Un chien qui aboie, un enfant qui interrompt la conversation : le télétravail fait gagner en bienveillance
Qui est déjà parti en week-end avec des amis sait qu’un nouveau cap d’intimité est franchi quand on se croise en pyjama au petit-déjeuner. Depuis le 16 mars, c’est comme si une bonne partie des Français s’étaient vus, justement, en pyjama. Sur France Inter, l’animatrice Marie-Pierre Planchon laisse tomber une assiette pendant la météo. Les enfants des musiciens Matthieu Chedid et Raphael traînent dans leurs pattes pendant que leurs papas chanteurs sont en live sur les réseaux sociaux. Nous sommes à l’ère de la distanciation sociale, mais nous n’avons jamais été autant les uns chez les autres. Depuis que les bureaux, gares, écoles, cafés, et autres terrains de rencontres neutres ont disparu, tout se joue à domicile, et débarquent chez nous des gens qui n’y auraient jamais mis les pieds en temps normal.
Prenons Frédéric Vela, directeur du collège privé Saint-Joseph de Wattrelos, dans le Nord, en pleine période d’inscriptions pour les entrées en sixième de septembre. Il lui a fallu dix jours afin de se convaincre qu’il pouvait organiser ses rendez-vous avec les familles en visioconférence. « Les rôles se sont inversés : ce n’est plus l’élève qui est accueilli au collège, mais le chef d’établissement qui entre chez les personnes, dans leur lieu de vie. » Il a déjà vu un doberman traverser l’écran, entendu un bébé interrompre la discussion, parlé à toute une famille serrée sur un canapé. « Parfois, on est tellement bien qu’on sent qu’on pourrait passer l’après-midi ensemble. » Pas exactement une pensée qui lui venait à l’esprit quand il les recevait dans son bureau.
« Plus on met de distance physique et de représentation, plus on peut escalader dans la violence. » Jean-Édouard Gresy, anthropologue spécialiste de la médiation
Adressez-vous à n’importe qui chez lui et le monde gagne en humanité. Au téléphone avec son conseiller Pôle emploi, Charlotte râlait parce qu’elle trouvait ses réponses sur les ruptures conventionnelles trop imprécises. Elle a entendu un gamin jouer derrière. Elle s’est calmée instantanément. C’était donc bien à un être humain qu’elle parlait. Dans son livre Le Singe nu, l’éthologue Desmond Morris montre que l’intelligence de l’être humain lui permet de désubjectiver son adversaire. « Plus on met de distance physique et de représentation, plus on peut escalader dans la violence. Le rappeur Akhenaton pouvait chanter Éclater un type des Assedic. À distance, on peut très facilement le voir comme un guichet… », commente Jean-Édouard Gresy, anthropologue spécialiste de la médiation. « Si l’on ne voit rien de qui est la personne, il est plus facile de la défoncer sur les réseaux sociaux. Dès qu’il y a resubjectivation, le partage d’humanité nous bloque dans notre agressivité. L’irruption d’un enfant, et je suis obligé de réagir autrement. »
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