« Quelque chose est possible ici, même avec un salaire modeste » : dans les Cévennes et sur l’Aubrac, la revanche des épiceries et des arrière-pays

« Quelque chose est possible ici, même avec un salaire modeste » : dans les Cévennes et sur l’Aubrac, la revanche des épiceries et des arrière-pays

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Publié aujourd’hui à 02h29, mis à jour à 09h56

Le camion manque à nouveau déraper dans un tournant, il se rattrape puis s’arrête le long de la rivière, tout secoué encore des cahots de la route. L’aube pointe à peine. Des arbres lourds de neige se devinent dans l’obscurité, la route luit de verglas. Accoudés au petit pont, deux hommes parlent chèvres et châtaignes. Toutes les semaines, le véhicule de la société Magne s’engage dans les à-pics pour approvisionner l’épicerie de Sainte-Croix-Vallée-Française, 272 habitants en Lozère, à une heure trente de Mende. Nous y voilà. Murs peints en blanc, citation de Voltaire au-dessus du rayon fromages : « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé. » Un bouddha sourit du côté des légumes, on décharge des granulés de bois devant la porte.

Voilà bientôt cinq ans que Marisa et David ont repris ce magasin. Ils encaissent aussi les amendes, envoient les Colissimo, vendent les billets de train depuis que l’Etat a fermé ses propres guichets. Tous les deux viennent d’Alès : elle travaillait dans un hypermarché, lui était restaurateur. Un divorce chacun, la quarantaine, et ce comptoir au bout de la route, l’anti-start-up par excellence. Dans la famille de Marisa, on s’est étonné : « Mais qu’est-ce que vous allez chercher là-bas ? »

Pascal Bosio, propriétaire de l'épicerie des Plantiers (Gard), le 5 février 2021.

Il y a une décennie encore, pas une banque n’aurait suivi un dossier comme le leur. A l’époque, « on constatait plus de fermetures que d’ouvertures, le secteur était au plus bas », commente Pierre Bonnefoy, patron de Magne, l’entreprise familiale qui assure la distribution alimentaire en camion depuis Mende. Spécialisé dans les petits commerces, Magne ravitaillait alors 300 épiceries dans la Haute-Loire, l’Aveyron ou la Lozère. « On s’est accrochés, on a continué à livrer là où personne ne voulait plus aller. » Aujourd’hui, ses tournées comptent 450 petits commerces, son chiffre d’affaires a grimpé de 16 millions à 23 millions d’euros en trois ans. L’avancée se remarque surtout dans les villages reculés, les arrière-pays, les territoires oubliés d’hier.

« Base arrière »

Certes, ce ne sont pas les Marisa et les David de Sainte-Croix qui vont repeupler la région. Difficile même de risquer un pronostic à moyen terme. Pourtant, à sa façon, la France des épiceries se retrouve maintenant à l’épicentre d’une migration discrète mais têtue des villes vers les villages. Le mouvement s’est amorcé et amplifié de crise en crise : celle des subprimes en 2008, puis celle des attentats en 2015. Cette fois, la pandémie a donné un coup d’accélérateur.

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LJD

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