Archive dans septembre 2023

Leroy-Merlin épinglé par la Défenseure des droits pour discrimination envers un couple de salariés

L’entrée d’un magasin Leroy-Merlin, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), le 29 septembre 2013.

C’est à un précieux rappel du droit du travail que s’est livré la Défenseure des droits, en publiant au Journal officiel, mardi 12 septembre, un « rapport spécial » sur un cas de discrimination constaté dans un magasin Leroy-Merlin à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne) : tout salarié a le droit au respect de sa vie privée, nul n’est tenu de préciser la teneur de sa relation avec un collègue ni au moment de son embauche, ni pendant l’exécution de son contrat de travail, et l’employeur « ne peut pas non plus prendre en compte la situation de famille d’un salarié pour arrêter des décisions le concernant, notamment en matière de mutation ou d’horaires de travail ».

En juin 2021, la Défenseure des droits est saisie par deux salariés de l’enseigne de bricolage qui estiment avoir été discriminés par leur employeur. M. X est « hôte service clients » au rayon « bâti », en contrat à durée indéterminée depuis 2018 ; M. Y est embauché, même rayon, même poste, en en contrat à durée déterminée, en mars 2021. Leur employeur ignore qu’ils sont en couple, jusqu’au jour où M. X, positif au Covid-19, présente une liste de cas contacts où figure son compagnon.

Leurs responsables changent alors d’attitude. Les plannings sont modifiés, ils n’ont plus de jour de repos en commun. La situation devient conflictuelle. M. X est mis en arrêt maladie. Après avoir, dit-il, demandé en vain, une rupture conventionnelle, il abandonne son poste. Il est licencié en juillet 2021. Le contrat de M. Y, lui, n’est pas renouvelé.

« Un acte managérial de bon sens » pour l’entreprise

Interpellé par la Défenseure des droits, Leroy-Merlin ne conteste pas les faits, au contraire : elle revendique un usage interne au magasin, consistant à ne pas faire travailler ensemble au service client, des salariés parents ou en couple. Ceci vise, explique-t-elle, « à assurer à chacun un parfait équilibre professionnel, un climat de travail serein et à éviter toute suspicion de traitement de faveur pour les uns ou pour les autres » dans un secteur du magasin considéré comme « sensible » car on y procède à des encaissements et des retours de marchandises. Leroy-Merlin reproche d’ailleurs à M. X de ne pas avoir informé ses responsables « des liens personnels qui le liaient à M. Y » quand il a « coopté » ce dernier.

Autant d’« usages discriminatoires » selon la Défenseure des droits qui a enjoint en novembre 2022, puis en février 2023, Leroy-Merlin à se rapprocher des plaignants pour réparer le préjudice, à cesser ses usages discriminatoires et à sensibiliser ses responsables. Mais Leroy-Merlin a refusé d’y répondre, soutenant même, que « loin d’être une mesure discriminatoire » cet usage était « un acte managérial de bon sens ». Las, la Défenseure des droits a donc décidé d’user de son droit, lorsqu’il n’est pas donné suite à ces injonctions, de médiatiser un dossier, de manière non anonyme.

La bonne dynamique du travail à la demande dans le monde, symbolique de la flexibilisation de l’emploi

La demande de « travail à la demande » en ligne a augmenté de 41 % entre 2016 et le premier trimestre de 2023 : c’est l’un des principaux résultats du rapport « Travailler sans frontières. Promesses et périls du travail à la demande en ligne », publié par la Banque mondiale jeudi 7 septembre.

« Nous pensons que la meilleure manière de sortir les personnes de la pauvreté est qu’ils obtiennent un emploi. Or, le monde de l’emploi a beaucoup changé ces dernières années, des formes de travail n’existaient pas il y a dix ans. Les données traditionnelles ne nous disaient rien sur combien de gens travaillent ainsi », explique Namita Datta, autrice principale du rapport, qui a l’ambition d’actualiser la connaissance sur la flexibilisation du travail.

Pour ce faire, l’institution a réuni dix formes d’enquêtes, mêlant données publiques, questionnaire dans dix-sept pays au revenu faible ou intermédiaire, un sondage auprès de vingt mille entreprises ou encore des entretiens avec des travailleurs et certaines des 545 plates-formes recensées dans le monde.

Bien au-delà de l’ubérisation

La définition du « travail à la demande » va bien au-delà de l’ubérisation : elle concerne tous les « petits boulots » exercés à la tâche et en ligne. Par le biais d’une plate-forme en ligne, un travailleur à la tâche est mis en relation avec un employeur qu’il ne rencontre pas non plus physiquement. Cela concerne aussi bien les emplois ubérisés (livreur, chauffeur) que ceux qui peuvent être occupés entièrement en ligne, à des niveaux de qualification divers.

Faute de données précises sur l’ensemble du globe, et parce que le travail à la demande passe la plupart du temps sous les radars, les chercheurs estiment qu’il concerne une fourchette large : entre 4,4 % et 12,5 % de la main-d’œuvre mondiale, soit entre 154 et 435 millions de personnes : « Quatre cents millions, cela paraît impressionnant, mais c’est parce que ce rapport est le premier à ne pas sous-estimer le travail à la pièce, réagit Antonio Casilli, professeur à l’Institut polytechnique de Paris et codirigeant de l’équipe de recherche DiPLab (Digital Platform Labor). C’est un indicateur inquiétant du fait que les marchés du travail sont dominés par la précarité. »

Si les plates-formes d’emplois en ligne et à la tâche se sont installées dans le paysage français et européen, elles sont devenues dominantes dans les pays en voie de développement, met en avant le travail de recherche, notamment du fait de la généralisation d’Internet, tout particulièrement depuis la pandémie. L’Afrique subsaharienne est la région du monde où cette croissance est la plus forte, avec une hausse de 130 % des offres d’emploi en cinq ans. A elle seule, l’Asie de l’Est compte 179 millions de travailleurs, ce qui en fait la région la plus représentée.

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Intelligence artificielle : « Qui, de l’humain ou de la machine, est le plus fort ? »

Au lancement de ChatGPT en novembre 2022, de multiples débats ont émergé, dont beaucoup ont tourné autour d’une interrogation vieille comme le monde : qui, de l’humain ou de la machine, est le plus fort ?

Or, au regard de l’importance pressentie de ces outils dans les futures pratiques professionnelles, la vraie question est en réalité plus nuancée : les humains réussissent-ils mieux un travail par eux-mêmes, ou lorsqu’ils s’appuient sur l’intelligence artificielle (IA) ? Plus précisément : sont-ils capables d’utiliser l’IA – de l’évaluer correctement et, le cas échéant, de corriger ses réponses – afin d’améliorer leurs performances ?

Une récente étude suggère que cette question n’est pas aussi tranchée qu’on pourrait le penser. Elle porte sur un devoir rendu lors d’un cours à HEC Paris, dans lequel chaque étudiant s’est vu attribuer au hasard deux études de cas.

Avec l’aide de ChatGPT

Pour l’une, les étudiants ont dû rédiger une réponse à la question en partant de zéro. Pour la seconde, ils ont reçu une réponse toute faite, qu’ils ont dû évaluer et, si nécessaire, corriger. Ils savaient que chaque réponse pouvait être fournie par ChatGPT, ce qui était effectivement le cas pour la plupart d’entre elles. Les réponses finales des étudiants ont été notées à l’aide du même système de notation : l’important était de rendre une réponse complète, qu’elle soit le résultat d’une correction ou non (« Taking the help or going alone : ChatGPT and class assignments », HEC Paris Research Paper, juin 2023).

Alors que le premier exercice reflète les tâches de travail « traditionnelles », le deuxième pourrait correspondre à de nombreux futurs emplois. De fait, si les outils d’IA deviennent aussi omniprésents que beaucoup le prédisent, le rôle de l’humain sera d’évaluer et de corriger les résultats produits par les chatbots.

Et pourtant, les étudiants réussissent moins bien ce deuxième exercice : la note moyenne de la version corrigée de la réponse toute prête était inférieure de 28 % à la note moyenne des étudiants ayant eux-mêmes rédigé leur réponse. Sur une même étude de cas, un étudiant ayant corrigé le travail de ChatGPT perdait en moyenne 28 points sur 100 par rapport à un étudiant travaillant tout seul. En somme, les étudiants obtiennent de beaucoup moins bons résultats si on leur fournit une aide de ChatGPT et qu’on leur demande de la corriger, que s’ils doivent fournir une réponse à partir de zéro.

Des biais cognitifs plus ou moins connus

Ces résultats s’expliquent-ils par une confiance démesurée dans les capacités de ChatGPT ? Les étudiants ont pourtant été explicitement préparés à se méfier des réponses fournies : ils ont été prévenus que ChatGPT avait été testé dans le cadre d’un devoir similaire et qu’il avait obtenu des résultats assez médiocres.

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Grève dans l’automobile aux Etats-Unis : « Le balancier du rapport de force revient du côté des salariés »

Le président du syndicat automobile américain United Auto Workers, Shawn Fain, à côté de l’usine Ford de Wayne (Michigan), le 15 septembre 2023.

Les premiers piquets se sont installés, à 0 heure vendredi 15 septembre, devant les usines General Motors (GM) du Missouri, Stellantis de l’Ohio et Ford du Michigan. En tout, 12 700 salariés se mettent en grève. Pour la première fois de son histoire, le syndicat américain de l’automobile United Auto Workers (UAW) entame un conflit simultané avec les trois grands constructeurs du pays.

Elle en a pourtant connu des conflits, cette organisation, née en 1935 après des années de lutte violente contre les milices patronales. La plus célèbre grève a eu lieu dans l’usine Ford de Flint, dans le Michigan, en 1936. Quarante-quatre jours de sit-in, avant de parvenir à un accord.

Aujourd’hui, ce n’est plus d’un sit-in (« assis ») dont rêve Shawn Fain, l’ambitieux patron de l’UAW, mais d’un stand-up (« debout »). « L’argent est là, la cause est juste, le monde nous regarde et l’UAW est prête à se lever », affirme-t-il avec emphase. Et c’est bien d’un redressement dont a besoin ce syndicat, qui faisait la loi dans les ateliers de l’après-guerre.

L’emploi dans l’industrie manufacturière a chuté d’un tiers par rapport à son pic des années 1970, et seulement 10 % des salariés américains sont désormais syndiqués. Les Big Three de la région des grands lacs, Chrysler (devenu Stellantis), Ford et GM restent le dernier bastion. Les constructeurs étrangers ont pris garde de s’installer dans le sud du pays, où les syndicats sont souvent interdits et les salaires plus bas.

Le conflit risque de durer

Mais Shawn Fain, fraîchement nommé à la tête de l’organisation, sait qu’il arrive à un moment critique. Les emplois manquent partout dans le pays. Le balancier du rapport de force revient du côté des salariés, qui poussent leurs revendications.

Les camionneurs d’UPS viennent d’obtenir une hausse de salaire de 18 % sur cinq ans, les pilotes d’avion, 40 % sur quatre ans, ceux de Deere (machines agricoles), près de 20 %. Même les acteurs et scénaristes d’Hollywood tâtent de la grève et de la revendication salariale. Il faut dire que les bénéfices des entreprises n’ont jamais été aussi plantureux. Pas loin de 40 milliards de dollars (37,5 milliards d’euros) pour les trois rois du 4 × 4 américain.

UAW s’engouffre dans la brèche et demande de 30 % à 40 % d’augmentation de salaire, la semaine de trente-deux heures et l’amélioration de la couverture sociale des retraités. Il n’aura pas tout cela, mais veut frapper les esprits. Le conflit risque de durer. Et, comme en Europe, ces hausses de salaire, qui arrivent après plus d’un an d’inflation, vont entrer en vigueur au moment où la conjoncture se retourne. Le marché de l’emploi se détend progressivement, et la croissance ralentit avec la hausse des taux par les banques centrales.

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Etats-Unis : une grève débute dans trois usines automobiles

Devant l’usine Ford à Wayne (Michigan), vendredi 15 septembre 2023 peu après minuit.

Le syndicat des employés des trois grands constructeurs automobiles américains, le United Auto Workers (UAW) – a annoncé le début d’une grève dans trois usines à partir de vendredi 15 septembre à minuit (6 heures du matin, heure à Paris), faute d’un accord trouvé avec ces entreprises pour les nouvelles conventions collectives.

« La grève débute dans les trois usines désignées », a déclaré l’UAW, qui avait annoncé un peu plus tôt avoir choisi trois usines – une de chacun des trois groupes General Motors (GM), Stellantis et Ford – pour lancer ce mouvement, enjoignant aux membres du syndicat des autres sites de se tenir prêts en fonction de l’évolution des négociations. Les trois sites concernés sont des usines d’assemblage : à Wentzville (Missouri) pour GM, à Toledo (Ohio) pour Stellantis, et à Wayne (Michigan) pour Ford. Ils totalisent environ 12 700 syndiqués de l’UAW.

En deux mois de négociations, les représentants du United Auto Workers et les dirigeants des « Big Three » – General Motors, Ford et Stellantis, qui contrôle l’américain Chrysler – n’ont pas pu trouver un terrain d’entente. L’UAW, qui représente quelque 146 000 employés du trio aux Etats-Unis, réclame un relèvement des salaires de 36 % sur quatre ans, alors que les trois constructeurs américains n’ont pas été plus loin que 20 % (Ford), selon le leader syndical.

Les trois grands groupes historiques de Detroit ont également refusé d’accorder des jours de congés supplémentaires et d’augmenter les retraites, assurées par des caisses propres à chaque entreprise.

Joe Biden dans une situation délicate

Le cabinet de conseil Anderson Economic Group (AEG) estime qu’une grève de dix jours pourrait représenter plus de 5 milliards de dollars (4,69 milliards d’euros) de perte de revenus pour l’économie américaine. La dernière grève du secteur remonte à 2019 – elle n’avait affecté que GM et avait duré six semaines.

« Consommateurs et concessionnaires sont en général relativement protégés des effets d’une grève courte », a expliqué le vice-président du cabinet AEG, Tyler Theile. Mais avec des stocks représentant un cinquième de ceux que possédait l’industrie en 2019, lors de la dernière grève chez GM, ils « pourraient être touchés beaucoup plus rapidement » qu’il y a quatre ans, selon lui.

« On arrive au quatrième trimestre, période durant laquelle on voit le plus de ventes de pick-up et de gros SUV, qui sont très rentables pour ces trois constructeurs, rappelle Jessica Caldwell, du site spécialisé Edmunds.com. S’ils n’en ont pas suffisamment en stock, ils vont manquer des ventes. »

Par ailleurs, un conflit social prolongé pourrait avoir des conséquences politiques pour le président, Joe Biden, dont le bilan économique est critiqué, en particulier du fait de l’inflation tenace aux Etats-Unis. A un peu plus d’un an du scrutin présidentiel, le chef de l’Etat marche sur des œufs, entre son soutien affiché aux syndicats et le spectre d’un coup porté à l’économie américaine par une grève.

Le Monde avec AFP

A « Marie Claire », la crainte de « l’ubérisation » des métiers de la presse écrite

Est-ce la situation au Journal du dimanche, qui lui a fait l’effet d’ « un parpaing dans la figure » ? Ou les craintes exprimées l’hiver dernier par les rédactions du Parisien ou des Echos au sujet de leur indépendance ? « Je ne sais pas pourquoi, mais là, ça ne passe plus, confie une journaliste de Marie Claire. Peut-être parce qu’on n’a plus rien à perdre. » Au mensuel féminin, le probable licenciement de deux secrétaires de rédaction (des journalistes chargés notamment de monter les pages) lève un mouvement de protestation comme on ne se souvient pas en avoir connu.

Dévoilée en janvier, la décision de mettre un terme à leur activité afin de l’externaliser a provoqué la constitution de la première Société des journalistes (SDJ) de l’histoire du titre créé en 1937, un bras de fer entre la direction et les représentants des salariés, ainsi que la tenue de plusieurs assemblées générales. « Nous réprouvons cette décision unilatérale de la direction et nous nous interrogeons sur la pertinence de sacrifier deux postes (sur un total de six dans le groupe) pour équilibrer les comptes de l’entreprise », s’insurge la SDJ dans un communiqué le 12 septembre.

Dès le prochain numéro, pourtant, le travail sera sous-traité par l’agence Com’Presse, basée à Astaffort, dans le Lot-et-Garonne. Outre les deux salariés rattachés à Marie Claire, quatre secrétaires de rédaction travaillant pour d’autres titres du groupe (Avantages, Cosmopolitan, et Marie Claire Maison) sont également convoqués, à partir du vendredi 15 septembre, à des entretiens préalables à leur licenciement. L’économie annuelle attendue avoisinerait les 265 000 euros, selon des chiffres qui circulent en interne. « Nous dénonçons cette décision qui préfigure l’ubérisation de tous les métiers de la presse écrite », conclut le communiqué de la SDJ.

Lire aussi la tribune de l’historien des médias Alexis Lévrier  : Article réservé à nos abonnés « La métamorphose du “JDD” provoque un sentiment de malaise »

« Un tiers de la masse salariale a déjà disparu »

Ce n’est pas la première fois que le magazine, qui compte trente-cinq journalistes aux rédactions Print et Web ainsi que plus d’une vingtaine de pigistes réguliers, regarde partir des collègues sans espoir de les voir remplacés. « C’est le dixième petit plan en dix ans, un tiers de la masse salariale a déjà disparu », assure Françoise Feuillet, la déléguée syndicale SNJ-CGT – en dessous de dix salariés visés par un licenciement, l’entreprise n’est pas tenue de déclencher de plan de sauvegarde de l’emploi.

D’après les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, Marie Claire s’écoulait à 286 867 exemplaires en 2022, accusant une baisse de 3,75 % sur un an. Or selon des journalistes, les ventes de ces quatre derniers mois seraient en hausse par rapport à l’année précédente. « On a conscience que la presse ne va pas bien, on n’est pas des idiots, reprend la syndicaliste. Mais quand on prend toute une profession pour l’externaliser, comment croire que nous aurons, à l’arrivée, la même qualité ? » La rédaction craint qu’à terme, le service de la maquette ne soit, lui aussi, confié à une entreprise extérieure – un processus de sous-traitance de certaines fonctions déjà expérimenté par Les Inrocks ou Psychologies Magazine.

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Le vertige des IA capables de doubler votre voix dans une langue étrangère

Joshua Xu, cofondateur et président de la start-up HeyGen, le 28 juin 2023, à Toronto (Canada).

C’est une vidéo sur laquelle on voit un internaute qui se filme avec son téléphone en train de parler en anglais… Puis on revoit le même extrait, mais la personne s’exprime désormais en français, sans que son timbre de voix soit changé et sans que le mouvement de ses lèvres soit décalé. Puis, la vidéo recommence, cette fois-ci en allemand… Cette petite démo, mise en ligne le 11 septembre par un internaute sur le réseau social X (anciennement Twitter), illustre l’effet bluffant et troublant de nouveaux outils capables, grâce à l’intelligence artificielle (IA), de générer un doublage automatique, tout en clonant la voix de l’interlocuteur et en synchronisant sa diction. Déjà visionnée plus de 6 millions de fois, cette vidéo utilise un logiciel créé par une start-up américaine, HeyGen, mais d’autres entreprises, dont Google, possèdent des applications similaires. Cette nouvelle avancée de l’IA renforce les questions sur l’avenir de la traduction et du doublage.

Sur le Web, plusieurs internautes, impressionnés ou amusés, ont essayé l’outil de HeyGen. Le consultant en numérique Michel Levy Provençal a testé cette « nouvelle fonction révolutionnaire de traduction automatique de vidéo » en espagnol, polonais, hindi… D’autres ont doublé une chanson de Jacques Brel, une conférence de presse de Lionel Messi ou un discours de Charles de Gaulle.

Le site de HeyGen permet d’essayer gratuitement l’outil sur environ deux minutes de vidéo, mais il faut passer par une file d’attente qui comptait, jeudi 14 septembre, plus de 100 000 documents. La start-up propose aussi des abonnements payants (par exemple 48 dollars (45 euros) par mois pour environ trente minutes de vidéo).

Questions et inquiétudes

Ces outils de doublage synthétique impressionnent, en assemblant plusieurs techniques d’intelligence artificielle pourtant déjà présentes sur le marché : la transcription du son vers le texte (Trint, DeepL ou YouTube, qui génère des sous-titres automatiques sur ses vidéos), la traduction (DeepL, ChatGPT, Google Translate…), la synthèse vocale de texte, et le « clonage » d’une voix à partir d’un enregistrement, comme va le proposer bientôt Apple avec son outil Personal Voice, qui cible les personnes sujettes aux extinctions de voix ou malades.

Les logiciels comme HeyGen font soupçonner des développements vertigineux de l’IA dans la traduction : demain, pourra-t-on entendre tout interlocuteur étranger traduit en direct dans les écouteurs de son smartphone ? Regarder toute vidéo ou film doublé dans n’importe quelle langue ?

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Aérien : Didier Lebbe, le syndicaliste trublion, bête noire de Ryanair en Belgique

Didier Lebbe, à Bruxelles (Belgique), le 12 mai 2020.

Un entretien entrecoupé de coups de fil d’autres journalistes sur son portable, un passage dans les studios de la RTBF avant un autre dans une radio commerciale et une prise de température sur le terrain, à l’aéroport de Charleroi-Bruxelles-Sud : cheveux en bataille et pull marin, Didier Lebbe, dopé à la caféine, promène partout sa grande carcasse pour expliquer et justifier la nouvelle grève que devaient mener les pilotes belges de Ryanair, jeudi 14 et vendredi 15 septembre. Cinquante-huit vols annulés sur les deux cent quatre-vingt-huit prévus pour ce hub où la compagnie irlandaise réaliserait 12 % de ses gigantesques bénéfices (663 millions d’euros lors du premier trimestre de 2023).

C’est la quatrième fois cette année que les pilotes, excédés par le refus de tout dialogue affiché par la direction irlandaise, se croisent les bras. Et c’est la vingt-quatrième grève que connaît le syndicaliste Didier Lebbe, responsable du secteur transports de la Centrale nationale des employés, une branche de la Confédération des syndicats chrétiens. Depuis 2018, il est la bête noire de Michael O’Leary, le patron de la compagnie qu’il n’hésite pas à traiter de « clown ».

L’Irlandais, en réponse, dit se moquer éperdument des syndicalistes belges mais ce sont bien les grèves, et un recours introduit devant la Cour de justice de l’Union européenne, qui ont notamment forcé la direction à admettre, en 2019, que c’est le droit belge, et non irlandais, qui s’appliquait au personnel de cabine basé à Charleroi. Cette main-d’œuvre, très majoritairement issue du sud ou de l’est de l’Europe, était auparavant considérée comme irlandaise, soumise à une compagnie d’intérim.

Salaire minimal

Des mouvements menés conjointement avec des organisations espagnoles, portugaises et italiennes ont aussi abouti à la signature de conventions collectives pour les pilotes et le personnel de cabine avec, à la clé, l’instauration d’un salaire minimal − quelque 2 000 euros brut aujourd’hui − pour ce dernier.

Cette fois, ce sont les pilotes qui réclament la restauration de leur salaire, après les 20 % qu’ils ont abandonnés au moment de la pandémie de Covid-19. Leur rémunération devrait, en plus, être augmentée, en vertu du système d’indexation automatique qui adapte les revenus à l’inflation (soit 17 % de hausse depuis 2019), mais, pour la direction irlandaise, il n’est pas question de céder, quitte à enfreindre la législation belge.

Les pilotes protestent également contre un projet de réaménagement de leurs périodes de repos et dénoncent le « chantage » auquel se livrerait la compagnie, promettant la négociation d’une nouvelle convention de travail − l’actuelle expire en 2024 − en échange de l’arrêt des actions en justice qui ont été lancées.

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« Les jeunes femmes sont toujours plus diplômées que les hommes mais les inégalités ne se réduisent pas »

Cérémonie de remise de doctorat, à l’université Paris-VI Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, en juin 2009.

Des femmes toujours plus diplômées mais des inégalités au travail encore fortes, et ce dès les premières années de la vie active. C’est ce qu’observent la sociologue Dominique Epiphane et l’économiste Vanessa Di Paola dans un article du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) paru en juillet et fondé sur les données de l’enquête Génération 2017, qui a interrogé 30 000 jeunes trois ans après leur sortie du système scolaire en 2020.

Dans un entretien accordé au Monde, Dominique Epiphane, chercheuse au Céreq, rappelle que, malgré les politiques publiques de ces dernières années, les écarts entre les femmes et les hommes en début de vie professionnelle se maintiennent, voire se creusent, sur certains points, comme l’accès à un statut de cadre ou le salaire.

La précédente enquête Génération passait au crible la situation des jeunes sortis du système scolaire en 2010. Quelles évolutions avez-vous notées en sept ans ?

Les jeunes femmes sont toujours plus diplômées que les hommes : la moitié des femmes sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 40 % pour les hommes. Dans l’enquête Génération 2010, ils étaient respectivement 44 % et 35 %. Mais les inégalités sur le marché du travail – de l’accès à l’emploi aux niveaux de salaire – ne se réduisent pas.

Les jeunes femmes continuent à subir une double ségrégation : horizontale, c’est-à-dire qu’elles ne suivent pas les mêmes formations, n’exercent pas les mêmes métiers que les hommes ; et verticale, elles n’accèdent pas aux mêmes postes et donc aux mêmes salaires. Un exemple : 21 % des jeunes hommes sont des cadres, contre 18 % de jeunes femmes. Un écart de trois points qui est en réalité sous-évalué : les femmes étant davantage diplômées, elles devraient être plus nombreuses que les hommes dans cette catégorie. Le salaire médian chez les jeunes femmes cadres est de 2 370 euros, contre 2 500 chez les jeunes hommes.

Les jeunes de 2010 sont entrés sur le marché en pleine crise économique, contrairement à ceux de 2017 qui ont bénéficié de conditions plus favorables jusqu’à la pandémie de Covid-19. Les résultats auraient pourtant dû s’améliorer…

En période de récession, les écarts ont tendance à se réduire, les hommes étant nombreux à travailler dans le secteur industriel, très vulnérable aux crises. Mais dès que la situation s’améliore, les inégalités repartent à la hausse. Les femmes ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu car elles sont plus nombreuses à travailler dans des secteurs peu valorisés. En sept ans, non seulement beaucoup d’écarts se sont maintenus, mais certains se sont même creusés, comme l’avantage salarial des hommes, leur accès plus important à la catégorie des cadres et leur faible proportion au sein des professions peu qualifiées.

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