Problème d’Ascoval persiste malgré les promesses de Macron

Les anciens syndicalistes Edouard Martin et Joël Decaillon révoque, la manque de stratégie industrielle durable pour le site d’Ascoval, et demandent à Bruno Le Maire d’instaurer une vraie concertation.

« Emmanuel Macron a fait la promesse en juin 2015 de sauver l’aciérie toute neuve de Saint-Saulve (Nord) cédée par Vallourec à Ascométal et rebaptisée Ascoval » (Emmanuel Macron, le 29 juin 2015, à l’époque ministre de l’économie, à Saint-Saulve).
« Emmanuel Macron a fait la promesse en juin 2015 de sauver l’aciérie toute neuve de Saint-Saulve (Nord) cédée par Vallourec à Ascométal et rebaptisée Ascoval » (Emmanuel Macron, le 29 juin 2015, à l’époque ministre de l’économie, à Saint-Saulve). FRANCOIS LO PRESTI / AFP

 Ascoval et ses 270 poste d’emploi directs est en passe de devenir le « sparadrap » du président de la République, comme Gandrange avait été celui de Sarkozy et Florange celui de Hollande. Rappelons-nous de Nicolas Sarkozy, casque sur la tête, qui avait promis aux travailleurs de Gandrange que, « lui président », l’aciérie ne clôturerait pas : l’usine a fermé fin 2008. Puis cela a été au tour de François Hollande de faire la promesse du sauvetage de Florange et qui a laissé fermer les hauts-fourneaux de manière « temporaire » en refusant leur nationalisation… temporaire.

 Macron a fait la promesse en juin 2015 de sauver l’aciérie de Saint-Saulve (Nord) cédée par Vallourec à Ascométal et renommé Ascoval. Ascométal en faillite, pour cause de fonds d’investissement impécunieux en novembre 2017, sera reprise par le groupe sidérurgique suisse Schmolz & Bickenbach specialiste dans les aciers spéciaux début 2018… mais sans Ascoval ! Décidément les relations des présidents de la République avec la sidérurgie sont une suite de rendez-vous manqués qui ont déçu et meurtri les populations sur place. Jalonnées de ruines, elles illustrent les problèmes industrielles et humaines vécues par les travailleurs et les régions industrielles depuis plus de dix ans.

Une « politique de Gribouille »

Mais, les années se suivent et les épisodes de la série sont tout le temps plus mauvais. A l’automne 2018, le fonds d’investissement franco-belge Altifort est choisi par le tribunal de Strasbourg pour sauver l’usine et ses emplois. Le ministre de l’économie Bruno Le Maire y croit. Mais, ce petit groupe, vorace en achats d’entreprises en difficultés, est complètement novice en sidérurgie.

Or la sidérurgie nécessite d’avoir les reins financiers solides : après le refus des banques, exit Altifort et son « projet industriel », au demeurant baroque. Arrive ensuite British Steel, détenue depuis 2016 par le fonds d’investissement Greybull, lequel emprunte pour payer chaque opération et met en ruine les entreprises qu’il contrôle dès que l’activité décline (la chaîne de magasins Comet, la compagnie d’aviation Monarch, et maintenant British Steel).

Cette fois, avec British Steel, les salariés d’Ascoval avaient un spécialiste de l’acier, mais ils n’ont pas eu d’argent : une baisse des prix de vente conjuguée à une augmentation du prix des matières premières (effet Brexit et crise des barrages au Brésil) a fait que British Steel a cédé après avoir vendu tout ce qu’elle pouvait, y compris les quotas de CO2 fournis gratuitement. Au point qu’une fois l’échéance venue, British Steel a obtenu du gouvernement britannique 80 millions de livres sterling pour les payer trois fois plus chers !

Comment faire face à la perte de capacités des salariés

Le nouveau rendez-vous management s’est déroulé le 28 mai sur la santé au travail. Les prochaines rencontres porteront sur les contrats courts.

« la plupart des salariés en perte de capacité ne veulent pas en informer l’entreprise par peur du stigmate. Ils développent un ensemble de stratégies pour pallier l’involution de leurs capacités » affirme Anne-Maire Waser
« la plupart des salariés en perte de capacité ne veulent pas en informer l’entreprise par peur du stigmate. Ils développent un ensemble de stratégies pour pallier l’involution de leurs capacités » affirme Anne-Maire Waser Rainer Berg/Westend61 / Photononstop

Les Rencontres RH, nouveau rendez-vous mensuel sur l’actualité du management, se sont déroulés le mardi 28 mai à la Maison de l’Amérique latine, à Paris, sur la santé au travail. Stress, vieillissement, maladies chroniques: comment s’occuper de la santé au travail et faire face à la perte de capacités des salariés ?

Avant, la maladie n’a pas sa place au travail. La responsabilité de l’entreprise consistait à faire la sortie du salarié de l’entreprise vers un arrêt de travail, un congé maladie, un mode de prise en charge à l’écart – le placard – de l’organisation. « La question est préoccupante avec l’allongement de la vie au travail et la reconnaissance des maladies chroniques, car l’inactivité aggrave les problèmes de santé, déclare la sociologue Anne-Marie Waser, coauteure de Que font les 10 millions de malades ? Vivre et travailler avec une maladie chronique (Erès, 2016). L’activité est nécessaire pour mettre la maladie à distance et pour maintenir le lien social. On ne dit jamais assez que l’homme est un animal social. »

Nombreux DRH de secteurs aussi différents que la chimie,le tourisme,ou la bancassurance réunis pour en débattre, ont mis au jour des approches pour concilier santé et productivité. La remontée d’informations et l’autonomie des manageurs sont apparues comme les deux éléments-clés pour être efficaces.

Plus de burn-out que d’accidents

Le burn-out en offre une bonne illustration. « Lorsque à partir de 2015 on a commencé à recenser les accidents psychiques, on s’est d’abord heurté à la difficulté de définir le burn-out, puis on s’est aperçu qu’on avait plus de burn-out que d’accidents physiques. En entreprise, ce qu’on ne compte pas ne compte pas », déclare Jean-Christophe Sciberras, DRH du groupe Solvay.

La question de la signification du burn-out se pose d’abord pour évacuer « la suspicion qui pèse sur le salarié malade d’être “un tire-au-flanc” », note Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP. Puis « pour expliquer aux entreprises, aux manageurs et aux salariés ce qu’est cette maladie. Et c’est au médecin de le faire », ajoute Hervé Wattecamps, DHR du groupe ADP (ex-Aéroports de Paris). La décision de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, le 25 mai, a inscrit le burn-out dans la classification internationale des maladies est « intéressante, en ce sens qu’elle nous donne un cadre », mentionne M. Sciberras. Le lien avec le management est établi.

« Savoir apercevoir le moment idéal pour faire valoir ses arguments dans une contestation est une qualité majeure »

« Au tennis, comme dans de très nombreux sports, la question du timing est cruciale. »
« Au tennis, comme dans de très nombreux sports, la question du timing est cruciale. » Serge Kozak/Flirt / Photononstop

Le timing est un outil de pouvoir. Certains responsables en usent et en entortillent parfois.

Au tennis, comme dans de très nombreux sports, la question du timing est décisive. Les champions que l’on peut contempler sur les terrains de Roland-Garros jusqu’au 9 juin ont assimilé cette notion depuis bien longtemps. L’instant où ils doivent faire la balle pour arriver l’effet désiré est rarement précise. Le coup doit partir ni trop tôt ni trop tard. Juste à temps.

Il en est de même dans le monde du travail et des affaires. Et pas uniquement dans l’industrie, où le « juste à temps » rythme la production pour apaiser les stocks. Savoir trouver l’instant optimal pour faire valoir ses références dans une négociation est une qualité majeure dans n’importe quel secteur d’activité. Qu’il s’agisse de mener à bien un accord stratégique, de réussir l’aval de son supérieur pour un projet qui vous tient à cœur ou au contraire celui d’un assistant pour mener une tâche raffinée et chronophage.

Daniel Pink, examiné comme un auteur des plus influents aux Etats-Unis, est un spécialiste de « la science du parfait timing » (Le Bon Moment. La science du parfait timing, Flammarion, 320 p., 20,90 euros). Si les ouvrages pour savoir comment faire – pour transmettre, développer ses réseaux – abondent, très peu s’ensorcellent au choix du meilleur moment pour agir. Daniel Pink a donc dénudé plusieurs centaines de travaux scientifiques en sociologie, chronobiologie, entre autres, pour réaffirmer ce que certains ont certainement plus ou moins déjà ressenti. A savoir que les performances d’un individu varient au cours d’une journée. Optimale en fin de matinée, la vigilance décroît en début d’après-midi, pour repartir à l’augmentation ensuite. Certes, les uns diront qu’ils sont « plutôt du soir », d’autres « plutôt du matin ».

Un mécanisme de pouvoir

Mais, d’une façon générale, mieux vaut avoir assimilé sa zone de confort pour commercer un important contrat. Les dirigeants internationaux, qui s’aperçoivent parfois infliger des réunions décisives alors qu’ils sont en plein distance horaire, connaissent depuis longtemps l’importance de cette arme. Son usage interne à l’entreprise n’est pas insignifiant non plus.

Le timing est un outil de pouvoir. Certains responsable en usent et en abusent parfois. D’aucuns formulent leurs souhaits, voire leurs exigences, longtemps à l’avance, pour pointer leur territoire. Il faut alors savoir les prendre de vitesse, prévoir leurs désirs et organiser la riposte.

« Les réformes de la retraite et du chômage déchaînent des conséquences vicieux »

La plus grande fabrique de Nutella du monde est bloquée

A Villers-Ecalles, village normand proche de Rouen (Seine-Maritime), l’usine Ferrero, premier site mondial de fabrication de Nutella, est bloquée depuis le mardi 28 mai.
A Villers-Ecalles, village normand proche de Rouen (Seine-Maritime), l’usine Ferrero, premier site mondial de fabrication de Nutella, est bloquée depuis le mardi 28 mai. 

Des banderoles « Ferrero = radin », des palettes, des toiles de tente, un barbecue et même une table de ping-pong. A Villers-Ecalles, village près de Rouen (Seine-Maritime), l’usine Ferrero, premier site mondial de fabrication de Nutella, est bloquée, depuis le mardi 28 mai, par des travailleurs grévistes prétendant des hausses de salaires. Aucun camion n’entre ni ne sort de l’usine depuis sept jours.

« On ne lâche rien. C’est la direction qui va lâcher », tonne au micro, ce mardi midi, Fabien Lacabanne, envoyé syndical central Force ouvrière (FO) du site. Selon lui, plus d’un tiers du personnel est en grève. « Cent cinquante salariés sur les quatre cents qu’emploie l’usine, essentiellement des ouvriers, employés et agents de maîtrise, ont cessé le travail », comptabilise-t-il.

De source syndicale, la carence de matières premières a imposé le groupe familial italien à diminuer de façon draconienne la production. « La fabrication de Kinder Bueno est arrêtée, assure le syndicaliste, et une seule des quatre lignes de production apprêtées au Nutella tourne encore à 20 % de sa capacité. »

« La seule méthode pour se faire entendre »

« Toucher au porte-monnaie est la seule méthode pour se faire entendre », évaluent en chœur les salariés qui tiennent jour et nuit le piquet de grève. Dans le cadre de l’action des négociations annuelles obligatoires, ils sollicitent une hausse des salaires de « 3,5 % », une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat de « 900 euros », ainsi que la modernisation de leur outil de production, jugé « obsolète ».

« Après avoir évoqué 0,4 % d’augmentation, la direction parle de 1,8 %, à peine le niveau de l’inflation. Ce n’est pas suffisant, surtout pour une entreprise qui réalise plus de 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires en France », déclare le syndicaliste Fabien Lacabanne, qui peste encore « contre le refus de la direction d’accorder la prime dite Macron à la fin de l’année dernière ».

Assise sous une tente, Véronique, « vingt-six ans de boîte et 1 400 euros mensuels », retrace « des conditions de travail difficiles à cause des vieilles machines qui s’arrêtent tout le temps ». A ses côtés, Sandra, 30 ans, déclare « avoir du mal à joindre les deux bouts avec 1 300 euros et trois enfants à charge ». Jérôme, pour sa part, rit jaune face « aux miettes auxquelles on a droit alors que le groupe vient de bâtir un nouvel entrepôt pour 38 millions d’euros ». Au-delà, tous formulent « un ras-le-bol général » et une certaine amertume en comparant leurs conditions de travail à celles des « salariés du siège social, juste à côté de Rouen, qui sont bien mieux lotis ».

« Pénalités d’astreinte »

Après six jours de polémiques infructueuses, Ferrero a élevé le ton par le biais d’une action en justice. « La direction de l’usine a été contrainte de notifier aux grévistes bloquant illégalement l’accès au site la mise en place, sur décision de justice, de pénalités d’astreinte tant que l’accès à l’usine restera bloqué. Ces pénalités sont entrées en vigueur ce matin [lundi] à 6 heures après notification aux grévistes qui n’ont néanmoins toujours pas libéré l’accès à l’usine », nous répond-elle par courriel.

Dans un autre courriel, il est écrit que le montant de l’astreinte est de « 1 000 euros par heure et par personne bloquant » l’accès au site. « C’est vraiment dégueulasse, lâche Daniel, un ouvrier. Une telle somme, ça impressionne, principalement des gens pas très riches. Certains ont peur. Une fille a même fait un malaise. » Après consultation de l’avocat de FO au plan national, le délégué syndical Fabien Lacabanne déclare que cette « ordonnance est contestable ». Et de poursuivre : « On ne peut être jugés sans avoir été convoqués et entendus par le tribunal de grande instance de Rouen. »

La direction de l’entreprise présente « regretter vivement cette situation et réaffirme rester ouverte au dialogue, dans le respect des valeurs du groupe Ferrero et dès lors que le libre accès au site sera rétabli ». Elle assure, par ailleurs, qu’il n’existe « pas de risque de problème d’approvisionnement et pas de risque de pénurie ».

L’usine de Villers-Ecalles produit six cent mille pots de Nutella par jour, soit un quart de la production mondiale de la célèbre et discutée pâte à tartiner. La barre chocolatée Kinder Bueno y est aussi fabriquée.

 

« Ils font tout pour nous dégouter et pour qu’on abandonne »

Manifestation des cheminots, le 4 juin, à Paris.
Manifestation des cheminots, le 4 juin, à Paris. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
« Un an après, on mesure le bilan. Partout, on supprime des postes. Des cheminots se suicident parce qu’ils n’ont pas de perspective d’avenir. Il est temps de relever la tête ! », déclare un délégué syndical sur la scène établie au début du cortège.

Des milliers de cheminots ont manifesté, mardi 4 juin, à Paris, contre la réforme ferroviaire et la dégradation du climat social dans l’entreprise. « Stop à la casse de la SNCF », « La SNCF n’est pas à vendre », annonçaient les banderoles dans la foule, hérissée de centaines de drapeaux syndicaux.

Cette expression nationale, organisée à l’appel des quatre syndicats représentatifs de la SNCF (CGT-Cheminots, UNSA-Ferroviaire, SUD-Rail et CFDT-Cheminots), est la première depuis le décret du « nouveau pacte ferroviaire », fin juin 2018. La loi planifie l’entrée à la concurrence du transport national ferroviaire de voyageurs et instaure l’arrêt des recrutes au statut de cheminot à partir du 1er janvier 2020, date à laquelle la SNCF sera réformée en plusieurs sociétés anonymes.

A la station de Lille-Flandres, « onze personnes sont actuellement en arrêt maladie, dont six en accident de travail, sur vingt-cinq salariés »

La vision effraye les manifestants, qui redoutent que leurs conditions de travail, déjà « à flux tendu », empirent davantage. La situation est essentiellement difficile aux guichets, constamment supprimés au profit de bornes automatiques. Les files d’attente s’allongent et le mécontentement des clients s’accroît.

A la gare de Lille-Flandres, « onze personnes sont actuellement en arrêt maladie, dont six en accident de travail, sur vingt-cinq salariés », continue Sandrine, 39 ans, devenue assistante responsable à la boutique SNCF de Lille-Europe après la cession de son poste dans une autre gare, en décembre 2018. L’an passé, face à l’affluence et au sentiment de ne pas être écoutée par ses supérieurs, elle a « pété un câble », mentionne-t-elle : « Je suis sortie et j’ai donné un coup de poing dans un poteau. C’était ça ou mon chef. »

« Je ne dors plus la nuit »

« Il n’y a pas un jour où on ne se fait pas engueuler, déclare sa collègue Sylvie. Les clients, qui attendent jusqu’à une heure et demie pour acheter un simple billet, nous disent qu’on est des “bons à rien”, qu’on est “dans une planque”, ou nous lancent “vivement la concurrence !” C’est pas possible de travailler comme ça. On a demandé du personnel en plus mais la direction nous dit qu’elle n’a pas les moyens. Elle répète qu’il faut qu’on soit meilleur et moins cher que la concurrence, qu’ils n’y peuvent rien, que c’est comme ça. »

Epuisée par la pression croissante, la trentenaire, en poste à la SNCF depuis 2005, est en arrêt de travail depuis une semaine et sous traitement anxiolytique. « Je ne dors plus, la nuit, j’ai des angoisses, confie-t-elle. Rien que l’idée de retourner au guichet me donne la boule au ventre. » Elle a averti ses chefs : « S’ils me proposent une bonne enveloppe, je pars. De toute façon, ils font tout pour nous dégoûter et pour qu’on s’en aille. »

« Même les médecins de la SNCF nous demandent de déposer des droits d’alerte

Le malaise est si difficile, selon les envoyés syndicaux, que « même les médecins de la SNCF nous sollicitent de déposer des droits d’alerte pour signaler un danger grave et imminent, affirme David Lasnier, secrétaire général CGT des cheminots de Vierzon (Cher). Les gens sont en pleurs, il y a un surplus de travail et une souffrance sociale ».Par exemple, à la faveur du Fret, « une vingtaine de droits d’alerte ont été déposés depuis janvier sur toute la France, contre environ trois par an habituellement », déclare-t-il.

Philippe Renaud, 52 ans, dont trente passés à la SNCF, fait le parallèle avec le film de Ken Loach, The Navigators, sur la dénationalisation du chemin de fer britannique : « C’est exactement ce qu’on vit : un service public livré en pâture au plus offrant, de la sous-traitance de sous-traitance, où tout est payé pour gagner un peu de fric. » Froissé, il regrette « la disparition de l’humain du service public » et redoute que, après la réforme, « les vieux soient mis au placard ou poussés vers la sortie ».

« Ils sont en train de faire un plan social gigantesque », se fâche son collègue Arnaud Jamis. Lui-même verra son poste effacé en 2020 avec la fermeture du guichet de la gare de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). « Actuellement, on est quatre pour faire le boulot de dix. Ça ne désemplit pas. Mais l’année prochaine je ne sais pas où je serai, ni ce que je ferai », déclare-t-il, désemparé.

« Restructuration permanente »

L’anxiété jointe à l’avenir de la SNCF pèse sur le moral des cheminots. Sandrine, contrôleuse TGV de 47 ans et travailleuse depuis vingt-huit ans dans l’entreprise, voit à contrecœur de se reconvertir. « J’adore mon travail, mais je veux me former, si jamais on me demande de partir à 50 ans… Je n’ai que le bac, donc je n’ai pas le choix. » Elle a déjà prévenu sa fille de 7 ans au cas où elle serait bientôt destituée : « Je lui ai dit : “Tout ce que tu as aujourd’hui, tu ne l’auras peut-être pas demain.” Je ne sais pas si c’est le mieux, mais je préfère la préparer. »

Amplement font part de leur trouble devant la « restructuration permanente ». « Des collègues en ont vécu trois, parfois plus. La digitalisation fait qu’il y a plein de nouveaux métiers, sur lesquels on doit basculer. Ça génère de la souffrance », déplore Anthony, travailleur depuis 1990 et employé au Fret.

« On a l’impression de vivre la même chose qu’à France Télécom »

A ses côtés, Denis, ancien contrôleur de 57 ans, s’agace : « La SNCF vise la rentabilité, mais où est le service public ? Et avec la réforme ce sera encore pire ! Comment ça va se passer quand une entreprise privée va reprendre tout ça ? Quel statut sera proposé aux cheminots ? Que deviendront ceux qui ont une maison, une famille, et qui seront poussés à la mobilité ? On a l’impression de vivre la même chose qu’à France Télécom [dont le plan de restructuration est soupçonné d’être à l’origine de suicides]. La direction passe en force au nom de l’ouverture à la concurrence. »

Rien qu’en mai, « trois cheminots se sont suicidés en France, ajoute-t-il, mais la SNCF ne les reconnaît évidemment pas comme tels ». Suivant SUD-Rail, beaucoup de suicides ont eu lieu depuis le début de l’année, en lien avec le rééchelonnement. De leur côté, les ressources humaines de la SNCF se bornent à indiquer que huit suicides depuis 2013 ont été classés par la Commission spéciale des accidents du travail et des maladies professionnelles (CSAT) comme liés au travail, avec un dominant de deux par an et aucun en 2018.

« Le modèle de formation des chercheurs d’emploi touche ses bornes  »

« On pourrait donner aux conseillers la possibilité de proposer des parcours modulaires adaptés aux besoins de chacun pour devenir de véritables architectes de la formation des demandeurs d’emploi » (Photo : Agence Pôle emploi, à Paris).
« On pourrait donner aux conseillers la possibilité de proposer des parcours modulaires adaptés aux besoins de chacun pour devenir de véritables architectes de la formation des demandeurs d’emploi » (Photo : Agence Pôle emploi, à Paris). Philippe Lissac/Godong / Photononstop
Alors que le gouvernement veut changer l’assurance-chômage, Natanael Wright, conduisant d’un organisme de formation, révoque la raideur du cadre offert aux chômeurs pour procurer ou renforcer leurs capacités.

Au cours des vingt prochaines années, plus de la moitié de fonctions actuelles vont expirer sous l’effet de la quatrième transformation industrielle. Et pour cause, celle-ci porte en germe un changement des compétences qu’il convient de conduire grâce à un effort de formation sans précédent.

Le plan d’investissement dans les compétences (PIC) déclenché par Emmanuel Macron contribue à cette ambition. Il attache aussi une importance toute remarquable aux personnes perdues de l’emploi qui restent les plus vulnérables face à l’évolution du marché de travail et l’émergence de nouveaux métiers. A cet égard, le chantier de la formation est sans aucun doute l’un des principaux défis qui est devant nous, tout essentiellement pour ceux qui en ont le plus besoin : les demandeurs d’emploi.

Or le chantier est infini. En effet, près de six Français sur dix considèrent être mal instruits au sujet de la formation professionnelle et des éventualités qui s’offrent à eux, si l’on en croit une étude Elabe [pour l’Institut Montaigne et L’Express] accomplie en janvier 2018 (« Les Français et la formation professionnelle », 17 janvier 2018, voir lien PDF). Un manque d’information dont pâtissent au premier chef les solliciteurs d’emploi qui voient leur accès au marché du travail entravé.

Aucun critère d’efficacité

Surtout, le modèle de formation des solliciteurs d’emploi semble avoir abouti ses marques. Basées sur un rythme de vingt à trente heures par semaine, les formations présentées par Pôle emploi ne concordent à aucun critère de productivité. Un tel rythme peut se confirmer contre-productif et conduit bien souvent au désengagement et à un gaspillage des fonds publics. Par ailleurs, les formations à temps plein sont ipso facto escarpés à d’autres publics que des chômeurs en dépit du fait que la mixité des groupes a annoncé ses vertus pour protéger un retour à l’emploi.

Il est temps de faire plus de confiance aux acteurs de terrain, au premier grade desquels les conseillers Pôle emploi qui éprouvent mieux que quiconque les désirs de l’individu

Il apparaît donc urgent d’éveiller une amélioration de paradigme s’agissant de la formation des solliciteurs d’emploi. Après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux sur l’assurance-chômage, l’occasion est toute pénétrée pour le gouvernement. En effet, d’ici à l’été, il lui appartient de prendre la problématique de la formation des chômeurs à bras-le-corps, et d’impulser les évolutions fondamentales pour protéger leur montée en compétences.

Regard sur six inégalités insidieuses du travail

Quelle distance de rétributions entre riches et pauvres ? Quelle diversité entre diplômés et non-diplômés ? Jeunes ou âgé, qui sont les plus mal lotis ? Les femmes ou les étrangers sont-ils continuellement désavantagés ? Pour répliquer à ces questions qui secouent la société et ont sous-tendu le mouvement des « gilets jaunes », l’Observatoire des différences, association d’experts et de chercheurs, a proclamé, mardi 4 juin, son troisième rapport sur les inégalités en France.

Un état des lieux global est effectué en compilant des statistiques publiques et recherche sur plusieurs sujet : revenus, éducation, patrimoine, conditions de vie, etc. Après avoir limité le précédent rapport en dix graphiques, qui présentaient l’augmentation du nombre de pauvres en France, l’inégale répartition des revenus et du patrimoine, et le démarrage des hauts revenus, nous avons repéré, dans cette nouvelle édition, des statistiques plus « discrètes » mais dont les effets pèsent sur la vie habituelle et le ressenti de ceux qui les supportent.

1 – Au-delà du chômage, le halo du « mal emploi »

Le taux d’inactivité en France est tombé à 8,7 % de la population active, son plus bas niveau depuis dix ans, au premier trimestre 2019, selon l’Insee. Mais ce chiffre ne décompte que les personnes en recherche active et n’ayant pas du tout travaillé dans la semaine précédant l’enquête, et « reflète mal la dégradation du marché du travail », selon l’Observatoire des distinctions.

En effet, il ne tient pas compte des personnes « découragées », qui ne recherchent plus de travail et ne sont plus adaptées dans les statistiques, comme les mères de famille ou les personnes proches de la retraite. Ce public détourné représenterait 1,6 million de personnes. Si l’on y ajoute des salariés à temps partiel qui aimeraient travailler davantage ou des travailleurs en contrat précaire (intérim ou contrats à durée déterminée non choisi), l’ensemble de ces conditions concerne, selon le rapport, 26 % de la population active dans une situation de faiblesse vis-à-vis de l’emploi. Et encore, ce chiffre n’intègre pas les travailleurs « à leur compte » comme les chauffeurs de VTC ou certains livreurs en condition souvent précaire.

2 – L’absence de diplôme, de plus en plus discriminante

Le chômage a décru ces dernières années pour l’ensemble de la population active, mais reste à un niveau élevé (plus de 18 %) pour les personnes non diplômées. Dans les dix dernières années, leur situation s’est particulièrement dégradée par rapport à l’ensemble de la population active. Leur taux de chômage est désormais le double de la moyenne nationale, et quatre fois plus élevé que celui des personnes disposant d’au moins un bac + 2.

49 % des jeunes sans diplôme subissent le chômage

Cette inégalité est encore plus flagrante au moment de l’insertion professionnelle : selon une étude réalisée par le Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Céreq), trois ans après son entrée sur le marché du travail, le taux de chômage d’un jeune sans aucun diplôme atteignait 49 % en 2016, contre 19 % pour les titulaires d’un bac, et 10 % pour les bac + 5.

3 – Flexibilité horaire, rythme contraint : ouvriers et agents en première ligne

Non uniquement l’absence de diplôme obscurcit l’accès au travail, mais les emplois définitivement obtenus sont habituellement les plus pénibles au niveau des horaires, des accordes ou de la difficulté physique. Et ces contraintes ont tendance à augmenter durant ces dernières années.

44,6 % des salariés du commerce travaillent le dimanche

La « flexibilité » touche de plus en plus les ouvriers et employés. Ainsi, selon le ministère du travail, 28 % des salariés étaient conduits à œuvrer le dimanche en 2016 (contre 26 % en 2005). Ce taux passe à près d’un sur deux (44,6 %, contre 41,7 % en 2005) dans le secteur des commerces et services.

Si la moitié des travailleurs œuvrent sur un rythme normal, 18,8 % ont des horaires qui varient selon les jours, fixés par leur entreprise (contre 16,9 % en 2005). Plus d’un quart des ouvriers non qualifiés (26,6 %) n’apprennent pas les horaires du mois à venir, alors qu’ils n’étaient que 21 % en 2016. Sur la même période, la situation des cadres s’est progressée (16,4 % ne connaissaient pas leurs horaires, contre 24,3 % en 2006).

La souplesse se conduit aussi d’un plus grand contrôle du rythme de travail. La proportion de laborieux déclarant subir des rythmes contraints (cadence imposée, productivité, contrôle permanent, etc.) est passée, en dix ans, de 31,6 % à 35,2 %.

4 – La barrière des nouvelles technologies

Les usages liés aux nouvelles technologies évoluent très vite, mais restent inégalitaires. Si le téléphone portable est quasiment généralisé, seuls 66 % des plus pauvres disposent d’un ordinateur, contre 93 % des hauts revenus, selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc).

Le plus distinguant n’est pas la acquisition de matériel, mais surtout les usages. Or ceux-ci sont liés à l’âge et à la catégorie sociale : 93 % des cadres accomplissent des prospects administratifs sur Internet, mais c’est le cas d’uniquement 69 % des ouvriers et 62 % des retraités.

Finalement, l’Observatoire des différences rappelle qu’en 2018, 11 % de la population (et 16 % parmi les plus bas revenus) n’utilise pas du tout Internet, ce qui indique au total 6,4 millions de personnes.

5 – La télévision, miroir déformant de la société

Les inégalités sociales ne résident pas uniquement dans les revenus ou le taux de chômage, mais aussi dans des domaines plus symboliques, comme la clarté dans les médias. La crise des « gilets jaunes » a été l’occasion de donner la parole à des catégories sociales sous-représentées en temps normal à la télévision. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a ainsi accompli une étude en 2018, présentant que les cadres, qui n’évoquent que 9 % de la population française, employaient 60 % du temps d’antenne, alors que les employés, retraités et ouvriers sont sous-représentés.

6 – Treize ans de vie : l’écart entre riches et pauvres

La différence la plus cruelle concerne la santé. Selon une étude effectuée par l’Insee, les hommes aménageant du plus faible revenu ont une espérance de vie de 71,7 ans en moyenne – soit les niveaux des pays d’Asie ou d’Amérique du Sud –, contre 84,4 ans pour les 5 % les plus riches. L’écart devance aussi huit ans pour les femmes. Selon le rapport, ces différences sont liées à la difficulté accrue de certaines professions, mais aussi au coût élevé des soins. Ces chiffres peuvent aussi avoir une explication inverse : un faible niveau de revenus peut être la suite d’un accident du travail ou d’une longue maladie.

Droit de l’activité professionnelle, salariée ou indépendante 

« Les indépendants dont l’activité est médiatisée par des plates-formes bénéficient, par rapport aux salariés, de droits appauvris sur de multiples aspects : protection sociale, conditions de travail, risques financiers, etc. »
« Les indépendants dont l’activité est médiatisée par des plates-formes bénéficient, par rapport aux salariés, de droits appauvris sur de multiples aspects : protection sociale, conditions de travail, risques financiers, etc. » PW Illustration/Ikon Images / Photononstop
Jugeant, que l’article 20 de la loi mobilités n’apaisera pas à défendre les laborieux des plates-formes, le juriste Jacques Barthélémy et l’économiste Gilbert Cette conseillent d’utiliser les éventualités des ordonnances travail pour ouvrir de vraies contestations sociales.

Le projet de loi d’orientation sur les mobilités (LOM), en débat à l’Assemblée nationale, incite dans son article 20 les plates-formes digitales à prévoir des chartes « précisant les contours de leur responsabilité sociale, de manière à offrir des droits sociaux additionnels aux travailleurs indépendants qui ont recours à leurs services ». L’intention de cet article est sérieuse, mais cette approche doit être un premier (petit) pas vers une mutation plus radical.

Les indépendants dont l’activité est médiatisée par des plates-formes profitent, par rapport aux travailleurs, de droits appauvris sur de multiples aspects : protection sociale (pas de protection chômage), conditions de travail (pas de durée du travail maximum), rétributions (pas de revenu minimum équivalent au salaire minimum), droits essentiels (pas de recours possible aux prud’hommes en cas de déconnexion), risques financiers (apport fréquent de leur outil de travail)…

Malgré cela, ils peuvent, dans véritables cas, éprouver des conditions de subordination fortes, semblables à celles de salariés. Par exemple, dans le domaine des VTC ou de la livraison, il est habituel que la plate-forme donne des ordres et directives et puisse sanctionner le travailleur, ces sanctions allant de bonus-malus jusqu’à une déconnexion transitoire ou définitive. Ces éléments de faits ont d’ailleurs été retenus par la Cour de cassation dans un arrêt de novembre 2018 cassant la décision de la cour d’appel de Paris d’avril 2017 qui avait écarté un livreur de Take Eat Easy sollicitant sa requalification en salarié. L’affaire sera donc rejugée au fond devant la cour d’appel de renvoi.

Une situation complexe

La situation contemporaine est complexe. Ne rien faire serait autorisé que des laborieux parfois fermement subordonnés soient pénalisés par rapport aux salariés par des droits appauvris. On ne peut se contenter d’une telle injustice, qui abandonnerait d’ailleurs le juge décidé de requalifications en cas de subordinations trop prononcées. Avec le risque que des plates-formes ne soient dissuadées par ce risque juridique de prolonger leur activité – Take Eat Easy a d’ailleurs ainsi mis la clé sous la porte.

L’accroissement et l’emploi en seraient punis. D’autres plates-formes attendent que les progrès de la technologie les remettent du recours aux travailleurs : comment comprendre différemment qu’une entreprise comme Uber éprouve une bonne valorisation boursière (plus de 65 milliards de dollars) alors qu’elle accumule des pertes année après année ? Le véhicule autonome lui admettra, dans quelques années, de bénéficier de positions hégémoniques acquises dans de nombreuses villes sans être montrée au risque de requalification.

Aspen, groupe pharmaceutique, s’installe en France

Ligne de production dans l’usine Aspen de Notre-Dame-de-Bondeville (Seine-Maritime).
Ligne de production dans l’usine Aspen de Notre-Dame-de-Bondeville (Seine-Maritime). Aspen

L’entreprise a recouvré un site de GSK et y ajoute son revenu de produits injectables après un placement de 70 millions d’euros.

Une grande pelouse reçoit le visiteur. « Ici, était installé le plus ancien atelier de l’usine. On l’a supprimé après avoir abandonné la ligne de production de seringues dans un bâtiment tout neuf. On va y créer des zones de repos à destination des salariés et de leur bien-être. Nous voulons également installer une ruche », précise Vincent Philibert, le directeur des ressources humaines et de la communication de l’usine pharmaceutique d’Aspen à Notre-Dame-de-Bondeville (Seine-Maritime), un bourg au nord-ouest de Rouen. De quoi représenter la vie un peu plus douce aux quelque 750 personnes qui y travaillent.

Pas question pour autant de s’arrêter pour cette société pharmaceutique sud-africaine qui accomplit quelque 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 10 000 personnes partout dans le monde. « Depuis cinq ans, et le rachat du site à GlaxoSmithKline (GSK), il s’est passé plus de choses que lors des dix années précédentes cumulées. C’est frénétique ! », Déclare Jean-Charles Rousset, le DG français de l’usine.

Aspen ne lamente pas d’avoir choisi la France. Le sud-africain a investi pas moins de 70 millions d’euros dans le développement d’une récente ligne de remplissage de seringues préremplies de Fraxiparine, d’Arixtra et de Mono-Embolex, des anticoagulants utilisés pour combattre contre les faits thromboemboliques. Le site s’est pourvu d’un laboratoire d’évaluation sur les procédés, la caractérisation des produits. Plusieurs personnes y organisent l’industrialisation de nouveaux principes actifs.

165 millions de doses

Actuellement, l’usine manufacture quelque 165 millions de doses, et en exporte 92 % dans plus d’une centaine de pays. Et demain, la production devrait encore amplement progresser, autour d’un demi-milliard de produits injectables. L’unique usine française d’Aspen – l’un des trois sites de production européens de ce groupe créé en 1997 pour réaliser en Afrique du Sud des médicaments antirétroviraux contre le sida – est en pleine augmentation.

Plus de 90 millions d’euros de nouveaux investissements ont été réalisé depuis 2018

Plus de 90 millions d’euros de nouveaux investissements ont été réalisé depuis 2018 avec l’objectif d’embaucher près d’une centaine de personnes. « Dans un bassin industriel un peu chahuté, on trouve pas mal de candidats, notamment pour la maintenance de lignes de production », déclare M. Philibert.