Le statut d’indépendant d’un chauffeur Uber est « fictif », selon la Cour de cassation

DOMINIQUE FAGET / AFP

La Cour de cassation a confirmé mercredi 4 mars la « requalification (…) en contrat de travail » du lien unissant Uber et un chauffeur, assurant que son statut d’indépendant n’est « que fictif », en raison du « lien de subordination » qui les unit. Un tel arrêt, une première en France, remet en cause le modèle économique du géant américain, déjà attaqué en Californie, notamment.

La plus haute juridiction française a jugé que le chauffeur « qui a recours à l’application Uber ne se constitue pas sa propre clientèle, ne fixe pas librement ses tarifs et ne détermine pas les conditions d’exécution de sa prestation de transport ». Pour la Cour de cassation, la possibilité de se déconnecter de la plate-forme sans pénalité « n’entre pas en compte dans la caractérisation du lien de subordination ».

L’arrêt liste de nombreux éléments qui ne recouvrent pas les critères du travail indépendant : un itinéraire imposé au chauffeur, une destination inconnue, « révélant ainsi qu’il ne peut choisir librement la course qui lui convient », la possibilité pour Uber de déconnecter le chauffeur à partir de trois refus de course… Le conducteur, juge la Cour de cassation, « participe à un service organisé de transport dont la société Uber définit unilatéralement les conditions d’exercice ».

Pour comprendre le contexte : Le modèle d’Uber menacé par une décision de la justice française

Une menace pour le modèle économique d’Uber

Début 2019, Uber s’était pourvu en cassation après un arrêt de la cour d’appel de Paris estimant que le lien entre un ancien chauffeur indépendant et la plate-forme américaine était bien un « contrat de travail ». La Cour de cassation rejette ainsi le pourvoi d’Uber et confirme la décision de la cour d’appel de Paris.

Ce chauffeur avait saisi la justice en juin 2017, deux mois après qu’Uber eut « désactivé son compte », le « privant de la possibilité de recevoir de nouvelles demandes de réservation », rappelait la cour d’appel. A l’époque, il lui avait été expliqué que la mesure avait été « prise après une étude approfondie de son cas ».

Fabien Masson, l’avocat du chauffeur, s’est félicité auprès de l’Agence France-Presse (AFP) de cette « jurisprudence » qui vise « le numéro un des plates-formes de VTC [voitures de transport avec chauffeur] ». « C’est une première et ça va concerner toutes les plates-formes qui s’inspirent du modèle Uber », a-t-il estimé.

« Cette décision ne reflète pas les raisons pour lesquelles les chauffeurs choisissent d’utiliser l’application Uber », a réagi un porte-parole de la plate-forme, mettant en avant « l’indépendance et la flexibilité qu’elle permet ». Pour Uber, cette décision de la Cour de cassation « n’entraîne pas une requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs utilisant notre application ».

Si certains chauffeurs sont attachés à leur statut d’indépendant, de nombreux conducteurs pourront s’appuyer sur cette nouvelle décision pour demander la requalification de leur relation contractuelle avec Uber ou d’autres plates-formes en contrat de travail. En clair, le modèle économique d’Uber pourrait s’effondrer.

Ce modèle, au cœur du développement de la firme américaine, a été attaqué par l’Etat américain de Californie, qui a ratifié en septembre dernier une loi visant à contraindre les géants de la réservation de voitures à salarier leurs chauffeurs, afin qu’ils soient mieux protégés.

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Le Monde

Un plan B en négociation pour les travailleurs sans-papiers du chantier du nouveau siège du « Monde »

« Qu’est-ce qu’on veut ? » « Des papiers ! Des papiers ! » « Pour qui ? » « Pour tous ! Pour tous ! » Ils sont toujours là, ils crient et dansent devant le bâtiment du nouveau siège du Monde dans le 13e arrondissement de Paris, les travailleurs sans-papiers africains de ce chantier, chargés de nettoyer le parvis chaque jour. Le 27 février, c’était en effet une fausse victoire. L’employeur de ces ouvriers, la société Golden Clean, n’a pas tenu sa promesse donnée à l’issue d’une négociation, le soir de ce premier jour d’« occupation » du site : il n’a pas apporté les bulletins de salaire de ses ouvriers. Beaucoup travaillait pour lui sur ce chantier depuis mi-2019 et ils n’ont jamais vu une seule fiche de paye, ce qui leur interdit de prétendre à une régularisation.

Alors l’occupation continue. Une occupation limitée toutefois à deux locaux commerciaux au rez-de-chaussée. « Ils ne retardent pas le chantier », constate Louis Dreyfus, président du directoire du Groupe Le Monde. Les premières équipes devaient emménager le 4 mars.

Pour tenter de sortir de cette impasse, ces travailleurs ont contacté le syndicat CNT-Solidarité ouvrière (SO) qui les représente et les accompagne. Désormais, Golden Clean est « hors jeu », souligne Etienne Deschamps, juriste à la CNT-SO.

La négociation se poursuit

En attendant un plan B, il faut tuer le temps. Les soutiens affluent de divers collectifs et d’anciens salariés de Golden Clean qui ont travaillé sur d’autres chantiers. Direction, un des deux locaux prêtés par Le Monde aux sans-papiers. Là se trouvent les vestiaires pour toutes les entreprises présentes sur ce chantier. Là aussi y dorment certains travailleurs africains, par terre. Il y a quelques tables, des bancs.

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En milieu d’après-midi, lundi 2 mars, certains jouent ou lisent sur leur smartphone, d’autres font leur prière ou discutent. Entourée par une soixantaine de travailleurs, une militante du collectif Action mobilisation BTP Ile-de-France annonce au micro qu’elle va chanter une chanson écrite par des ouvriers du BTP. « Ecoutez nos voix, qui montent des chantiers, nos voix de prolétaires…(…) Marre de trimer pour un salaire de misère, de finir le corps brisé avant la retraite… » Applaudissements. Avant que l’auditoire ne reprenne le rituel « Qu’est-ce qu’on veut ? », etc.

La négociation se poursuit. « On discute avec une entreprise pour qu’elle reprenne les contrats de travail », indique M. Dreyfus. Il reste environ un mois de travail sur ce site. Mais l’idée est d’essayer, précise-t-il, de « donner des perspectives un peu plus longues sur d’autres chantiers » qu’aurait cette société de nettoyage dont il tait le nom pour le moment.

Il faut donc identifier les travailleurs qui pourraient prétendre à une reprise de leur contrat et donc définir les périodes de travail prises en compte. Une notion est en réalité ambiguë car « pour les entreprises, les sans-papiers sont interchangeables, explique Marion, juriste elle aussi à la CNT-SO. On les fait remplacer, on les met ailleurs. » La discussion est serrée. « Je fais tout ce que je peux, souligne M. Dreyfus. Après, il ne faut pas mettre l’entreprise en péril. On ne peut pas être durablement propriétaire d’un immeuble vide. »

Loi sur la recherche : universités et laboratoires dans la rue contre la précarité

Des membres du mouvement Revues en lutte, qui proteste contre la réforme des retraites, à Paris, le 25 février.
Des membres du mouvement Revues en lutte, qui proteste contre la réforme des retraites, à Paris, le 25 février. THOMAS SAMSON / AFP

Largement saluée au départ comme une promesse de financement dans un secteur en souffrance, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) va-t-elle réussir le tour de force de devenir la cause d’une mobilisation d’ampleur, contre elle, dans le monde scientifique ? Une coordination nationale des « facs et des labos en lutte » appelle à faire de jeudi 5 mars « le jour où l’université et la recherche s’arrêtent ». Un appel soutenu par les syndicats du secteur, toutes tendances confondues, qui ont déposé des préavis de grève.

« Des mobilisations et des actions sont prévues dans l’ensemble des universités du territoire », soutient Marie Sonnette, maîtresse de conférences en sociologie et membre de cette coordination, réunie pour la première fois en décembre 2019 dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites.

« Ce que nous savons de la LPPR va dans le sens de la casse du service public, avec plus de précarité et moins de financements pérennes », dénonce l’universitaire. En tête des revendications de cette journée : le retrait du texte et la demande d’un « plan de titularisation massif des 130 000 précaires et vacataires » de l’université et de la recherche, et de « créations de postes ».

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Un an après l’annonce par le premier ministre, Edouard Philippe, en février 2019, de ce projet de LPPR, ayant vocation à investir de manière durable et à la hauteur des besoins dans la recherche, le texte n’est pas encore connu dans le détail, mais il est au cœur de la contestation qui monte depuis trois mois dans une partie de la communauté universitaire.

Loi « inégalitaire » et « darwinienne »

Selon les chiffres de la coordination, plus d’une centaine d’universités et d’écoles, près de 300 laboratoires et 145 revues scientifiques en sciences humaines et sociales sont impliqués dans le mouvement, qui prend la forme de motions de défiance, d’actions diverses comme des flashmobs, ou encore de participation aux manifestations interprofessionnelles. Un vent de contestation comme il n’en a pas soufflé dans le secteur depuis le mouvement contre la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2009.

Comment en est-on arrivé là ? L’objectif, toujours affiché par le gouvernement, d’atteindre 3 % du produit intérieur brut (PIB) investi dans la recherche – dont 1 % pour la recherche publique – fait l’unanimité.

En revanche, les paroles du patron du CNRS, Antoine Petit, prononcées fin novembre 2019 et plaidant pour une loi « inégalitaire » et « darwinienne », ont suscité une première vague d’indignation, dans une branche d’activité où la compétition et le temps passé à répondre à des appels à projets pour décrocher des financements sont déjà largement décriés.

La loi « avenir professionnel » a multiplié les centres de formation d’apprentis dans les entreprises

« Le CFA des Chefs accueillera cinq cents apprentis en 2020, puis 1 000 par la suite. A la clé : l’obtention d’un titre professionnel de cuisinier, ou d’un CAP cuisine. »
« Le CFA des Chefs accueillera cinq cents apprentis en 2020, puis 1 000 par la suite. A la clé : l’obtention d’un titre professionnel de cuisinier, ou d’un CAP cuisine. » Andrea Ebert/Ikon Images / Photononstop

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a ouvert la possibilité aux entreprises de créer leur propre centre de formation d’apprentis (CFA). Une soixantaine de sociétés s’en sont emparées. « La loi a été l’élément déclencheur », explique Françoise Merloz, directrice du premier CFA interentreprises : le CFA des Chefs, créé par Adecco, Accor, AccorInvest, Korian et Sodexo. Il va accueillir ses premiers apprentis à partir du 23 mars à Paris, Lyon et Marseille.

« La loi a débloqué les règles qui bridaient l’apprentissage. Les freins ont été levés », s’était félicitée la ministre du travail Muriel Pénicaud, le 14 février, lors de la présentation des chiffres de l’apprentissage en 2019. L’autorisation administrative des régions, jusqu’alors nécessaire à toute ouverture de centre, a été remplacée par une simple déclaration. Et le financement ne se fait plus directement par les régions, mais par l’intermédiaire des branches professionnelles en fonction du nombre d’apprentis accueillis, à partir de « coûts contrats ». « Ces montants forfaitaires nous offrent de la visibilité sur les ressources », apprécie François Milioni, directeur de la formation du groupe Schneider Electric.

« Ces CFA sont une réelle opportunité pour les entreprises qui peuvent adapter les cursus à leurs nouveaux besoins en compétences », explique Yann Bouvier, chargé de mission à la Fondation innovation pour les apprentissages (FIPA) qui regroupe treize entreprises dont Air France, BNP, La Poste, EDF, Total, Veolia, Thales… La fondation va publier un guide pratique destiné aux employeurs désireux de créer leur CFA d’entreprise, car « c’est un projet qui se réfléchit. Comme pour une création d’entreprise, il faut mener une étude d’opportunité et faire un business plan », avertit M. Bouvier.

« Assurés d’avoir un poste »

Les problématiques des entreprises sont diverses. Pour certaines, il s’agit de répondre à des besoins du marché de l’emploi qui ne sont pas – ou insuffisamment – couverts. C’est le cas de la restauration où les besoins en main-d’œuvre sont énormes. « Nos cinq groupes Adecco, Accor, AccorInvest, Korian et Sodexo – recrutent 11 000 personnes par an en cuisine. Nous pourrions en embaucher 4 000 de plus », illustre Françoise Merloz. Le CFA des Chefs accueillera cinq cents apprentis en 2020, puis 1 000 par la suite. A la clé : l’obtention d’un titre professionnel de cuisinier, ou d’un CAP cuisine. A partir de 2021, il sera possible de décrocher un bac pro cuisine ou un brevet professionnel des arts culinaires. « Tous nos apprentis sont assurés d’avoir un poste à l’issue de la formation », souligne la directrice.

Activisme des dirigeants, militantisme des salariés : quelle est la place de la politique au travail?

«  La politique entre de plus en plus dans l’entreprise. Elle y accède au travers de l’engagement sociétal, attendu par les salariés. »
«  La politique entre de plus en plus dans l’entreprise. Elle y accède au travers de l’engagement sociétal, attendu par les salariés. » Radius Images / Photononstop

Les rencontres RH, le rendez-vous mensuel du Monde sur l’actualité du management créé en partenariat avec Leboncoin, se sont tenues, jeudi 27 février, à la Maison de l’Amérique latine sur la place de la politique en entreprise. Quelle est la frontière entre l’engagement sociétal et la politique ? De la parole des dirigeants au militantisme des salariés, l’expression politique doit-elle passer la porte du bureau ? Peut-elle être libre ?

« Quand Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, prend position sur la retraite, ça paraît normal. En revanche, sur un sujet diplomatique ou une question sociétale, c’est différent. Pourtant aux Etats-Unis, c’est déjà le cas. Des entreprises comme Nike ont pris des positions sur l’immigration et fait campagne dessus [affiche publicitaire de 2018 avec Colin Kaepernick]. Autre exemple, quand des entreprises de la Silicon Valley [Apple et Facebook en 2014] soutiennent ouvertement la GPA, ce n’est pas anecdotique. Dans le sillon des Etats-Unis, la France arrive aujourd’hui à l’âge de l’activisme politique des dirigeants et des directions des ressources humaines, », affirme le sociologue Jean-François Amadieu.

Qu’ils soient dans le textile, la distribution, l’import-export, le conseil ou la santé, les DRH présents aux « Rencontres RH » du 27 février confirment que la politique entre de plus en plus dans l’entreprise. Elle y accède au travers de l’engagement sociétal, attendu par les salariés. « Les collaborateurs attendent que l’entreprise les engage au-delà d’elle-même », affirme Emmanuelle Aufray, la DRH de Caroll International. Or, « ce qu’on cherche, c’est l’engagement des salariés, un supplément d’âme qui peut avoir une proximité par rapport à leur engagement personnel », explique Pascal Guérinet, DRH du Groupe Elsan, spécialisé dans les cliniques privées.

« Les préoccupations sont à des années-lumière des élections municipales. Dans le textile, le débat politique s’intègre par la responsabilité sociale des entreprises [RSE]. L’écoresponsabilité est devenue la norme. Les salariés comme les clients veulent connaître la traçabilité des produits, s’assurer qu’on n’est pas des gros méchants qui font travailler des enfants. Soit l’entreprise exprime ses engagements et les tient, soit elle meurt », témoigne Emmanuelle Aufray. « La RSE contribue largement à la fierté des collaborateurs et à leur engagement », souligne Cécile Desrez, la DRH de la Compagnie française en Afrique de l’Ouest (CFAO), multinationale d’import-export.

Porteuse de bénéfices

La frontière entre l’engagement sociétal et la politique est ténue. Chez PageGroup, « on va au-delà de la RSE. L’entreprise ne milite pas sur des sujets purement politiques, mais on a dépassé le cap de la neutralité, explique Stéphanie Lecerf, DRH de PageGroup (Michael Page) et présidente de l’association A compétence égale. Lorsqu’on a signé la charte de l’Autre Cercle pour s’engager en faveur des LGBT +, on voulait que chacun puisse être “lui-même” au travail. Des collaborateurs nous ont interpellés, estimant que le sujet relevait du “domaine privé”, raconte-t-elle. Mais aujourd’hui vie privée et vie professionnelle sont de plus en plus proches. Michael Page s’est engagé pour une entreprise inclusive, mais en précisant qu’on ne se positionnerait pas sur la question plus politique du mariage [pour tous]. »

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La politique au travail est porteuse de bénéfices. Félix De Monts, fondateur et DG de la jeune start-up de lobbying Vendredi affirme que « les entreprises ont fait bouger les lignes en menant des combats politiques, comme sur la parentalité, par exemple ». « Aux Etats-Unis, ce sont les firmes qui les premières ont introduit les droits LGBT avant les Etats », renchérit le sociologue Jean-François Amadieu.

Mais les DRH prennent une série de risques avec la politique. « Les évolutions sociétales sont très poreuses pour les entreprises. Certaines font le choix de s’investir comme Michael Page sur LGBT +, mais dans la vie politique au quotidien, l’entreprise doit garder une certaine neutralité, explique Cécile Desrez. Très présente en Afrique, la CFAO a toujours cherché à conserver une certaine réserve. Car il est difficile de séparer la parole d’un dirigeant de celle de l’entreprise. Quand il y a des élections, on ne prend jamais parti pour un candidat. On est par ailleurs confrontés aux critiques sur notre présence [française] sur le continent, mais l’entreprise reste une zone de neutralité. La parole est différente quand on sort de l’entreprise. »

Les invités du 27 février

Ont participé aux Rencontres RH du 27 février : Jean-François Amadieu, sociologue, professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, et décodeur du mouvement des « gilets jaunes » ; Emmanuelle Aufray, DRH de Caroll international ; Cécile Desrez, directrice des ressources humaines et de la RSE de la Compagnie française en Afrique de l’Ouest (CFAO), Pascal Guérinet, DRH du Groupe Elsan ; Stéphanie Lecerf, DRH de PageGroup et présidente de l’association A compétence égale ; Félix de Monts, fondateur et DG de Vendredi ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.

Quoique, « lorsqu’un de nos collaborateurs a choisi de prendre deux mois de congé pour s’investir dans les élections municipales, ça relevait de ses choix personnels, mais on lui a signifié de ne pas le faire en tant que salarié de Michael Page », relate Séphanie Lecerf. La CFAO a rédigé une charte pour expliquer ce qu’un collaborateur peut (ou pas) diffuser sur les réseaux sociaux ; le groupe Elsan, très implanté dans les régions, compte lui avant tout sur le discernement des salariés qui s’expriment sur le Web. Le mouvement des « gilets jaunes » et, dans un autre registre, les réseaux sociaux ont ainsi conduit les entreprises à recadrer la liberté d’expression du salarié hors les murs de l’entreprise.

« Egalité professionnelle : l’heure des comptes a sonné pour les PME »

« Avec un index inférieur à 75/100, l’entreprise a trois ans pour mettre en œuvre des mesures de correction qui la ramèneront dans les clous. Sinon, la pénalité financière peut aller jusqu’à 1 % de la masse salariale. »
« Avec un index inférieur à 75/100, l’entreprise a trois ans pour mettre en œuvre des mesures de correction qui la ramèneront dans les clous. Sinon, la pénalité financière peut aller jusqu’à 1 % de la masse salariale. » Martin Barraud/Ojo Images / Photononstop

Carnet de bureau. Les PME de 50 à 249 salariés devaient avoir publié, dimanche 1er mars, leur premier index égalité professionnelle, calculé sur 100 points et quatre critères : la rémunération, les augmentations salariales, l’augmentation au retour du congé maternité et la parité parmi les dix plus hautes rémunérations. Le ministère du travail a déployé les soutiens techniques et humains afin de les aider : un simulateur de calcul, une formation en ligne, une assistance téléphonique (Allo Index Ega Pro), et même des « ambassadeurs » en région et des « référents » au sein de l’administration.

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Tout comme les grandes entreprises, à quelques jours de l’échéance, les meilleurs élèves des PME ont communiqué haut et fort sur leurs bons résultats. « Suppression des écarts de salaire : 39/40 ; égalité des chances d’avoir une augmentation : 15/15 ; mise à niveau des salaires au retour d’un congé maternité : 15/15 », total : 94/100, se félicitait ainsi le cuisiniste Schmidt Groupe, le 24 février ; 97, claironnait Heineken trois jours après ; 98, renchérissait Manpower. Les mauvais élèves, en revanche, ne se sont pas davantage vantés que ceux des grandes entreprises. Avec un index inférieur à 75/100, l’entreprise a trois ans pour mettre en œuvre des mesures de correction qui la ramèneront dans les clous. Sinon, la pénalité financière peut aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.

« Alerte rouge »

La patience du gouvernement sur ce chapitre n’est pas négligeable. En juin 2019, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, indiquait aux deux cents grandes entreprises qui avaient déjà trois mois de retard sur la communication de leur premier index que s’ils ne se conformaient pas « très vite », ils seraient « mis en demeure » et pourraient « avoir des sanctions ». En septembre, dix-sept entreprises ont été mises en demeure. Mme Pénicaud faisait alors un premier point sur les résultats connus. Elle précisait que 18 % des sociétés de plus de 1 000 salariés et 16 % de plus de 250 étaient « en alerte rouge », et qu’elle ferait connaître les noms de celles qui ne seraient pas parvenues à 75 points « au 1er mars prochain [2020] ».

L’obligation de résultat en termes d’égalité introduite par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel est plus compliquée à respecter dans une petite structure : à cause de la composition de l’effectif, parfois essentiellement féminin ou majoritairement masculin ; pour des questions techniques aussi : les salaires moyens ne doivent être calculés que « sur au moins trois personnes », indique le simulateur de calcul du ministère, alors que la taille de l’effectif ne le permet pas toujours. L’entreprise est alors dans un « cas d’incalculabilité » et n’est pas sanctionnée ; enfin, l’absence de service des ressources humaines laisse les plus petites structures démunies.

Literie : Dunlopillo en quête d’un nouveau ressort

Un magasin Conforama, à Paris, en 2016.
Un magasin Conforama, à Paris, en 2016. Gilles BASSIGNAC/Divergence

C’est en milieu de semaine, mercredi 4 mars, que va commencer à se jouer l’avenir de Dunlopillo. Le tribunal de commerce de Paris tiendra son audience sur les offres déposées pour la reprise de l’un des plus célèbres noms du marché de la literie en France, qui emploie 200 personnes au sein de ses deux usines de fabrication, dans les Yvelines. Une décision est attendue une quinzaine de jours plus tard.

La marque Dunlopillo, en redressement judiciaire depuis décembre 2019, est gérée par Paris Bedding, filiale du fabricant de literie Adova, qui détient également les marques Treca et Simmons. Pour justifier son choix de s’en séparer, Jacques Schaffnit, le président d’Adova (ex-Cauval), a estimé qu’il fallait « préserver la trésorerie du reste des activités ». De fait, si le chiffre d’affaires de Dunlopillo atteignait 100 millions d’euros il y a douze ans, il ne s’élevait plus qu’à 16 millions quand Cauval a été racheté, en mai 2016, par le fonds Perceva.

La situation risquait de se détériorer au cours des prochains mois, avec la fermeture programmée de trente-deux magasins Conforama et dix Maison Dépôt à la suite des difficultés de l’enseigne depuis la découverte des malversations de son actionnaire sud-africain Steinhoff, en 2017. « Nous n’avons pas encore ressenti de baisses de commandes de Conforama, mais cela va arriver et pourrait affecter de 15 % à 20 % du chiffre d’affaires que l’on fait avec eux », souligne M. Schaffnit.

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« Les impacts commenceront à se faire sentir en mars-avril, en fonction des calendriers de fermeture des magasins », anticipe, pour sa part, Luis Flaquer, directeur général de Cofel, premier fabricant de matelas dans l’Hexagone. Propriétaire des marques Bultex, Epeda et Merinos, le groupe s’attend à un maximum de 15 % de commandes en moins avec l’enseigne. Son chiffre d’affaires avait augmenté de 10 % en 2019, à 235 millions d’euros.

« Des prix de plus en plus bas »

Cette inquiétude pour l’avenir tranche avec la situation du secteur de l’ensemble du marché de la distribution de meubles en 2019. Les ventes en France ont progressé de 4,1 % en valeur, à 13,4 milliards d’euros, d’après les chiffres publiés mardi 3 mars par la Fédération française du négoce de l’ameublement et de l’équipement de la maison (Fnaem). Cela fait suite à une baisse de 2,7 % en 2018, après trois années consécutives de hausse.

Du meuble de cuisine (+ 6,2 %) à celui de salle de bains (+2,8 %), en passant par le meublant (canapés, + 3,4 %), la croissance a profité à toutes les familles de produits. Le marché de la literie, avec ses 4 % de hausse, a même affiché la seconde meilleure progression. « Les ouvertures de spécialistes ont repris à un rythme plus soutenu, assurant une bonne croissance des réseaux », explique la Fnaem.

« Avec le recul, les 35 heures n’ont pas produit le résultat escompté »

Tribune. Les 35 heures, quel gâchis ! Au départ, j’étais plutôt favorable à une réduction du temps de travail (RTT) négociée, permettant une remise à plat de l’organisation, une meilleure utilisation de l’appareil productif ou une meilleure adaptation aux exigences des clients. Dix ans passés dans le groupe Danone avaient forgé cette conviction. Le PDG Antoine Riboud avait mis en place le premier les 32 heures et la cinquième équipe dans les verreries. Sensible aux problèmes d’emploi, il avait demandé, au début des années 1990, à ses équipes d’étudier la possibilité d’une RTT couplée à une meilleure utilisation des machines.

Dans un univers industriel où la masse salariale représentait à peine 20 % des coûts, cette démarche combinait l’économique et le social. Les études chiffrées au sein du groupe avaient suscité l’enthousiasme, mais Antoine Riboud, au moment de préparer sa succession, a renoncé à ce projet pour ne pas inquiéter les investisseurs.

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Arrivée ensuite à la tête de la DGEFP [Délégation à l’emploi et à la formation professionnelle], j’ai trouvé de jeunes énarques brillants qui étaient des militants de la RTT. Nous avons accompagné avec enthousiasme les entreprises qui négociaient un « de Robien », du nom de cette loi qui accordait une aide de l’Etat aux entreprises ayant conclu un accord favorable à l’emploi.

Arrivent alors les élections législatives de 1997. Au programme [du socialiste] Lionel Jospin figurent les 35 heures. J’ai été très associée à la préparation de la grande conférence du 10 octobre 1997, au terme de laquelle Jean Gandois, patron du CNPF [ancêtre du Medef], déclara : « J’ai été trahi. » Trahi par qui ?

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Trahi par Martine Aubry, qui avait été sa collaboratrice pendant deux ans chez Pechiney ? Celle-ci avait déclaré son opposition à la RTT comme solution aux problèmes d’emploi en 1991, au Zénith, devant des militants de la CFDT. Arrivée à la tête du grand ministère des affaires sociales, elle semblait ne pas avoir changé d’avis et faisait volontiers part, en privé, de son hostilité à cette mesure que Dominique Strauss-Kahn avait inscrite dans le programme du socialiste Lionel Jospin. Jean Gandois a donc pu croire qu’il échapperait à une « loi couperet ».

Trahi par Nicole Notat [alors secrétaire générale de la CFDT] ? Longtemps, en effet, semblait se dessiner un scénario qui avait l’aval du CNPF et de la CFDT, avec une période de simple incitation, la loi n’intervenant éventuellement qu’au terme d’une période de deux ans en cas de succès insuffisant. Mais Nicole Notat, quelques jours avant la conférence, persuadée que le gouvernement voulait absolument une loi, l’avait elle-même réclamée pour ne pas paraître en retrait.

A Clichy-sous-Bois, le tramway pour « désenclaver les âmes »

Dans une station de Clichy-sous-Bois, lors de l’inauguration de la nouvelle branche du T4, en décembre 2019.
Dans une station de Clichy-sous-Bois, lors de l’inauguration de la nouvelle branche du T4, en décembre 2019. LAURENT HAZGUI / DIVERGENCE

Elles ont à peine 15 ans et pensent déjà à leur curriculum vitae, à ce nom, chargé de fantasmes et de discriminations, qu’elles devront un jour inscrire dans la case « adresse » : Clichy-sous-Bois, Seine-Saint-Denis. Un moment qu’elles redoutaient – « Clichy, ça fait peur aux gens sur un CV » –, du moins jusqu’au 14 décembre 2019.

C’est à cette date que le dernier tronçon du tramway T4 a été inauguré, à cette date que Yasmine, Aïssatou, Fatoumata, Leila, Yricia et Abissetou ont commencé à envisager l’avenir – un peu – plus sereinement. « On n’a plus l’impression de vivre dans une ville-ghetto repliée sur elle-même, lance Fatoumata, attablée avec ses copines au fast-food Chicken Spot. Le regard des autres sur notre ville va évoluer. » « Avant, on dégoûtait tout le monde, renchérit Aïssatou. Ça fait du bien qu’on s’occupe de nous. »

Pour les habitants de cette commune de 30 000 âmes, plus connue du grand public pour ses faits divers que pour sa résidence d’artistes Ateliers Medicis, l’arrivée du tramway – qui relie Bondy (où se trouve le RER E) à Montfermeil, en passant notamment par les Pavillons-sous-Bois et Clichy-sous-Bois – représente bien davantage qu’un gain de temps pour rejoindre Paris ou Aulnay-sous-Bois (RER B) – depuis 2006, le T4 assurait une liaison entre Bondy et Aulnay-sous-Bois. « Voir le tram, c’est déjà un bonheur, s’émerveille Benyoussef Bouzidi, 58 ans, Clichois de longue date et président d’honneur du collectif AC Le Feu, en admirant les voies recouvertes de pelouses et bordées d’arbres (plus de 500 ont été plantés ainsi que 25 000 arbustes et plantes). C’est tellement joli, c’est le fruit d’une bataille de toute une vie, ça fait beaucoup de bien d’avoir du beau dans nos quartiers, pour nous, cela signifie que l’Etat, la France, mise enfin sur nous. »

A Clichy-sous-Bois et Montfermeil, cela faisait plus de quinze ans que le tramway était attendu et trois ans que les travaux avaient démarré (pour un budget de 370 millions d’euros). L’objectif : relier Livry-Gargan à Montfermeil afin de désenclaver ces villes proches de Paris mais mal desservies par les transports en commun. Si seulement 15 kilomètres séparent Clichy-sous-Bois de Paris, il fallait compter au moins une heure trente, voire une heure quarante, en transports en commun, pour s’y rendre.

L’inauguration, « une vraie fête »

Batina Beauregard a 60 ans, un bonnet vissé sur la tête et un chariot chargé d’emplettes : elle vient de faire ses courses au petit centre commercial du Chêne Pointu, à deux stations de tramway de chez elle. « Le tramway, ça nous donne la force de sortir plus souvent et de venir faire nos petites courses », dit-elle, assise sur un banc à la station Clichy-sous-Bois-Mairie. Femme de chambre en intérim dans un hôtel du parc d’affaires Paris Nord 2 depuis huit ans, elle gagne une demi-heure sur chacun de ses trajets, soit une heure par jour. Elle reçoit également plus souvent amis et membres de sa famille, qui viennent désormais lui rendre visite plus volontiers. « Notre ville, elle est en train de devenir trop belle », se réjouit-elle.

A l’université et dans les laboratoires aussi, la précarité a des effets négatifs

Manifestation du mouvement « Science en danger » à Paris, le 25 février.
Manifestation du mouvement « Science en danger » à Paris, le 25 février. THOMAS SAMSON / AFP

Le 5 mars, « l’université et la recherche s’arrêtent », espère une partie de la communauté scientifique, qui appelle à des manifestations pour s’opposer à deux réformes en cours d’élaboration. D’une part, la réforme des retraites, en discussion à l’Assemblée nationale et qui entraînerait une baisse des pensions de ces personnels. D’autre part, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), annoncée en février 2019 et qui devrait accorder des moyens supplémentaires aux établissements, mais avec des modalités, qui, même floues, suscitent la désapprobation des manifestants.

Parmi elles, de nouveaux contrats d’embauche seraient proposés : tenure-track (recrutement probatoire) ou encore CDI de projet (dont la durée dépend du financement du projet). Pour leurs défenseurs, cela offre de la souplesse de gestion. Pour les critiques, cela accroît la précarité déjà grande dans les laboratoires. Il y a un tiers de contractuels à l’Inserm, 22 % au CNRS, ce qui est du même ordre de grandeur qu’à l’université, où il n’est pas rare que la moitié des cours des premières années soit assurée par des non-titulaires.

Une plongée dans la littérature scientifique récente, dans l’une des deux plus importantes bases de données d’articles de recherche, Scopus, éclaire les conséquences, souvent négatives, de ces contrats courts dans l’enseignement supérieur et la recherche.

De rares effets positifs

Sans surprise, une étude de 2020 dans Studies in Higher Education, portant sur plusieurs pays européens, note que « les universitaires ayant des contrats permanents sont plus satisfaits dans leur travail que leurs collègues non titulaires ». En Espagne, une étude bibliométrique parue dans Scientometrics fin 2019 montre que les établissements avec le plus de permanents sont « les moins inefficaces ». Une équipe irlandaise, dans Gender, Work and Organization, en 2019, souligne que « les femmes précaires à l’université sont des non-citoyennes, (…) ayant moins de droits, de pouvoirs, de capacité à décider ».

En Australie, un travail de 2018, dans Innovations in Education and Teaching International, fait ressortir que la qualité de l’encadrement des doctorants est affectée par la présence de personnels précaires. Dans le même pays, une autre équipe, dans Journal of Youth Studies, en 2019, conclut que la précarité fait sentir ses effets négatifs à long terme, sur la vie en général, au-delà du laboratoire.

Chérifa Boukacem, coauteure d’une étude sur des jeunes chercheurs dans le monde en emploi non stable, expliquait au Monde, le 27 janvier 2019, qu’« il se dégage une souffrance face à cette situation d’esclave. Beaucoup s’interrogent, dépriment… Je suis parfois sortie des entretiens la boule au ven­tre ».