Femmes dans les postes de responsabilités : un tournant ?

« Un quart des soixante plus grandes entreprises françaises n’ont même aucune femme dans leurs comités exécutifs. »
« Un quart des soixante plus grandes entreprises françaises n’ont même aucune femme dans leurs comités exécutifs. » Gregory Baldwin/Ikon Images / Photononstop

L’égalité est pratiquement prise au sein des conseils d’administration des grandes entreprises, grâce à la loi Coppé-Zimmermann. Mais les lieux de prise de terminaisons ne se féminisent que doucement.

Quelques mois après le raz-de-marée #metoo et l’attention de la loi Copé-Zimmermann de 2011 qui exige aux sociétés cotées d’appeler au moins 40 % de femmes dans les conseils d’administration, la parité s’améliore à petits pas au sein des instances dirigeantes des grandes entreprises. Sans surprise, ce sont les conseils d’administration qui expérimentent l’évolution la plus spectaculaire. Selon l’observatoire de la gouvernance des sociétés cotées d’Ethics & boards, au 1er mars 2019, la féminisation des conseils d’administration abouti même 43,7 % pour l’ensemble des sociétés du SBF 120 (un indice boursier qui rassemble 120 valeurs, parmi lesquelles les entreprises du CAC 40).

« Clairement, c’est par la loi que l’on a pu obtenir de tels résultats, estime Michel Ferrary, professeur de management à l’université de Genève et fondateur de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises. Rappelons qu’il y a vingt ans, on comptait seulement 11 % ou 12 % de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises. » Les sociétés cotées et les entreprises de plus de 500 salariés exposant un chiffre d’affaires net supérieur à 50 millions d’euros avaient jusqu’au 1er janvier 2017 pour se permettre au quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration exigé par la loi Copé-Zimmermann, sans quoi elles risquaient de lourdes sanctions : l’annulation des nominations non conformes à l’obligation de parité et la suspension des jetons de présence (la rétribution versée aux administrateurs pour leur participation au conseil). La menace du bâton semble avoir marché.

Pas de carences pour apercevoir les profils

Cheminé par les détracteurs de la loi Copé-Zimmermann, la preuve de la carence du vivier de talents féminins inoccupés pour prendre place au sein des conseils d’administration a fait long feu. « Je ne connais aucun conseil qui ait eu des difficultés pour trouver des profils adéquats », fait valoir Thierry Moreau, directeur associé chez Ernst & Young, le cabinet de conseils qui a édité le Panorama EY de la Gouvernance 2018.

En tête de proue, le groupe de luxe Kering est l’une des exceptionnelles entreprises à compter plus de femmes que d’hommes au sein de son conseil d’administration et une majorité de femmes managers au niveau du groupe. Le fruit d’une promesse de longue date : dès 2010, le groupe a lancé le programme « Leadership et Mixité » et mis en place des programmes de mentoring pour encourager l’accès des femmes aux postes de direction. Il participe pareillement au programme « Eve », des séminaires interentreprises de leadership au féminin.

L’usine Arjowiggins prochainement fixé sur son destin

La justice a donné jusqu’au 20 mars au groupe suédo-norvégien Lessebo pour purifier son offre de réparation.

L’usine de Bessé-sur-Braye (Sarthe) d’Arjowiggins, le 20 février.
L’usine de Bessé-sur-Braye (Sarthe) d’Arjowiggins, le 20 février. JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Le jeudi  7 mars dans la soirée, le maire (divers droite) de Bessé-sur-Braye (Sarthe) a poussé un soupir de tranquillité. C’est dans sa municipalité de 2 200 habitants qu’est installée la principale unité de production du papetier Arjowiggins (568 salariés). « Sa clôture serait une véritable catastrophe pour notre commune. Avec les sous-traitants, ça fait presque 1 200 emplois. Sans parler des écoles et des classes qui pourraient fermer, observe Jacques Lacoche. L’usine existe depuis 1860. Des générations y ont travaillé. »

Le groupe suédo-norvégien ­Lessebo est l’unique à avoir placé une offre globale qui concerne cette usine réorientée dans le papier recyclé. Il prévoit d’y conserver 413 salariés, ainsi que 210 sur 270 à la papeterie toute proche de Saint-Mars-la-Brière, particularisé dans la ouate cellulosée, et la totalité de l’effectif (75 salariés) de Greenfield, à Château-Thierry (Aisne) – ces deux dernières effectuant l’objet d’offres alternatives.

Pour Thomas Hollande, fils de l’ancien président de la République et avocat du cabinet LBBa qui participe aux côtés des représentants du personnel, « il y a du soulagement, car cela donne du répit, mais ce n’est pas une victoire pour autant. C’est un délai donné à l’offre de THLF [Lessebo] pour être progressée significativement, particulièrement sur le volet financier ».

« Apporter des garanties sur le projet industriel »

L’Etat et la région sont convoqués à mettre 32 millions d’euros d’argent public dans la corbeille, à condition que l’acheteur trouve de son côté 33 autres millions, que ce soit en capital ou avec un emprunt sécurisé, vision qui semble encore lointaine. « Il faut aussi apporter des garanties sur le projet industriel qui paraît aujourd’hui simple, pour ne pas dire simpliste, reprend l’avocat. Créer la même chose, mais avec moins de salariés et de frais de siège, ça pose un certain nombre de questions. On demande des précisions. L’acheteur s’est promis à venir sur le site mercredi prochain. »

« La guerre n’est pas finie. (…) Mais les salariés espèrent », observe Olivier Pollet, secrétaire du syndicat CGT de l’usine sarthoise de Bessé-sur-Braye

Il faut dire que le profil du potentiel futur patron a de quoi les séduire. « Il a un projet technique dans la tête. Il sait de quoi il parle. Il éprouve le marché et il sait qu’il se défie à quelque chose de difficile », récapitule Christophe Garcia (délégué CFE-CGC). Qu’en est-il des réductions d’effectifs ? « Ça va être douloureux, mais il va falloir y dépasser. Il veut aussi faire de l’écrémage dans les commandes pour ne conserver que les plus rentables. »

« L’accès des femmes aux postes clés passe par le rétablissement des préjugés culturels »

Emmanuelle Quilès

Présidente de Janssen France, succursale du groupe pharmaceutique américain Johnson & Johnson

La dirigeante du groupe pharmaceutique Janssen France, Emmanuelle Quilès, rappelle que l’équité salariale doit actuellement être une priorité pour garantir l’égalité femmes-hommes en entreprise.

« L’égalité femmes-hommes en entreprise est synonyme de performance économique. Etude après étude, les conclusions convergent vers cette certitude. »
« L’égalité femmes-hommes en entreprise est synonyme de performance économique. Etude après étude, les conclusions convergent vers cette certitude. » Ingram / Photononstop

Soyons clairs une bonne fois pour toutes : l’égalité femmes-hommes en entreprise est équivalente de performance économique. Etude après étude, les conclusions convergentes vers cette certitude. Pourtant, si les femmes représentent 50 % de la population mondiale, elles ne profitent encore que 25 % des postes de management, 5 % des postes de PDG et elles ne sont que 12 % à siéger aux comités de direction dans les pays du G20 (13,6 % en France).

Une sous-représentation qui n’a rien à voir avec le prétendu « manque d’ambition des femmes » que j’entends parfois, entre cynisme et insolence, puisque 79 % des femmes et 81 % des hommes garantissent vouloir atteindre à des postes de « top management ». Et qui ne met pas en avant les entreprises qui ont 60 % de femmes demeurant au comité de direction, selon l’étude McKinsey Women Matter.

Une essentielle mise en valeur des capacités féminines ne permettrait-elle pas de générer 12 milliards de dollars additionnels d’ici à 2025, soit 11 % du PIB mondial, toujours selon la même étude ? Le constat est sans appel et le gâchis immense en termes de croissance économique globale, particulièrement dans nos économies matures aux populations vieillissantes et à court de forces vives. Si ces arguments économiques en faveur d’une égalité réelle sont déterminants, ils ne sont pas suffisants.

Le sujet n’est pas nouveau : l’histoire des idées est jalonnée de penseurs masculins qui ont affirmé nettement leurs convictions sur l’égalité. Parmi les plus illustres : Condorcet, authentique pionnier de la lutte pour les droits des femmes dont les premiers écrits de militant sont diffusés dès 1787, se faisant sans relâche l’avocat de « l’admission des femmes au droit de cité ». Moins d’un siècle plus tard, l’économiste John Stuart Mill, dans son livre De la subordination des femmes (1869) dévoile un plaidoyer magistral pout une égalité totale.

Echanger, communiquer                                                                                                   

En cherchant dernièrement sur Internet « homme féministe », je n’ai pas trouvé grand-chose. Comme si les deux concepts existaient antinomiques. Mais il est vrai que notre civilisation occidentale a été écrite comme une métaphysique de l’« Un », et que cet « Un » est masculin. Comme le développe très bien la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, « l’homme est à la fois au centre et au sommet, et ce depuis des millénaires ». Alors on pourrait se dire que ce sommet demeurera longtemps inaccessible, ou bien on agit, ce qui est ce que je veux, en cette journée internationale des droits des femmes.

Le combat pour les droits des femmes peine à progresser

A Bruxelles, jeudi 7 mars.
A Bruxelles, jeudi 7 mars. EMMANUEL DUNAND / AFP

 

La France a l’allure de bonne élève avec 44 % de femmes au sein des conseils d’administration.

Le 8 mars, l’Europe célèbre la Journée internationale des droits des femmes : rapports, déclarations, conférences, etc. La circonstance pour les institutions de mettre en avant leur travail en matière d’égalité hommes-femmes, sans forcément risquer faire référence aux vieux dossiers qui n’avancent pas.

Bien sûr, des choses sont faites partout dans l’Union européenne : une nouvelle législation vient d’être optée sur le congé parental et le congé de paternité. Mais d’autres, réciproquement, prennent la poussière dans les tiroirs des institutions. C’est le cas d’un projet de règle de 2012 visant à assurer la présence de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées en Bourse, qui prévoit qu’en présence de candidats à qualifications égales, priorité doit être accordée au candidat du sexe sous-représenté. Un palier largement dépassé par la France (44 %), grâce notamment à sa loi du 28 juillet 2011, mais que tous les autres Etats membres peinent à atteindre (avec moins de 10 % pour l’Estonie et la Grèce).

Blocage d’une dizaine d’Etats membres          

En présentant sa proposition en 2012, la Commission avait insisté sur la nécessité de ne pas perdre de temps, puisque, « au rythme actuel, quarante années seraient nécessaires pour parvenir à réduire les différences actuelles ». Or, sept ans ont passé. Mais une dizaine d’Etats membres – assez pour bloquer la proposition – s’y opposent. La Commission de Jean-Claude Juncker, soutenue par le Parlement, refuse de retirer son texte. Mais rien n’est sûr pour celle qui la remplacera.

Autre exemple, qui concerne le cœur des institutions : la formation sur la prévention du harcèlement, y compris sexuel, au Parlement européen. Elle bénéficie en théorie du soutien des députés. Ils ont pourtant refusé, en février, de la rendre obligatoire dans leur règlement intérieur, lors d’un vote à bulletin secret. Cette formation est pourtant défendue depuis plusieurs années par MeTooEP, un ensemble de travailleurs du Parlement européen actifs contre le harcèlement sexuel. Il a donc fait circuler une déclaration d’engagement contre le harcèlement sexuel faisant référence à cette formation. Ladite proclamation s’adresse aux députés et aux candidats députés à l’approche des élections européennes, mais demeurera valable ensuite. Et pas uniquement le 8 mars.

 

Les jeunes étudiantes se renforcent pour prendre la parole

Agence 9 / Une bulle en plus

Dans les écoles comme à Sciences Po, des formations pour apprendre à être à l’aise à l’oral visent particulièrement les femmes, moins encouragées à à faire preuve d’éloquence.

Capucine Gourmelon, étudiante en école de commerce à Nantes, s’en souvient comme si c’était hier. En 2017, alors qu’elle étudiait en première année à Audencia Business School, à Nantes, elle s’est présentée au concours d’éloquence de son établissement – « un défi personnel ». Elle fut alors frappée par ce qui s’y déroulait : plus elle grimpait dans la compétition, plus le nombre de filles s’amenuisait. La demi-finale en comptait quatre pour le double de garçons. En finale, il n’y avait que deux filles sur sept candidats. Capucine a poursuivi son ascension jusqu’à la finale interécole. Là, sur les neuf finalistes, deux uniquement étaient des filles. « Elles n’osent pas, là où les garçons ne se posent même pas la question », enregistre l’étudiante, qui se dit actuellement ravie de cette expérience. « J’ai beaucoup appris sur moi, sur la gestion du stress. J’ai pris confiance. Faire des présentations en réunion n’est plus un problème. »

Concours d’inspiration, cours de prise de parole, séances de coaching ou de mentorat pour se ravitailler dans une réunion ou acheter, ateliers de « pitch », organisation de conférences type « TEDX »… L’enseignement de l’oralité se développe dans les grandes écoles et les universités, comme témoigne le film documentaire A voix haute, de Stéphane de Freitas et Ladj Ly, qui suivait de jeunes étudiants de Paris-8, à Saint-Denis. « Avec l’accent mis sur les soft skills, la capacité à argumenter, à interagir et donc l’aisance à l’oral sont de plus en plus stimulées dans les cursus », rappel Anne-Lucie Wack, la présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE).

Mais si la facilité à l’oral devient une aptitude de plus en plus prisée dans le monde professionnel, elle n’en est pas moins source de ségrégations, sociales, mais aussi de genre. C’est l’un des enjeux de certaines formations : réduire des inégalités entre les hommes et les femmes face à cette prise de parole.

Une « académie de l’éloquence »

Eric Cobast, professeur renommé connu pour ses manuels de culture générale, est le directeur de la toute nouvelle « académie de l’éloquence » d’Inseec U, un groupe privé qui rassemble plusieurs écoles. Dans ce programme qui vise aussi bien les étudiants de l’Inseec U, des jeunes qui passent des oraux ou des cadres qui veulent développer leurs aptitudes oratoires, on apprend les bases de la prise de parole, la gestuelle, le rythme, la respiration, le raisonnement. On développe les techniques pour parler debout devant un public, en réunion ou à l’occasion d’un débat. Eric Cobast a été stupéfait par la proportion de femmes dans ces nouvelles formations équipées aux cadres : « Elles constituent la majorité des élèves. Elles parviennent chercher de l’assurance et veulent sans doute rétablir de l’égalité dans l’échange. »

« Création d’un statut pour le bénévolat dans les accueils communs de mineurs »

Pour Anne-Claire Devoge, directrice générale adjointe des Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, la reconnaissance des bénévoles doits avoir un cadre déterminé, avec des modalités qui défendent contre toute forme de fragilisation de l’emploi.

Vu qu’une société démocratique et solidaire doit protéger l’accès aux vacances et aux loisirs du plus grand nombre, elle doit prendre en compte à sa juste valeur la collaboration solidaire des animateurs et directeurs volontaires. Elle protège de ce fait une insertion sociale et culturelle de sa jeunesse en lui permettant d’exercer une activité responsable, en promettant une partie de son temps libre à l’encadrement d’enfants et de jeunes.

Observer la valeur que porte l’engagement de la personne ; admettre le principe de la contribution à une action éducative d’intérêt général ; identifier et valoriser la prise de responsabilités sont autant d’éléments qui contribuent à la formation du citoyen.

Créer un statut pour le volontariat dans les accueils collectifs de mineurs est ainsi plus que jamais d’actualité, un statut en cohérence avec le sens du volontariat conçu comme une forme d’activité humaine, et non une variable d’ajustement pour l’emploi.

Délié de tout rapport avec le code du travail

Ce statut devra avoir, comme c’est le cas pour le volontariat de service civique, le service volontaire européen, le volontariat des sapeurs-pompiers, un cadre défini, délié de tout rapport avec le code du travail, avec des modalités qui garantissent le sens de l’engagement et protègent contre toute forme de déstabilisation de l’emploi. Il devrait être sûrement circonscrit par une définition stricte des temps de vacances, de loisirs, et de congés scolaires qui préviendrait les abus tels que leur utilisation pour des encadrements « vacataires » d’activités post et périscolaires ou des pauses méridiennes.

Le champ d’action intéresse le périmètre des accueils collectifs de mineurs (ACM), des séjours adaptés ainsi que de la formation des animateurs volontaires. Les organismes captivés sont à but non lucratif, avec des missions d’intérêt collectif général à caractère social et éducatif : les associations, les collectivités locales et organismes publics, les comités d’entreprise.

La promesse du volontaire doit faire l’objet d’une convention, qui retrace le rapport au projet éducatif de l’organisme ouvert, les conditions de la participation au projet pédagogique, la définition du niveau d’implications, les solutions d’accueil et de complément.

Est intéressé tout bénévole âgé d’au moins 17 ans, il doit pouvoir profiter de formations adaptées à la nature de son intervention. Elles incarnent. Il s’agit du BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) et du BAFD (brevet d’aptitude aux fonctions de directeur) et des formations de formateurs volontaires, qui doivent être mises en œuvre par des organismes agréé par l’Etat.

 

A l’hôpital, les professions des femmes demeurent des chemins plantés d’épreuves

Plafond de verre, ségrégations, harcèlement… Une étude de l’intersyndicale Actions praticiens hôpital, diffusée jeudi 7 mars, dresse un bilan des inégalités.

A l’hôpital de Die (Drôme), le 5 mars.
A l’hôpital de Die (Drôme), le 5 mars. JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Ce jour-là, Lamia n’a pas été certainement surprise. Lorsque le chef du service de réanimation d’un grand hôpital parisien lui a notifié, au cours de son entretien d’embauche, en novembre 2016, qu’il ne faudrait pas qu’elle tombe enceinte au cours des deux années de son clinicat, cette anesthésiste-réanimatrice de 32 ans ne s’est pas révoltée. Elle se dit en revanche « en colère » de la façon dont les choses se sont passées dix-sept mois plus tard, lorsqu’elle a éclairci qu’elle attendait un enfant.

« Mes supérieurs hiérarchiques m’en ont requis. Pour eux, c’était inimaginable que je leur fasse ce coup-là », exprime Lamia, qui est seulement la deuxième femme de toute l’histoire du service. Alors qu’elle a réalisé des gardes jusqu’à son cinquième mois de grossesse, lorsqu’elle se met à achever ses journées à 19 h 30 et non plus à 21 h 30 ou à 22 heures, une partie de sa hiérarchie le perçoit comme un « désinvestissement » de sa part. « Je passais mon temps à m’excuser auprès de mes collègues », se souvient-elle.

Obstacles liés à la maternité

Le cas de Lamia n’a rien d’inhabituel au sein de l’hôpital public. Plafond de verre, discriminations, harcèlement… S’appuyant sur les réponses apportées par 3 100 médecins et pharmaciens hospitaliers (dont deux tiers de femmes), l’enquête diffusée jeudi 7 mars par l’intersyndicale Action praticiens hôpital vient annoncer les pénuries pour les femmes de conduire une carrière hospitalière à l’égal des hommes.

Les freins aperçus sont nombreux. En début de carrière, ils sont surtout liés à la maternité. Près d’une femme ayant des enfants sur trois (29 %) qui ont riposté au questionnaire considère que sa carrière a été pénalisée par sa grossesse. Plus de deux répondantes sur trois (77 %) disent par ailleurs n’avoir pas eu d’aménagement de poste pendant cette période.

Si le monde hospitalier n’arrête de se féminiser (les femmes représentent plus de la moitié des praticiens hospitaliers), près de 10 % des femmes ayant eu des enfants disent ne pas avoir bénéficié d’un congé maternité, soit parce que le statut de l’époque ne l’acceptait pas, soit pour des raisons reliées à leur carrière ou de pression ressentie.

Les médecins hospitaliers nécessitent par ailleurs tous garantir de fortes amplitudes horaires : plus d’un sur deux (56 %) dit travailler plus de cinquante heures par semaine. Suite : 58 % des femmes médecins (et 46 % des hommes) ayant répondu au questionnaire se déclarent régulièrement en épuisement chronique au travail. Les horaires punissent les femmes, davantage emmenées à s’employer de la sphère familiale (70 % disent par exemple s’occuper du linge à la maison, contre 14 % des hommes ; 58 % disent s’occuper des repas, contre 25 % des hommes).

« Depuis des années que l’on détient l’usine à bout de bras »

Le leader mondial des arts de la table, 5 500 salariés en France, menacé de redressement judiciaire.

Vaisselle en verre opale de la marque Arcopal, à Arques (Pas-de-Calais), en avril 2016.
Vaisselle en verre opale de la marque Arcopal, à Arques (Pas-de-Calais), en avril 2016. Aimée Thirion / Hans Lucas
C’est un dossier industriel très sensible qu’Emmanuel Macron et Bruno Le Maire savent par cœur. Et pour cause : le premier s’était lutté, lorsqu’il était ministre de l’économie, pour récupérer un ­repreneur au verrier Arc International ; le second s’était rendu au siège du groupe de 10 000 salariés, à Arques (Pas-de-Calais), quelques heures après avoir été appelé à Bercy, en mai 2017, afin d’annoncer l’investissement de 35 millions d’euros par son propriétaire et des fonds souverains russe (RDIF) et français (BPI).

Depuis 2015, 400 millions d’euros de nouvelles dettes ont été contractés, après l’effacement d’une ardoise de 350 millions d’euros

Le leader mondial des arts de la table se voit une nouvelle fois en pénurie. Ses marques (Arcopal, Arcoroc, Luminarc, etc.) ont certes été relancées, avec des ventes reparties à la hausse et un chiffre d’affaires stabilisé autour de 900 millions d’euros. Mais les résultats aisés ne suffisent pas à couvrir ses coûts. La société brûle toujours trop de cash. Depuis 2015, 400 millions d’euros de nouvelles dettes ont été tendus, après l’abolition d’une ardoise de 350 millions d’euros.

La cristallerie, dont la famille Durand dispose encore 10 % du capital, reprise par le fonds de placement américain Peaked Hill Partners en 2015, est d’ailleurs de retour au comité interministériel au réaménagement industriel. Son management cherche de nouveaux fonds. Officiellement, il s’agit de trouver 120 millions pour lancer la deuxième phase du plan de modernisation de l’entreprise, dont la principale usine – qui emploie 5 500 personnes – est installée à Arques.

« Nous avons structuré un grand nombre de réunions, et cela semble bien se passer », assure une source proche du dossier. « La situation devrait se débloquer sans nouveaux financeurs. Une issue favorable est attendue. L’entreprsise n’est pas en péril », certifie une autre source. « Il n’y a pas de problème de viabilité de l’entreprise, ajoute une troisième source. Cependant, il faudra peut-être en passer par une phase transitoire, un peu inquiétante pour les salariés, de liquidation afin de débloquer la situation et faire évoluer l’actionnariat du groupe… »

Problèmes de paierie

« L’Etat, la région Hauts-de-France et la communauté d’agglomération de Saint-Omer ont autorisé de faire des avances », garantit Xavier Bertrand, le président des Hauts-de-France. Bercy, qui a effacé une réunion technique sur le sujet mercredi matin, ne désire pas faire de commentaires.

Une formation continue peut-elle remédier la secousse technologique ?

Dans l’école de code Le Wagon, à Paris, jeunes et moins jeunes, professionnels, salariés, étudiants et stagiaires bataillent pour se défendre des ruptures numériques.

« Vue la pénétration du numérique dans toutes les activités, les compétences humaines utiles pour l’entreprise doivent être actualisées de plus en plus souvent, voire totalement renouvelées. »
« Vue la pénétration du numérique dans toutes les activités, les compétences humaines utiles pour l’entreprise doivent être actualisées de plus en plus souvent, voire totalement renouvelées. » RAQUEL KOGAN / NICOLAS GAUDELET

De part et d’autre de la cour blanchie d’un site industriel restructuré dans la vieille impasse de Ménilmontant, villa Gaudelet, à Paris (11e arrondissement), des travailleurs de L’Oréal entendent un conférencier, des étudiants du master entrepreneurs de HEC élaborent un projet collectif et, dans le vaste open space qui s’étend en fond de cour, des stagiaires en formation continue s’activent studieusement. Ces trois publics sont réunis à l’école de code Le Wagon, comme ils l’auraient été hier à Oxford pour procurer un langage indispensable sur le marché du travail.

Louis Mayaud, 29 ans, doublement diplômé de Mines ParisTech et de HEC, a les yeux rivés sur l’écran de contrôle des stagiaires en session de formation au Wagon, où il était lui-même élève au dernier trimestre 2018, avant d’être recruté comme formateur. Après quelques années de trading en matières premières dans les pays producteurs, il s’est mis au code pour les besoins de sa nouvelle affaire : « De retour du Honduras, j’ai créé ma boîte. J’ai fait Le Wagon pour avoir les vertus techniques indispensables pour parler le même langage que mon coentrepreneur ingénieur, et potentiellement pour recruter. »

Au Wagon, on trouve deux types de profils, explique-t-il, « de futurs développeurs juniors, des scientifiques, minutieux, avec la patience nécessaire pour pouvoir coder toute la journée, et des “product managers”, des créatifs, qui voient le business et sont capables de manager ces profils ». Mais, pour l’heure, il est au service des stagiaires qui planchent sur des exercices de codage, pour les débloquer au cas où.

Le Wagon, à Paris, le 6 mars, l’avant-veille de la présentation des projets de la première session 2019.

Le Wagon, à Paris, le 6 mars, l’avant-veille de la présentation des projets de la première session 2019. DR

La formation continue n’est pas utile qu’à ceux qui ont manqué la première marche de leur parcours professionnel, à savoir la validation de leur formation initiale. Vue l’accroissement des évolutions technologiques, l’entrée du numérique dans toutes les activités et l’automatisation progressive des métiers, les compétences humaines utiles pour l’entreprise doivent être adaptées de plus en plus souvent, voire totalement rétablies. Une étude de l’Institut Sapiens, publiée jeudi 7 mars (« L’Utilité de la formation pro face à la révolution digitale »), estime que la part de la population qui subira une dépréciation marquée de son capital humain en raison d’un choc technologique pourrait atteindre 10 %, et le taux de dépréciation des compétences 20 %. Ce qui développe l’essor des formations au code auprès de salariés de tous secteurs et de tous âges.

 

 

Les mesures pour les droits des femmes peuvent être contre elles

Quotas ou contraintes intéressant à pallier l’absence la pertinence des femmes dans de plusieurs métiers n’ont pas généralement les effets escomptés. Aussi faut-il se montrer attentif avant de les exiger, estime l’économiste Cecilia Garcia-Peñalosa.

[Il y a 110 ans, le 28 février 1909, le Parti socialiste américain organise une « Journée nationale de la femme ». Un an plus tard, l’Internationale des femmes socialistes, qui se tient à Copenhague, fixe au 8 mars la journée de référence pour les réclamations des droits des femmes. Officialisée par l’ONU comme « Journée internationale des femmes » en 1977, cette date est fêtée en France depuis 1982, sur proposition d’Yvette Roudy, alors ministre des droits des femmes. Dans de nombreux pays, cette date est l’occasion de se mobiliser. Soit par des actions concrètes comme les grèves et l’accumulation, soit en informant, en prenant en considération les enjeux de la lutte ou en réfléchissant à ses modalités.]

La partie, au final la plus facile, les femmes l’ont accomplie. Réussir le droit de vote, être les égales des hommes devant la loi, choisir et retenir de l’usage de leur corps… Le XXe siècle a été celui de la bataille pour l’égalité face la loi entre femmes et hommes dans les sociétés développées.

Ce qui reste à venir est bien plus pénible. Il faut actuellement, pour qu’existe une réelle égalité des chances, mettre en place des mesures au niveau des institutions qui compensent le poids du vécu, l’impact de la discrimination implicite, et les contraintes de la maternité. Ou pas.

Depuis une vingtaine d’années, bien des mesures ont été montrées, en France comme dans beaucoup d’autres pays à haut revenu, afin de remédier la carence d’opportunités pour les femmes dans de nombreux métiers. Nous commençons à avoir assez de recul pour pouvoir poser la question de leur rendement. Parfois, la réponse est surprenante.

D’incontestables succès ont été décrochés. Un exemple collectif est celui des grands orchestres américains qui, dans les années 1970, étaient presque uniquement masculins, la proportion de femmes se situant autour de 12 %. L’une après l’autre, ces institutions ont commencé à mettre en place des épreuves à l’aveugle dans lesquelles le juré était installé de l’autre côté d’un écran qui occultait l’identité du candidat ou de la candidate – aujourd’hui, parmi ces grands orchestres, seul celui de Cleveland (Ohio) n’utilise pas cette procédure.

L’intention sur l’embauche de femmes a été rapide et, en 2000, certaines de ces formations avaient atteint 35 % de femmes musiciennes. Pas de loi ou de contrainte externe, mais un simple changement de procédure choisi par les orchestres eux-mêmes, dont les répercussions se sont avérées majeures.