Enarque et historien, Marc-Olivier Baruch propose, un changement en cinq clés de l’Ecole nationale d’administration pour initier la haute fonction publique à l’entreprise qu’elle est censée administrer.
Il se trouve que j’ai approximativement tout fait à l’Ecole nationale d’administration (ENA) : j’y suis (simplement) entré fin 1978 et en suis (mal) sorti trente mois plus tard, après une scolarité sans intérêt. J’y ai noté l’histoire administrative au début des années 2000 (discipline non notée et donc peu prise au sérieux par les élèves les mieux adaptés), au début deux jours par an, puis deux heures. J’ai arrêté cet enseignement avant qu’on ne me sollicite d’y dédier deux minutes… J’ai également été vice-président des concours d’entrée de 2010, ai siégé au comité de rédaction de la revue d’administration publique de l’ENA et collaboré à son comité d’histoire, qui produit de fort riches (mais peu lus) Cahiers [Cahiers pour une histoire de l’ENA] exprimant l’institution, promotion par promotion.
L’histoire, exactement, en dit beaucoup sur l’institution. Elle articule certes les audaces mais aussi les fissures initiales d’un projet qui n’était que relativement modernisateur. Le général de Gaulle de 1945 savait trop avoir besoin de l’appareil d’Etat pour en secouer les élites – dont il connaissait pourtant, mieux que personne, la conduite, peu engageant et peu engagé, durant les années de guerre et d’occupation.
Dès 1945, alors que se bâtit l’ENA, le ministère des finances ne se rassemble au projet de corps commun des administrateurs civils qu’à la condition que ceux servant dans ses rangs continueront à bénéficier d’un régime compensatoire favorisé, faute de quoi, face à l’aridité de la matière qui s’y trouve traitée, il risquerait de se voir déserté.
Un essai de découpe de poulet rôti
Dans ce domaine où les techniciens hors pair de la gestion administrative connaissent si bien énucléer la volonté réformatrice du politique – Nicolas Sarkozy, homme volontaire s’il en est, ne parvint pas à effacer le classement de sortie –, la loi doit poser des principes forts. Nous proposons cinq clés pour ouvrir la haute fonction publique à la société qu’elle a appel à diriger.
La première comporte à effacer les crises structurelles entre les métiers auxquels destine l’ENA. Nul n’irait consciemment manier des liasses de pièces comptables ou s’adonner au contentieux fiscal s’il ne savait que, très vite, son appartenance à la Cour des comptes ou au Conseil d’Etat serait pour lui, après un tout petit nombre d’années, un énergique accélérateur de carrière.
La cession de l’accès direct aux grands corps, comme l’harmonisation des régimes compensatoires entre ministères, est donc un point de passage obligatoire d’une telle réforme. Changements qui ne sont guère coûteuses budgétairement, mais dont les auteurs seront vus comme traîtres à leurs corps, ce qui les inquiéta longtemps.