« L’ENA doit admettre de bâtir une dominante fonction publique paritaire »

Les membres du bureau de l’association ENA 50-50 émettent une série d’offres qu’ils désireraient voir optées à l’occasion de la réforme en cours de l’ENA.

Alors que la haute fonction publique fait le concept de plusieurs critiques, la discussion autour de sa modification et de la suppression de l’ENA s’est focalisée ces derniers mois sur les demandes de différence sociale et géographique, laissant de côté celle de l’égalité femmes-hommes. Ainsi, si la lettre de mission de Frédéric Thiriez – l’ancien président de la Ligue de football professionnel, choisi par le Président de la République pour changer la haute fonction publique – met en avant la nécessité de « mettre fin aux biais de sélection qui entravent l’accès à la haute fonction publique de talents issus d’horizon divers », elle ne mentionne la parité que de manière incidente, en vue de dynamiser les parcours de carrière des agents. Pourtant, comment accéder l’égalité femmes-hommes dans l’accès aux emplois supérieurs de l’Etat sans faire la question de la formation des hauts fonctionnaires et de la parité au sein des viviers ?

Le fait est connu – et nous l’avions rappelé en décembre 2018. A l’entrée à l’ENA, les femmes demeurent minoritaires, avec seulement 36,25 % des admissions en 2018 et 38,75 % en 2017. A la sortie, elles sont moins abondantes à se mener vers la diplomatie (2 femmes sur les 12 postes ouverts ces trois dernières années) ou la préfectorale (7 femmes sur 24 élèves ayant élu le ministère de l’intérieur durant la même période), et cela sans parler des inégalités qui demeurent dans l’accès aux « grands corps » (depuis 2017, seules 3 femmes sur 15 élèves sont sorties à l’Inspection générale des finances). Après, elles n’occupent que 28 % des emplois de l’encadrement supérieur et conduisant de la fonction publique d’Etat.

Divers mesures mis en place ces dernières années ont essayé d’y corriger. Depuis 2016, l’ENA sensibilise les jurys des concours d’entrée aux biais sociaux et à la lutte contre les discriminations. Notre association, ENA 50-50, a mis en place depuis trois ans un mécanisme de coaching des candidates afin de lutter contre l’autocensure. Au sein de la fonction publique d’Etat, la loi Sauvadet de 2012 a exigé des règles de nomination équilibrée aux emplois supérieurs et de direction (40 % de primo-nominations de chaque sexe depuis 2017).

Malgré cela, force est d’enregistrer qu’à l’heure actuelle, ces mesures restent insuffisantes. La réforme de la haute fonction publique expliquée par Emmanuel Macron fournit un évènement unique de faire de l’égalité femmes-hommes un principe structurant. A l’inverse, il serait inconcevable et contraire aux engagements de la France à l’international, ainsi qu’à l’ambition du gouvernement, que, faute d’avoir assimilé à son analyse l’égalité femmes-hommes, déclarée grande cause du quinquennat, une telle réforme renforce les différences déjà existantes.

Une malade morte à l’hôpital Lariboisière : des problèmes aux urgences confirmés

L’entrée de l’hôpital Lariboisière, dans le 10e arrondissement de Paris.
L’entrée de l’hôpital Lariboisière, dans le 10e arrondissement de Paris. THOMAS SAMSON / AFP

Micheline M. avait été retrouvée décédée douze heures après son arrivée à l’hôpital. Une information judiciaire a été ouverte le 18 mars. L’autopsie révèle que la victime est morte d’une méningite.

L’enquête judiciaire ouverte suite à la mort de Micheline M., 55 ans, une malade découverte après douze heures d’attente sur un brancard, fin 2018, à l’hôpital Lariboisière à Paris, rentrent en retentissement avec la crise qui secoue les services d’urgence.

Cette enquête met au jour un ensemble de difficultés : la « saturation » des obligations ce jour-là, incluant « une charge de travail très importante », aurait conduit au non-respect du protocole de prise en charge de la malade décédée, déplient aux enquêteurs les personnels hospitaliers.

La famille a déposé plainte

Cette enquête permet de rétablir précisément la succession des faits qui a conduit à la mort de cette employée de la police municipale, originaire de Martinique.

Selon l’expertise d’autopsie, les causes de la mort de Micheline M. sont « compatibles » avec une méningite. « Cette infection bactérienne, rare et alarmante, est fatale dans 10 % des cas », déclare un médecin. S’agissant de la victime, cette infection a atteint les poumons, soutenant un œdème pulmonaire, corollaire de son oppression, définit le rapport d’autopsie.

La famille de la disparue a déposé plainte, le 14 janvier, pour « homicide involontaire » et « omission de porter secours à personne en danger », et une information judiciaire a été initier le 18 mars. Les proches de la disparue se sont formés partie civile le 16 avril.

Mauvaise identité

Le 17 décembre 2018, Micheline M. souffrant depuis la veille de malaises aux mollets et de maux de tête, décide d’aller au centre médical de Stalingrad, non loin de chez elle, dans le 19e arrondissement de Paris. Il est 18 heures quand elle fait un malaise devant l’hôpital, sur le point de fermer. S’appuyant à un tabouret, elle réclame, « tremblante », d’être reçue par un médecin, en vain. Alors qu’elle souhaite rentrer se reposer chez elle, un agent de sécurité appelle les pompiers, qui arrivent sur place vers 18 h 20. A ce moment, Micheline M., qui n’avait pas consulté de médecin depuis février 2017, « semble souffrante mais pas plus que cela », explique aux enquêteurs le pompier qui l’a prise en charge.

Pétrole : les perdants de l’union entre Technip et FMC

L’ancien patron de Technip, Thierry Pilenko (à droite), et l’actuel PDG de TechnipFMC, Doug Pferdehirt (ici en mai 2016, à Paris).
L’ancien patron de Technip, Thierry Pilenko (à droite), et l’actuel PDG de TechnipFMC, Doug Pferdehirt (ici en mai 2016, à Paris). Charles Platiau / REUTERS

En moins de deux ans, Technip, fleuron français de l’ingénierie pétrolière, est passé sous pavillon américain. Une condition qui éveille la glaire de nombre de travailleurs.

« C’est le petit poisson qui a pris le contrôle du gros. Pour dire les choses simplement : on s’est fait rouler dans la farine par les Américains ! » Deux ans après l’union entre la société française d’ingénierie pétrolière Technip et l’équipementier texan FMC Technologies, cet affaire amer d’un ancien cadre dirigeant est le sentiment de plusieurs travailleurs.

L’assemblage entre les deux entités était exposé en 2017 comme « un mariage entre égaux » par le estimé PDG de Technip, Thierry Pilenko. Plusieurs hauts responsables et ex-salariés français du groupe ont autorisé de partager, de manière anonyme, leur pratique de cette union. Ils racontent comment une PME texane a graduellement avalé un fleuron français deux fois plus gros qu’elle.

Malgré cela, l’histoire n’était pas écrite à l’avance. Lors de l’union, Technip a un chiffre d’affaires de 13,5 milliards d’euros, contre 6,6 milliards pour FMC. Son carnet de commandes est quatre fois plus important. Uniquement le produit du texan est plus dominant.

Une société à part

Pour concevoir ce changement, il faut affermir à la crise pétrolière de 2015. Après des années de pétrole cher, qui ont vu les décisions géantes se multiplier, les cours diminuent cruellement. Les sociétés du secteur demandent de leurs fournisseurs des diminutions de coût colossales et réduisent la voilure sur les projets.

A la tour Technip, à la Défense, l’avenir s’écrit en noir : 6 000 postes sont effacés sur un effectif de 38 000 travailleurs dans le monde. Thierry Pilenko craint que la société termine par être avalée par une entreprise plus forte. Il se rapproche alors de FMC Technologies, avec lequel le groupe est déjà associé, et va porter le sujet au ministre de l’économie de l’époque, un certain… Emmanuel Macron. L’Etat est en effet encore actionnaire de Technip dans les 5,3 % par le biais de la Banque publique d’investissement.

« Personne n’a cru à la fusion entre égaux (…) Personne n’était dupe. On savait que ça allait dériver vers une absorption », se rappelle un ancien dirigeant ministériel

Il faut dire qu’il s’agit d’une société à part : Technip a été conçu comme un monopole en 1958 sous l’élan directe du général de Gaulle, avec l’appui de l’Institut français du pétrole (IFP). Moquerie de l’histoire : l’entreprise avait été créée dans le but accepté de rejoindre les Etats-Unis sur le plan technologique.

L’international, très estimée par les professionnels du digital

Guillaume Santacruz, un jeune entrepreneur français, a rejoint Campus London, un espace de coworking destiné aux start-up.
Guillaume Santacruz, un jeune entrepreneur français, a rejoint Campus London, un espace de coworking destiné aux start-up. ANDREW TESTA/The New York Times-REDUX-REA

A l’occasion du Forum Expat, un regard sur la vie et les souhaits des Français de l’étranger. Près de 20 % des Français consultés dans une récente étude d’ADP envisagent d’aller œuvrer à l’étranger au cours des deux prochaines années. Mais les circonstances n’y sont nombreuses que dans quelques secteurs, comme l’IA la robotique ou le marketing digital.

L’émigration se porte bien. Le nombre des français à l’étranger n’a cessé de croître, de 3,24 % par an en moyenne sur dix ans. En 2018, elle marque le pas, en diminution de 1,05 %, mais c’est un repli souvent remarqué après une année électorale. Quelque 3 millions de Français sont installés, dont 1,8 million étaient inscrits au 31 décembre 2018 au registre des Français de l’étranger (tous les Français ne s’affirment pas au consulat). Un tiers sont âgés de moins de 25 ans.

Près de la moitié des expatriés français sont introduits en Europe et plus de 20 % en Amérique. Les pays où la présence française conformément consignée par le ministère des Affaires étrangères est la plus forte sont, dans l’ordre, la Suisse, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne et le Canada.

On remarque une partie de ces pays parmi les buts les plus estimés par les émigrés de toutes nationalités qui désirent activer leur évolution professionnelle. Selon la 11e édition de l’étude Expat Explorer, faite par HSBC et diffusée en janvier, l’Allemagne, le Bahreïn et le Royaume-Uni sont le top 3 des destinations mondiales où fonder une carrière internationale. En France, ce que les expatriés plébiscitent, c’est plutôt l’équilibre vie privée-vie professionnelle.

Hors zones frontalières, peu d’offres

Selon la dernière étude ADP sur le marché du travail en Europe (The Workforce View in Europe 2019, effectuée en octobre 2018 auprès de 10 585 salariés en Europe, dont 1 410 en France), près de 20 % des Français consultés voient de déménager à l’étranger pour travailler au cours des deux prochaines années, et, parmi eux, 4,9 % y songent très fortement. Les plus nombreux étant les 25-34 ans.

Sur le marché de l’emploi, « l’international est une niche. Le recrutement comme la recherche d’emploi à l’étranger concernent une toute petite partie des Français », déclare Jérôme Armbruster, créateur et PDG d’HelloWork, un site d’emploi qui vient de s’ouvrir à l’international avec le rachat, en 2018, de la start-up Jobijoba. « A l’international, il n’y a pas un volume considérable d’offres d’emploi de cadre, et on ne voit pas réellement d’augmentation, sauf sur les zones frontalières. L’expatriation est encore un marché de niche », ajoute Bertrand Hébert, le DG de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC).

Mais, pour quelques jobs, l’international est devenu un nouveau terrain de recherche. Soixante-seize pour cent des experts digitaux français – IA, marketing digital, robotique– seraient ainsi prêts à s’écarter pour étendre leur carrière, publie une étude du Boston Consulting Group (BCG) diffusée en mai. La tendance est mondiale pour les compétences digitales : 67 % des 26 806 salariés de 180 pays qui ont répondu à l’étude Decoding Digital Talent seraient ainsi prêts à s’expatrier. Une exception de taille, toutefois : « En Chine, moins d’un expert digital sur quatre envisagerait une telle démarche », déclare le BCG.

 

Les candidats font « jouer la concurrence »

Les distances de taux de chômage d’un pays à l’autre, bien qu’importants – 8,8 % de chômage en France, 3,6 % aux Etats-Unis, 3,9 % au Royaume-Uni – ne développent pas grand-chose. Les volontaires au départ, qui sont majoritairement des hommes (68 %) diplômés (80 %), accordent davantage d’importance au contenu de la mission et au développement de leurs compétences qu’à la sécurité de l’emploi.

« Conscients de l’obsolescence de leurs compétences, les experts digitaux attendent de l’entreprise qu’elle leur offre un terrain d’expérimentation et les moyens de continuer à apprendre. Ces talents sont une population très mobile, qui n’hésite pas à faire jouer la concurrence entre employeurs ou territoires, explique Vinciane Beauchene, directrice adjointe au BCG. Actuellement, il est essentiel pour les entreprises et les gouvernements de se pencher sur la question de leur attractivité vis-à-vis de ces talents du numérique », assène-t-elle. Dans ces métiers numériques, les Français qui s’expatrient gardent une préférence pour les pays francophones, la Suisse restant leur destination favorite.

Plus de 5 000 personnes considérées au Forum Expat 2019

Le Forum Expat aura lieu les 12 et 13 juin au Carreau du Temple, à Paris. Cet événement créé par Le Monde en 2013 réunit des acteurs économiques, universitaires et diplomatiques pour répondre aux enjeux de la mobilité internationale : comment arranger son départ et surtout son retour ? A quelle protection sociale se vouer ? Comment construire son patrimoine ?

Cette  édition structurée autour de trois thématiques – mobilité professionnelle, gestion de patrimoine et vivre au quotidien – déchiffrera l’expatriation selon les motivations de départ : pour se former en Allemagne, pour travailler au Canada, pour investir à l’île Maurice.

Le Forum fera deux focus sur l’Europe, destination favorisée pour plus de 50 % des expatriés français : l’un sur la République tchèque et l’autre sur l’impact du Brexit. Une dizaine de destinations seront dûment représentées : les Etats-Unis, l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne, la République tchèque, le Royaume-Uni, l’île Maurice, le Canada et la Nouvelle-Zélande.

Le mercredi 12 juin de 10 heures à 21 heures et le jeudi 13 juin de 10 heures à 18 heures. Au Carreau du Temple, 4, rue Eugène-Spuller, 75003 Paris. Entrée gratuite, inscription sur www.leforumexpat.com

Crise de l’ENA en 1979

Le professeur de gestion Mario d’Angelo rappelle, que la suppression de l’ENA et des grands corps de l’Etat existait déjà dans les offres du sociologue Michel Crozier pour une réforme de l’action publique, il y a quarante ans.

La nouvelle annonce présidentielle de retirer l’Ecole nationale d’administration (ENA) et les « grands corps » de l’Etat rétablit sur le métier une réforme souvent rappelée par le passé, dont les sources datait en fait à 1979.

Il y a quarante ans en effet, le sociologue des organisations Michel Crozier (1922-2013) proclamait un essai désigné On ne change pas la société par décret (Grasset, coll. « Pluriel »). Il y trace les bordures d’un « vrai changement », apercevant surtout de changer les grandes écoles et leurs classes préalables (les « prépas »), de retirer l’ENA, les grands corps de l’Etat et les concours de la fonction publique.

Des conduites de déviation

L’auteur de ces offres était alors déjà internationalement connu pour ses analyses de la bureaucratie présentées dès 1964 aux Etats-Unis et en France, et pour son essai La société réunie (1970), qui avait fermement inspiré le courant réformiste en France.

Une relecture de Crozier reste donc d’actualité, non uniquement par rapport à la cession de l’ENA mais, plus amplement, par rapport à la capacité d’ajuster le mode d’action publique en France.

Les thèses de Crozier immobilisent sur le constat essentiel que la société française se définit par des comportements d’évitement. Aux rapports de face-à-face, à la communication directe, les Français favorisent l’administration par les prescriptions impersonnelles. Cette impersonnalité satisfait d’abord les aspirations d’égalité et la peur de l’arbitraire d’un décisionnaire trop proche. On exclut ainsi la possibilité de soutenir des solutions distinguées en fonction des problèmes.

Pour l’auteur du Phénomène bureaucratique (1963), ce mode de fonctionnement affermit dans la machine politico-administrative une concentration qu’il caractérise par les prises de décision espacées du niveau où se posent les problèmes, soit que ces niveaux sont dénués pour le faire, soit qu’ils n’osent prendre des décisions et en endosser l’implication de peur d’être rattrapés par des circuits parallèles qui s’adressent immédiatement au sommet du système.

Le besoin d’égalité en cause

Crozier contemple que c’est l’exigence d’égalité qui a nourri cette stratification poussée entre des niveaux entourés les uns aux autres. Une bonne illustration en est donnée par les concours de la fonction publique. Bases du recrutement public, ils veulent garantir l’égalité et le moins d’arbitraire possible en soutenant sur de la connaissance standardisée, et ne permettent par conséquent que peu de portée aux capacités et potentiels des candidats, principes de sélection résolus trop subjectifs.

La lente destruction de l’attractivité anglaise

En 2018, 201 000 Européens se sont installés au Royaume-Uni (la moitié pour y travailler) et 127 000 en sont partis.
En 2018, 201 000 Européens se sont installés au Royaume-Uni (la moitié pour y travailler) et 127 000 en sont partis. JUSTIN TALLIS / AFP
A l‘occasion du Forum Expat, les 12 et 13 juin à Paris, voici un regard sur la vie et les aspirations des Français de l’étranger. Le Royaume-Uni, éternellement dans le top 3 des candidats au départ dans les enquêtes d’opinion, saisit de plus en plus d’expatriés rentré au pays.

Lors d’un cocktail à l’ambassade de France à Londres, début juin, après une remise de décoration. Un groupe d’expatriés de longue date parle. Brusquement, la conversation détourne vers les départs que chacun aperçoit autour de soi. « Ceux qui sont dans de grandes entreprises ne bougent pas vraiment, mais ceux qui sont à leur compte, ou qui peuvent se le permettre, commencent à partir, témoigne une Française installée à Londres depuis trente ans. Avec le Brexit, tout le monde se pose la question. »

Depuis le suffrage sur la sortie de l’Union européenne, en juin 2016, le Royaume-Uni captive moins. S’il n’y a pas eu d’émigration, des émigrés débutent à quitter le pays au compte-gouttes. Aujourd’hui, pour eux, c’est un fait de verre à moitié plein ou à moitié vide. Avec ses salaires captivants, son cadre de vie plaisante, son chômage au plus bas et sa langue anglaise, le pays reste l’un des plus séduisants au monde. Mais il l’est beaucoup moins qu’autrefois.

Les chiffres sur Indeed.fr, un site de recherche d’emploi, sont parlants. L’année dernière, 10,9 % des recherches accomplies en France pour un poste à l’étranger s’orientaient vers le Royaume-Uni, installant le pays en troisième position (loin derrière la Suisse, à 32 %, et juste derrière les Etats-Unis, 11,9 %). Il s’agit cependant d’un recul d’un demi-point par rapport à l’année précédente. « Le Royaume-Uni voit son attractivité se réduire et les recherches sont de plus en plus limitées au domaine de la finance et aux contrats de stage », déclare Alexandre Judes, d’Indeed.

Le Bureau britannique des statistiques réaffirme cette tendance de fond. En 2018, 201 000 Européens se sont établis au Royaume-Uni (la moitié pour y travailler) et 127 000 en sont partis. Le solde net, soit 74 000 personnes, est deux fois et demie moindre qu’au moment du scrutin et atteint son plus bas niveau depuis 2012, quand le pays se restituait à peine de la crise financière.

Un solde migratoire historiquement dominant

La prédisposition est donc à un fort retard. Il s’agit cependant d’un flux positif vers le Royaume-Uni. En additionnant les non-Européens, le solde migratoire du pays était de 258 000 personnes en 2018, ce qui reste un niveau historiquement élevé et… quatre fois et demi plus haut qu’en France.

Le réseau social LinkedIn fait la même remarque. Depuis mi-2017, le nombre d’Européens membres du réseau qui ont renoncé le Royaume-Uni stabilise le nombre d’arrivées. Au contraire, il reste un flux positif de non-Européens. « Notre analyse est que le Royaume-Uni est devenu un endroit moins attirant qu’autrefois pour les chercheurs d’emploi qui habitent dans les autres pays de l’Union européenne », selon LinkedIn.

La dessiccation des émigrés européens ne vient exclusivement pas d’un quelconque retard du marché de l’emploi. Outre-Manche, le chômage n’a jamais été aussi bas depuis quarante ans, désormais à 3,8 %, un point de moins qu’au moment du référendum.

Par contre, la chute de la livre sterling, de 15 % par rapport à l’euro depuis trois ans, rend les salaires beaucoup moins concurrentiels. L’impact est particulièrement fort pour les Européens de l’Est, arrivés en très grand nombre depuis l’entrée de huit pays de cette zone dans l’UE, en 2004. Pour les Polonais particulièrement, qui œuvrent en grand nombre dans les exploitations agricoles, les usines et les maisons de retraite, le Royaume-Uni est désormais moins intéressant.

Des anxiétés sur le statut des travailleurs européens

L’anxiété qui entoure le statut des Européens post-Brexit pèse aussi lourdement. Tous les citoyens des Vingt-Sept membres de l’UE résidant maintenant au Royaume-Uni conserveront en principe les mêmes droits. Mais les incertitudes à répétition du gouvernement britannique sur le sujet, qui a soufflé le chaud et le froid, n’ont pas aidé à tranquilliser.

Ces aléas sauraient malgré cela n’être que temporaires. Le Brexit n’est pas encore effectif (son entrée en vigueur, déjà repoussée deux fois, doit en principe avoir lieu le 31 octobre) et sa forme reste à amener. S’il se passe bien, le pays pourrait brusquement redevenir captivant. Une étude de HSBC proclamée en janvier installait même le Royaume-Uni en troisième position des pays les plus plébiscités par les expatriés en quête de nouveaux défis professionnels, derrière l’Allemagne et le Bahreïn. Etrangement, il s’agissait d’une forte amélioration par rapport à la neuvième place des années 2016 et 2017. Si le résultat de ce genre d’enquête (auprès de 22 000 expatriés dans 168 pays) est à prendre avec des pincettes, il prouve que les forces du Royaume-Uni dépassent amplement la condition politique actuelle.

Plus de 5 000 personnes espérées au Forum Expat 2019

Le Forum Expat aura lieu les 12 et 13 juin au Carreau du Temple, à Paris. Cet événement réunit des acteurs économiques, universitaires et diplomatiques pour répondre aux défis de la mobilité internationale : comment organiser son départ et surtout son retour ? A quelle protection sociale se vouer ? Comment bâtir son patrimoine ?

Cette 7e édition structurée autour de trois thématiques – mobilité professionnelle, gestion de patrimoine et vivre au quotidien – décryptera la migration selon les motivations de départ : pour se former en Allemagne, pour travailler au Canada, pour investir à l’île Maurice.

Le Forum fera deux focus sur l’Europe, destination favorisée pour plus de 50 % des émigrés français : l’un sur la République tchèque et l’autre sur l’impact du Brexit. Une dizaine de destinations seront conformément représentées : le Portugal, l’Allemagne, la  Nouvelle-Zélande, l’Espagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la République tchèque, l’île Maurice et le Canada

Le mercredi 12 juin de 10 heures à 21 heures et le jeudi 13 juin de 10 heures à 18 heures. Au Carreau du Temple, 4, rue Eugène-Spuller, 75003 Paris. Entrée gratuite, inscription sur www.leforumexpat.com

 

L’importance de la maîtrise de l’anglais au travail

Je suis une quiche en anglais.

Je suis une quiche en anglais.Plusieurs jeunes actifs sont bloqués par leur faible niveau d’anglais. Des manques pénibles à garantir dans plusieurs secteurs, où la maîtrise de la langue de Shakespeare est devenue nécessaire. Heureusement, il y a Google Trad.

Noémie, 26 ans, avec son bac + 5 issue d’une école de communication, travaille dans la tech, et excelle dans l’art de parler vite et bien. Mais lorsqu’il faut « switcher » en anglais, elle adapte plutôt l’art de l’échappe, voire du sourire béat quand l’accident approche. « L’anglais, c’est comme le bac, faut l’avoir. Si tu l’as pas, c’est la honte, et tu te sens exclu. »

Exprimée par son expérience à la Walt Disney Company, en région parisienne, elle rit aussi de son espacement face à la «pensée out of the box» de ­l’entreprise américaine. « Moi, j’étais out tout court ! Je me souviendrai toute ma vie d’une réunion marketing à laquelle je n’ai strictement rien compris. Je me suis trouvée bête. On m’avait recrutée comme si parler anglais coulait de source, alors qu’il m’était impossible d’arriver à la cheville de mes collègues. »

Stress récurrent

Comme Noémie dans l’univers de Mickey Mouse, plusieurs jeunes ­actifs font de l’anglais un complexe qu’ils tentent de dissimuler. Et si le phénomène est péniblement quantifiable – les passionnés préférant ne pas trop se présenter –, il n’en est pas moins universel. Si les anglicismes squattent nos mails et nos réunions parfois jusqu’à l’absurde, ils ne sont en rien comparables à la nécessité de dialoguer en anglais, source réelle de souffrance au travail pour celui qui n’a pas le niveau attendu. Du simple échoué au quiproquo, certaines situations peuvent générer un stress récurrent.

La loi Toubon de 1994, proportionnelle à l’emploi de la langue française, a pris quelques rides, comme le développe Jérôme Saulière, polytechnicien, qui a soutenu sa thèse de doctorat en 2014, intitulée « Anglais correct exigé : dynamiques et enjeux de l’anglicisation dans les entreprises françaises ». « Actuellement, elle n’est ni appliquée ni applicable, dit-il. Au lieu de fermer les yeux, on devrait se ­concentrer sur une gestion plus fine de l’utilisation des langues en entreprise. Cela serait salutaire pour tout le monde : pour la performance de la boîte et pour le bien-être des salariés. »

« Je participe à un jeu d’acteurs, mes chefs ne pourraient jamais imaginer que je suis une bille en anglais ! », Noémie, employée dans une start-up

Juste avant notre entretien, Noémie a été sollicitée pour « inviter un speaker à un meet-up ». En anglais, forcément. « Je n’ai rien dit mais ça va me demander le double de boulot », déclare-t-elle. Une charge pèse sur le quotidien de ces jeunes : l’anglais évoque un « must have », une évidence ; « le sens de l’histoire », diront certains. « C’est super dur à assumer, surtout quand on est issu de cette génération censée être bilingue, continue Noémie. Je collabore à un jeu d’acteurs, mes chefs ne pourraient jamais imaginer que je suis une bille en anglais ! » Le plus fréquemment, la jeune femme ruse grâce à deux astuces, classiques mais efficaces : Google Trad et l’appel à un ami. « J’en rigole mais quand tu n’as pas le bon logiciel, tu te sens moins crédible, moins légitime. Ça crée un sentiment d’infériorité. »