« Sodexo la gloutonne » : le cynisme du capitalisme français
Livre. En 1966, à Marseille, Pierre Bellon débute ses activités dans un hangar à anchois. Pendant une année, au volant de sa camionnette, il sillonne la Canebière et livre des repas sans beaucoup de succès. En 1964, il remporte l’appel d’offres du Commissariat à l’énergie atomique de Pierrelatte (Drôme) pour servir 2 000 repas quotidiens. Ce qui lui garantit la signature d’autres contrats dans la région de Marseille, puis la possibilité de s’étendre ailleurs avant de toucher le jackpot en Guyane où le Centre national d’études spatiales installe une base de lancement de fusées.
Dans Sodexo la gloutonne (Seuil), Jean Songe retrace l’ascension vorace et vertigineuse de cette petite entreprise familiale devenue en cinquante ans le dix-huitième employeur mondial en restauration collective.
La multinationale déployée dans plus de 80 pays gère plus de 17 000 restaurants d’entreprises, mais aussi 5 600 cantines dans les écoles et universités, 4 000 dans les hôpitaux, 3 000 dans les maisons de retraite, sans oublier 1 700 sites miniers et pétroliers, 1 100 bases militaires et 130 prisons. Dans un futur proche, cet empire industriel discret compte bien s’occuper de tous les aspects de la vie d’un milliard de personnes de tous âges.
A travers cette success story, Jean Songe souligne le cynisme du capitalisme français. De la cuisine de 780 mètres carrés où on prépare plus de 7 500 repas quotidiens et la journée de boulot commence à 4 heures du matin au Centre national du football Clairefontaine, villégiature dorée de l’équipe de France, où Sodexo propose une offre unique et modulable ; du site de la plus grande mine de graphite à ciel ouvert du monde au Mozambique, où Sodexo assure la restauration, au personnel et invités VIP du Tour de France, nourris par Sodexo, le lecteur découvre que la conquête se construit grâce à des techniques violentes de management, et sur le dos de travailleurs surexploités.
« Impossible de cuisiner »
Journaliste et auteur de plusieurs romans noirs, Jean Songe évoque également les scandales sanitaires qui ont terni l’image du groupe. En septembre 2012, plus de 10 000 enfants ont souffert de gastro-entérite après avoir contracté un virus niché dans des fraises surgelées importées de Chine. Après avoir nié sa responsabilité, Sodexo a fini par présenter ses excuses aux enfants et à leurs familles puis s’est acquittée de 550 000 euros en bons d’indemnisation.
En 2018, des parents parisiens, alertés par les plaintes de leurs enfants, se plongent sur la fiche technique des plats servis dans les établissements scolaires du 15e arrondissement, où la restauration est tenue par une filiale de Sodexo. Ils sont effarés : les allumettes végétales bénéficiant d’un label bio et végétarien sont composées essentiellement d’eau et de sucre que complètent de l’huile, de l’amidon, de la poudre de blanc d’œuf, du concentré de tomate, en tout dix-huit ingrédients issus de poudres.
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