Archive dans 2023

Entreprises : y aura-t-il de l’eau chaude à Noël ?

« Certainement une mesure sociale d’apaisement », ironisait sur Twitter le 30 avril Anthony Smith, responsable CGT au ministère du travail. En marge des manifestations contre la réforme des retraites, un décret datant du 24 avril autorise les employeurs à couper l’eau chaude des sanitaires dans les entreprises et les bâtiments à usage professionnel. Raison invoquée : la sobriété énergétique.

La consommation d’eau chaude sanitaire dans les locaux tertiaires montre en effet une progression constante, selon les chiffres du ministère de la transition écologique : elle atteignait 22,6 milliards de kilowatts/heure (kWh) en 2019, contre 21,9 milliards de kWh en 2013. Soit plus de 10 % de la consommation énergétique totale des bâtiments du tertiaire.

Ce décret s’appliquant jusqu’au 30 juin 2024, la mesure sera valable cet hiver. Le texte ne fixe pas de température minimale extérieure à atteindre. Les bâtiments concernés incluent les écoles, les hôpitaux et les établissements publics, mais seulement les sanitaires réservés aux travailleurs de ces bâtiments.

Risque de prolifération des bactéries

Il ne sera toutefois pas si simple de couper l’eau chaude à ses salariés. L’employeur doit d’abord récolter l’avis du comité social et économique (CSE), s’il existe. Par ailleurs, le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), obligatoire dans toutes les entreprises d’au moins un salarié et transmis par l’employeur au service de prévention de santé au travail, doit faire le constat qu’aucun risque n’existe pour la sécurité et la santé des travailleurs du fait de l’absence d’eau chaude.

Or, certaines bactéries prolifèrent lorsque la température de l’eau est tiède, c’est-à-dire comprise entre 20 et 45 degrés, notamment la légionellose (qui n’aime pas l’eau froide). « En vingt ans d’exercice j’ai déjà eu le cas d’une personne décédée de cette maladie et celui d’un salarié qui s’est retrouvé paralysé, simplement après s’être aspergé le visage », se souvient Camille Pradel, avocat spécialiste de la santé au travail.

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De son point de vue, par ailleurs, « il faudra faire très attention dans le DUERP, notamment aux risques de stagnation de l’eau ». Faute de textes législatifs suffisamment précis en la matière, « il faut se référer aux normes de bonnes pratiques ».

Douches exclues

Pour prévenir la légionellose, l’Agence Régionale de Santé d’Ile-de-France recommande de « purger tous les points d’usage en cas d’absence prolongée », pour éviter notamment la stagnation d’eau tiède dans le chauffe-eau, et signale qu’un arrêté du 30 novembre 2005 préconise une température supérieure ou égale à 50 °C en tout point du système de distribution, « à l’exception des tubes finaux d’alimentation des points de puisage », précise l’arrêté.

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Lycée professionnel : les enjeux d’une indispensable évolution

L’éducation doit-elle déboucher sur un métier ou bien consiste-t-elle simplement à former des futurs citoyens ? Si la France n’a jamais véritablement réussi à dépasser cet éternel débat, c’est sans doute parce que la seule réponse valable est que le premier objectif est aussi important que le second. Or, les lycées professionnels n’atteignent ni l’un ni l’autre en aboutissant à un immense gâchis pour une part non négligeable de la jeunesse. Dès lors, faire de la réforme de ces lycées professionnels une « cause nationale », comme l’a annoncé, jeudi 4 mai, Emmanuel Macron, n’a rien de grandiloquent : c’est un devoir et une nécessité.

La filière cumule les difficultés en concentrant les élèves les plus fragiles socialement et scolairement. Une fois qu’ils sont diplômés, seule une petite moitié trouve un emploi au bout d’un an. Ce bilan n’est pas tolérable. Il est le fruit de plusieurs décennies de réformes mal calibrées, de budgets bancals et d’un système incapable de se remettre en cause malgré le manque de résultats.

Souvent choisi par défaut, le lycée professionnel a fini par devenir pour beaucoup d’élèves une « voie de garage » ne permettant, dans l’indifférence générale, ni poursuite d’études ni insertion professionnelle. A la clé, une population peu diplômée, oubliée, se sentant déclassée et devenue l’un des principaux terrains de chasse électoraux du Rassemblement national.

Un « pacte » avec les enseignants

La réforme propose une série de changements autour de deux piliers. L’un concerne l’amélioration de l’employabilité. Il s’agit de faire coïncider les formations avec le potentiel du bassin d’emploi local. Le projet vise à être transparent sur les débouchés des formations et envisage de fermer celles qui ont les taux d’insertion les plus bas. L’idée tient du bon sens. Reste à expliquer comment seront accompagnés les enseignants concernés. Afin de mieux valoriser les parcours des élèves et de réduire l’écart d’attractivité avec les centres de formation des apprentis, il est enfin prévu de rémunérer les stages en entreprise. Ceux-ci seront plus nombreux en terminale.

Ces efforts en faveur de l’insertion professionnelle sont les bienvenus, mais ils ne doivent pas se faire au détriment du second pilier de la réforme, c’est-à-dire l’amélioration des savoirs fondamentaux. C’est là que tout se complique, car l’équilibre dépendra des modalités d’application. Il s’agit de nouer un « pacte » avec les enseignants. Ces derniers pourront toucher jusqu’à 7 500 euros brut par an en échange de « missions » comme le soutien aux élèves en difficulté.

Objectif : « zéro décrocheur », promet le président. Mais, derrière le slogan, peu de précisions. Si la partie insertion est balisée et appelée à s’appliquer uniformément, celle qui concerne la consolidation de l’enseignement général variera selon l’engagement des enseignants. De la proportion de ceux qui sont prêts à accepter le « pacte » dépendra pour une part l’efficacité de la réforme. D’un côté, le risque est de créer un système à deux vitesses entre les lycées qui joueront le jeu et ceux qui refuseront. De l’autre, c’est l’occasion de placer les enseignants face à leurs responsabilités et de jouer sur l’effet d’entraînement.

Grâce à une enveloppe de 1 milliard d’euros par an, M. Macron souhaite « continuer de créer plus de liens entre le monde éducatif et le monde de l’entreprise, en assumant que le lycée professionnel est une troisième voie ». Mais celle-ci ne pourra s’affirmer que si la filière sait mener sur le même plan employabilité et culture générale. A ce stade, difficile de savoir si cet équilibre indispensable sera respecté.

Le Monde

Le gouvernement lance une « contre-offensive » pour attirer de nouveaux candidats dans la fonction publique

Lors d’un salon de l’emploi, à Tourcoing (Nord), le 4 octobre 2018.

Stanislas Guerini a donné de sa personne. Pour le premier salon consacré à l’emploi public depuis 2016, le ministre de la transformation et de la fonction publiques a enchaîné les tables rondes et les déambulations parmi les cinquante stands installés à la Station F (un incubateur de start-up créé par Xavier Niel, également actionnaire à titre individuel du Monde), à Paris, jeudi 4 mai. Objectif : lancer une campagne de recrutement et vanter les mérites de l’administration aux 5 000 visiteurs inscrits, parmi lesquels 40 % de chômeurs, 40 % de fonctionnaires en reconversion et 15 % d’étudiants.

Lire aussi (2020) : Article réservé à nos abonnés Etre fonctionnaire, un métier qui n’attire plus la jeunesse

Car, touchée par des difficultés récurrentes à attirer les jeunes, la fonction publique dispose actuellement de 58 000 postes à pourvoir. Alors que le gouvernement tablait sur une stabilité des effectifs en 2022, il a en réalité constaté une baisse du nombre de fonctionnaires de 5 800 emplois du fait de problématiques de recrutement.

Jeudi matin, lors d’une table ronde ouverte aux visiteurs du salon, M. Guerini a lancé « une contre-offensive pour la fonction publique, pour montrer à quel point nous pouvons être les employeurs les plus attractifs du pays, vous proposer des jobs… » Parce que, a-t-il reconnu, « rarement autant dans l’histoire de la fonction publique, on a eu besoin de vous ». Les défis « qu’on a à relever ensemble », a souligné le ministre, n’ont « jamais été aussi grands : écologique, numérique, démographique… » Et, donc, « on a besoin du retour de la puissance publique sur nos territoires ».

« Mille métiers »

Il a ensuite vanté « les carrières et la diversité de métiers la plus incroyable ». « Il y a mille métiers dans la fonction publique », a-t-il martelé. Troisième message : celle-ci « se transforme, beaucoup plus vite et plus fort que ce que notre débat public laisse percevoir ». « J’en ai marre du “fonctionnaire bashing” », a-t-il soupiré. Affirmant à plusieurs reprises qu’il n’avait « pas de tabous », le ministre a promis de faire bouger les concours, de permettre la titularisation directe des apprentis, de valoriser le mérite, de proposer « des espaces de coworking » ou la prévention de l’usure professionnelle. Le matin même sur France 2, M. Guerini avait annoncé qu’il rencontrerait prochainement les syndicats pour discuter hausse des salaires.

Dans les travées du salon, les exposants tentaient de mettre en avant les opportunités offertes par l’administration. La gendarmerie nationale cherche à recruter 12 000 personnes en 2023 : c’est 2 000 de plus que d’habitude en prévision des Jeux olympiques de 2024. Ce type de salon est important, estime le maréchal des logis Loris Méchin, recruteur. Cela permet, dit-il, de montrer la diversité des trois cents métiers offerts par la gendarmerie, « d’expliquer le sens de notre institution, nos valeurs car les gens nous confondent souvent avec la police ».

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« Le Management de la vertu. La diversité en entreprise à New York et à Paris » : de la difficulté d’aller au-delà du symbole

Le livre. C’est une fonction récente, qui a émergé dans les organigrammes des grandes entreprises à la fin des années 1980 aux Etats-Unis, au début des années 2000 en France. Le poste de manageur de la diversité a connu dans les deux pays une institutionnalisation rapide au sein des sociétés, « pressées par le droit et la morale de lutter contre les discriminations ». Mais dans le même temps, cette mission qui portait de grandes ambitions (valoriser les différences, attirer les talents, conquérir de nouveaux marchés…) a rapidement montré ses fragilités et ses limites opérationnelles.

La sociologue Laure Bereni a décidé de mener une enquête au long cours sur ces manageurs de la diversité. Elle a rencontré une centaine d’entre eux dans les années 2010, dans les régions d’affaires de New York et de Paris. Son ouvrage, Le Management de la vertu (Les Presses de Sciences Po), se propose de révéler les contradictions de leur fonction, et la complexité de leur « travail d’équilibriste ».

Leur mission principale est des plus délicates : « Travailler la frontière entre le monde de l’entreprise et la société. » Il s’agit de « permettre aux [organisations] d’échapper à l’image d’identités purement économiques fermées sur elles-mêmes et imposer celle d’un monde des affaires encastré dans la société et soucieux du bien commun ». Une tâche « exaltante et malaisée », note l’auteure, dans un contexte où le rapport de l’entreprise au monde extérieur apparaît particulièrement ambivalent. Les sociétés présentent leur programme de diversité comme étant des initiatives volontaristes, proactives. En réalité, elles sont « fortement déterminées par le droit et l’action publique ».

Une « quête permanente de légitimité »

Dans le même temps, les organisations, si elles souhaitent « coopter les enjeux sociaux », déploient moult efforts pour gommer toute trace de politisation de la diversité. « Les manageurs de la diversité ne cessent d’expliquer la diversité à des collègues qui la confondent avec ce qu’elle n’est pas : une politique de promotion des minorités, l’affirmation de valeurs politiques controversées, une question de conformité légale ou encore un enjeu éthique. »

Au-delà, Mme Bereni se penche sur les moyens alloués aux manageurs de la diversité. De toute évidence, ils sont trop faibles. Quand bien même ils le souhaiteraient, ces derniers « n’ont pas les armes pour s’attaquer aux discriminations et inégalités en tout genre qui structurent les organisations ». Les résultats sont donc loin des ambitions.

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La réforme du RSA suscite inquiétudes et scepticisme

La première ministre, Elisabeth Borne, présente la feuille de route du gouvernement pour les trois prochains mois, à l’Elysée, le 26 avril 2023.

Une réforme de l’assurance-chômage à l’automne 2022. Un hiver rythmé par les défilés contre celle des retraites. En ce printemps, le gouvernement se penche sur une autre réforme, celle du revenu de solidarité active (RSA). Promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le projet a été confirmé par la première ministre, Elisabeth Borne, mercredi 26 avril, lors de la présentation de sa feuille de route pour les « cent jours d’apaisement » voulus par le chef de l’Etat après l’éruption sociale des derniers mois. Pas sûr, toutefois, que le projet de loi « plein-emploi », qui doit être présenté par l’exécutif début juin, et qui portera la transformation de Pôle emploi en France Travail et, donc, la réforme du RSA, apporte la quiétude recherchée.

Si les contours précis du texte ne sont pas encore connus, le rapport France Travail remis par le haut-commissaire à l’emploi, Thibaut Guilluy, au ministre du travail, Olivier Dussopt, le 19 avril, donne de sérieuses indications sur son contenu. Le gouvernement souhaite que France Travail soit la « porte d’entrée pour l’ensemble des personnes en recherche d’emploi », et notamment les 2 millions de bénéficiaires du RSA. Aujourd’hui, seulement 42 % d’entre eux sont inscrits à Pôle emploi. L’objectif affiché est d’améliorer l’accompagnement des allocataires, qui peut se révéler particulièrement défaillant dans le système actuel, alors que 18 % d’entre eux (environ 340 000 personnes) « ne sont pas orientés vers un organisme d’accompagnement », selon le rapport.

C’est pour corriger cette situation que le gouvernement souhaite conditionner le versement du RSA à une quinzaine d’heures d’activité par semaine, dans une logique de « droits et devoirs ». Le dispositif doit être un des leviers de l’exécutif dans son objectif d’atteindre le plein-emploi pour 2027 – un taux de chômage autour de 5 %, contre 7,2 % aujourd’hui. En janvier 2022, la Cour des comptes avait critiqué les mauvais résultats du RSA en matière de retour à l’emploi. « Au total, sept ans après l’entrée au RSA (…), seuls 34 % en sont sortis et sont en emploi – et parmi ceux-ci, seul un tiers est en emploi de façon stable », notait la juridiction dans son rapport.

« Effet d’annonce »

Mais plusieurs voix font part de leurs doutes et de leur inquiétude à l’égard du projet gouvernemental. « Ça coûterait une fortune de donner de quinze à vingt heures d’activité à chaque allocataire du RSA », prévient Michaël Zemmour. L’économiste estime qu’une telle mesure n’est qu’un « effet d’annonce pour dire qu’on va remettre des gens au travail ». Dans son rapport, Thibaut Guilluy compte sur un investissement de 2,3 milliards à 2,7 milliards d’euros pour la période de 2024 à 2026.

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« Pour changer le travail, il faut écouter les travailleurs »

Quel responsable d’entreprise oserait affirmer ne pas écouter ses salariés ? Ce principe semble être une évidence. En réalité, au-delà de la courtoisie, l’observation montre que c’est loin d’être le cas. Dans les enquêtes conduites par Secafi sur les conditions de travail, le résultat est clair d’une entreprise à une autre.

A l’assertion « lorsqu’il y a un changement dans mon travail, je peux donner mon avis », environ 60 % des travailleurs répondent « oui ». A la question « mon avis est-il pris en compte ? », le score descend à 30 %. Lors des processus d’information-consultation du comité social et économique sur les projets de transformations du travail, l’employeur considère comme un succès que son projet sorte inchangé du dialogue social.

Pour organiser le travail de la manière la plus efficace, un excellent principe à prendre en compte est « c’est celui qui fait qui sait ». Pourtant, une armée de concepteurs, de fabricants de procédures consacre un temps considérable à expliquer aux travailleurs ce qu’ils doivent faire. Le « one best way » taylorien [soit la meilleure façon de produire] est toujours là, en plus sophistiqué.

Lutter contre les tâches inutiles au travail

La faiblesse des gains de productivité fait débat. L’observation des situations de travail montre à quel point celles-ci sont encombrées de tâches inutiles : traçabilité, reporting [communication des données], justification de toutes sortes, autant de tâches sans valeur ajoutée pour le client ou pour l’usager.

Une infirmière peut passer jusqu’au tiers de son temps, comme le démontrent les observations de Secafi, devant son ordinateur à transcrire ce qu’elle a fait, pourquoi elle l’a fait, comment elle l’a fait, au lieu d’être aux côtés des patients, avec du temps pour les comprendre, échanger avec eux, leur expliquer les soins proposés.

Je ne dis pas que toutes ces règles doivent être supprimées. Mais, parce qu’elles ont été conçues très loin de ceux qui les mettent en œuvre, elles sont lourdes, redondantes, nuisibles à la qualité du travail et au bien-être des travailleurs.

Plaider pour un changement de paradigme

Dans les usines qui produisent en continu, on est surpris de la préférence exprimée parfois pour les postes de nuit. L’éventuelle prime de nuit n’est pas la seule explication. Lorsque l’on sait observer le travail et écouter les travailleurs, on sait le plaisir qu’ils ont à travailler entre eux, loin des fonctions supports et des injonctions bureaucratiques présentes en journée.

Ces observations plaident pour un changement de paradigme : on ne peut plus changer le travail sans le faire avec les intéressés eux-mêmes. La proposition récente d’inclure « l’écoute des travailleurs » comme premier principe de prévention doit être adoptée.

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Les collectifs d’indépendants, un juste milieu entre salariat et travail en free-lance

En mars 2021, Fred Lizée a cofondé, à Nantes, le collectif Away We Go, qui rassemble aujourd’hui une quarantaine d’indépendants, majoritairement autoentrepreneurs, dans les métiers du tourisme. « L’objectif était de mutualiser nos réseaux et expertises à la sortie du Covid, pour proposer de nouveaux services aux entreprises du secteur, qui ont du mal à embaucher et commencent à s’intéresser aux indépendants », explique ce chef de produit.

Ces dernières années, les regroupements d’indépendants comme celui-ci se multiplient, sous des statuts variés : association, société par actions simplifiée, coopérative… Dans une étude publiée en janvier avec la banque en ligne Shine, la plate-forme Collective estime qu’il existe 35 000 collectifs d’indépendants en France à ce jour, dont 10 000 se revendiquent comme tels.

Pour Jean-Yves Ottmann, chercheur en sciences du travail et coordinateur scientifique du Laboratoire Missioneo, le développement de ces nouvelles formes de travail est lié à l’« émergence de nouveaux métiers de la prestation intellectuelle, qui se sont structurés grâce aux outils numériques ». La technologie et le développement (24 % des collectifs selon l’étude Shine-Collective), la communication (16 %) et le conseil sont parmi les secteurs les plus représentés.

« Combattre la solitude »

Pour Yannick Fondeur, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers, qui a notamment analysé un collectif de free-lances dans le numérique : « Il y a deux objectifs au départ, se partager des opportunités de missions, ainsi que faire équipe et avoir des compétences complémentaires. » Jean-Yves Ottmann identifie, lui, trois raisons : « politique, avec un rejet du salariat et des organisations traditionnelles ; psychologique, avec une volonté de quitter la solitude ; et pragmatique, pour accéder à des ressources et missions auxquelles on ne peut pas accéder tout seul ».

Cinquante-cinq pour cent des indépendants qui ont rejoint un collectif l’ont fait pour « combattre la solitude du free-lancing », selon l’étude Shine-Collective. En se réunissant, les free-lances cherchent aussi à mutualiser certaines dépenses : facturation, documents commerciaux, site Web, formations… « On a recréé ce qui nous plaisait dans l’entreprise et qu’on avait perdu en devenant indépendantes : travailler ensemble, avoir des gens sur qui compter », estime Louise Racine, cofondatrice de Lookoom, collectif spécialisé en identité de marque sur le numérique, qui fédère aujourd’hui 200 personnes.

Lire aussi le premier article de la série : Article réservé à nos abonnés L’essor du travail indépendant en entreprise bouscule le management

En assemblant des compétences complémentaires, les indépendants peuvent surtout réaliser des missions plus ambitieuses, réservées jusqu’alors aux agences : 83 % des indépendants disent avoir rejoint un collectif pour « travailler sur des projets de plus grande envergure ». Par exemple, construire à plusieurs un site de A à Z pour un client.

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L’Europe fait-elle encore rêver les étudiants ?

Madeleine Bourguet, 18 ans, étudiante française en droit à l'Université Complutense de Madrid, dans le cadre d'un échange avec la Sorbonne, le 23 avril 2023.

Etudes en immersion, colocation internationale, vie nocturne et horaires décalés : « On dirait un cliché tiré du film L’Auberge espagnole, mais c’est mon quotidien depuis septembre », s’amuse Madeleine Bourguet, 18 ans. La jeune fille effectue les deux premières années de son double diplôme de droit franco-espagnol à l’université Complutense de Madrid, en partenariat avec la Sorbonne. Pourquoi s’envoler si tôt du nid familial et de France ?

« Mon lycée de secteur Marie-Curie à Sceaux [Hauts-de-Seine] proposait une section binationale pour passer un “bachibac” (contraction de bachillerato et baccalauréat). J’y ai développé mon goût pour la culture espagnole. Logiquement, j’ai voulu poursuivre sur cette lancée en suivant une formation bilingue en droit. » Les deux dernières années de son cursus sont prévues à Paris. « Mais je compte bien travailler plus tard dans des entreprises d’envergure européenne », confie Madeleine, dont le témoignage a été recueilli pour La Nuit de l’Europe, organisée samedi 13 mai par Sciences Po Strasbourg en partenariat avec Le Monde.

Même évidence pour Lucas Nitzsche, 20 ans, en troisième année à Sciences Po Paris, après avoir passé deux ans sur le campus de Nancy avec la mineure Union européenne. De par ses origines franco-allemandes, le Strasbourgeois a l’Europe dans ses gènes. Il a aussi cultivé cette affinité naturelle en optant pour un baccalauréat à option internationale. En terminale, il a rejoint le mouvement Jeunes Européens-France, dont il dirige aujourd’hui la revue Le Taurillon. « Avec nos publications en sept langues, nous essayons de susciter le débat auprès de nos trois millions de lecteurs, explique Lucas, qui vit son engagement comme une école de la démocratie européenne. Si je m’oriente vers le journalisme, conclut-il, ce sera pour exercer partout en Europe. »

Les plus passionnés tombent souvent dans la potion très jeune, à l’instar de Madeleine, Lucas ou Pauline Chetail. Cette dernière s’est engagée au Parlement européen des jeunes au lycée et le dirige aujourd’hui depuis le siège berlinois. « Présente dans trente-six pays, notre association sensibilise collégiens, lycéens et apprentis aux valeurs européennes. Nos grands regroupements leur permettent de dialoguer sur les enjeux-clés de la paix et de la démocratie, de la justice ou du climat. »

De quoi susciter des vocations précoces. « Les trois quarts des adhérents repèrent, à ces occasions, des zones géographiques où ils aimeraient travailler plus tard, au-delà de leurs frontières nationales », ajoute la trentenaire, qui a elle-même expérimenté ce parcours. Après un master en gouvernance européenne, Pauline a exercé à Londres, à la University College London, puis à Bruxelles, au sein du think tank Bruegel, pour faire du fund-raising (« collecte de fonds »), avant de s’installer à Berlin et de diriger l’association.

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Le Forum économique mondial chiffre à 14 millions les pertes nettes d’emplois dans le monde d’ici à 2027

Un robot humanoïde en démonstration au Consumer Electronics Show de Las Vegas (Etats-Unis), le 5 janvier 2022.

A l’instar de chaque innovation, l’intelligence artificielle (IA) alimente les craintes de destruction d’emplois. Alors que le programme ChatGPT suscite l’intérêt du grand public et réveille l’appétit des investisseurs, le Forum économique mondial chiffre, dans une étude publiée lundi 1er mai, les pertes nettes d’emplois à 14 millions dans le monde au cours des cinq prochaines années (69 millions de créations et 83 millions de destructions), soit 2 % du total. Il anticipe que près d’un quart des salariés changeront de métier, principalement en raison de l’irruption des nouvelles technologies.

Les auteurs de l’étude fondent leurs estimations sur les informations collectées auprès de 803 entreprises du monde entier faisant travailler 11,3 millions de personnes. Les créations seraient les plus importantes dans les secteurs de l’éducation (+ 10 %), de l’agriculture (en particulier les conducteurs d’engins), alors que les destructions toucheraient surtout les tâches administratives, comme les services de compatibilité.

Ces derniers mois, les rapports se multiplient pour mesurer l’impact de l’IA sur l’activité. Dans une étude publiée fin mars, Goldman Sachs prévoit qu’aux Etats-Unis et en Europe, zones les plus touchées, près des deux tiers des emplois sont « exposés à un certain degré d’automatisation par l’intelligence artificielle ». Un quart d’entre eux pourraient être automatisés. La banque d’investissement américaine ajoute que, grâce à la seule augmentation de la productivité, le produit intérieur brut annuel de la planète pourrait s’envoler de 7 % ces dix prochaines années.

En collaboration avec l’université américaine de Pennsylvanie, OpenAI, la société qui développe ChatGPT, prédit que pour 19 % des métiers, en particulier ceux dont les salaires sont les plus élevés, au moins la moitié des tâches seront affectées par l’intelligence artificielle dite « générative ». « Le potentiel lié à de nouvelles découvertes, les changements de comportement et l’évolution technologique peuvent tous avoir une influence sur la précision et la fiabilité des prévisions », précisent toutefois les chercheurs.

« Gains d’efficacité »

Ces estimations sont fragiles et incertaines, tant l’adoption des nouvelles technologies est imprévisible. Dans son rapport, le Forum économique mondial constate que « les entreprises introduisent l’automatisation dans leurs opérations à un rythme plus lent que prévu » par rapport à ce qu’il anticipait en 2020. Les auteurs évoquent une automatisation à deux vitesses. « Si le remplacement du travail physique et manuel par des machines a ralenti, le raisonnement, la communication et la coordination − autant de traits qui confèrent à l’homme un avantage comparatif − devraient être davantage automatisés à l’avenir », écrivent-ils.

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