements qui n’avaient plus cours, témoigne Stéphanie Lecerf, présidente d’A compétence égale, une association de lutte contre les discriminations au travail. Dans le secteur bancaire ou le commerce, des salariés font, par exemple, l’objet d’agressions verbales du type “je ne souhaite pas que vous me serviez”, liées à l’origine supposée ou à la couleur de la peau. »

Les syndicats de salariés dressent un constat similaire, tout aussi préoccupant. « “Prépare-toi à rentrer chez toi le 8 juillet”, ça, c’est ce qu’on entend aujourd’hui et qui nous remonte de la part de nos militants CFDT, de salariés entre eux, la violence monte aussi, le ton monte », tweetait, à la veille du second tour des législatives, la secrétaire nationale CFDT, chargée des questions de discriminations, Lydie Nicol.

« Micro-agressions à répétition »

Les derniers chiffres disponibles sur le sujet attestent de cette montée de la violence xénophobe, avant même les élections. Le nombre de crimes et délits racistes enregistrés par les forces de sécurité a ainsi bondi de 32 % en un an en 2023, selon les statistiques du ministère de l’intérieur, reprises dans le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Dans sa contribution au rapport, la Défenseure des droits précise que, cette année-là, près de la moitié des réclamations reçues pour des discriminations liées à l’origine se sont déroulées dans la sphère professionnelle : 23 % dans l’emploi privé et 19 % dans la fonction publique.

Au travail, comme dans la société d’une façon générale, « le racisme au quotidien passe par des remarques inappropriées jusqu’aux insultes, qui isolent la personne, systématiquement ramenée à son origine, explique Stéphanie Lecerf. L’éventail des agressions est très large : l’imitation d’un accent, un humour déplacé, des expressions stigmatisantes. La micro-agression en entreprise ne passe pas seulement par la gravité des propos mais aussi par leur répétition ».

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« Le passage du smic à 1 600 euros symbolise notre capacité à reconnaître la valeur intrinsèque du travail »

Le politique a souvent le tort d’aborder des sujets qu’il ne maîtrise pas, avec pour corollaire un délitement du rapport à la véracité et une musique lancinante de doute des électeurs quant à la probité de nos élus. Cette mécanique est d’autant plus vraie qu’elle est suivie par des éditorialistes en tous genres qui répètent à tue-tête les propos des politiciens ou des communicants avec un agenda idéologique.

Il en est ainsi depuis des décennies sur un sujet précis : la hausse des salaires minimaux. Avec, d’un côté, le patronat qui freine des quatre fers et, de l’autre, les travailleurs. Tentons de sortir de ce schéma en partie vrai, mais auquel nous devons ajouter des nuances. Je fais partie de cette caste qu’on appelle le patronat, et pour être précis je suis chef d’entreprise d’une PME en province. En France, on compte selon l’Insee plus de 150 000 PME, qui emploient plus de 4 millions de salariés ; si l’on y ajoute les TPE, on parle de la moitié des salariés de notre pays.

Laissez-moi vous raconter les arcanes de ces TPE-PME, qu’on n’entend pas suffisamment, loin du cliché du « grand patronat » ou des élus qui récitent leur mantra « pro-entreprises ».

Le cœur de nos PME, ce sont les salariés, des petites structures dont, toujours selon l’Insee, l’effectif moyen en France est de 27 salariés (et dont 54 % ont moins de 20 salariés), des personnes multitâches, très impliquées dans leur entreprise, avec souvent un sentiment d’appartenance plus prononcé que dans les grands groupes.

Une vie professionnelle digne

Par comparaison aux salaires versés, l’énergie et l’engagement déployés sont objectivement en leur défaveur. D’autant que les PME ne sont pas en reste dans la dégradation généralisée des conditions de travail que l’on connaît en France. Avantages moindres (primes, treizième mois, etc.), outils de travail vieillissants, pouvoir de décision très centralisé, travail de nuit, flexibilisation outrancière, peu de représentation syndicale (conséquence notamment des ordonnances Macron de 2017), précarisation des emplois. Les arrêts maladie ont augmenté de 30 % en dix ans, l’absentéisme suit la même tendance. Dans nos petites structures, un salarié absent peut mettre en difficulté tout l’édifice.

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Coupons court à toutes les élucubrations : oui, faire passer le smic à 1 600 euros est une bonne mesure. Non, nos entreprises ne mettront pas la clé sous la porte. En 2019, le taux de marge sur l’ensemble des entreprises était selon l’Insee de 27,1 % ; en 2023 il atteignait selon BNP Paribas 32,9 %. Les entreprises améliorent en moyenne leur rentabilité, renforçant leur capacité financière, grâce notamment à la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et à la hausse des prix. Quant aux entreprises les plus fragiles, des mesures d’accompagnement seront nécessaires, et un calendrier clair d’une hausse progressive du smic devra être mis en place.

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Les jobs d’été, miroir des inégalités sociales parmi les étudiants : « T’arrives en septembre à la fac et t’es cassée de partout »

« Ma bourse de 179 euros par mois s’arrête de juin à septembre. En attendant, comment je fais pour payer mon loyer ? », s’agace Maxence (le prénom a été changé), 20 ans, en licence de sociologie à l’université de Montpellier. Issu d’un milieu modeste, l’étudiant a coupé les ponts avec sa mère, et son père, ouvrier, ne peut pas l’aider. Il enchaîne donc les postes de livreur ou de caissier durant l’été. En 2023, il travaillait dans une usine de boîtes alimentaires en plastique où il faisait les trois-huit afin d’assumer la production vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « Ce monde m’était déjà familier, mon oncle et mon père bossaient à l’usine. Eux, ils vivaient ça toute l’année », précise le jeune boursier sans se plaindre.

Pendant deux mois, ses journées consistaient à ranger des boîtes alimentaires dans des cartons. « Le plastique était hyper chaud et j’avais plein de microcoupures sur les mains à force de les saisir sans gants », se souvient-il. Ses collègues lui en prêtaient lorsqu’il fallait récupérer des bouts de plastique restés coincés à l’intérieur des machines.

En plus des tâches répétitives, lui et son équipe supportaient des températures frôlant les 40 °C, en raison du manque d’isolation des vieux bâtiments. « On nous conseillait d’être en sous-vêtements sous nos combinaisons, mais c’était assez limite en termes de sécurité », rapporte Maxence, qui devait aussi composer avec des contrats signés en retard et renouvelés toutes les deux semaines. Cet été, il sera livreur Uber Eats en attendant une réponse de l’intérim.

Maxence fait partie des 56 % d’étudiants à occuper un emploi durant les vacances scolaires, selon l’enquête réalisée par l’Observatoire national de la vie étudiante en 2023. Parmi eux, 28 % ont uniquement travaillé l’été. « Le monde étudiant s’est beaucoup transformé du fait de la massification des études. Ainsi, la proportion de ceux qui travaillent augmente, avec des profils de plus en plus diversifiés », détaille Elise Tenret, sociologue à l’université Paris-Dauphine. Par ailleurs, la précarité ainsi que l’augmentation du coût de la vie jouent également un rôle : « Les jeunes qui exercent une activité concurrente des études pendant l’année restent moins favorisés que les autres. »

Décrocher un contrat estival

Sur son site, la CFDT liste les problématiques liées aux jobs d’été comme les difficultés à trouver un logement pour la saison ou les heures supplémentaires impayées. Reste aussi à décrocher un contrat estival, ce qui n’est pas simple, à en croire les étudiants interrogés.

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Un projet de mine de lithium en Auvergne reconnu d’« intérêt national majeur » par un décret

L’un des plus gros projets européens de mine de lithium, porté par le groupe Imerys dans l’Allier, a rejoint la liste des « projets d’intérêt national majeur », synonyme de procédures d’implantation accélérées, selon un décret publié dimanche 7 juillet au Journal officiel.

Ce projet d’ouverture d’une mine de lithium à Echassières s’inscrit dans la stratégie mise en place par la France pour se défaire de sa dépendance aux importations du précieux métal, en particulier en provenance de Chine. La production de batteries au lithium pour voitures électriques est un élément-clé de la transition énergétique, alors que les véhicules thermiques seront interdits à la vente dans l’Union européenne à partir de 2035.

Selon Imerys, le projet, dénommé Emili, vise à produire à partir de 2028 le lithium nécessaire à la fabrication des batteries de plus de 700 000 véhicules pendant vingt-cinq ans. Un débat public lancé en mars à propos des impacts environnementaux et socioéconomiques du projet doit se conclure le 31 juillet, selon la Commission nationale du débat public (CNDP).

Création de 500 emplois directs et de 1 000 emplois indirects

Imerys estime que son projet, décrit comme « le plus important projet minier en métropole depuis plus d’un demi-siècle », générerait 500 emplois directs et 1 000 emplois indirects.

Le statut de « projet d’intérêt national majeur », créé par la loi industrie verte d’octobre 2023, permet aux projets industriels d’importance pour la transition écologique ou la souveraineté nationale de bénéficier de mesures d’accélération ou de dérogations administratives.

Ce statut a été accordé lors des derniers jours à un projet d’usine de recyclage moléculaire des plastiques de la société Eastman, en Seine-Maritime ; à un site de production de minerai de fer réduit et d’hydrogène de la société Gravithy, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) ; ainsi qu’à une méga-usine de panneaux photovoltaÏques Carbon, dans le grand port maritime de Marseille.

Dans le monde, en 2022, le lithium minier venait à 47 % d’Australie − vendu en majorité à des sociétés de traitement chinoises −, à 30 % du Chili et à 15 % de Chine. En Europe, seul le Portugal produit un peu de lithium, à hauteur de 0,5 % de la production minière mondiale en 2022, selon les données de l’institut d’études géologiques américain USGS.

En mai, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui a dit craindre des « tensions » concernant l’approvisionnement mondial en minerais et métaux indispensables à la transition énergétique, a encouragé une hausse des investissements miniers pour que la planète parvienne à limiter son réchauffement à 1,5 °C d’ici à la fin du siècle.

Le Monde avec AFP

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