L’argot de bureau : le « bien-être au travail » rejette la faute sur les salariés
Une « bulle de bien-être ». Un « havre de paix » où l’on trouve du mobilier ergonomique, de la décoration inspirante, une « ambiance olfactive et sonore apaisante », des végétaux. Où est-on ? Dans le spa d’un hôtel, en attente d’un massage aux pierres chaudes ?
Malheureusement non : en y regardant de plus près, on découvre une boîte pleine de petites billes arborant le smiley « 🙂 », ou un bouton diffusant une playlist et un parfum spécial. Ce n’est pas une blague, c’est un prestataire qui propose aux DRH de réaménager leurs salles de pause en… « espaces bonne humeur ».
A 1 000 lieues de là, à la RATP, des salariés chargés de la maintenance des RER testent depuis le début de l’année des « exosquelettes » futuristes, pour soulager leur posture lorsqu’ils réparent des portes de rames.
Quel est le point commun entre ces deux exemples ? Ils prétendent améliorer le « bien-être au travail », l’un en luttant contre les risques psychosociaux qui envahissent la santé mentale des salariés de bureau, l’autre en limitant les troubles musculo-squelettiques chez les manutentionnaires ou artisans.
QVCT ne fait pas rêver
Selon la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Or, le management de la santé au travail n’est pas nouveau. Ce champ s’est formalisé dans les années 1970, à l’origine pour parler des conditions de travail des ouvriers. Peu à peu, les spécialistes ont commencé à parler de « qualité de vie au travail » (QVT), en élargissant les conditions de travail aux organisations, aux horaires, puis à l’équilibre vie privée-vie professionnelle. En France, un accord national interprofessionnel est même consacré à la QVT en 2013, puis en 2020 à la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).
« QVCT », ça ne fait pas rêver. Ces dernières années ont vu le monde de la prévention – et surtout les employeurs – lui préférer le « bien-être au travail ». Sa définition est très large : selon l’Institut national de recherche et de sécurité, c’est un « sentiment général de satisfaction et d’épanouissement dans et par le travail qui dépasse l’absence d’atteinte à la santé ».
Jouant de ce flou, les actions en bien-être au travail tombent souvent à côté de la plaque. Dans Les Servitudes du bien-être au travail. Impacts sur la santé (Erès, 2021), un ouvrage collectif réalisé sous la direction de Sophie Le Garrec, des chercheurs décrivent les dérives du management de la santé vers de vagues injonctions au développement personnel des salariés. A base de smileys – toujours se méfier des smileys dans le cadre professionnel –, ou de slogans impersonnels affichés sur les murs comme « retrouvez l’essence vraie de vous-même »…
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