Sciences : « Le recours aux métriques et aux nombres présente des revers souvent ignorés ou sous-estimés »

Tribune. Les chiffres, nombres, mesures et métriques de toutes sortes envahissent nos vies, au point que certains ont le sentiment de vivre en « numéricratie ». Tout cela joue un rôle prépondérant dans nos existences, en permettant de quantifier, d’évaluer, d’organiser, de comparer, de réguler, de justifier et de réaliser une multitude d’opérations et de décisions.
Le processus de numérisation de nombreuses interactions humaines, le big data ou l’intelligence artificielle ont encore accru cette tendance : les individus, les entreprises, les universités, les hôpitaux, les sites sont notés, classés, comparés. Même l’amitié ou l’activité physique sont mesurées via les réseaux sociaux ou autres applications, avec des effets potentiellement néfastes sur la santé psychologique, quand la reconnaissance attendue n’est pas au rendez-vous ou l’objectif fixé n’est pas atteint.
De parfaits inconnus accèdent parfois en quelques heures au rang de stars grâce au nombre de vues sur YouTube d’une vidéo devenue virale. Dix millions de vues atteintes ouvrent dorénavant les portes de l’Elysée pour un concours d’anecdotes, et permettent aux auteurs de voler avec la Patrouille de France ou d’être mis à l’honneur lors d’un discours présidentiel.
Les chiffres, une présomption de scientificité
On prête souvent des vertus d’objectivité, de persuasion aux métriques et aux nombres, au point qu’il est convenu d’admettre que ces derniers parlent d’eux-mêmes… Les chiffres bénéficieraient en quelque sorte d’une présomption de scientificité. Il n’est pas question de remettre en question les avantages indéniables du recours aux métriques et aux nombres.
Néanmoins, soulignons tout de même que ces avantages ont des revers, souvent ignorés ou sous-estimés. La volonté de rendre quasiment tout chiffrable se fait souvent aux dépens de dimensions fondamentales qui ne se prêtent pas aisément à la mesure ou à la quantification. Comment mesurer le bonheur d’une rencontre, l’émotion ressentie face à la nature, la souffrance, l’agacement ou l’énervement qui résultent d’un retard ou d’une injustice, etc.
Heureusement on ne le peut pas. Sauf que ces dimensions au cœur de nos vies risquent en conséquence d’être simplement écartées, négligées, minimisées au profit d’aspects beaucoup plus réducteurs, simplificateurs, appauvrissants… mais quantifiables.
Les aspects non couverts par l’indicateur
Par exemple, combien d’entreprises, d’organisations continuent de contrôler avec précision les horaires exacts ou le temps passé par un individu sur son lieu de travail ou devant son ordinateur, sans considération pour son degré de satisfaction, de motivation et d’engagement, alors qu’il est parfaitement établi que ces derniers aspects sont beaucoup plus déterminants pour la performance individuelle et collective ?
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