Les pistes pour « désmicardiser » la France

« Désmicardiser la France » : le premier ministre, Gabriel Attal, en a fait l’un de ses slogans, qu’il évoque à chaque sortie médiatique. Jeudi 28 mars, le gouvernement a même instauré un Haut Conseil des rémunérations, chargé de réfléchir à des mesures pour y parvenir. La tâche sera ardue : le 1er janvier 2023, 17 % des salariés du privé étaient rémunérés au smic (1 766,92 euros brut, pour un temps plein, au 1er janvier 2024), un niveau historiquement élevé.

En 2021, ils n’étaient « que » 12 %. Ce phénomène s’explique avant tout par l’indexation du salaire minimum sur l’inflation : en trois ans, compte tenu de la hausse des prix de 12,4 % sur la période, il a progressé de près de 14,8 %, tandis que les autres salaires augmentaient moins vite (+ 10,9 % pour le salaire horaire de base des employés et ouvriers, selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, Dares), resserrant l’éventail des rémunérations.

Cette « smicardisation », qui alimente le sentiment de déclassement d’une partie des Français, leur désarroi face à la flambée des prix, a aussi des causes structurelles. « La principale raison pour laquelle les salaires n’augmentent pas, c’est quand même la faiblesse de la croissance », rappelle Michaël Zemmour, maître de conférences à Paris-I Panthéon-Sorbonne et membre du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques. Cette panne des salaires est aussi le fruit des politiques publiques mises en œuvre ces dernières années : on pourrait les remettre en cause. » Revue de détail.

Mieux lisser les exonérations de charges

« On a un système qui fait qu’il n’y a plus beaucoup d’intérêt pour quiconque d’augmenter les salariés qui sont au smic. L’employeur, ça lui coûte très cher, le salarié au smic, il va à la fin gagner moins », a déclaré, en forçant un peu le trait, Gabriel Attal, mercredi 27 mars sur TF1.

Comment en est-on est arrivé là ? Depuis trente ans, les gouvernements de droite comme de gauche ont abaissé le coût du travail sur les catégories les plus modestes, afin de lutter contre le chômage et de soutenir la compétitivité des entreprises. Résultat : le smic est aujourd’hui quasiment exempt de charges. Au-delà, trois systèmes d’exonérations patronales s’empilent : l’« allègement Fillon », ou réduction drastique des cotisations sur les salaires compris entre 1 et 1,6 fois le smic, la baisse sur les cotisations maladie jusqu’à 2,5 smic, et celle sur les cotisations familiales, jusqu’à 3,5 smic. Au total, ces allègements représentent aujourd’hui 73,6 milliards d’euros, selon l’Urssaf.

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Comin, Maze : deux nouvelles plates-formes de VTC qui se disent avantageuses pour les chauffeurs

« Les temps sont durs, et malgré l’inflation les prix continuent de baisser : 40 euros pour une course de 50 kilomètres, ce n’est pas normal. » Vendeuse dans un aéroport, actuellement en congé maternité, Valérie Atta effectue depuis 2020 des courses sur les différentes applications de VTC (voiture de transport avec chauffeur, comme Uber, Bolt ou Heetch), en tant qu’autoentrepreneuse, pour compléter ses fins de mois. « Mais entre l’assurance, les charges, l’essence, on a l’impression de plus donner que recevoir. Uber donne une “prime de naissance”, mais je n’en ai même pas bénéficié car je n’ai pas fait 300 courses mais 205. »

Face à cette dégradation de ses conditions de travail, Valérie Atta envisage, à son retour de congé, de tester une nouvelle application, Comin, officiellement lancée en région parisienne le 2 avril, et disponible depuis le 28 mars : « Ils essaient vraiment de connaître les chauffeurs, j’ai envie de croire qu’ils sont sincères. » Elle a surtout été séduite par la commission prélevée par la jeune entreprise sur chaque course : 10 %, contre 18 % à 25 % chez les principaux acteurs du secteur.

C’est en travaillant sur un projet de comparateur de prix des différentes plates-formes que Dany El Oubari et Victor Feuillat ont eu l’idée de cofonder la start-up. « Les chauffeurs nous ont parlé de la dégradation de leurs conditions de travail, du manque d’échange avec les grands noms du secteur, se souvient Dany El Oubari, ancien banquier d’affaires. Beaucoup annulent des courses car ce n’est même plus rentable. »

Gouvernance plus ouverte

Après plusieurs mois de communication ciblée sur les conversations WhatsApp qui réunissent de nombreux chauffeurs parisiens, la plate-forme revendique 2 000 chauffeurs, soit « 7 % des VTC parisiens », dont 600 auraient déjà finalisé leur inscription.

Comment Comin survivra-t-elle avec une commission si basse ? Les fondateurs expliquent qu’ils n’ont que peu de dépenses de fonctionnement, et qu’ils n’ont presque rien dépensé en marketing, ou en promotion à destination des nouveaux clients. Ils comptent aussi sur les chauffeurs eux-mêmes pour convertir les usagers. Cette faible commission leur permet également, côté client, de s’approcher des prix d’Uber : Comin ayant fixé le revenu net minimum d’une course à dix euros pour le chauffeur, cela revient à 11,20 euros pour l’utilisateur.

La start-up vend aussi l’idée d’une gouvernance plus ouverte, non seulement aux chauffeurs mais également aux clients : elle compte les faire voter, directement sur l’application, sur les grandes décisions de l’entreprise. L’algorithme et le système de notation ressemblent pour l’heure à ceux des autres, mais la start-up ne s’interdit aucune évolution. « On pourrait par exemple imaginer que le prix soit défini par un accord entre les deux parties », pense Victor Feuillat.

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Décrié lors de son instauration, le salaire minimum britannique est désormais salué

Quand le salaire minimum a été introduit au Royaume-Uni, le 1ᵉʳ avril 1999, il y a exactement vingt-cinq ans, le sujet provoquait de vifs débats. Jusqu’à 2 millions de personnes risquaient de perdre leur emploi, selon les prévisions cataclysmiques de Michael Howard, ministre conservateur du travail de 1990 à 1992. La Fédération des épiceries menaçait d’être contrainte de licencier la moitié de ses salariés. « Le Parti travailliste veut retirer l’échelle des possibilités que tant de gens veulent gravir », critiquait John Redwood, un député conservateur. Les économistes eux-mêmes étaient très divisés.

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Un quart de siècle plus tard, il s’agit de « la politique économique qui a connu le plus grand succès depuis une génération », estime la Resolution Foundation, un groupe de réflexion britannique. Non seulement le chômage n’a absolument pas augmenté (il est actuellement de 3,9 % au Royaume-Uni), mais la mesure fait désormais l’objet d’un consensus politique.

Introduit initialement à un niveau très bas de 3,60 livres de l’heure, soit 47 % du salaire médian à l’époque, il augmente de 10 % ce lundi 1ᵉʳ avril, pour atteindre 11,40 livres de l’heure, soit deux tiers du salaire médian. Ce salaire minimum horaire, équivalent à 13,40 euros, dépasse désormais nettement le smic français, qui est à 11,65 euros. Mieux encore, il n’y a pas de « smicardisation » de la société. Seuls 5 % des salariés sont payés ce minimum, loin des 17 % de la France. « Il y avait des inquiétudes, y compris dans mon parti, mais elles étaient infondées », reconnaît aujourd’hui Kevin Hollinrake, secrétaire d’Etat aux entreprises.

L’une des explications de ce succès tient à la prudence qui a présidé à la l’entrée en vigueur de la mesure. Face aux débats pour le moins âpres sur le sujet, le gouvernement de Tony Blair a non seulement situé le salaire minimum à un niveau très bas (seuls 2 % des salariés étaient concernés au départ), mais il a aussi créé une commission indépendante, constituée d’experts des syndicats, du patronat et d’universitaires, chargée de déterminer chaque année son montant.

Renversement politique

« C’est un excellent exemple de dialogue social, et c’est notamment ça qui nous a donné la confiance nécessaire pour soutenir la création du salaire minimum », estime Rain Newton-Smith, la directrice de la Confederation of British Industry, la principale organisation patronale, qui, à l’origine, avait été hostile à sa création. Autre signe de prudence : le salaire minimum est plus faible chez les plus jeunes, avec un plancher inférieur pour les moins de 18 ans, un autre pour les 18-20 ans et un troisième au-delà de 21 ans (initialement fixé à 23 ans).

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« La cloche, c’est la voix de Dieu » : la famille Paccard, l’art des cloches depuis 1796

Philippe Paccard, PDG des fonderies de cloches et carillons Paccard, contrôle à l’aide d’un diapason, la note de la plus grosse cloche du monde en volée, exposée sur un quai du port de Nantes, le 23 mars 2024. Fabriquée par la Fonderie de l’Atlantique et l’entreprise Paccard, pesant 42 tonnes avec le joug et le battant, et mesurant 4 mètres de diamètre, cette cloche était destinée à commémorer l’an 2000 à Newport (Kentucky), aux Etats-Unis.

Quelques cygnes majestueux volent au-dessus du lac d’Annecy, avec, en toile de fond, les cimes du parc naturel régional du massif des Bauges. A quelques kilomètres seulement des Alpes françaises, les salariés de la fonderie de cloches Paccard, dans le village de Sevrier (Haute-Savoie), s’activent depuis l’aube. Là, plusieurs ouvriers s’attellent, dans une cadence qu’ils connaissent par cœur, à couler du bronze en fusion, un alliage de cuivre et d’étain, qui servira ensuite à remplir le moule des futures cloches.

Des flammes s’échappent du four, dans une chaleur étouffante. Tous portent une combinaison en coton tissé d’aluminium pour se protéger en cas d’éclaboussures. Perché à plusieurs mètres sur un escabeau, David Ughetto, 50 ans, verse minutieusement le métal en fusion à 1 200 degrés. Ce maître fondeur qui a trente ans de métier préside à toutes les étapes de la fabrication.

Deux tatouages sur son bras gauche représentent une cloche et la cathédrale de Rouen, dont il a participé à la restauration du carillon, en 2014. « J’ai mon job gravé dans ma peau », plaisante-t-il fièrement, louant le « côté mystérieux du métal qui pétille lors de la coulée ».

Le bourdonnement des machines ne cesse jamais. Le bronze en fusion est coulé dans des moules de cloches de différentes tailles : telles des poupées gigognes, elles sont alignées sur d’immenses étagères en acier, où elles attendent plusieurs heures avant d’être démoulées.

Les décorations sont ensuite faites à l’aide de cire, représentant des puissances célestes, des saints ou des paysages montagnards. Ces cloches peuvent peser jusqu’à plusieurs dizaines de tonnes – la World Peace Bell, la plus grosse cloche en volée au monde, coulée par la fonderie Paccard pour la Millennium Monument Company à Newport, dans le Kentucky (Etats-Unis), pèse ainsi plus de 33 tonnes (42 tonnes, en comptant le joug et le battant).

Une saga familiale (et royaliste)

Depuis sept générations, la famille Paccard confectionne les plus anciennes cloches de France, avec un savoir-faire unique. Le début de cette saga familiale remonte à 1796. En pleine période révolutionnaire, tandis que des cloches sont réquisitionnées et refondues par les républicains pour fabriquer des armes, la famille Paccard d’alors, royaliste et antirévolutionnaire, voit dans la fabrique de cloches une forme de résistance.

Près d’un siècle plus tard, en 1891, la famille se distingue avec la fabrique de la plus grosse cloche de France, la Savoyarde, classée au titre des monuments historiques, qui trône toujours au milieu de la basilique du Sacré-Cœur, à Paris. En bronze, elle pèse plus de 19 tonnes, pour 3 mètres de diamètre et 9 mètres de circonférence. A l’époque, c’est à l’initiative de l’archevêque de Chambéry, Mgr Leuillieux [1823-1893], qu’elle fut coulée, à destination du monument parisien.

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« HugoDécrypte » lance son site d’annonces d’emploi, pour rapprocher les jeunes des entreprises

Le vidéaste Web et journaliste franco-britannique Hugo Travers, alias HugoDécrypte, à Paris, le 14 mars 2022.

Cette fois-ci, Hugo recrute. Ou plutôt aide à recruter. Le média en ligne « HugoDécrypte » a annoncé, dimanche 31 mars, le lancement d’un tout nouveau site d’emploi, censé favoriser la mise en relation entre « candidats issus de son audience » et « recruteurs de qualité », triés sur le volet. Sobrement intitulé jobs.hugodecrypte.com, il rassemble d’ores et déjà des employeurs de divers secteurs, qui proposent des stages, alternances ou emplois en bonne et due forme : SNCF Voyageurs, Decathlon, Metro, L’Oréal, STMicroelectronics, Doctolib, ou encore Meetic.

La majorité de ces entreprises n’ont pas hésité à rejoindre ce projet, tant elles espèrent tirer parti de l’audience colossale du média fondé en 2015 par Hugo Travers, suivi par 14 millions de personnes sur l’ensemble des réseaux sociaux (dont 5,9 millions sur TikTok et 3,4 millions sur Instagram). Ses contenus vidéo cherchent à rendre l’actualité accessible aux plus jeunes, majoritairement grâce à des résumés d’actualité quotidiens et des interviews menées par le fondateur.

Les employeurs comptent bien profiter de cette visibilité pour toucher davantage de jeunes, en plus des canaux traditionnels (sites classiques, salons, écoles, cooptation). « 75 % de nos recrutements sont des jeunes diplômés, et 75 % de la communauté d’Hugo a entre 15 et 34 ans, observe Laurianne de Tredern, responsable recrutement du cabinet d’audit Grant Thornton. On essaie d’orienter nos actions sur des médias pertinents qui résonnent pour cette génération. »

Lire le portrait : Article réservé à nos abonnés « HugoDécrypte » et sa petite entreprise

En 2023, 61 % des recrutements étaient jugés difficiles par les employeurs, d’après l’enquête « Besoins en main-d’œuvre » de France Travail (ex-Pôle emploi). Le nombre insuffisant de candidats et le déficit d’image en sont les principales causes. Chez SNCF Voyageurs, il s’agit donc « d’attirer l’attention de personnes qui ne nous observent pas, ne vont jamais sur les jobboards [le terme qui s’est imposé pour désigner les sites d’emploi] et sont peu captives de nos campagnes de recrutement », selon Florence Merkhouf, directrice de l’agence de recrutement de la branche de l’opérateur ferroviaire, qui, en 2024, embauche 5 000 personnes, dont 3 000 dans la maintenance et la relation client.

Une « expérience simple et intuitive »

C’est notamment la personnalité d’Hugo Travers qui a plu aux recruteurs, car ils savent qu’elle inspire confiance. « On accompagne les entreprises sur des sujets réglementaires liés à l’évolution de la législation. Avoir des jeunes sensibles à l’actualité et à la transformation de notre monde, c’est un plus », s’enthousiasme Laurianne de Tredern.

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Entre baisses de salaire et postes peu qualifiés, les difficultés du marché du travail pour les jeunes Chinois

Lors d’une foire à l’emploi, à Pékin, le 23 février 2024.

Une matinée de mars, dans le nord de Pékin, à la station de métro Lishuiqiao. Il y a ceux qui garent rapidement leur vélo, passent les portiques puis sautent dans un wagon de la ligne 5 ou de la 13 afin d’arriver à temps au travail, dans le centre-ville. Et il y a ceux qui se dirigent vers la foire à l’emploi organisée ce matin-là dans l’allée centrale d’une galerie marchande.

A 9 heures, les portes s’ouvrent et les jeunes découvrent, stand après stand, les offres qui se présentent à eux. Un hôtel de la chaîne Howard Johnson cherche du personnel pour la réception, le ménage, le service. Une société du bâtiment est en quête de profils techniques. « Vous cherchez du travail ? », demande une dame accueillante aux jeunes qui hésitent à poser des questions.

En pardessus beige, Liu Yunzhi, 25 ans, tient son sac à main en cuir marron à l’épaule. Après avoir fait un tour dans les allées, elle confie : « Ce n’est pas facile de trouver le boulot adéquat. » Il y a des offres, mais les salaires proposés ne correspondent pas forcément au coût de la vie dans la capitale ni aux attentes de ceux qui ont fait des études. Elle en sait quelque chose. Après avoir obtenu sa licence pour travailler dans l’encadrement d’écoles maternelles bilingues, elle a trouvé un métier de documentaliste dans une société d’impression.

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Elle s’y plaisait. Cependant, en octobre 2023, chaque employé a été convoqué. Avec la conjoncture, l’entreprise n’allait pas très bien, leur a-t-on expliqué : il fallait se résigner à une baisse de salaire ou bien poser sa démission. Pour elle, cela signifiait passer de 5 500 à 4 500 yuans, soit de 700 à 580 euros. Alors, on lui a dit qu’elle travaillait mal. On l’a poussée à partir sans indemnités. Mais en menaçant d’intenter un procès à son employeur, elle en a malgré tout récupéré une partie.

Plusieurs mois de déflation

Les jeunes travailleurs chinois, surtout les cols blancs, se heurtent à un marché du travail bien plus difficile que par le passé. Le sujet est délicat, car il s’agit de l’avenir de la nouvelle génération. En juin 2023, lorsque le taux de chômage des 16-24 ans a atteint 21,3 % après six mois de hausse d’affilée, le Bureau national des statistiques a cessé de publier les données.

Puis a été présentée, en janvier 2024, une nouvelle formule ne prenant pas en compte les jeunes encore enregistrés comme étudiants mais qui cherchent un emploi. Cela, car les chiffres comptabilisaient en fait aussi ceux qui cherchaient un petit boulot pour financer leurs études ; pas des chômeurs à proprement parler, a justifié le directeur du bureau, Kang Yi. Le taux est ainsi tombé à 14,9 % au tournant de l’année. Beaucoup y ont vu une manière d’embellir subitement les statistiques.

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Grève pour les salaires chez Auchan : « Nous, ce qu’on veut, c’est garder le même niveau de pouvoir d’achat »

Un supermarché Auchan fermé, dans un centre commercial du quartier d’affaires de la Défense, le 19 avril 2023.

Dans l’allée centrale de l’hypermarché de Brétigny-sur-Orge (Essonne), longue de dizaines de rayons, les clients ont arrêté leurs chariots débordant de victuailles pour regarder passer un cortège inattendu. « Augmentez les salaires, augmentez les salaires ! », scandent, vendredi 29 mars, une trentaine de salariés en tapant des mains dans un vacarme efficace. D’abord surpris, plusieurs clients applaudissent en rythme pour les encourager. « On est mal payés ! On est mal payés ! », clament, une heure plus tard, à 15 kilomètres de là, leurs collègues de l’hypermarché de Villebon-sur-Yvette (Essonne).

Des débrayages d’une heure comme ceux-ci, il y en a eu dans plus de 150 magasins Auchan de France, selon l’intersyndicale, réunissant la CFTC, FO, la CGT et la CFDT, unie pour la première fois dans l’histoire de l’enseigne. Les syndicats ont revendiqué de 3 000 à 5 000 grévistes (sur 59 000 salariés) pour cette troisième journée de protestation en un mois.

Les négociations annuelles obligatoires viennent de s’achever sans accord, sur une décision unilatérale de la direction que les salariés jugent « indécente » : + 1,5 % pour les employés, + 1,2 % pour les cadres. « L’inflation était à 4,9 % en 2023. Donc, nous, ce qu’on veut, c’est 5 %, pour garder le même niveau de pouvoir d’achat. Aujourd’hui, le ressenti des salariés, c’est qu’un salaire, c’est pour trois semaines, plus pour un mois », relève Benoît Soibinet, délégué syndical FO à Brétigny-sur-Orge.

« C’était bien de travailler ici »

Auchan calcule autrement, en additionnant la négociation de 2023 pour présenter une hausse « cumulée » de 8,1 % pour les employés (+ 6,6 % en 2023 et + 1,5 % en 2024). « Ces mesures sont au-delà de l’inflation sur la période, estimée à + 6,4 % », explique le groupe au Monde. Sauf que les syndicats, eux, considèrent que la négociation obligatoire de 2023 ne venait pas anticiper l’année à venir, mais rattraper le niveau de l’inflation d’alors (à 5,9 % sur un an en décembre 2022), qui pesait lourd sur le pouvoir d’achat des employés.

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Longtemps, ces derniers se sont sentis plutôt mieux lotis que leurs collègues de la grande distribution. « Quand je suis arrivée, il y a vingt-quatre ans, c’était bien de travailler ici : on avait plein de primes, on était bien rémunérés », remarque une salariée du rayon boucherie. « Il y avait la prime de progrès trimestrielle en fonction du chiffre d’affaires, différentes primes individuelles… », liste une de ses collègues, à Auchan depuis 1991. « Et puis de la participation, renchérit une autre, là depuis trente-deux ans. Certaines années, c’était plus d’un mois de salaire ! Ça permettait de faire des projets : s’acheter une voiture, faire des travaux chez soi… Mais là, il n’y a plus rien, les gens sont bloqués. »

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Pascal Rogard : « La France a laissé tomber la défense du droit d’auteur pour faire plaisir à Mistral »

Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques dans les locaux de la SACD, à Paris, le 27 mars 2024.

Défenseur incontesté de la culture – il s’est battu notamment pour imposer à Bruxelles l’exception culturelle –, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), rappelle que Paris avait jusqu’à présent toujours défendu le droit d’auteur dans les débats européens.

Il s’insurge contre le fait que, lors de l’adoption de la législation européenne sur l’intelligence artificielle (IA), cela n’ait pas été le cas. A ses yeux, la France a renoncé à ce combat pour complaire à Mistral, la licorne hexagonale spécialisée dans l’IA. Paris s’est retrouvé isolé et a dû approuver le règlement européen sur l’intelligence artificielle.

Vous êtes l’un des rares à attaquer la position française prise avant l’adoption, à Strasbourg, de la législation européenne sur l’intelligence artificielle, le 13 mars. Pourquoi ?

Dans le cadre du trilogue avec les représentants des Etats, Thierry Breton [commissaire européen chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l’espace] proposait, fort de l’appui du Parlement européen, que les sociétés d’intelligence artificielle qui entraînent les machines génératives fassent preuve de transparence. Qu’elles soient obligées de faire connaître ce qui avait servi à leur apprentissage et dévoilent la liste des données aspirées.

Jusqu’à présent, dans tous les dossiers liés aux droits d’auteur et à la défense de la création, Bruxelles apparaissait prolibérale, et la France était partisane de la régulation et de la défense de la création. Là, pour la première fois, les rôles étaient inversés : celui du « gentil » était tenu par Thierry Breton, tandis que les « méchants » étaient Bruno Le Maire [ministre de l’économie] et Jean-Noël Barrot [ministre délégué chargé de la transition numérique sous le gouvernement Borne, entre 2022 et 2024].

La France, pays inventeur des droits d’auteur, est apparue à front renversé, à l’inverse de ce qu’elle a toujours défendu. MM. Le Maire et Barrot ont laissé tomber la défense du droit d’auteur au nom d’un développement du numérique national. Mais surtout pour faire plaisir à Mistral – l’une des principales start-up françaises de l’IA –, dont le lobbyiste à Bruxelles est Cédric O, ex-ministre chargé du numérique.

Pour bloquer l’adoption du règlement sur l’IA, la France a essayé de créer une minorité de blocage en allant chercher les Allemands, les Italiens et d’autres pays, mais finalement tous se sont défilés. On a vécu une période lamentable. La France s’est assise sur ses valeurs, s’est retrouvée largement isolée et a dû, in fine, approuver le règlement européen. C’est quand même très curieux d’avoir à se réjouir que la France soit battue… Thierry Breton était furieux.

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