Au ministère du travail, le blues des agents face au « démembrement » de leurs services

Créée en 1906, cette administration est confrontée à la baisse récurrente de ses moyens humains (− 2,6 % par an jusqu’en 2022). Mais l’inquiétude vient aussi de la réorganisation des services, notamment de l’inspection du travail.

Par Publié aujourd’hui à 06h29

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Créé il y a presque 113 ans, le ministère du travail est en pleine réforme structurelle, un « démembrement » pour nombre d’agents en poste.
Créé il y a presque 113 ans, le ministère du travail est en pleine réforme structurelle, un « démembrement » pour nombre d’agents en poste. CC BY-SA 3.0

Il y a presque cent treize ans, le ministère du travail voyait le jour. Cet « organisme » fut, en effet, fondé le 25 octobre 1906, en assemblant « des services épars pour former une administration distincte », selon les mots employés à l’époque par Georges Clemenceau, à l’initiative de cette réforme alors qu’il venait d’être nommé président du Conseil. Aujourd’hui, bon nombre d’agents en poste dans ce compartiment de l’appareil d’Etat ont l’impression d’assister à son « démembrement ».

C’est le constat, unanime, que dressent huit syndicats qui y sont implantés. Fait plutôt rare dans ce secteur de la fonction publique, les huit organisations en question se sont coalisées, quelques jours avant la coupure estivale, pour dénoncer les évolutions en cours : manifestation à Paris, mouvements de grève un peu partout en France… Si la mobilisation, orchestrée le 26 juin fut peu suivie, les inquiétudes n’en sont pas moins bien réelles.

A l’origine de cette poussée d’angoisse, il y a tout d’abord la problématique – récurrente – des moyens humains. Déjà orienté à la baisse depuis plusieurs exercices (tout comme dans la majorité des services de l’Etat), le nombre d’agents affectés au ministère du travail va poursuivre sa diminution : − 2,6 % par an jusqu’en 2022. Les syndicats en ont eu la confirmation, le 16 juillet, lors de la réunion d’un comité technique ministériel (CTM) – une instance de représentation du personnel. « On ne peut pas se réjouir de cette décroissance », commente Henri Jannes (CFDT). « La saignée continue », renchérit Laurent Lefrançois (Force ouvrière).

« Plan social » inavoué

La baisse est très nette, par exemple pour l’inspection du travail : fin 2018, il y avait près de 1 900 agents de contrôle (inspecteurs et contrôleurs), un chiffre en recul de 15,6 % en huit ans, même s’il est reparti un peu à la hausse depuis 2017, d’après les données remises durant le CTM de la mi-juillet. Petit à petit s’installe l’idée que, en moyenne, un agent de contrôle couvrira environ 10 000 salariés, soit une charge plus lourde qu’auparavant d’après plusieurs organisations de fonctionnaires. D’autres sources au ministère font remarquer que le ratio de 1 pour 10 000 constitue non pas un objectif mais une simple référence à ne pas dépasser, comme le préconise le Bureau international du travail.

« La grève chez Deliveroo vient s’ajouter à la longue liste des mobilisations sociales dans l’économie numérique »

Le chercheur Christophe Degryse rappelle, dans une tribune au « Monde », que les youtubeurs de Google, les caristes d’Amazon, les modérateurs de Facebook, les chauffeurs d’Uber, ont eux aussi inventé des formes inédites de conflit social pour faire entendre leurs revendications

Publié aujourd’hui à 06h00 Temps de Lecture 4 min.

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« Il peut sembler paradoxal que ce soit dans ces entreprises technologiques que l’on trouve des pratiques sociales d’avant la création de l’OIT ».
« Il peut sembler paradoxal que ce soit dans ces entreprises technologiques que l’on trouve des pratiques sociales d’avant la création de l’OIT ». JACQUES DEMARTHON / AFP

Tribune. La grève perlée des coursiers Deliveroo dans plusieurs grandes villes françaises vient s’ajouter à la liste chaque jour plus longue des mobilisations sociales menées dans les entreprises stars de l’économie numérique. La courte histoire de Deliveroo et d’Uber est déjà émaillée de multiples campagnes, d’actions collectives et de grèves un peu partout dans le monde. Ce sont tour à tour les conditions de travail, le statut du travailleur, les rémunérations, le non-accès aux droits sociaux qui y sont dénoncés.

Au-delà de Deliveroo et d’Uber, les youtubeurs de Google tentent aussi de s’organiser. La campagne FairTube actuellement en cours vise à obtenir plus de justice et de transparence pour les créateurs de vidéos. Les modes de rémunération de ces youtubeurs sont en effet opaques et les décisions que Google s’autorise à prendre, notamment en matière de démonétisation de vidéos dans certains pays sans explications claires (autres que : « Contenu non adapté aux annonceurs »), affectent directement les revenus des créateurs.

Chez Amazon, ce sont les travailleurs des grands entrepôts qui dénoncent de plus en plus ouvertement leurs conditions de travail et tentent de s’organiser, y compris aux Etats-Unis. Les algorithmes de la firme licencient automatiquement les travailleurs insuffisamment productifs (« Amazon’s system can automatically fire its warehouse workers », « The Download », MIT Technology Review, 26 avril 2019). Amazon se défend en payant certains de ses employés pour qu’ils tweetent sur leurs si enviables conditions de travail, dans l’espoir de freiner une poussée de syndicalisation.

Syndromes de stress post-traumatiques

Et l’on peut multiplier les exemples, à l’image des microtravailleurs de plates-formes, souvent très mal rémunérés pour nettoyer, classer et étiqueter des données utilisées par l’intelligence artificielle, ou pour venir en aide aux assistants virtuels de Google Duplex qui ont encore un grand besoin de petites mains. Que dire encore de ces armées de modérateurs de contenu de Facebook qui visionnent jour après jour, pour les bloquer, des contenus si violents qu’ils en subissent des syndromes de stress post-traumatiques ?

Ces plates-formes trouvent dans la technologie et dans les failles du droit social national matière à pratiquer une forme d’« évasion sociale »

De l’échec scolaire au secteur de la propreté, le grand nettoyage d’Hélène

Deuxième Chance (1/6). Après plusieurs formations avortées, la jeune Bretonne est passée par un établissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide). Et s’est réalisée dans un domaine sur lequel elle n’aurait pas parié : le nettoyage.

Par Publié aujourd’hui à 14h33

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Hélène Da costa, ici à l’Institut national de l’hygiène et du nettoyage insdustriel,  sur le Campus de Ker Lann, à Bruz, dans l’Ille-et-Vilaine, le 21 juin.
Hélène Da costa, ici à l’Institut national de l’hygiène et du nettoyage insdustriel,  sur le Campus de Ker Lann, à Bruz, dans l’Ille-et-Vilaine, le 21 juin. THIERRY PASQUET POUR LE MONDE

Dans la cour d’un ancien lycée agricole délabré, une quarantaine de jeunes en uniforme bleu marine et rouge se tiennent au garde-à-vous, en rangs serrés. Autour, c’est la forêt armoricaine, il n’y a rien à part une maison de retraite de pères salésiens. Pas de 4G ni de Wi-Fi, et la bretelle vers la route de Guingamp est à plusieurs kilomètres. Bienvenue à l’établissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide) de Lanrodec, dans les Côtes-d’Armor. Dans cet internat rural et spartiate, des jeunes sans diplôme ni emploi viennent chercher, pendant quelques mois, un cap pour leur vie.

Hélène Da Costa y a passé une bonne partie de l’année 2014. Fin mai, nous nous sommes y rendus avec la jeune femme, aujourd’hui âgée de 24 ans. A l’heure du déjeuner, la directrice de l’Epide, Laurence Zellner, a rendu hommage à sa trajectoire, devant l’assemblée des pensionnaires alignés sous les paniers de basket. Puis Hélène a pris la parole. « Je vais vous raconter un truc. Quand je suis arrivé à l’Epide, j’ai dit à ma conseillère : Je ne nettoierai jamais la merde des autres. Aujourd’hui, je passe mes journées à faire ça. » Gloussements dans les rangs. Hélène a appris à en rire. Dans le monde de l’hygiène et du ménage, cette jeune femme a trouvé sa voie, mais aussi une source de fierté. « C’est pas dégradant, au contraire. »

« Vous avez frôlé la perfection »

En 2016, elle remportait le titre national de Meilleure apprentie dans le domaine de la propreté, au concours organisé par la Société des meilleurs ouvriers de France. Un souvenir fantastique, et de belles tranches de rigolade dans la Clio de Gwezennec, le formateur qui transportait la petite équipe sur le lieu de la finale, à Périgueux. Hélène devait laver de fond en comble trois pièces en un temps limité. Verdict du jury : « Vous avez frôlé la perfection. »

« Les sols, direct, je sais ce qu’il leur faut. Les gens disent que je suis la fille qui murmure à l’oreille des sols. » La jeune femme – queue-de-cheval, baskets, blouson en cuir et bijoux fantaisie – sort son téléphone, et montre des photos d’une chambre d’hôpital, impeccable. C’est propre, ça brille. Ses responsables l’en félicitent. Et ça lui fait du bien. « Je me dis : c’est grâce à moi, que je n’ai pas servi à rien. »

Nettoyer des sols, rafraîchir des chambres, et désormais orchestrer une équipe d’agents chargés du ménage : c’est ce que fait Hélène de 5 h 30 à 12 heures, au CHU de Rennes. Au contact des malades, « qui se confient à nous parce qu’ils savent qu’on va pas les embêter avec des piqûres ou des médicaments », Hélène a découvert une sensation qui lui manquait dans sa vie : « la douceur ». « Maintenant, quand quelqu’un me parle mal, je ne lui en veux pas. »

A Paris, des livreurs Deliveroo réclament « un minimum horaire au niveau du smic »

Une trentaine de livreurs se sont rassemblés samedi soir dans la capitale pour protester contre la nouvelle grille tarifaire imposée par la plate-forme de livraison de repas à domicile.

Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 22h26

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Rassemblement de livreurs Deliveroo, place de la République à Paris, samedi 10 août.
Rassemblement de livreurs Deliveroo, place de la République à Paris, samedi 10 août. JACQUES DEMARTHON / AFP

Comme la semaine dernière et comme mercredi, ils se sont réunis dans la soirée, un peu avant l’heure du dîner, pour dénoncer une baisse de leur rémunération. Une trentaine de livreurs Deliveroo se sont rassemblés samedi 10 août en fin de journée place de la République à Paris pour protester contre la nouvelle grille tarifaire imposée par la plate-forme britannique de livraison de repas à domicile.

Arrivés à vélo ou en scooter, ils répondaient à l’appel du collectif des livreurs autonomes parisiens (CLAP 75). Son prédisent, Jean-Daniel Zamor, a fait état de « plusieurs rassemblements » dans la capitale, en vue de « bloquer les restaurants » travaillant avec Deliveroo pour « impacter leur chiffre d’affaires ». L’objectif est de « maintenir le mouvement jusqu’en septembre » pour contraindre l’entreprise à « négocier un minimum horaire garanti au niveau du smic », a-t-il assuré.

Lire le reportage : « Parfois 2 euros pour une course, c’est quoi ça ? » : grève des livreurs de Deliveroo à Paris

Décision unilatérale

La nouvelle grille tarifaire mise en place par Deliveroo prévoit la suppression du tarif minimal, accompagnée d’une baisse sur les courses les plus courtes et d’une augmentation pour les plus longues. Une décision unilatérale qui entraînerait, selon le CLAP 75, une chute de 30 % à 50 % des rémunérations.

Selon la plate-forme, qui estime que les manifestants ne sont pas représentatifs de l’opinion des livreurs, la nouvelle grille offre au contraire « une meilleure tarification, plus juste » et « plus de 54 % des commandes sont payées davantage ». Mais pour M. Zamor, les courses longues ne sont pas rentables car « elles peuvent faire plus d’une heure, soit l’équivalent de trois ou quatre courses courtes ».

Lire notre éditorial : Deliveroo, la révolte des tâcherons

Deliveroo compte en France 10 000 restaurants partenaires dans 200 villes et 11 000 livreurs partenaires. Selon l’entreprise britannique, la majorité des livreurs sont des étudiants et 70 % ont moins de 26 ans. Ils travaillent en moyenne quinze heures par semaine « et gagnent 13 euros par heure de connexion à l’application, soit 30 % de plus que le smic brut horaire », assure la plate-forme.

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Dominique Méda : « Le lien entre mutations de l’emploi et sens du vote est trop souvent ignoré »

Les mauvais emplois ou l’absence d’emplois ont non seulement un coût social, mais expliquent aussi la montée du populisme, détaille la sociologue dans sa chronique.

Publié aujourd’hui à 05h00 Temps de Lecture 4 min.

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Dans une usine de fabrication de bobines de fibre de verre, à Jiujiang (Chine), le 15 juillet.
Dans une usine de fabrication de bobines de fibre de verre, à Jiujiang (Chine), le 15 juillet. CHINATOPIX VIA AP

Les transformations de l’emploi expliquent-elles, au moins partiellement, les résultats des élections ? Plusieurs études américaines récentes fournissent de solides arguments à l’appui de cette thèse.

Dans l’étude « Importing Political Polarization ? The Electoral Consequences of Rising Trade Exposure », David Autor, David Dorn, Gordon Hanson et Kaveh Majlesi analysent l’effet de la pénétration des importations chinoises dans les Etats américains. Prenant en considération les résultats des élections législatives de 2002 et 2010 et des élections présidentielles de 2000, 2008 et 2016 dans 2 976 comtés, ils se donnent les moyens de comparer deux époques – avant et après l’intégration de la Chine dans le commerce mondial – et de mettre ainsi en évidence l’effet spécifique de celle-ci sur les comtés où les industries et les emplois ont été touchés. Ils constatent que, dans les comtés qui étaient les plus exposés à la concurrence chinoise, les Républicains ont gagné des votes et que les candidats les plus modérés ont été exclus au profit des extrêmes. Les auteurs calculent même que, si la pénétration des importations chinoises avait été de moitié moins élevée, le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie et la Caroline du Nord auraient élu la candidate démocrate à la place de Donald Trump.

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L’étude s’appuie sur des travaux antérieurs qui ont mis en évidence que, contrairement à ce que défend la théorie économique mainstream, l’idée d’une destruction créatrice facilitée par la mobilité des travailleurs ne tient pas : les ajustements ont au contraire été très lents, et la pénétration croissante des importations en provenance de pays à bas salaires a pesé de manière disproportionnée sur les marchés du travail locaux historiquement spécialisés dans des productions à forte intensité de main-d’œuvre. Dans les comtés particulièrement concernés par les importations chinoises, de nombreux travailleurs, loin de trouver un nouvel emploi dans des secteurs mieux payés, ont tout simplement perdu leur emploi, en ont obtenu de moins bonne qualité ou ont connu des baisses de salaire.

Ces robots qui ont fait élire Trump

Une autre étude parvient à des résultats identiques en analysant l’effet de la robotisation : dans « Political Machinery : Did Robots Swing the 2016 US Presidential Election ? », Carl Benedikt Frey, Thor Berger et Chinchih Chen analysent la pénétration des robots dans les différentes circonscriptions électorales pour déterminer si les secteurs les plus exposés à l’automatisation dans les années précédant les élections de 2016 ont été ou non plus favorables au vote en faveur de Trump. Ils mettent en évidence un lien positif, qui s’explique par le fait que la robotisation s’est accompagnée de pertes d’emplois massives ou de fortes baisses de salaire et/ou de qualité d’emploi et calculent, comme les auteurs de l’étude précédente et en utilisant la même méthode, que le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie – les Etats où la lutte a été la plus âpre entre les deux candidats – auraient voté en faveur de Hillary Clinton si le nombre de robots n’avait pas augmenté.

Grève au menu chez les livreurs de Deliveroo

Des coursiers de la plate-forme de livraison de repas à domicile Deliveroo manifestent dans le centre de Paris, le 7 août.
Des coursiers de la plate-forme de livraison de repas à domicile Deliveroo manifestent dans le centre de Paris, le 7 août. BERTRAND GUAY / AFP

Après la mobilisation du samedi 3 août, à Paris, les livreurs de repas de Deliveroo se sont de nouveau retrouvés, mercredi 7 août, place de la République, pour dénoncer la nouvelle grille tarifaire imposée par la plate-forme. Selon le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP 75), cette modification, appliquée depuis début août, entraînerait une baisse de rémunération de 30 % à 50 %.

A 20 heures, ils étaient une centaine, avec leur vélo ou leur scooter, révoltés. Pour beaucoup, c’était leur première mobilisation. « Trois euros, parfois 2 euros pour une course, c’est quoi ça ? J’étais obligé de venir ce soir ! », explique Abdou (tous les prénoms ont été modifiés), 35 ans, livreur pour Deliveroo depuis un an. « Avant, poursuit-il, le minimum, c’était 4,70 euros [à Paris], puis ça montait à 5, 6, 7 euros », selon la course.

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La nouvelle grille ne comprend plus de tarif minimal. Deliveroo avait annoncé, début août, une baisse des tarifs des courses les plus courtes et une augmentation pour les longues, que les livreurs délaissaient, car peu rentables. D’après la plate-forme, la nouvelle grille offrirait « une meilleure tarification, plus juste » et « plus de 54 % des commandes [seraient] payées davantage » qu’auparavant.

« Tous les échanges que nous avons eus sur le terrain sont positifs », affirme-t-on chez Deliveroo. Et, malgré les grèves et blocages de restaurants qui ont eu lieu à Toulouse, Nice, Besançon, Tours, Nantes et Bordeaux, « on n’a vu aucun impact sur nos opérations ». Mercredi soir, à Paris, Mounir, 23 ans, livreur pour Deliveroo depuis deux ans, examinait la petite foule rassemblée, pas très optimiste. « Trop de livreurs continuent à rouler. Il faudrait qu’on soit plus nombreux. »

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Comment mobiliser des travailleurs atomisés sur tout le territoire, microentrepreneurs comme l’exigent toutes les plates-formes de livraison de repas et en situation de concurrence entre eux ? Tout est à inventer, d’autant qu’ils travaillent dans la rue, en roulant, et n’ont pas d’endroits pour discuter ni de délégués. Ils ne se croisent au mieux que quelques minutes dans les restaurants où ils viennent chercher les commandes.

« Nouveaux modes d’organisation du travail »

Les syndicats, déjà à la peine dans le salariat, ont du mal à s’adapter à ces situations. Ils n’y sont d’ailleurs pas forcément les bienvenus. « Les livreurs sont des travailleurs très jeunes, qui ont grandi avec l’idée d’un syndicalisme vieillot, politisé, souligne l’ancien étudiant en droit, Jean-Daniel Zamor, président du CLAP, qui travaille pour les plates-formes Uber Eats et Stuart. C’est pourquoi, au CLAP, nous essayons de pratiquer un syndicalisme très proche des gens. » M. Zamor se déplace ainsi d’une ville à l’autre pour rencontrer les livreurs.

Les réseaux sociaux sont essentiels pour toucher ces travailleurs. Sur Facebook ou d’autres réseaux comme Telegram ou Snapchat, il existe plusieurs groupes de livreurs, dont certains réunissent plusieurs milliers de membres. Le CLAP, par exemple, en compte 3 800 sur Facebook ; Uber Eats Paris en affiche 5 770 et Les coursiers à vélo, 4 600. Ces groupes servent à échanger des informations, à partager des appels à la mobilisation et à effectuer des sondages sur la participation à des actions proposées.

Aujourd’hui, même si le CLAP, issu du groupe Facebook le Collectif des coursiers franciliens créé en 2016, a joué un rôle moteur dans les manifestations, il n’est plus « à l’initiative des mouvements, qui naissent spontanément dans une zone ou une autre lorsque surgit un événement comme la baisse des rémunérations, constate Jérôme Pimot, son fondateur. Le CLAP leur sert de « support logistique » et de caisse de résonance.

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Dès l’annonce des nouveaux tarifs de Deliveroo, des opérations de contestation ont été organisées dans l’Hexagone. « Quand des livreurs ont bloqué un restaurant dans ma ville, je suis allé me renseigner, car je passais par là », note un livreur de 19 ans, qui travaille pour plusieurs plates-formes, dont Deliveroo. « Les livreurs m’ont expliqué que les tarifs avaient baissé sans qu’ils soient consultés. Ce n’est pas normal ! Je n’ai pas hésité à les rejoindre. Si on ne fait pas grève, Deliveroo va baisser ses tarifs de plus en plus. J’essaye de convaincre d’autres livreurs de bouger. »

Les syndicats ne sont pas totalement absents. La CGT des services à la personne, par exemple, a apporté son expérience de l’action auprès de travailleurs atomisés comme les employés de maison et les assistantes maternelles. Elle finance aussi des dépenses de voyages sur le terrain, prête des locaux, « sans rien demander en échange », précise Stéphane Fustec, responsable des services à la personne à la CGT. Les appareils syndicaux ont atteint leurs limites face à ces nouveaux modes d’organisation du travail. Or, nous avons intérêt à être sur le terrain de l’ubérisation, qui s’agrandit dangereusement. » Les livreurs ont l’intention de mener une action nationale le week-end du 10 août.

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Les livreurs Deliveroo demandent aux consommateurs de boycotter la plate-forme

Selon les livreurs indépendants, la nouvelle grille tarifaire décidée par la plate-forme de livraison de plats à domicile va entraîner une baisse de leur rémunération.

Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 14h45

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Un livreur Deliveroo à Saint-Ouen, en juillet 2018.
Un livreur Deliveroo à Saint-Ouen, en juillet 2018. GÉRARD JULIEN / AFP

En conflit avec la plate-forme de livraison de plats à domicile, des livreurs de Deliveroo ont demandé aux consommateurs de boycotter l’entreprise mercredi 7 août.

« Aujourd’hui, on essaie de sensibiliser les consommateurs. On leur demande, juste aujourd’hui, de ne pas commander à Deliveroo et de ne pas se connecter, par soutien au mouvement » contre la nouvelle grille tarifaire décidée par la plate-forme, a déclaré Jean-Daniel Zamor, président du Collectif des livreurs autonomes parisiens (CLAP 75).

Deliveroo a annoncé ces derniers jours baisser les tarifs des courses les plus courtes et augmenter celui des courses longues, délaissées par les livreurs car peu rentables. La plate-forme a notamment supprimé le tarif minimal de 4,70 euros pour une course, qui s’appliquait à Paris (il varie selon les villes).

Selon la plate-forme, la nouvelle grille offre « une meilleure tarification, plus juste » et « plus de 54 % des commandes sont payées davantage ». Mais pour M. Zamor, les courses longues ne sont pas rentables, car « elles peuvent faire plus d’une heure, soit l’équivalent de trois ou quatre courses courtes ». Il estime entre 30 % et 50 % la perte de rémunération pour les livreurs payés en tant qu’autoentrepreneurs.

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« Cela précarise tout le secteur »

Le CLAP 75 appelle également les livreurs à un rassemblement à partir de 19 heures place de la République à Paris, afin de « faire entendre nos droits et montrer qu’on peut frapper ». Le rassemblement doit être suivi par le blocage de plusieurs restaurants. Les livreurs ont aussi l’intention de mener une action nationale ce week-end. Dans certaines villes, comme dans la capitale, ils seront en grève samedi tandis que dans d’autres, à Grenoble par exemple, ce sera dimanche, a annoncé M. Zamor. Les livreurs parisiens s’étaient déjà réunis samedi 3 août.

« Deliveroo était la plate-forme qui payait à peu près le mieux, mais elle s’aligne maintenant sur ses concurrents, a regretté M. Zamor. Cela précarise tout le secteur. » Avec 10 000 restaurants partenaires dans 200 villes, le marché français est le deuxième pour Deliveroo, après le marché britannique.

Lire le reportage : « On ne sait plus ce qu’on va gagner » : le désarroi des Deliveroo
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Habillement : le bilan trompeur des soldes

Pour la première fois depuis neuf mois, en juin, les ventes d’habillement ont progressé en France. Mais les distributeurs de mode ne croient plus en une reprise.

Par Publié le 06 août 2019 à 01h49

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Les soldes à Paris, le 11 juillet.
Les soldes à Paris, le 11 juillet. BRUNO LEVESQUE / IP3 PRESS / MAXPPP

Le soleil est revenu sur le marché de l’habillement. En dépit du plafonnement de la croissance à 0,2 % au deuxième trimestre dû à un ralentissement de la consommation en France, selon l’Insee, le bilan des ventes d’habillement de la saison printemps-été est jugé satisfaisant. Les achats de vêtements ont augmenté de 1,2 % en juin par rapport au même mois de 2018. « C’est la première progression des ventes depuis octobre 2018 », souligne Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM).

Fin juin, l’ouverture des soldes d’été a bénéficié de la canicule. « Les records de température ont favorisé l’achat de vêtements d’été », reconnaît Sébastien Allo, directeur des études au sein du Centre national des centres commerciaux (CNCC). Dans ces centres, où l’on se réfugiait aussi du fait de l’air climatisé, la fréquentation aurait crû de 2 % par rapport à juin 2018. Les Français ont aussi beaucoup commandé en ligne (+ 9,3 % en un mois). Le commerce spécialisé a vu son activité progresser de 0,5 % au premier semestre par rapport à 2018, selon le Procos, fédération de commerçants.

Les soldes d’été 2019, qui, dans la plupart des villes de France, se sont achevés mardi 6 août, seraient d’un bon cru. En ligne, les ventes ont progressé de 10 % sur les trois premières semaines de la période, d’après la Fédération des entreprises de vente à distance.

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Une consommation frugale

Mais cette embellie ne redonne guère d’entrain aux distributeurs de mode, le marché français étant en crise depuis 2008. Les ventes d’habillement ont reculé de 15 % en valeur entre 2007 et 2018, dans l’Hexagone, d’après l’IFM. Le marché des chaussures a chuté de 7 % sur cette période.

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Au pays de la mode, les temps ont changé. Pour un Français sur quatre, « le prix est le premier critère d’achat d’un vêtement », dévoilait, mi-juillet, une étude de Kantar. Les consommateurs « sont plus exigeants », note Marianne Perrin, consultante au sein du panel mode de l’entreprise, en chiffrant à « minimum 50 % » la démarque qu’ils exigent lors des promotions.

Cette chasse permanente aux bonnes affaires fait la fortune de certaines enseignes. Au premier semestre, les chaînes comme Kiabi ont, ainsi, encore gagné des parts de marché, d’après l’IFM. « Leurs ventes ont progressé de 1,3 % en moyenne au mois de juin », précise M. Minvielle. Et les enseignes de hard-discount fleurissent sur le territoire français. Parmi elles, Zeeman – 1 300 magasins dans sept pays – effraie la concurrence. Cet été, elle vend un short à 1,99 euro et des lots de boxers à 2,99 euros. Le tout dans 280 magasins en France, dont 12 inaugurés en 2019.

Les livreurs Deliveroo préparent une grève nationale

La plate-forme britannique a baissé les tarifs des courses courtes et augmenté ceux des courses longues, au détriment de leurs livreurs d’après ses détracteurs.

Le Monde avec AFP Publié aujourd’hui à 16h19

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Les plates-formes de livraison sont régulièrement pointées du doigt à cause de la précarisation de leurs livreurs.
Les plates-formes de livraison sont régulièrement pointées du doigt à cause de la précarisation de leurs livreurs. Charles Platiau / REUTERS

Les livreurs de Deliveroo sont en colère et le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP 75) appelle à un rassemblement place de la République samedi 3 août à Paris pour décider d’une grève nationale, « probablement la semaine prochaine ».

A Nice, Toulouse, Tours, Besançon, des mouvements ponctuels de grève et de blocage de restaurants ont déjà eu lieu cette semaine pour protester contre la décision de la plate-forme britannique de baisser les tarifs des courses les plus courtes et d’augmenter celui des courses longues, délaissées par les livreurs car peu rentables.

« C’est un ras-le-bol généralisé », explique Jean-Daniel Zamor, président du CLAP 75. « Deliveroo a supprimé le tarif minimum, fixé à 4,70 à Paris (variable selon les villes), et on tourne avec des courses à moins de 3 euros ». Jusqu’à présent, Deliveroo offrait de meilleures conditions à ses livreurs que les autres plates-formes, et cette décision revient à « s’aligner sur Uber Eats », déplore-t-il.

Les plates-formes « jouent des sureffectifs »

M. Zamor estime que la nouvelle grille, qui veut « obliger les livreurs à prendre les courses longues », entraîne de fait une baisse de rémunération de 30 à 50 % pour les livreurs. La plate-forme se défend, estimant au contraire que la nouvelle grille offre « une meilleure tarification, plus juste », et « plus de 54 % des commandes sont payées davantage ».

Le collectif a commencé à consulter les livreurs sur les réseaux sociaux et assure avoir « 100 % des livreurs consultés d’accord pour la grève ». Ils réclament un retour au tarif minimum antérieur et l’ouverture de discussions sur plusieurs sujets cruciaux pour les livreurs, comme la composition de l’algorithme qui attribue les courses et une régulation du nombre de livreurs inscrits. Les plates-formes « jouent des sureffectifs » pour maintenir des tarifs au plus bas, estime M. Zamor.

Avec 10 000 restaurants partenaires dans 200 villes, le marché français est le deuxième pour Deliveroo, après le marché britannique, d’où l’entreprise est issue. Le développement à grande vitesse du secteur de la livraison de repas s’accompagne de nombreuses critiques sur la précarité des emplois et les conditions de travail des livreurs.

Lire la tribune : « Poser la question de la protection sociale des travailleurs des plates-formes revient à poser celle de la protection sociale des autoentrepreneurs »
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Retraites : « Le rôle du gouvernement sera de convaincre les Français que cette réforme est juste »

Dans une tribune au « Monde », des macronistes de gauche estiment que l’enjeu de la réforme des retraites portée par le rapport Delevoye n’est pas de reculer l’âge de départ à la retraite, mais d’augmenter le nombre d’actifs pour générer plus de cotisations.

Publié aujourd’hui à 06h00 Temps de Lecture 4 min.

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« La réforme devant se faire à enveloppe budgétaire constante, il y aura des transferts entre les catégories professionnelles et donc des gagnants et des perdants ».
« La réforme devant se faire à enveloppe budgétaire constante, il y aura des transferts entre les catégories professionnelles et donc des gagnants et des perdants ». Letizia Le Fur/Onoky / Photononstop

Tribune. Contrairement à ce que l’on dit souvent, les Français ne sont pas opposés aux réformes. En réalité, ils sont prêts à les soutenir, à condition qu’elles leur semblent justes. C’est tout l’enjeu de la réforme des retraites.

Le rapport Delevoye (« Pour un système universel de retraite », voir lien PDF) propose un régime universel par répartition et par points. Un euro cotisé donnera les mêmes droits, quel que soit le métier exercé. Ce sera la fin des quarante-deux régimes actuels, qui ont chacun leurs règles, ce qui crée des différences de traitement importantes entre les cotisants, différences injustifiées et, donc, incomprises par les Français. Certes, des spécificités subsisteront pour tenir compte des particularités, comme celles des indépendants, par exemple, et c’est pour cela qu’il s’agit d’un système universel et non pas unique, mais les mêmes principes s’appliqueront à tout le monde. C’est indiscutablement un net progrès vers plus de justice sociale.

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Dans le détail, le rapport contient de nombreuses avancées sociales : la garantie à 100 % des droits acquis, le maintien du dispositif des carrières longues, l’indexation de la valeur du point sur les salaires à terme (et non sur l’inflation), le principe d’un minimum de pension (fixé à 85 % du smic), une majoration pour enfant dès le premier enfant, un objectif de maintien du niveau de vie de la personne veuve pour la réversion et l’intégration des primes des fonctionnaires et des agents des régimes spéciaux dans l’assiette.

La réforme devant se faire à enveloppe budgétaire constante, il y aura des transferts entre les catégories professionnelles et, donc, des gagnants et des perdants. Le danger est que, comme dans toute réforme, les gagnants trouvent cela normal et les perdants s’opposent à la réforme. Qui seront ces perdants ?

Les fonctionnaires pénalisés

Il convient d’être prudent en l’absence de toute simulation effectuée, ou en tout cas publiée. Pour autant, il est indéniable que les affiliés aux régimes spéciaux feront partie des perdants puisqu’ils seront soumis au régime de droit commun et ne pourront plus partir à la retraite avant 62 ans. Mais ce n’est que justice. Comment, en effet, justifier une telle inégalité de traitement en leur faveur ?

Les fonctionnaires seront pénalisés par le fait que le niveau de leurs pensions ne sera plus indexé sur leurs rémunérations des six derniers mois, mais sur les rémunérations de toute leur carrière. L’intégration des primes dans l’assiette des points de cotisation compensera cette perte en totalité, en partie ou pas du tout, selon les corps de fonctionnaires. Les fonctionnaires de Bercy devraient s’y retrouver ; en revanche, les enseignants y perdront beaucoup.