Protégeons-nous du bien-être au travail
Le livre. Dans le monde du travail, les injonctions à l’authenticité sont quotidiennes : « Soyez vous-même » ; « Libérez le potentiel qui est en vous » ; « Retrouvez l’essence vraie de vous-même ». Ces injonctions se heurtent pourtant aux attentes sociales, éminemment normatives, de l’environnement professionnel : ligne directrice, labels, chartes envahissent nos rapports d’être au travail. « Il s’agit de reprogrammer l’être en soi à partir de prescriptions attendues et pour lesquelles des formations impersonnelles – bien que souvent basées sur du développement dit “personnel” – visent à faciliter ce formatage. Avec elles, les individus apprennent à s’adapter, devenir flexibles ou mieux, comme le disent les nouveaux penseurs des organisations de travail, se libérer », analyse Sophie Le Garrec dans l’ouvrage collectif Les servitudes du bien-être au travail (Erès).
Ces demandes contradictoires ont fragilisé et provoqué nombre de maux et vulnérabilités, tant physiques que psychiques, souligne la sociologue : l’injonction à façonner son être « pour répondre aux exigences idéalisées de la réussite et du bonheur s’inscrit de facto comme une quête incessante, illusoire et inatteignable ». Ces modèles de réussite ne sont que « des artéfacts aliénants, puisque l’essence même de ces aspirations reste profondément subjective ».
Emboîtant le pas aux « rhétoriques managériales », les formations, les interventions et les ouvrages visant à atteindre ce paraître émotionnel se multiplient, tandis que les explications décortiquant son impossible atteinte en termes structurels, organisationnels et sociétaux sont invisibilisées, masqués par la novlangue de pare-feu émotionnels et de développement personnel.
Souffrance au travail
Alors que le bonheur de travailler n’a jamais été autant proclamé, c’est la souffrance qui s’accroît statistiquement dans la réalité des entreprises et des services publics. « Probablement parce que le bonheur prescrit n’est qu’une coquille vide masquant un délitement des conditions de travail et, surtout, de la définition même du travail. » La perte de sens de son travail, l’invisibilité progressive de ce qui constitue le cœur de son métier reviennent comme des arguments forts dans la quasi-totalité des études en sciences sociales sur les liens entre santé et travail.
Le non-sens engendre du stress, et l’intensification du travail en termes de cadences et de rythmes, d’engagement affectif et de mobilisation psychologique se transforme alors en fatigue, troubles musculosquelettiques, maladies cardiovasculaires… Pourtant, la santé au travail reste la grande absente au sein des sphères professionnelles. « En lieu et place de la santé, on parle de qualité de vie au travail, de psychologie positive, de gestion de ses émotions ou de stress. »
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